Je voulais m'échapper de cette ambiance trop étouffante, trop amicale, trop gentille qui règne à l'orphelinat. Tous ces profs attentifs aux élèves, en particulier aux nouveaux venus comme moi, je déteste ça, le pire c'est quand il commence à vouloir nous faire raconter notre histoire. Jamais tu ne sauras, pauvre petit Ren, mon histoire, elle est personnelle, et je suis bien trop fière pour pouvoir dire quelque chose sur moi, je ne veux pas accorder ma confiance et je ne veux que personne m'accorde la sienne. Jamais ils ne seront en sécurité avec moi. Je suis une Cross, Croix sera à mes trousses sous peu. Je vendrais chère ma peau mais je ne peux garantir celle des autres en plus.

C'est sur cette ambiance dans ma tête toujours autant dépressive que je quittais l'orphelinat pour la soirée, histoire de prendre l'air frais, d'oublier quelque peu ces derniers jours. L'air frais m'a toujours fait du bien, et je ne sais comment, je suis arrivée près d'un port, aurais-je fais du stop comme à mon ancienne habitude ? J'ai dû avoir un moment d'égarement, c'est étrange, cela ne m'arrive pas en temps normal, mais ceci n'est pas l'important. Je voyais un magnifique paysage, un magnifique coucher de soleil qui se reflétait sur l'eau et sur les bateaux. Pour une fois, il n'y avait que très peu de nuage se qui donnait une teinte rose au ciel. Je décidais donc de sortir mon calepin pour dessiner un peu. Je trouvais dommage d'avoir oublier ma peinture dans ma chambre du Mystery, cela aurait été parfait de les avoir avec moi. Je reviendrais donc sûrement pour finir ce dessin un jour où il n'y aura que très peu de nuage dans le ciel. Ça égaiera un petit peu ma chambre que tout le monde trouve trop terne. C'est vrai qu'en passant dans les couloirs, lorsque les portes sont ouvertes je peux voir des posters, des photos ou autre sur les murs des autres résidents.

Lorsque j'ai fini mon esquisse, je décidais de m'allonger et de regarder tout simplement le ciel qui s’obscurcissait à mesure que les heures s'écoulaient, doucement, très doucement, ce qui me permettait de m'évader dans mes pensées. Je fais souvent ça, penser, avant de dormir ou lorsque je suis au calme. Ou bien même en cours, quand je m'ennuie, ce qui arrive fréquemment, les cours ici ne sont pas du tout les même que chez les Cross, c'est beaucoup moins intensif, physique. Ça repose un petit peu, mais je dirais que je préfère les cours des Cross, s'il n'y avait pas les coups en plus. Les cours au Mystery ressemblent trop à n'importe quelle école normale, comme ceux que je pouvais avoir au Japon. Ha, le Japon, il me manque, et j'ai bien changé depuis ce temps là. Là bas j'avais des amis, je souriais, j'étais heureuse, tellement heureuse ... Mais c'est le passé, il ne faut pas revenir dessus, jamais il ne pourra changer, il faut regarder devant, vers l'avenir. Moi ? Qu'est-ce que je vois ? La mort des Cross. Mais ça, on le sait déjà.

Je crus m'endormir un instant lorsque j'entendis un bruit d'eau, tout près de moi, il faisait nuit, et comme je n'avais aucune horloge interne, je ne savais pas du tout l'heure qu'il était, mais qu'importe. Je décidais d'aller dans la direction du clapotis, au bout d'un moment, il s'arrêta. C'était-il stoppé tout seul ou alors était-ce mon approche qui l'avait stoppé ? Je me rapprochais encore pour avoir ma réponse. Là, je vis un jeune homme blond aux yeux verts malgré la faible lumière présente dans le ciel. Il était beau, l'ancienne moi aurait sans doute eu le béguin pour lui, comme pour presque tous les mecs de Mystery à vrai dire ... Mais celui devant moi était légèrement sur ses gardes, je le sentais même s'il n'avait pas de lueur meurtrière dans les yeux, juste une légère méfiance à mon égard. Ses pieds nus étaient mouillés ; c'était donc ça que j'entendais ; et il portait un sweat vert ainsi qu'un jogging. Il avait les bras baissés mais tenait un couteau, avais-je donc l'air si dangereuse ? Méfiante à mon tour, je laissais mon don s'exprimer, je ne l'aimais pas donc j'essayais de ne pas faire attention aux voix que j'entendais habituellement. J'entendais donc clairement ses pensées. J'appris alors qu'il était également à Mystery. Jamais vu, il faut dire aussi que je ne faisais pas beaucoup attention aux gens qui m'entouraient, je faisais mes affaires et c'est tout. Pour éviter un bain de sang, je lâchais mes premiers mots à un camarade de Mystery :

"Tu peux ranger ta dague, je ne suis pas de ces personnes qui se transforment en d'autres. Et tu sais très bien également que je suis à Mystery."

