Note par Ange : ce RP se passe le 31 Octobre 2013, étant donné que c'était l'anniversaire de Sheryl

Sheryl était levée depuis 6h, comme tous les esclaves qui s'occupaient des tâches domestiques. Le soleil brillait déjà faiblement, dans une aube très claire, qui n'était tâchée par aucun nuage. Sheryl ne comprenait pas ce soleil. Elle aurait préféré qu'il ne se lève pas, quand la situation était si sombre.
      Elle s'était habillée de la robe noire, sinistre, qui leur avait été distribuée. Elle était passée dans la petite salle de bain désuète, au grenier, qu'elle partageait avec les autres servantes, pour se passer un peu d'eau sur le visage. Elle n'avait pas mangé, et s'était directement rendue dans le hall où elle avait tiré les rideaux et arrangé les bancs. Puis elle avait aidé à préparer le petit déjeuner des nouveaux pensionnaires, disposant les biscuits et versant les jus dans les carafes. Les plateaux étaient bien trop lourds à ses bras d'enfant. Sept heures avaient sonné, et le réveil ordonné des sorciers noirs avait commencé, à un rythme inégal selon les dortoirs. Les surveillants, tout d'abord, s'étaient préparé eux-mêmes avant de toquer aux portes des élèves. Les domestiques agissaient dans l'ombre. Ils étaient complètement invisibles à leurs yeux – à peine des tâches noires, furtives, qui déposaient devant eux le met souhaité.
      Alors le bal quotidien des domestiques dans les chambres débuta. Les rideaux étaient tirés, les fenêtres ouvertes, les draps changés. Durant tout ce temps, depuis son réveil jusqu'à l'instant où elle ouvrit les portes en bois de la haute armoire qui contenait les serviettes propres, Sheryl agissait mécaniquement, effaçant toute pensée de son esprit mis à part celles qui concernaient directement son activité. Presser les oranges en prenant soin de retirer les pépins, balayer le réfectoire de gauche à droite, de sorte que la poussière soit directement envoyée dans la cour par les portes fenêtres, ne pas se trouver dans les couloirs des étages après huit heures... Penser ne faisait que remonter la haine, et elle ne pouvait se permettre ce luxe qu'une fois couchée sur son matelas, sous les toits, et ainsi échafauder mille plans d'échappatoire. Cependant, alors que d'un geste pressé elle ouvrait en grand les deux battants de la grande armoire, elle resta un moment figé, la bouche légèrement ouverte, comme soudain arrêtée dans son mouvement par une pensée particulière. A l'intérieur du meuble, sur le battant droit de la porte, était un miroir. Elle contempla un moment son reflet, l'air ébahi ; elle avait maigri, et l'étincelle qui auparavant allumait ses yeux d'un gris orage s'était éteinte pour laisser place à un gris terne de désespoir. Derrière son épaule, dans la glace, elle pouvait également voir le soleil qui montait lentement, dardant ses rayons blancs sur la campagne alentours. Dehors, une belle journée s'annonçait ; mais elle ne pouvait sortir. C'est alors qu'elle se souvint. Ce jour-là, c'était son anniversaire.
      Jamais elle n'aurait pu imaginer l'important jour de sa majorité dans de pires conditions. D'un coup, la rage remonta de son ventre jusqu'à gonfler sa poitrine et peignit sur son visage une expression de colère froide, qui paradoxalement lui donnait un éclat nouveau. Elle se saisit des serviettes propres qu'il lui fallait apporter dans les chambres des surveillants puis se dirigea dans la cuisine se munir des plateaux de café et de brioches. Les surveillants levaient les pensionnaires, puis déjeunaient soit dans la salle commune soit dans leurs chambres, avant le déjeuner des enfants, puis allaient faire régner l'ordre dans le réfectoire. Les domestiques avaient alors seulement dix minutes pour disposer leur petit déjeuner sur la table de la salle commune ou bien amener les plateaux dans les chambres, selon le choix de chacun, et ne devaient pas être vus. Toutes à ses idées noires, Sheryl s'empara fermement d'un plateau où une carafe de café peinait à ne pas déborder puis monta quatre à quatre les escaliers. La colère lui donnait une vigueur nouvelle, et elle sentait de l'adrénaline courir dans ses muscles. Elle aurait voulu lâcher là ce plateau, arracher cette robe humiliante et crier à tout le monde que c'était son anniversaire et qu'ils aillent tous se carrer des poignées de porte dans le cul pour voir. Arrivée à l'étage des surveillants, ses yeux parcoururent vaguement les numéros de chambre jusqu'à trouver la bonne. Ses bras avaient du mal à supporter le poids du plateau en bronze, et les serviettes posées sur ses épaules la gênaient dans ses mouvements. Les deux mains prises, elle s'apprêtait à donne un puissant coup de hanche dans cette fichue porte, quand celle ci s'ouvrit d'elle même avant qu'elle ne la touche ; et, emportée dans son élan, Sheryl heurta de plein fouet l'homme qui l'avait ouverte. Le plateau se renversa immanquablement, déversant la totalité du café à moitié sur ce dernier et à moitié sur la moquette.
      De surprise, Sheryl avait tout lâché, et fixait l'homme dans une expression partagée entre la surprise et l'énervement. Décidément, l'univers entier avait décidé de pourrir ce jour qu'elle attendait depuis si longtemps !

Je suis allongé dans mon lit. Je suis réveillé depuis quelques instants et pour une fois je n'ai mal nul part et surtout pas mal au crâne. J'arrive à me sevrer petit à petit de tout ce qui me rongeais depuis tant de temps, toutes ces conneries que j'ingérais. Maintenant, je me rends compte à quel point ça me bouffait la vie, comment j'étais devenu et comment j'allais finir. J'ai en quelques sortes ouvert les yeux grace à Bleuann. Bien sûr, je n'ai pas arrêté du jour au lendemain mais je ne me drogue plus qu'une ou deux fois par jour. Et encore, c'est parce que sinon mon corps le réclame à tout prix et que ça en devient limite insupportable. Je n'aurais jamais réussi à faire ça tout seul et je le savais. Ma petite soeur a plutôt été présente pour moi, pas tout le temps parce que ce n'est pas ma mère non plus mais elle m'a aidé à me sortir de là. Je le sais.
Maintenant, ma vie commence.
Le pire c'est que tout ces moments où j'ai été sous l'emprise de tout ces substances, je m'en rendais pas compte. J'ai quasiment tout oublié de ces moments là. J'ai fait du mal à certaines personnes comme Bleu, qui n'en pouvait plus de me voir comme ça. D'autres personnes s'en sont foutus et s'en foutent toujours. Au final pour quelle personne je compte ? Plus grand monde. Y en a une pour qui je compte là haut mais juste.. juste.. je crois qu'elle s'en fout et qu'il faut tourner la page. Je la tourne progressivement. Petit à petit, je pense de moins en moins à toi Amandine. Ne m'en veut pas, je suis sûr que tu aurais voulu que j'aille de l'avant. J'ai eu juste tellement eu de mal à faire le deuil de toi. C'était ce qu'il fallait payer pour t'avoir vu mourir n'est-ce pas ? C'était ce qu'il fallait payer pour ouvrir les yeux sur le monde qui m'entoure. J'étais trop naïf. Maintenant je sais qui je suis.

