Little Angleton. Alors que je marchais dans la campagne écossaise, je voyais se dessiner la silhouette de cette petite ville me paraissant si familière et pourtant si lointaine à la fois. Bien des années se sont écoulées depuis mon exile, depuis ce jour où j'ai abandonnée ma forge, délaissée ma fille que je venais de retrouver alors que je n'avais même pas commencé à essayer de me faire pardonner. Va-t-elle bien ? Que fait-elle maintenant ? Pourra-t-elle me pardonner de l'avoir de nouveau abandonnée ? Je ne sais pas, mais qu'importe, les choses sont ce qu'elles sont aujourd'hui, je dois faire avec. Rhyan... Si seulement tu savais que c'est pour toi que j'ai fui Little Angleton lorsque le chaos s'est imposé, car tu aurais été le seul moyen de pression qui aurait pu être utilisé contre moi, contre mon savoir-faire en matière d'armes enchantées, ce que je n'aurais pas supporté. Ainsi, je suis parti, loin, très loin même, à mes racines en Norvège. J'étais dévoré par le haine de ce qui c'était passé, tout est encore gravé dans ma mémoire, des pleurs, des cris, du feu, des larmes... Du sang. C'est avec haine que, une fois sur place, je décidais de rejoindre un groupe d'indépendants luttant violemment contre les Sorciers Noirs et autre dégénérés du genre. Mon désir de vengeance m'avait transformé en machine. Je donnais la mort impitoyablement à tout ceux que je considérais du mauvais côté. A chaque vie que j'ôtais, je pensais à Anna, la mère de Rhyan, morte, assassinée par les Sorciers noirs. J'étais une bête sauvage, et tout ce que je faisais, je le pensais juste et bon. Ni émotions, ni douleur, aucune pitié. Je ne me rendais pas compte que cette sauvagerie ressemblait étrangement à une autre. Il fallait bien que quelque chose me ramena à la réalité.

J'avais entendu parlé de Sorciers Noirs rattachés à Rosenrot vivant dans un endroit isolé, ce qui était assez courant à vrai dire, ils préparaient tranquillement leurs méfaits à l'abri de tous, mais malheureusement pour eux, notre groupe était bien informé, et cet isolement n'était pas suffisant pour les sauver. Je n'oublierais jamais ce jour. Une petite maison vraiment perdue au milieu de la forêt, de la neige immaculée, un endroit vraiment paradisiaque en soit. N'ayant pas de don ou pouvoir en rapport avec le combat, je misais tout sur la surprise. Pas de subtilité, la porte défoncée à coup de hache, une femme en face de moi, effrayée. Elle crie, appelle les autres, sans avoir le temps de finir, puis s'effondra contre le mur, la gorge ouverte. Elle était très belle, des cheveux roux bouclés tombant en cascade jusqu'en bas de son dos, des yeux verts, devenus inexpressifs. Quel âge avait-elle ? Une trentaine d'année peut-être ? L'âge d'être mère... Ce fut deux cris qui me firent sursauter. Le premier venait de la pièce d'à côté, celui d'un enfant, un très jeune enfant dans son parc. Le deuxième de l'étage, une voix d'homme qui cria un nom, sûrement celui de la femme. Alors que j'allais en direction du premier son, je commençais à me sentir mal, comme une sensation de déjà vu. C'était bien un enfant, il me fixait en hurlant, voyant derrière moi le corps sans vie de la jeune femme. Comprenait-il ? Oui il comprenait très bien malgré son jeune âge. Était-ce sa mère ? L'homme arriva à l'endroit du corps de ma première victime. Il hurla alors à la mort, amplifiant alors les cris de l'enfant. Il hurlait le nom de la femme, la suppliait de revenir, de ne pas les laisser lui et... leur fils. Ma respiration s'accéléra, mes doigts se crispèrent sur ma hache maculée par le sang de la jeune victime. Qu'avais-je fait ? On m'avait pourtant bien dit que c'était un repère de Sorciers Noirs, pas une putain de famille bordel de merde ! L'homme sembla alors remarquer ma présence, et me voyant près de l'enfant, la hache à la main, il cria de nouveau.