Bon, je saurais à l'avenir que les gens n'aiment pas spécialement qu'on leur dise leurs pensées, c'est vrai qu'ils n'aiment pas que des personnes savent ce qu'ils pensent, et croyez moi, des fois vos pensées me font gerber, surtout lorsque je suis avec des vieux pervers, c'est plus qu'horribles. Mais je ne sais pas ce que je détesterais le plus, sentir les émotions des gens ou lire leur pensées. Les deux doivent être tout autant pénible pour moi. J'ai vu son froncement de sourcils, oui, surprise, je suis télépathe, ça t'en bouche un coin pas vrai ? Et voilà que je parle toute seule dans ma tête, parfois je me trouve vraiment pathétique. Voilà qu'il range sa dague, il faudrait peut être l'avertir qu'il ne faut pas forcément faire ça. Après tout, je suis une Cross, je viens d'une organisation de Sorciers Noirs, je pourrais très bien jouer la comédie surtout que je n'ai parlé à personne de ce que je faisais ici, un peu à la directrice qui a sûrement avertit les professeurs mais c'est tout. Les élèves ne sont pas au courant. Enfin bon, ce n'est pas mon problème s'il se fait tuer un jour où il accordera trop de confiance à quelqu'un. Et ce ne sera pas moi qui le tuerait, alors bon, qu'il se méfie ou pas de moi, je m'en fiche un peu à vrai dire. Je l'entends divaguer, finalement, c'est parfois drôle d'être télépathe. Oui tu as raison mon cher, c'est un don mais cette fois je l'ai utilisé. C'est vrai qu'il m'est utile, je vois ce que les gens pensent de moi, s'ils me veulent du mal ou quoi, je peux ainsi prévoir leurs actions. Mais la plupart du temps, j'évite, ça me donne mal à la tête, surtout le soir quand tout le monde parle avec tout le monde dans les couloirs ou les chambres. Mais arrêtez de penser ! Vous ne pouvez pas savoir à quel point c'est parfois horrible !

-" Oh. Tu dois être Sakura, n'est-ce pas ? Moi c'est Ian. "

Ha carrément, il me coupe dans mes pensées lui, mais pour qui il se prend ! Houlà, je me reprends. Je hoche la tête pour lui signifier qu'il a raison et que j'ai enregistré son prénom. C'est vrai quoi, je vais pas placer des mots à tout bouts de champ moi maintenant. Soudain, j'entends des grognements, j'essaie de voir discrètement d'où cela pourrait provenir jusqu'à ce que je me rende compte que Ian sourit, presque à pleine dents. J'entends aussi ces pensées.

Un métamorphe alors, intéressant, un loup qui plus est, c'est là d'où provenaient les grognements, c'est beaucoup plus compréhensible à présent. En effet, pas facile d'éviter ses dons ou pouvoir premier, moi même j'ai du mal à m'empêcher de dessiner des choses qui pourrait survenir dans la réalité, imaginez, en plein cours vous voyez un immense dragon surgir de nulle part ! Bien sûr j'exagère, je ne suis pas capable de produire de dragons, alors pour épuiser mes forces, je dessine des choses inutiles/utiles comme des stylos, des gommes ou autres, jusqu'à ce que ma magie s'épuise ou que le pouvoir ne surgit plus tout seul. Ça m'énerve quand ce pouvoir me force à faire quelque chose dont je n'ai pas envie. Parfois, ça me réveille en pleine nuit, dans ces cas là je sors dans le frais de la nuit, je me mets dans un coin et je dessine des petits animaux, des oiseaux, des souris. Ils sont mignons et je crée la vie. Je trouve que c'est beau ce pouvoir en quelque sorte.

Tandis que Ian s'évertuait à repousser le loup et à trouver des solutions autre que plonger dans l'eau gelée pour contenir son loup, j'observais cette fois attentivement son visage. Malgré la masculinité qui s'en dégageait, il y avait également une certaine finesse, il avait aussi des fossettes sur les joues pour sourire, c'était assez mignon, même si je ne laissais rien paraître. Je le regardais juste, mes pensées dans ma tête et aucune traduction sur le visage, impassible, froid. Le blond de ses cheveux contrastait avec la nuit et était joliment éclairé par la pleine lune qui se reflétait dans l'eau. Un nez droit et des lèvres légèrement pulpeuses sans que se soit du tout excessif. Plus je le regardais et plus je me disais qu'il était vraiment beau.