J'ai frappé aux portes du paradis. Ils n'ont pas voulu m'accueillir.

Maintenant, je suis là, bien vivant, en chair et en os. Ma poitrine se soulève et se baisse au rythme de ma respiration. Mon coeur bat calmement, je suis apaisé et j'ai fait la paix avec moi même. Je regarde le plafond de "ma" chambre avec toute ses pensées qui se bousculent en moi. Je me demande ce que je fais là, comme avant. Mais cette fois, je parle sérieusement, ce n'est pas des paroles en l'air. Je commence à aller mieux et je pourrais fuir d'ici. Fuir avant de mourir parce que je refuserais de faire quelque chose à un orphelin. J'en ai ma claque d'être cruel et de faire semblant que tout ce sang me plaît. Je ne suis pas Redwan. Qu'est-ce que j'en ai foutre que quelqu'un soit humain ou mêlé ou bien sorcier ? J'ai été elevé pour ça ouai, mais en vérité je ne suis pas comme ça. Désolé papa, désolé maman, vous avez foiré votre éducation et puis pas qu'un peu. Vous m'avez fait inoffensif. Ca en serait presque triste.
Je me sens merveilleusement bien.
Je m'habille d'un air nonchalant. Ah non, je ne suis pas devenu un foudre de guerre parce que j'ai arrêté les drogues, si vous croyez ça et bien vous vous mettiez le doigt dans l'oeil jusqu'au coude. Même quand j'étais petit, je n'étais pas le plus rapide, mais j'étais le plus ingénieux. Ou pas. J'enfile un jean assez classe, un peu slim. Et un t-shirt noir que j'aime bien. Il est beau ce t-shirt noir, bien que assez sobre. Il est bien coupé et il me va bien. C'est Bleuann qui me l'a offert, je ne sais plus quand. Elle me connaît bien parce que ce t-shirt me plait et j'en prends grand soin. En général, je prends soin de ce que me donne ou me confie ma petite soeur. A croire que je l'aime bien.
J'aimerais croire que je vais la protéger jusqu'au bout, j'aimerais le croire.

Je me dirige vers la porte pour l'ouvrir quand j'ai un mauvais pressentiment. Alors je m'arrête à mi-chemin. Je regarde dans la pièce, mais tout semble calme. Je m'inquiète vraiment pour rien. Je continue donc à tracer ma route jusqu'à la porte d'un air décidé. Je pose ma main sur la poignée de la porte et décide d'ouvrir à la volée pour changer un peu. Et si je m'attendais à ce qui va suivre, je crois que je serais resté dans mon lit. Une jeune fille avait décidé de pousser la porte de la hanche au moment ou je l'ai ouverte. Elle avait un plateau avec du café dessus. Sûrement qu'il m'était destiné. Oups. En tout cas, le café m'était arrivé à moitié sur moi et à moitié sur la moquette. Tout avait volé par terre. J'étais un peu gêné par la situation. En plus, la jeune femme me regardait d'un air qui mêlait l'énervement et la surprise. Elle avait l'air de me dévisager. En ma qualité de sorcier noir, je pourrais la punir. Mais je ne le ferais pas.
Je suis faible. Ou juste humain.
Je la dévisage alors à mon tour. Elle semble jeune, une orpheline. Enfin, pas si jeune que ça. Elle était sûrement dans l'adolescence ou fin de l'adolescence. C'était plutôt une jolie fille, elle avait de jolis yeux mais le vêtement qu'elle portait ne lui allait pas du tout. Je lui dirais presque de l'enlever mais je n'ai pas envie de me faire torturer pour "faute grave".

- Excusez moi, je ne voulais pas que ça se passe comme ça.

La scène était presque comique. Si mon père avait vu ça, il aurait bien ri. Un sorcier noir s'excusant devant une esclave. A ma place, il l'aurait attrapé par la peau du cou et l'aurait sans doute torturé dans un coin sombre, la faisant hurler jusqu'à des heures tardives de la nuit, jusqu'à ce qu'il ait obtenu la satisfaction. Il croyait que c'était ça le pouvoir. Moi je pense, que le pouvoir se trouve quelque part, autre part, au fond de notre poitrine. Mais ce n'est que mon avis et Père me dirait sans doute que je suis un poète de comptoir de bar s'il m'entendait dire ça.
Mon t-shirt me colle et je suis un peu gêné, j'aimerais l'enlever mais j'ai peur que cela choque la jeune fille. Je me penche et l'aide à ramasser. J'espère qu'elle n'est pas furieuse contre moi.

- Je suis Silver. Comment t'appelles tu ?

J'avais abandonné le vouvoiement pour le tutoiement. Après tout, on était tout les deux jeunes, on pouvait se tutoyé comme deux jeunes normaux. Je lui fais signe de rentrer dans ma chambre un instant. Ca me servira d'excuse.

- Entre donc et ne t'en fais pas pour le plateau. Je m'en fiche.

J'enlève mon t-shirt et je me changes. Peu importe, elle a déjà du voir un garçon torse-nu. Dommage qu'elle ait trempé mon t-shirt avec du café, ca me rendrait presque triste. Tant pis, il n'était pas perdu, juste sale. Je pourrais le remettre une autre fois. J'enfile un t-shirt bleu. Comme ses yeux !

