"Aujourd'hui, le 21 novembre 2059, le Capitaine Brooke actionne cette bombe, emportant la base et tous les membres de son équipe avec elle. Personne ne saura jamais pourquoi. Mais vous sauvez la Terre. C'est ce qui inspire vitre petite fille. Elle emmène votre peuple dans la galaxie car vous mourrez sur Mars. Vous mourrez, aujourd'hui. Elle vole à travers l'espace comme si elle essayait de vous retrouver." Je soupire doucement et j'éteins la télé. A peine un regard pour cette maison magnifique et je file prendre une douche. Je me la suis achetée. Histoire d'avoir un pied à terre à Little Angleton. Je me suis achetée une maison avec l'argent qui devait nous servir à nous enfuir à trois, à vivre à trois, le lendemain de mon retour, de mon entrevue avec Pandora. Il n'y a rien dans cette maison ou presque. Une vieille télé, trois oreillers devant, un pauvre matelas à même le sol avec sa couverture pour dormir en attendant, une cuisine à moitié aménagé et une salle de bain. Le reste n'est que du vide. Un beau et grand vide. Il y a 300m carré habitable avec un domaine de dix hectares. Elle est perdue dans la campagne, comme le Mystery, pas loin de Little Angleton. Cette maison, ça faisait cinq ans qu'elle était à la vente et que personne ne l'achetait. Elle a coûté 950 000 euros. Soit la fortune de maman, la mienne, un peu d'argent volé au Cross. J'avais besoin de l'acheter. Ca ne s'explique pas. Peut être pas. Il me reste l'argent de papa, et un peu de celui de maman. De quoi vivre des années sans travailler et très aisément. Je soupire à nouveau. Cette maison est à moi...

Je me suis réveillée ce matin avec un étrange sentiment. C'est ici chez moi maintenant. J'ai allumé la télé que la vendeuse m'a donné pour "dépanner". J'aurais pu m'en passer. Il passait un épisode de Doctor Who avec David Tennant. Un épisode que j'avais déjà vu. Je suis dans un salon je crois. Un immense salon avec une énorme baie vitrée qui donne sur la falaise et la mer qui s'écrase violemment sur la terre. Une vue superbe, une vue sauvage. La maison est située non loin d'une forêt, avec un petit étang sur le terrain. La maison en elle même part d'une vieille fondation en pierres très anciennes, complétée d'extensions en bois et en verre. C'est un sacré mélange entre tradition et modernité qui, quand je l'aurais meublée sera un vrai havre de paix. Mon havre de paix. Les murs en pierres grises et vieilles comme le monde enserre la baie vitrée qui me donne l'impression d'être dehors. C'est une maison ouverte sur le monde et la nature, très lumineuse et tranquille, qui respecte son environnement. C'est un architecte qui l'avait restaurée sur les anciennes fondations d'une grande maison écossaise. Il l'avait faite pour lui, il n'y a jamais vécu et il est mort. Cinq ans que son fils essayait de la vendre. Je m'en suis souvenue hier. J'ai appelé l'agence juste après être sortie du bureau de Pandora. Je l'ai acheté. Voilà.