- Non ! Par pitié non ! Ne lui faites pas de mal, ne le... Ce n'est qu'un enfant ! Il n'a rien... Mais.... Pourquoi ? Que voulez-vous ? Oh mon dieu, Helga, mais pourquoi mon Dieu ? Pourquoi ? Helga revient je t'en prie, ne pars pas, je t'en supplie...

L'homme s’époumonait en questions, supplications entrecoupées de pleurs et de sanglots. De mon côté, je me sentais envahir par la peur. Avais-je tués des innocents ? Jamais les renseignements du groupe ne se trompaient, justement pour éviter toute bavure, ils étudiaient la cible longtemps avant de donner leur feu vert, alors qu'en était-il de cette fois-ci ? Non il devait y avoir une raison, je ne devais pas me laisser intimider, ne pas oublier tout ce qu'ils ont fait, combien de morts lors de l'assaut de l'orphelinat ? Là aussi des pleurs, du sang, des cris... J'ai déjà entendu ça, cela ne doit pas me choquer. Ressaisis-toi bordel !

- C'est le prix à payer pour être dans le mauvais camp, Sorcier Noir, vous avez les mains pleines de sang d'innocents !

Je commençais à moi même avoir du mal à croire ce que je disais, mais je devais rester stoïque. Oui, c'était du sale boulot, mais il devait être fait.

- Non ! On a jamais tué qui que ce soit ! On a fuit Rosenrot ! On avait pas le choix, nos familles y sont, mais... On ne voulait pas tuer d'innocents, alors on est partis, puis avec Helga on...

Nouveau sanglot à la mention du nom de celle qui semblait être sa femme.

- On s'est installé à l'écart pour vivre sereinement sans déranger personne, on était heureux avec notre fils...

Il ne pu finir sa phrase tant ses pleurs s'étaient intensifiées. Quant à moi, je sentis un crise d'angoisse m'envahir. Mon regard s'attarda sur Reiði, ma hache ensanglantée. Cette même hache qui avait fait couler le sang des assassins de Anna. Anna... Tuée sous mes yeux. Je pris enfin pleinement conscience de ce que je venais de faire, car j'ai vécu exactement la même chose. Ce sentiment d'injustice, d'incompréhension, cette rage, cette douleur... je venais d'infliger tout cela à une famille, qui avait eut le malheur de naître des mauvaises personnes. Les mots me manquèrent. Reiði était souillée par le sang d'une innocente, que j'ai tuée sans aucune forme de procès, sans même savoir si je ne m'étais pas trompé d'endroit. Je ne pu empêcher mon regard de s'attarder de nouveau sur elle. Elle devait être pleine de vie, une jeune mère qui devait être heureuse avec son homme et son fils... Un bonheur que j'ai sauvagement annihilé, aveuglé par ma rage et une vison manichéenne du bon et du méchant. Que pouvait-je dire ? L'image d'Anna me tourmentait, je revoyais toute la scène, son sang qui s'échappait de sa gorge, mon sentiment d'impuissance... C'était terminé, j'avais commis l'irréparable, j'ai bafoué tous mes principes, je ne mérite pas mieux que ce que j'ai fait subir aux assassins de ma femme. D'un pas lourd, je m'approchais de l'homme. Ce dernier se mit debout, les bras en croix, et m'adressa la parole.

- Faites ! Finissez votre travail ! Mais de grâce, épargnez notre fils !

Ce que je m'apprêtais à faire ne me plaisait pas, mais il le fallait. Une part de moi allait définitivement disparaître. Prenant ma hache des deux mains, je me concentrai pour faire appel à mon pouvoir. Reiði était une arme blindée de runes,offert par mon père, et nommée ainsi lorsque j'ai vengé ce dernier. C'était un travail de maître, que j'espère égaler un jour. Déployant toute mon énergie sur l'arme, je m’efforçai de modifier la structure de l'arme, puis quand je fus satisfait, j'abattis l'arme par terre. La tête de la hache vola en éclat et le manche fut brisé en deux morceaux. Je ne méritais plus de porter cette arme qui était censée protéger représente maintenant toute ma déchéance. C'est terminé. L'homme regardait ma hache brisée sans comprendre. Je pris alors soin d'articuler mes prochains mots.