Dans la tête de Sheryl, la surprise avait laissé place à la peur. Toutes ses rencontres avec des sorciers noirs lui avaient valu des souvenirs douloureux, et instinctivement, elle eut tout de suite envie de fuir. Son crâne carburait à grande vitesse pour trouver une solution : que faisait il là ? Il n'était pas sensé être dans sa chambre, mais en bas, avec ces sales petits sorciers noirs qui emplissaient la cage d'escalier de leurs voix mauvaises. Car un sorcier noir était, par nature, mauvais, c'est ce que Sheryl avait appris à ses dépens. Elle aurait pu tourner les talons, mais la punition aurait été encore plus terrible que ce à quoi elle s'attendait : ces gens-là sautaient sur n'importe quel prétexte pour faire du mal. Au fond, c'était humain : il est plus facile de laisser libre court à ses pulsions, que de trouver le pouvoir nécessaire pour se maîtriser soi-même. A ces pensées, la rage de Sheryl redoubla. Elle allait être punie, c'était inévitable, et elle ne pourrait rien faire. Rien.

Et pourtant, pourtant... Le sorcier s'excusa. Elle en resta tant abasourdie qu'elle ne put répondre tout de suite. Alors enfin elle osa lever les yeux sur lui.
C'était un jeune homme dévasté. Il avait dû être gai, autrefois, car il avait des yeux clairs et lumineux qui se prêtaient au rire ; mais à présent ils n'exprimaient qu'une grande fatigue. Son teint, surtout, était trop pâle, ses joues trop creuses, son corps trop fragile. Il n'avait rien de l'imposante assurance des sorciers noirs qui avaient pris Mystery. Il ne faisait même pas peur, et ne paraissait pas au premier abord vouloir intimider. Et malgré tout cela, il était beau. Très beau même, de cette sorte de beauté qui n'a pas été ternie par les épreuves, toute en mystère et en finesse.
Mais il fallait quand même se méfier. On ne savait jamais à quoi s'attendre avec les sorciers noirs. Ils étaient assez fourbes pour connaître la politesse, même extravagante, même envers un esclave ; pour ensuite sortir les crocs une fois la tromperie habilement jouée... Vu les actualités du moment, il y avait de quoi être parano.

Il aurait fallu qu'elle bredouille de plates excuses, elle aussi, mais la colère l'en empêchait ; alors elle se contenta, sans répondre, de s'agenouiller pour ramasser les dégats. A sa grande surprise, il se pencha à son tour pour l'aider et ramassa le plateau, tout en continuant à parler. C'est même avec un sourire qu'il engagea l'air de rien les présentations, avant de l'inviter à entrer tout aussi naturellement. Sheryl hésita un instant. Elle n'avait qu'une envie : retourner à la cuisine, avec les autres humains, s'éloigner très vite de ce sorcier noir des plus étonnants. Elle ne pouvait faire confiance à un sorcier noir, pas après toutes les horreurs qu'ils lui avaient infligées. Cependant elle entendit des bruits de voix dans le couloir, et prise de panique, entra précipitemment et claqua la porte derrière elle. Si on la découvrait là, le café renversé, discutant tranquillement avec un surveillant, Dieu sait s'ils ne lui couperaient pas un bras ou deux...

L'aspect de la chambre la frappa alors tout autant que celui du jeune homme. Les volets étaient fermés, plongeant la pièce dans la semi-pénombre. Les draps étaient défaits, la lampe de chevet renversée, la couverture en boule au pied du lit. Et surtout, l'odeur était désagréable : une odeur de renfermé, comme si le jeune homme n'était pas sorti pendant plusieurs jours.

Il la laissa observer la chambre sans cesser de la fixer avec un air gêné. Sheryl aussi était mal à l'aise. Elle se dit que le café devait le brûler ou tout du moins le gêner ; elle pensa à sortir pour le laisser se changer, mais elle avait trop peur de tomber sur un sorcier noir moins sympathique dans le couloir, qui lui demanderait ce qu'elle faisait là. A vrai dire, elle ne pouvait croire à la gentillesse du garçon, qui était surement feinte dans un but qu'elle ignorait encore ; mais pour l'heure, c'était l'ennemi  qui avait l'air le moins menaçant dans l'enceinte de l'orphelinat.

Elle fit un pas en avant, ne sachant que faire, et ne se décidant toujours pas à ouvrir la bouche. Elle avait l'impression que si elle laissait échapper un mot, elle briserait la bulle qui venait de se créer : cet instant de franche sympathie entre deux antagonistes, malgré le temps de guerre. Il suffirait qu'elle désserre les lèvres et lui dise gentiment "Je suis Sheryl, et aujourd'hui c'est mon anniversaire!" pour que d'un coup il reprenne son rôle de sorcier noir et lui lance quelque chose comme pour qui te prends-tu, bâtarde d'humaine. Alors elle se taisait, au cas où.

Cependant il enleva son t-shirt, toujours aussi gêné, et Sheryl ne put retenir une exclamation. La faible lumière qui provenait de la fenêtre laissait voir ses épaules, son torse et ses bras. Surtout ses bras, où de méchantes marques de piqûre, dans le creux du coude, blessaient la peau. Un drogué. Elle était tombée sur un sorcier noir drogué. Surement fou, instable. C'était bizarre de se dire que même les sorciers noirs avaient leurs problèmes et leurs dépendances.

Terriblement gênée, elle ne pouvait en détacher le regard. D'une voix balbutiante, elle dit enfin :

"Je ne peux pas partir maintenant, les esclaves ne doivent pas se montrer après huit heures dans les étages. Il faut attendre que les cours commencent."

Elle ajouta alors, la panique encore présente dans sa voix :

"Je suis désolée pour le café. Je vous en prie, ne le rapportez à personne, je peux vous en amener un autre. Mais ne le dîtes pas."

Je t'ai entendu pousser une exclamation quand je me suis mis à découvert devant toi. Je suis presque sûr que tu étais gênée par ce que tu as vu sur mon corps. Des traces de piqûres pour sur, toute ces violences que je me suis infligé à moi même à cause de la drogue. Ca ne doit pas faire plaisir à voir, je suppose que tu penses maintenant que je suis instable. Peut-être dangereux. Tu me considères sans doute comme moi je considère les sorciers noirs en général : violent, imprévisible et sadique. En vérité, je ne suis pas comme ça mais comment peux-tu t'en douter ? On vient de t'arracher à tout ce que tu aimais et maintenant on te traite comme une moins que rien, il est évident que tu réagisses mal. Tu ne souffres pas du syndrome de Stockholm au moins. C'est positif. Tu crois que tu peux me connaitre en jugeant mon corps ? C'est un peu triste comme appréciation de quelqu'un, non ? Enfin, personnellement je trouve.
Je n'ai pas besoin de te regarder pour savoir ce que tu éprouves.
Je suis passé par là aussi, quand j'étais plus jeune. Les drogués, les délinquants, toute ces personnes louches au dehors ça me faisait un peu peur. Père me disait que je deviendrais bien plus puissants qu'eux et qu'en un claquement de doigt je pourrais les écraser. Mais au lieu de suivre la trajectoire qu'il m'avait bien gentiment indiqué, j'ai préféré en faire qu'à ma tête et devenir l'un d'eux. Pour moi, j'ai simplement goûté aux bonnes choses de la vie. Pour ma famille, je suis devenu une de ces personnes peu fréquentables qu'on peut croiser au coin d'une rue. Ces personnes qu'on redoute parce qu'elles sont imprévisibles. Je ne suis pas devenu imprévisible, je suis devenu simplement.. étrange. Je suis devenu quelqu'un qui refuse de suivre la trajectoire qu'on lui impose et qui tente tant bien que mal de renier tout ce qu'il y a autour de lui. Puis, finalement, la réalité le rattrape et il voit la mort sous ses yeux. Cela m'a changé à tout jamais.