-" Tu venais faire quoi ici ? "

Petits haussements d'épaules, car moi même je ne savais pas. Mon regard était déjà sur lui donc aucune réaction de ma part n'a été visible car je ne m'attendait pas à ce qu'il me parle. Je crois qu'il n'a pas vu que j'ai un peu répondu à sa question car il continue de se torturer l'esprit pour essayer justement que je ne le voie pas.

-" Tu t'assois avec moi ? "

J'étais surprise que quelqu'un me le propose. C'est également la première fois que je suis aussi longtemps avec une personne seule. Les gens ne me parlent pas habituellement, donc je ne leur parle pas non plus. Tout va bien dans le meilleur des mondes. Nos yeux se croisèrent et je continuais d'écouter ses pensées intéressantes sur l'orphelinat, le fil de la vie ... J'attendais qu'il est fini avant de m'assoir, d'enlever mes chaussures et de tremper mes pieds dans l'eau fraîche. La morsure glacée me fit du bien, même si j'avais peur que mes pieds tournent au bleu. Ma télépathie m'épuisait vraiment quand j'essayais de continuer d'écouter les gens, je m'allongeais donc, pieds toujours dans l'eau, fermant les yeux. J'entendis des froissements de tissus, il s'était donc assis. Je restais silencieuse, écoutais uniquement les fracas de l'eau sur des rochers un peu plus loin et le vent dans les feuilles des arbres. Ce silence, c'était bien. Enfin, silence, façon de parler, j'entendais toujours un brouahaha dans la tête de Ian mais j'essayais de l'ignorer, j'en ai assez entendu pour aujourd'hui. Il a une peine intérieure, je respecte ça et je ne veux surtout pas l'embêter, se serait irrespectueux. Je n'ai pas à être dans sa tête, je ne veux pas donc j'arrête.

"Je ne sais pas pourquoi je suis ici, ni comment je suis arrivée ici."

J'essayais surtout de calmer ce brouahaha, faire en sorte qu'il arrête de penser, j'avais mal à la tête, j'étais crevée à cause de cette télépathie, donc, cela suffisait pour aujourd'hui. Juste parler, peut être, ça ira, mais plus de pensées, c'est horrible. Je ne savais même pas s'il avait entendu ce que je disais tellement je parlais bas. J'hésitais à répéter mais quelque chose au fond de moi me dis de ne pas le déranger. Soit il avait entendu et il en faisait ce qu'il voulait, je n'y voyais absolument pas d'inconvénients, soit il n'avait pas entendu mais s'il voulait parler, il le ferait. C'est vrai qu'il avait l'air d'une nature joyeuse et prêt à dire des choses à tout bout de champ, tout le contraire de moi en fait.

Mon ventre gargouilla, je pris donc un morceau de pain dans mon sac, que je coupais en deux et lui en donnait une partie en le posant sur sa jambe. Je ne savais pas s'il y toucherait ou non mais ce n'était pas grave. S'il voulait partir il pouvait, moi j'étais décidé à voir le lever de soleil cette fois avant d'aller en cours. Je me retournais donc pour l'observer à nouveau et lui demandais quelque chose

"Tu souhaites que je m'en aille ? Rester seul, c'est vrai que ça fait du bien de temps en temps et vu que c'est moi qui t'es dérangé..."

Je ne voyais aucun inconvénient à partir, j'aurais juste changer d'endroit en attendant le petit matin.

Son brouahaha ne cessait pas, il ne voulait pas arrêter de temps en temps de penser ? Il connait mon don, il pourrait pas se calmer ? Enfin je dis ça, mais depuis tout à l'heure j'ai également tout un tas de pensées qui trottinent dans ma tête, elles viennent, elles s'en vont, elles grossissent, je les exploite dans un coin de mon cerveau et dans l'autre je cache toute celle donc je ne veux pas entendre parler. Surtout que ça me ferait changer d’émotion et vu que mon voisin est empathe, il se poserait des questions. Le silence qu'il y a entre nous deux est agréable, donc je continue d'en profiter, si seulement ces pensées aussi pouvait s'arrêter ... Mais je dois apprendre à vivre avec, même si cela m'est insupportable.