- Jamais cette hache n'avait fait couler le sang d'un innocent auparavant. Ceux à qui elle a pris la vie avaient fait du mal, beaucoup de mal, et moi, j'ai toujours pensé faire le bien. Nul excuse ne pardonnera ce que j'ai commis aujourd'hui. Si tu veux me tuer, je ne me défendrais pas, car aujourd'hui, c'est moi qui le mérite.

L'homme pris la dague, me fixant avec un regard chargé de haine, d'où perlait des larmes de tristesse. Je fermai les yeux. Qu'allait-il y avoir après ? Que pouvais-je mériter de toutes façons, je suis damné à présent. Le coup ne vint pas. L'homme jeta la dague à terre, et me parla pesément, articulant chaque mot.

- A quoi bon. Helga est morte, elle ne reviendra pas. J'ai envie de te tuer, de te voir souffrir, mais cela ne servirait à rien. Je peux lire dans l'esprit des hommes, je vois ce que tu as vécu et les regrets que tu as. Te tuer ne serait qu'un pas de plus vers ce que tu es aujourd'hui, et je m'y refuse. Maintenant, tu vas rester ici, et me regarder enterrer ma femme. Tu ne m'aideras pas, tu regarderas juste, en silence.

Acquiesçant en silence, je le suivis au dehors. Le vent était froid, même si je ne le sentais pas de par mon don. Lui en revanche en souffrait, à en voir ses bras bleuir et sa mine crispée, mais je ne me faisais pas d'illusion, elle était minime par rapport à la souffrance que je lui ai imposée.La cérémonie terminée, je m'en allai, prêtant serment que plus jamais je ne tuerais. Je continuerais à forger des armes, mais en ce qui me concerne, je n'y toucherais plus, mise à par à Valknut, mon bâton.

Après cet épisode, j'ai évidemment, quitté le groupe, non sans leur expliquer ce qui c'était passé. Ils ont respecté cela, car tous pensent œuvrer pour la bonne cause, ce qui n'inclue pas le massacre dont je suis l'auteur. J'ai erré des années durant sans vraiment savoir quoi faire pour me racheter, puis j'ai finalement commencé à aider les autres, vagabondant au travers la Norvège, offrant mes services pour aider dans une ferme, un atelier ou autre. Cette vie d'errance m'a beaucoup apportée en terme de sagesse, et je vois les choses différemment maintenant, plus nuancées. Seulement, après toute cette errance, je décidai de reprendre la route de Little Angleton, et essayer d'apporter mon aide là-bas.

Me voici donc aujourd'hui à quelques kilomètres du bourg. Je ne savais vraiment pas à quoi m'attendre. Ma forge était-elle toujours là ? Vais-je revoir Rhyan ? Et bon nombre de question du genre. Après presque une heure de marche, me voici sur place, envahit par la nostalgie. Les lieux n'avaient pas vraiment changées. Pas de drapeau noirs et rouges accrochés partout, une bonne chose. D'un pas rapide, je vais directement à ma forge. La lourde porte cadenassée est toujours là, ce qui me rassure. Une fois ouverte, je suis pris par l'émotion. Tout est là, pas de vol, pas de vandalisme. Les outils sont pris par la rouille et les toiles d'araignées, mais rien d'irrécupérable, même s'il me faudra plusieurs jours pour tout remettre en état. Dire que peu avant que je ne quitte cet endroit, j'ai revu Rhyan, et elle m'a rejeté, alors que faire maintenant en ce qui la concerne ? Tout ce que j'espère, c'est qu'elle repassera, et que cette fois-ci, nous pourrons parler. Sur ces mots, je sorti le poignard que je ne lui ai toujours pas donné. Bien belle arme.