Je me retourne enfin et je prends une nouvelle fois la peine de te dévisager. Je te trouve toujours très jolie, mais cet air que tu as sur le visage est fortement désagréable, bien que prévisible. Tu as l'air horrifié, comme si tu avais vu Dorian Cross en personne. Si tu savais la vérité sur ce qui se passe chez les sorciers noirs, tu te mettrais à pleurer dès que tu verrais Dorian alors que moi tu pourrais presque rire. Mais la vie est faites ainsi, de préjugés et d'aprioris. Ca ne me déçoit pas. Pour être plus précis, ça ne me déçoit plus. Bien que tu sois horrifié, tu sembles intriguée, comme si quelque chose te démangeait. Je ne sais pas quoi. C'est plutôt étonnant que, malgré ma gentillesse, tu n'aies pas compris que je ne suis pas comme eux. L'image que l'on a d'une majeure partie d'un groupe, est la même que l'on a pour chaque individu. Je n'échappe pas à la règle.

- Je ne peux pas partir maintenant, les esclaves ne doivent pas se montrer après huit heures dans les étages. Il faut attendre que les cours commencent.

Je crois que je l'avais compris quand tu t'es précipité dans ma chambre en fermant la porte brusquement. Je suis quasiment sûr que tu as vu un sorcier noir dehors et que tu as eu peur de sa réaction. Tu as plutôt bien fait parce que non seulement tu aurais été punie mais j'aurais été torturé. Je te suis presque reconnaissant. Si tu ne peux pas partir, alors on va devoir discuter un peu. Tant mieux, je crois que la compagnie m'empêche de droguer. Ou alors j'allais craquer et te proposer. Mais pour l'instant, je n'étais pas spécialement en manque. Je te regardais, tu étais immobile, devant la porte. Tu avais toujours l'air effrayée.

- Je suis désolée pour le café. Je vous en prie, ne le rapportez à personne, je peux vous en amener un autre. Mais ne le dîtes pas.

J'eus un sourire. Apparemment, tu n'avais pas entendu ce que je lui avais dit. Ou alors tu n'y croyais pas. C'était une possibilité. Je m'avançais et m'assis sur mon lit en te faisant signe de venir t'asseoir à côté de moi.

- Je ne répéterais rien, ne t'en fais pas, je t'ai dis que je m'en fichais. Viens t'asseoir !

La situation était plutôt gênante mais je commençais à me sentir plus à l'aise. J'avais l'habitude de me retrouver seul avec Amandine donc me retrouver seule avec une jeune fille effrayé n'était pas une situation étrange. Je t'offrirais bien quelque chose à boire ou à manger mais le seul truc que j'ai c'est de la drogue. Comique hein ?

- Ne soit pas effrayé. J'essaye d'arrêter mais ce n'est pas facile. Je ne suis pas drogué à l'heure actuelle.

Au moins, c'était clair et net. J'espérais que l'air effrayé qui lui tenait au visage s'efface pour laisser place à un air plus jovial, plus souriant. Mais je me souviens, que lorsqu'on s'est croisé et qu'elle m'a renversé le café dessus, elle avait un air enervé sur le visage. Pourquoi avais-tu un air enervé jeune demoiselle ? Je la regarde d'un air pensif puis je me souviens que tu ne m'as toujours pas dit ton nom.

- Tu ne m'as toujours pas dit ton nom ! Et pourquoi étais-tu énervée ?

Son sourire était étrange. Sa bouche souriait mais ses yeux restaient tristes. Sheryl se dit encore que, tout de même, ce sorcier noir là n'avait pas l'air bien coriace. Au contraire, il avait plutôt l'air d'avoir besoin d'aide et de réconfort.
Il lui répéta qu'il n'y aurait pas de conséquence pour le cafe renversé. Et alla s'asseoir sur le lit, toujours aussi avenant. Elle resta debout, face à lui, mais perdit ses manières hostiles. A n'en pas douter, ce sorcier noir devait se sentir bien seul au milieu de ses pairs puisqu'il avait l'air de tenir particulièrement à engager la conversation avec une esclave... Et il était plutôt bavard.

- Ne sois pas effrayé. J'essaie d'arrêter mais ce n'est pas facile. Je ne suis pas drogué à l'heure actuelle.

Bon, c'était déjà ça. Et il avouait à une inconnue le plus natuellement du monde qu'il avait l'habitude de prendre de la drogue. Normal. Que répondre à ça ? Heureusement, il poursuivit sans attendre :

- Tu ne m'as toujours pas dit ton nom ! Et pourquoi étais-tu énervée ?

Elle s'assit en tailleur sur le lit, tout en réfléchissant activement. Elle n'avait rien à craindre de lui, certes. Mais elle n'avait aucune envie de nouer des liens avec quelqu'un du camp opposé, car cela ne la mènerait à rien, à part à la faire souffrir : ils finiraient invariablement par être punis, ou par se perdre, d'une manière ou d'une autre.

- Je m'appelle Sheryl, répondit-elle distraitement, avant d'ajouter tout de suite après, sur un ton plein de cynisme, en désignant les bras du garçon : Pourquoi arrêter ? Je suppose que ça doit foutrement faire du bien en ces temps de merde. Moi, pour ne plus voir la réalité, je serais prête à me couper un bras. La bêtise humaine fait plus de mal chez tes supérieurs que dans ta drogue.