Je ne sentais plus mes pieds, mais peu m'importait, je n'avais pas du tout envie de les retirer. Il m'avait remercier pour le pain que je lui avais donné. C'est sûr qu'à une heure aussi tardive et lorsqu'on est toujours réveillé on a faim. C'est pour cela que j'ai toujours de quoi manger sur moi, je me réveille souvent la nuit, pour quelles raisons que se soit, donc je grignote des trucs. Il m'arrive même d'aller jusqu'en cuisine voir si quelqu'un est là où non. Sinon, je prends un truc dans les placards. C'est un peu comme chez moi ici normalement, non ? Il y a des gâteaux dans les placards, alors autant en profiter, j'en ramène même dans ma chambre.

Après quelques instants où on était silencieux, il répond à ma question.

-" Non. Je préférerai que tu restes ... "

C'était bien une première que quelqu'un voulait de moi, moi toujours froide et à qui on ne peut pas adresser la parole. Cela me surpris quelque peu, mais peut être qu'il ne voulait tout simplement pas me vexer. Soit, je reste donc, assise avec les pieds toujours dans l'eau. C'est vrai que parfois, des attentions ou autres pouvaient me manquer, j'en avais l'habitude étant jeune, avant que les Cross change tout. J'avais des amis, appréciée par les garçons au collège et au lycée. Mes parents m'aimaient et je les aimais également en retour, c'était une ambiance gentille, amicale, familiale, on s'entendait tous bien. C'est uniquement quand je repense à tout cela que ça me manque, que mes parents me manquent, mes amis aussi, que j'ai dû laisser du jour au lendemain, sans explication à cause de ces foutus Cross. Pourquoi sont-ils venus tout gâcher ceux là ?! Pourquoi ils ne nous ont pas laissé vivre notre vie en paix ? Était-ce trop demander ? Apparemment oui, avec Natasha qui veut tout contrôler, mais avant cette guerre personne ne nous avait rien demandé. Pourquoi est-ce qu'ils veulent devenir les Roi Du Monde en quelques sortes ? Et c'est quoi aussi cette histoire de "race pur" ? Juste parce qu'on est un sorcier on a pas le droit d'épouser une humaine ? Et l'amour alors ? Ça fait des Mêlés, parfois il y a des humains doués qui arrivent dont ne sait trop où ... Mais ils existent, s'ils existent c'est qu'ils ont droit d'être là. Mais discuter avec les Cross de tout ça n'aboutira à rien, je le sais très bien, mes parents en ont déjà fait des allusions et ils en ont souffert. Même sur le champ de bataille il ne voulait pas se battre, mais ils sont morts.

Il faut vraiment que j'arrête de penser à ça, il faut que je garde la tête froide, la Sakura du Japon est morte, elle n'existe plus. Il faut passer à autre chose. L'autre chose est le caractère que je me suis forgé depuis que je suis arrivée en France. C'est ça que je suis désormais, c'est tout.

-" Pourquoi es-tu venue ici ? Je veux dire... Pourquoi en Ecosse, au Mystery ?"

Hey, c'est moi qui lit dans les pensées, pas toi ! Pourquoi est-ce que au moment où je parle à moi même de mon passé, lui veut en savoir plus ? En plus, je ne sais même pas quoi lui dire, je n'aime pas raconter mon histoire, je ne veux pas de pitié ou quoi. Enfin, lui et son père... Entre nous deux je pense qu'on peut quand même se comprendre, non ?

"C'est long."

Mais quelque chose me dit que toutes les justifications comme "Je ne suis pas sûre que tu veuilles l'entendre, c'est déprimant, c'est chiant, nananana" ils veulent les entendre. J'ai l'impression que les histoires de tout le monde sont compliquées, longues ... Et le coup de "ça ne va pas t'intéresser" ne marchera pas non plus. Ça marche jamais de toutes façons. Il remet ses pieds dans l'eau et je résume donc, préférant éviter les détails.

"Seul endroit que je 'connaisse', assez loin pour éviter les malheurs, assez performant pour que je puisse m'entraîner et assez proche pour mes petits sous-sous"

Et voilà que la Sakura du passé revient, évidemment, la compagnie la ramène souvent, surtout lorsque je me sens bien avec quelqu'un. "Sous-sous", ya bien qu'elle pour dire ça. Je dois passer pour une schizophrène à dire ça. Pourtant je ne le suis pas, c'est juste le temps qui m'a changé, c'est tout.

N'empêche que, moi aussi j'aimerais peut être connaitre son histoire, mais c'est toujours la même chose, peur de déranger, peur de faire de la peine... Mes paroles sortirent toute seule, sans que je puisse me contrôler :

"Qu'as-tu fais à ton père ?"