L'eau froide coule sur ma peau et réveille chacun de mes muscles. Pas d'eau chaude. La dame de l'agence immobilière c'est excusée, il n'y en aura pas avant une semaine. Je hausse les épaules en y pensant. De toutes façons j'aime bien l'eau froide. Je sors et attrape la seule serviette que j'ai. Je me frotte afin d'être bien sèche et puis la laisse reposer sur le porte serviette. Je redescend dans le salon où se trouve le seul sac de vêtement que j'ai. Le reste est au manoir, ou encore au Mystery, bien que Pandora l'a sûrement donné à une autre maintenant. Je suis totalement nue et je m'arrête devant le paysage époustouflant. Oui ici c'est chez moi. Je croise les bras sur ma poitrine frêle et regarde droit devant. C'est vraiment un endroit parfait. Je sors quelques vêtements et tombe sur un pull que maman portait... J'ai gardé ses affaires. Je l'enfile. Il est bleu très foncé, en laine fine avec de gros boutons et une grande capuche. Mes mains disparaissent dans ses manches. J'accroche la ceinture en cuir qui va avec et enfile ensuite un slim sombre et des bottes. Je respire la laine. Elle a son odeur. Un pâle sourire éclot sur mes lèvres. Il faut que je me mette en route. Je me demande quoi faire. Pandora m'a laissé un peu de temps pour me trouver de quoi reprendre ma vie en main. Je n'ai aucune envie d'aller m'embêter dans des magasins de décoration d'intérieur aujourd'hui. Alors je sors. Je n'emporte rien sinon mes clés et mon portable.

Mes clés... Un nouveau sourire illumine mon visage à cette pensée. C'est étrange. Je vais dans l'écurie. Oui il y en a une, avec trois box et seulement un cheval. Compris avec la maison. L'architecte n'y est venu qu'une seule fois : pour déposer son cheval à peine quelques mois avant de mourir bêtement. L'agence avait engagé un palefrenier. Il vit à Little Angleton et vient tous les jours ou presque. Je l'ai gardé. Je n'allais pas priver le vieux Dan de son boulot. Le cheval est magnifique. Il s'appelle Ceylan et il est magnifique. C'est un cheval bai foncé, j'ai oublié de demandé la race. J'ai jamais été très équitation. Je sais monter par contre. Alors je le prépare, je l'arnache. Il est calme, patient. Ce n'est pas sa première jeunesse, mais il parait que c'était un champion il fut un temps. Je le monte et je quitte l'écurie, je quitte ma maison. Je le laisse trotter gentiment pendant un moment, dans la campagne et puis j'accélère et galope avec le vent quelques minutes avant de me diriger tranquillement vers le Mystery Orphanage. Je voudrais voir un peu de monde aujourd'hui. Parler à Pandora peut être, un peu. J'y arrive une demi heure plus tard, et me dirige directement vers l'écurie. Il y a un box de libre et j'y laisse Ceylan. Je me retourne pour chercher un seau que je rempli d'eau. Je le pose devant le bel étalon qui aussitôt se met à boire. Je souris. C'est ici aussi chez moi. La porte grince...

On laisse toujours des gens derrière. C'est inévitable malheureusement. Mais le mieux à faire, c'est de le faire avec décence et respect. Ce n'était pas des gens que j'aurais dû laisser derrière et je ne l'ai de loin pas fait avec décence et respect bien au contraire. A cette époque je crois que la violence constituait la seule réponse qui me semblait acceptable. Je n'en avais pas d'autre. Je ne savais pas comment faire autrement. La moindre des choses c'est d'essayer de rattraper le temps perdu, de recoller les morceaux qui ont été brisé. Malheureusement ça ne se fait pas avec de la colle. Je crois que j'aurais beau essayer ça ne marchera pas. Et je ne suis pas sûre que ces personnes apprécient le geste. Je me retourne et regarde celui ou celle qui vient d'entrer dans l'écurie. Takeji est là, au milieu du foin. Il passe à côté de moi sans montrer signe de reconnaissance, sans non plus un signe d'ignorance. Je souris. Il agit un peu comme à son habitude : avec détachement. J'ai presque envie de rire. En fait j'ai envie de rire. Mais je ne fais que sourire. J'ai encore du mal à me lâcher totalement, du mal à être heureuse tout simplement. J'ai l'impression que je n'ai pas le droit.