Peut-être avait-elle voulu être un peu provocante. Ce n'est pas très respectueux de parler de la dépendance d'un drogué d'un ton aussi léger quand on ne sait pas ce que c'est. Mais à l'heure actuelle elle s'en foutait de respecter les convenances. Elle voulait juste passer le temps, jusqu'à qu'elle puisse retourner avec les autres esclaves. Le matin, elle avait un peu de temps pour se balader sur la lande, et elle ne voulait pas rater ça ce jour-là. Elle ne voulait pas avoir l'air sympathique. Ce sorcier noir n'avait aucune raison de se montrer aussi accueillant, il sortait de son rôle ; c'était son problème. Pas le sien.

Elle se leva soudainement, maintenant tout à fait à l'aise, et alla ouvrir les volets. La lumière du jour inonda la pièce sans crier gare, aveuglante, agressive. Elle repoussa ensuite les battants de la fenêtre, qui allèrent s'écraser contre la façade. Cette chambre avait grand besoin d'air frais.

Quand elle se retourna, Silver n'avait pas bougé. Ses yeux étaient blessés par la lumière, surement qu'il n'était pas sorti depuis longtemps. L'air froid du matin piqua les bras et le cou nus de la jeune fille, mais cela lui fit du bien. Elle s'adossa à la fenêtre, croisa les bras et le dévisagea une nouvelle fois, maintenant qu'elle pouvait le voir plus clairement. Elle ne l'avait jamais vu avant. Il y avait quelque chose de touchant sur son visage, de profond, de fragile. Il avait l'air curieux aussi, et désireux de faire plus ample connaissance. Mais il restait un sorcier noir, il acceptait ce statut, il acceptait de faire partie de ces fous furieux. Peut être qu'il souffrait lui aussi, mais il n'empêchait pas le mal de se faire ; tandis qu'il était bien au chaud dans sa chambre, avec ses privilèges de sorcier noir, que des esclaves lui apportaient du café et faisaient ses draps, des innocents étaient humiliés et tués. Être gentil ne pardonnait pas tout. Être gentil chez les sorciers noirs, en ces mois d'horreur sans nom, c'était être lâche.

- J'ai pas mal de raisons d'être énervée, dit-elle encore, pour répondre à sa question. Entre autres, aujourd'hui c'est mon anniversaire.

Elle s’était assise en tailleur sur le lit tandis que je restais hébété au milieu de la pièce. Je la regardais, elle, elle réfléchissait. Ses traits étaient toujours tendus et je me demandais toujours ce qui pouvait la mettre en colère de cette manière. Beaucoup de choses j’imagine. Quand on vient, qu’on retourne votre environnement, qu’on tue vos amis, qu’on vous traite comme des moins que rien, qu’on vous inflige des choses abominables, j’imagine qu’il y a des raisons d’être énervé.
Elle est énervée contre les sorciers noirs et invariablement je suis un sorcier noir donc par conclusion je suis la cible de ses pensées et de ses colères, comme beaucoup d’autres. C’est vrai, pour elle je ne suis rien d’autre qu’un homme de main. Je ne suis pourtant qu’un pantin soumis, sans autre choix que de regarder et d’exécuter. Mais je suis fou, alors on m’évite.

- Je m'appelle Sheryl, répondit-elle distraitement, avant d'ajouter tout de suite après, sur un ton plein de cynisme, en désignant les bras du garçon : Pourquoi arrêter ? Je suppose que ça doit foutrement faire du bien en ces temps de merde. Moi, pour ne plus voir la réalité, je serais prête à me couper un bras. La bêtise humaine fait plus de mal chez tes supérieurs que dans ta drogue.

J’ai un sourire triste mais qui se transforme en un sourire réjouis. Finalement, elle s’intéresse un peu à moi.
Si elle savait ce que la drogue causait et à quel prix on peut s’en sortir, elle ne parlerait pas de sortes. Beaucoup de gens s’expriment sans savoir de quoi ils parlent, sans savoir ce que l’on a subi pour en arriver là où on en est. Ils parlent pour exister, ils parlent pour ne se donner plus d’importance qu’ils n’en ont jamais eu. Ils parlent pour être.
Si j’étais quelqu’un de plus méchant, comme Redwan mon frère ou encore même Dorian Cross, l’impitoyable, je lui aurais coupé le bras et non seulement elle continuerait à voir la cruelle réalité dans laquelle je vis depuis plus de 20 ans et en plus elle vivrait avec un sacré handicap tout de même.
Le cynisme de sa voix me laisse tout de même à penser qu’elle n’était pas sérieuse dans ses propos. J’ai tellement peu l’habitude d’avoir du contact réel avec des humains que je ne sais plus discerner le vrai du faux.
En tout cas, Sheryl est un joli prénom qui lui va bien.

Soudainement, la jeune fille se lève sous mes yeux et ouvre les volets avec agressivité. La lumière m’agresse les yeux, je ne l’ai plus vu depuis trop longtemps. Le blanc inonde ma pupille et le jour semble me brûler la rétine. Je ferme mes yeux, comme un nourrisson pour ne pas voir ce que l’horizon à me proposer. Plutôt me buter que de croire qu’il y a encore un avenir pour moi dehors. J’ai besoin de Bleu à cet instant là.
Elle s’adosse à la fenêtre et j’ai l’impression d’être passé au rayon X, elle me regarde comme si elle ne m’avait jamais vu. C’est à la fois troublant et gênant. Mais je ne suis pas du genre soumis et je me force à soutenir son regard bien que la lumière et la fraicheur du jour me donne qu’une seule envie : me mettre sous ma couverture.

- J'ai pas mal de raisons d'être énervée, dit-elle encore, pour répondre à sa question. Entre autres, aujourd'hui c'est mon anniversaire.
Je n’allais tout de même pas lui demander son âge même s’il semblait qu’elle venait d’atteindre la vingtaine. Enfin, c’est assez difficile à juger parce qu’à partir de 16 ans, les femmes ne changent plus vraiment. Elles évoluent juste mentalement et change de style vestimentaire. C’est tout.

- Oh, dit-il d’un ton dénuée d’émotion. Il se forcit à soutenir son regard une nouvelle fois et dit d’un ton beaucoup plus doux et gentil. Joyeux anniversaire alors.

Je crois que je ne m’en étais pas si mal sorti. Je me demande ce qu’elle pense de moi.


- Pour ce que t’as dis tout à l’heure : j’ai arrêter parce que il est plus facile de masquer la réalité que de la regarder et de l’affronter de face. Ces trucs là ça te bousille le corps, l’esprit et l’âme à haute dose.

Elle ne savait pas ce qui lui prenait de parler à ce sorcier noir de façon si familière, et si provocante. Elle s'en rendit compte tout à coup et garda un moment le silence. Il eut un sourire quelque peu ironique quand elle évoqua la drogue, et elle se sentit stupide. En ces temps où tout était inversé, les méchants à la place des gentils, l'absurdité, la cruauté gratuite à la place de l'humanité... Elle n'arrivait plus à avoir de respect pour quoi que ce soit. C'était un monde sans valeurs, sans aucun sens, sans aucune morale qui s'était établi sous ses yeux sans qu'elle n'ait eu le temps de réagir. Ses yeux s'attardèrent un moment sur le ciel blanc qui entrait à flot par la fenêtre, jusque sur la peau nue de ses bras et aussi sur le torse de Silver. Tout le monde était devenu si pâle, si transparent. Ce ciel long, vide, unicolore, sur lequel il n'y avait rien à dire, était l'image même de l'avenir que ce nouveau monde promettait. Un avenir sans aucune loi, sans aucune raison. Un avenir mort.

Silver laissa échapper un son, rien de plus qu'un petit « oh », et elle reporta le regard sur lui. Elle aurait voulu avoir une émotion, pleurer ou crier, pour savoir si, même en étant un sorcier noir, il ressentait cette pesante absence de l'avenir, et cette absurdité de l'histoire humaine. Peut-être qu'il en souffrait tout autant, que lui non plus ne savait pas comment tout cela allait finir, et que, quand il regardait le ciel, il se demandait souvent à quoi il servait et ce qu'il allait faire de sa vie

« Joyeux anniversaire alors. »

Son ton était devenu très doux, presque affectueux. Mais l'affection pouvait-elle encore naître entre deux personnes, quand la cruauté des uns sur les autres s'exprimait si librement en dehors de cette chambre ?

Son regard glissa dans le vague et elle lâcha un « Merci... » sans trop de conviction.

Mais il semblait préoccupé et il ajouta presque immédiatement, comme pour répondre à sa remarque stupide d'il y avait deux minutes :

-Pour ce que t’as dis tout à l’heure : j’ai arrêté parce qu'il est plus facile de masquer la réalité que de la regarder et de l’affronter en face. Ces trucs-là ça te bousille le corps, l’esprit et l’âme à haute dose. 

Elle ne sut que répondre. Elle n'avait aucune idée de quoi il parlait, elle n'avait jamais connu ça. A part dans les films.

-Et la réalité, tu t'en accommodes maintenant ?

Elle ajouta d'un ton plus piquant :

-C'est la regarder en face que de rester enfermé heure sur 24 dans sa chambre volets clos ?

Je suis un être comme un autre. J'ai mes colères, mes tristesses, mes joies et mes surprises. J'essaye de montrer une seule facette de moi mais on découvre à chaque fois une nouvelle facette de moi. Je sors les crocs parfois sans savoir pourquoi. Vaut mieux avoir des remords que des regrets hein ? C'est ce qu'on m'a toujours dis.
Suite à ses voeux de bon anniversaire. Elle me regarda et je n'ai pas osé soutenir son regard trop longtemps. Je ne savais pas vraiment ce qu'il se passait. Je me sentait inférieur à ce moment là, je me sentait faible, par rapport à elle. J'aurais préféré être une petite souris. Elle avait lâché un vague merci. Moins de conviction dans son ton que dans le mien. C'était étrange comme situation après tout. J'étais le grand méchant, j'étais celui qui avait tout détruit pour elle. Je l'avais ruiné comme tout les autres sorciers noirs. Elle ne pouvait que ressentir de la haine pour moi. Je n'avais pas vraiment quelque chose à dire.

-Et la réalité, tu t'en accommodes maintenant ?

Je ne savais pas quoi répondre. Après tout, on ne sait jamais vraiment ce qu'est l'imaginaire de la réalité. Y a qu'un mince filet. J'ai touché l'univers irréel de la pointe du doigt. Aujourd'hui, je suis clair, j'ai plus rien dans le métabolisme. Je sais ce qu'est la réalité. La réalité c'est d'avoir une jolie brune devant soi et de préférer discuter avec elle, même si c'est dans une atmosphère tendue, plutôt que de me piquer ou de fumer. J'ai changé, je crois, je pense, j'espère.

- C'est la regarder en face que de rester enfermé heure sur 24 dans sa chambre volets clos ?

Elle avait été hargneuse sur cette phrase. En tout cas, je l'avais ressenti comme ça. C'était pas le but peut-être. Je réfléchis trop. Je devrais m'avancer et la serrer dans mes bras, me déblatérer en excuse mais je le ferais pas. Parce que dans mes artères, y a aucun caractère. Je suis un faible, je le sais, je l'admets. J'ai été elevé à la dure, j'ai été elevé pour être un soldat, j'ai été elevé pour tuer et vivre de sang-froid. Je devrais donc être dur mentalement. Sauf que ça n'a jamais marché sur moi.

- Quand j'me regarde dans le miroir j'y vois un mec bizarre, pâle, translucide, tellement livide, à faire sourire un génocide

Je tourne la tête, comme pour masquer la brume qui commence à envahir mes yeux. J'ai horriblement honte de moi parfois. J'ai tellement une mauvaise opinion de moi.

- C'est une notion assez réelle pour toi ?

Ma voix s'était à moitié cassé quand j'avais dis ça. J'étais une merde finie. Même pas capable de se retenir devant une orpheline. Une larme s'écrasa au sol dans un silence de plomb.

Il pleurait. Sheryl en fut tellement abasourdie qu'elle resta un moment la bouche ouverte, sans aucune réaction. Il se serait mis à danser sur les mains qu’elle n’aurait pas été plus surprise. Elle-même n'avait pas pleuré depuis si longtemps! Voir quelqu'un qui montrait ouvertement, de façon totalement exposée, un sentiment fort, la perturba beaucoup. Dans ces temps de guerre, afficher sans méfiance une si grande faiblesse équivalait presque à du suicide. Ou à une grande preuve de confiance.