Maman est morte il y a peu et je l'ai annoncé à Nathaniel. Ça l'a détruit et je suis partie comme une voleuse parce que je ne voulais surtout pas affronter son désespoir : il me ramenait beaucoup trop au mien. Je l'ai fui. Je lui ai laissé Maël sachant pertinemment qu'il le confierait à quelqu'un d'autre. J'aurais pu le garder. Je ne pouvais pas. Je crois que je culpabilise un peu. Ce n'est pas de ma faute je le sais. Ce n'est pas vraiment de la faute de quelqu'un. Maman est tombée amoureuse et ça ne lui a pas apporté que des bonnes choses. Gaël d'abord a tout découvert. Ensuite ce fut Dorian. Gaël est mort apparemment. Mais Dorian a tué maman. Chacun meurt un jour. Peut être que c'était son jour à elle. Je secoue négligemment la tête pour me remettre les idées en place. Il ne faut pas que je me laisse aller à la tristesse. Il ne faut pas non plus que je la garde pour moi. Pandora me l'a fait comprendre : c'est ce qui m'a déjà perdu. Je ne me renfermerais pas dans cette souffrance. Au contraire il faut que je m'ouvre. Il faut que je sois heureuse maintenant.

Takeji regarde un autre cheval dans l'écurie. Il a l'air plus jeune que les autres. Je souris à nouveau en le voyant le flatter quelque peu. J'ai envie de sauter dans ses bras, de le faire rouler dans le foins, de redevenir encore un peu une enfant. Mais je serrais toujours une enfant, un peu. Je suis toujours l'enfant de quelqu'un. Même si mes parents sont morts. Je serais toujours l'enfant de quelqu'un. J'ai envie de connaître à nouveau cette légèreté, cette joie facile qui les accompagne, les petits. J'ai envie de rire aussi librement qu'avant. En fait je suis en train de bouillir. Takeji me fait attendre et moi j'attend Takeji. Je ne veux rien brusquer. Je vais être patiente. Tout vient à point à qui sait attendre non ? Il y aura un temps pour que nous roulions dans le foin et que nous nous battions comme des chiffonniers, comme des enfants. Encore une fois, j'y reviens. Enfant. Je suis partie étant une enfant. J'y reviens en osant croire que je suis une adulte. Ou du moins j'ose croire que j'ai un peu grandit. Ça fait mal de grandir, mais c'est inévitable, et c'est nécessaire. Je dois avouer que pour la première fois depuis un moment j'ai une envie curieuse de savoir ce qu'il se passera demain. Takeji reporte enfin son attention sur moi. Tant mieux, je n'en pouvais plus.

- Il est à toi ce cheval ?

J'ouvre grand les yeux et je rigole un peu. Ce rire sonne un peu faux. Pourtant il est sincère. C'est une drôle de façon de commencer une conversation entre deux personnes qui ne se sont pas vu depuis très longtemps, entre deux personnes qui se sont quitté en très mauvais terme. Je sais... je sens que Takeji ne m'en veut pas. Je le savais, il est comme ça. Son coeur me le confirme juste. Et ça me fait du bien. Je hoche la tête doucement. Oui il est à moi maintenant. Il me prend soudainement dans ses bras. Je ne sursaute pas mais je suis déçue. Autant pour le câlin roulé dans le foin. Dommage... Quoique...

-" Tu m'as manqué, Luka."

Je souris. Je veux dire quelque chose, mais ma gorge se bloque soudainement. J'ai l'impression de n'avoir plus rien à dire. Le vide complet. Je remarque tout à coup le tas de paille juste derrière lui. Un sourire espiègle prend mes lèvres. Je crochète ses jambes et nous tombons dedans. Le foin vole. L'odeur de la paille me prend les narines et j'éternue.

-" Toi aussi tu m'as manqué Takeji."

Je le regarde, heureuse et triste à la fois. Je l'ai tutoyé. Comme la dernière fois. Pas comme avant . C'est étrange. C'est venu tout seul. Il n'est plus mon professeur je ne suis plus son élève. Nous avons pratiquement le même âge. Nous sommes amis maintenant. Oui maintenant, nous sommes amis.