Elle eut envie de dire quelque chose, quelque chose de fort et de réconfortant ; elle eut envie de lui dire à quel point elle le trouvait beau et fragile comme une comète, qu’il était vivant et que c’était le principal et qu’à partir de là on peut toujours changer si on le désire, qu’il suffisait d’arrêter de se chercher soi-même et de simplement s’ouvrir aux autres. Mais elle était la première à qui ces conseils devaient s’adresser, et, incapable de se laisser aller à une si inexplicable tendresse pour cet inconnu, la seule chose qui s’échappa de ses lèvres fut :

- Tu m'as l'air complètement désespéré…

La détresse de Silver la désemparait : elle, elle haïssait les sorciers noirs, en voulait même au monde entier pour son absurdité ; mais jamais elle ne s’était fait un reproche. Qu’y pouvait-elle ? Mais Silver détestait son propre reflet dans le miroir, et il s’était shooté pour ne plus le voir. Et pourtant, malgré sa faiblesse et son apparence cadavérique, Sheryl lui trouvait une certaine majesté.

-Peut-être que tu es tout simplement humain, dit-t-elle d’une voix hésitante, alors que, inconsciemment, elle s’était penchée vers lui, main en avant ; Peut-être bien que tu es le plus humain de tous les sorciers noirs que j’ai pu rencontrer. Tu n’es ni une bête féroce comme eux, ni un saint, et c’est très bien comme ça.

Avec un sourire, elle ajouta une phrase qu’elle avait entendue quelque part, et qui lui revenait tout à coup en mémoire.

-L’important n’est pas ce que tu es, mais ce que tu choisis d’être.

Cela sonna de façon un peu bateau à ses oreilles. Elle n’avait jamais été douée pour consoler, encore moins des faux sorciers noirs. Mais l’effort qu’elle avait fourni, et l’intérêt qu’elle prenait de plus en plus pour ce jeune homme si bizarre, lui avait un moment fait oublier ses propres soucis, et elle se sentait mieux.

Je ne suis qu'un homme de l'ombre, celui qui ne pense pas ça me jette la première pierre. Je ne suis rien comparé à la grandeur de certain, je ne suis que la déchéance de ma famille, sa honte suprême. Je ne mérite pas d'exister. Si je n'étais pas né sorcier, on m'aurais déjà tué depuis longtemps. Alors pourquoi je suis là encore ? Pourquoi on en a pas fini de cette connerie de vie sérieusement ?
Je suis faible et je pleure devant elle. On se connait à peine mais j'ouvre mon coeur. Elle pourrait juste en profiter et me poignarder mentalement ou même physiquement. Elle aurait tout à loisir de le faire, elle avait vraiment l'opportunité. Je ne me défendrais pas. Que ça soit elle ou une autre, je finirais bien par mourir. Et jeune. Parce que je sais que de toute façon, avec une faiblesse mentale comme celle là, on ne peut pas durer éternellement dans le monde.

- Tu m'as l'air complètement désespéré…

Même elle le remarquait. Je ne suis bon à rien et rien n'est bon en moi. Je ne cherche plus la vengeance, ni la rédemption, ni l'affranchissement moral. Je cherche juste à trouver quelque chose à quoi me raccrocher. J'évoque la mort si facilement que ça parait une notion courante chez moi. Je l'ai vu la mort. On est obligé de la voir quand on vit dans une famille comme la mienne.
J'ai pensé à sauter le pas, j'y ai pensé de toute mes forces, je me suis dit que j'allais le faire et que ça serait enfin fini, que j'aurais pas à m'embarrasser des conséquences, que de toute façon la tristesse de ma soeur ne serait que superficielle et éphémère. J'ai essayé. J'avais accepté l'idée mentalement pour moi.

Mais j'ai jamais réussi à sauter le pas. Même sur ça, je serais capable de me foirer. Même pas foutu de se suicider. Un incapable, je vous le dit.

-Peut-être que tu es tout simplement humain, dit-t-elle d’une voix hésitante, Peut-être bien que tu es le plus humain de tous les sorciers noirs que j’ai pu rencontrer. Tu n’es ni une bête féroce comme eux, ni un saint, et c’est très bien comme ça.

Elle avait avancée sa main vers moi en même temps qu'elle disait ça. Elle avait pitié de moi. Ou elle voulait simplement m'aider. Je sais pas, je m'en fous. Je crois qu'elle est là, la chose à laquelle je peux me raccrocher. Mais elle va sûrement me lâcher comme les autres. Peu importe. Vivons l'instant présent.

-L’important n’est pas ce que tu es, mais ce que tu choisis d’être.

Cette phrase lui disait étrangement quelque chose. De toute façon, il savait qu'il était "de ceux qui n'savent plus raisonner de façon logique". C'est pourquoi il prit sa main tendue, au sens figurée du terme et la pris dans ses bras. Si quelqu'un les voyait, Sheryl serait morte dans la seconde. Il s'en foutait de toute façon. Non, c'est pas vrai, il s'en foutait pas d'elle. Il voulait pas qu'elle meure. Il n'avait pas envie que la seule personne à peu prés agréable avec lui s'en aille si vite.
Ses larmes avait cessé de couler. Il chanta dans son oreille doucement une chanson depuis longtemps déjà oubliée mais toujours aussi magnifique.

- Je voudrais qu'on monte l'escalier en courant, que tu me fasse l'amour jusqu'à l'aube pendant deux nuits,, que le soir au soleil couchant on se fasse des câlins. J'voudrais tellement partager tes nuits, j'ai tant besoin de ton sourire, j'ai tant besoin qu'on se voit dans les nuits fauves.

Et il sourit. De toute façon, la vie ne nous réserve aucun traitement de faveur, hein ?

Sheryl connaissait cette chanson. Elle la chantait, elle aussi, il fut un temps ; elle s'en rappelait confusément. Elle ne savait pas d'où ça venait. D'un temps trop lointain, en tous cas.

Silver avait attrapé sa main et l'avait tirée à lui. Maintenant il la serrait dans ses bras. Sans gêne. En un seul geste, il avait aboli la distance naturelle sorciers noirs/esclaves.

Mais, instinctivement, elle se figea comme une pierre. Les rapprochements physiques avec un sorcier noir n'avaient jamais donné quelque chose d'agréable par le passé, et, sans qu'elle ne puisse le contrôler, son corps gardait des traumatismes. Dans le même temps, elle ne put s'empêcher de penser que tout cela ne rimait à rien, et ne pouvait qu'être une vaste comédie.

Hé bah voilà. Il veut juste tirer son coup, en fait. Ou pire : me manipuler sentimentalement. Les sorciers noirs sont assez inventifs et retors dans la torture.

D'un autre côté, s'il avait voulu seulement une relation physique, il aurait très bien pu l'agresser sur le champs sans que quiconque n'y trouve à redire. Et la manipulation psychologique ? Pourquoi aurait-il du temps à perdre à jouer les gentils devant une esclave ? Sheryl était complètement désemparée.

Elle le repoussa dans un réflexe de bête sauvage pris dans les feux d'une voiture.

"Tu es un sorcier noir, je te déteste !"

Elle avait crié. Elle avait l'air complètement perdue.

"Tu es mon ennemi. Si ça t'amuse de jouer les fragiles, tant pis pour toi. Dans cet ordre il y a deux camps et si tu ne fais rien pour changer ça, t'es dans le camp des connards ou des lâches. C'est pareil. Dans les deux cas, je te combats."

Elle sentit les larmes lui monter à la gorge à son tour. Elle qui avait le don de manipuler les émotions, elle ne savait plus quoi ressentir. Juste une immense confusion. Et dans sa voix perçaient des sanglots incontrôlables qui formaient un contraste bizarre avec la dureté sans appel de son ton.

Dans cette chambre et à cette heure, avec peut-être, dans une pièce voisine, des oppresseurs opprimant des opprimés sans retenue, qu'un sorcier inconnu la prenne dans ses bras n'avait pas lieu d'être. Ce n'était juste pas dans l'ordre des choses. Un an de guerre lui avait bien fait rentrer dans la tête qu'ils n'appartenaient pas au même monde. Et surtout, un an de souffrance avait fait naître trop de rage, trop de besoin de réparations, pour qu'elle ne puisse pas voir dans la faiblesse d'un sorcier noir, seulement une occasion de se venger.

La lumière de la fenêtre, la violence de ce matin d'hiver-là, tombaient obliques sur la peau pâle et marquée du jeune homme. Elle le trouva noble et beau. Quand il l'avait étreinte, elle avait constaté qu'il avait plus de force qu'il ne le laissait croire.

A cette pensée elle se campa sur ses jambes et avança les bras en position de combat. C'était un sorcier, c'était un inconnu, c'était un drogué : il était imprévisible. Et elle avait peut être franchi une limite dans la provocation. Mais aujourd'hui elle avait 18 ans, et, dans l'hypothèse où il retrouverait tout d'un coup le comportement du reste de sa race, elle saurait bien en démordre avec lui avec l'énergie d'une lionne.

La jeune femme s'était figé comme de la pierre lorsque j'avais aboli la distance entre nous deux. Evidemment. Je ne suis vraiment pas doué avec les femmes.
Mais pourquoi je suis incapable comme ça ? Qu'est ce qui me retiens d'être un homme ? Un vrai ? Putain. Je suis une vraie merde. Je sentais le malaise qui s'étais installé. Je n'avais qu'une envie c'était de planer. Je ne sais même pas ce que je voulais prendre mais je voulais dormir et ne jamais me réveiller d'un cauchemar sans fin.

Je croyais qu'on avait établi une certaine relation avec nos références mais en fait je me rends compte que non. Tu es toujours une esclave du Mystery et moi toujours un putain de sorcier noir de Rosenrot. Putain, ce que je me déteste. Je voudrais aller dans un bain plein, prendre une lame de rasoir, m'ouvrir les veines et attendre la mort lentement, sans sourire. Une lenteur sans passion comme le reflet de ma vie sans intérêt.
La vie est belle.
NON, PUTAIN.

Sheryl posa ses mains sur mon torse et me repoussa. Je me sentais pire qu'une merde. Je me mis à rougir furieusement, plus rouge que le sang qui s'écoulerait de mon corps quand je me suiciderais tout à l'heure. Non, j'aurais pas le cran. Comme d'habitude. Faible. Lâche. J'ai plus d'âme. Instinctivement, je me suis passé une main dans les cheveux. C'est un de mes réflexes quand je suis gêné. Je sentais une sueur froide me passer dans le dos.
Atmosphère lourde.

- Tu es un sorcier noir, je te déteste !

Elle a fait la belle, puis s'est fait la belle.
On vit dans un monde de stéréotypes. Je suis un sorcier noir. De Rosenrot, une association de "méchants". Je suis catalogué parce que j'appartiens à cette caste. Je ne l'ai pas fait exprés. J'ai été mis dans une case par volonté de mes parents, par volonté de mes frères, par volonté de ma soeur et par ta volonté aussi Sheryl. Si tu savais à quel point je les hais tous. En fait je ne sais pas. Mais je voudrais être au part. Je voudrais qu'Amandine ne soit pas morte. J'arriverais jamais à faire mon deuil. Ou peut-être. Je sais plus.

- Tu es mon ennemi. Si ça t'amuse de jouer les fragiles, tant pis pour toi. Dans cet ordre il y a deux camps et si tu ne fais rien pour changer ça, t'es dans le camp des connards ou des lâches. C'est pareil. Dans les deux cas, je te combats.

La situation s'était retournée en deux temps, trois mouvements. Je ne veux pas me battre Sheryl.

- Non ! Sheryl. Je ne veux pas ça. T'as rien compris.

Elle se mit en position de combat et je sentis très rapidement la magie qui émanait de son corps. Elle était prête à tout pour lui faire payer d'être de Rosenrot.
Je ne suis rien, je suis faible et tu m'écraseras Sheryl. Si ça peut t'amuser, fait le. Je n'ai plus peur de mourir, je n'ai plus peur de souffrir. Je ressens la gêne, c'est la seule chose qui est encore humaine en moi. Je ne suis plus capable de ressentir la peine, la joie, l'indifférence. Je préfére ne plus penser car mon cerveau m'offre trop de douleur.
Dans un effort surhumain, je déployais mes sens de félins et j'ai bondi à l'autre bout de la piéce pour me trouver hors d'atteinte. Je ne mourrais pas de ta main Sheryl. Je suis faible mais je ne tiens pas à déshonorer toute ma famille même si eux n'en ont plus rien à faire de moi. Je pourrais disparaître que personne ne le remarquerais. Est-ce que tu le remarquerais toi ? Non. Je suis invisible.

- Je suis désolé Sheryl.

Il marqua un instant de silence puis s'accorda à lui faire une dernière référence. Son intérieur s'effondrait

- Un jour, je t’emmènerais regarder la lumière d'un lampadaire qui rougeoie qui vacille sur les berges du fleuve endormi.

Je me plante, je sais. Sheryl me hais et je me hais. Je pense au suicide. Souvent. Mais je n'aurais jamais le cran. Je bats de l'aile. Je suis qui ?
Un être sans âme.
Un train sans conducteur.
Un roi sans couronne.

Je franchis la porte. Le regret et la honte au visage.