À Londres, il y a comme une tradition (je suppose, en tout cas) : à midi, dès que les premiers rayons du soleil pointent le bout de la truffe, la populace se rue sur la terrasse et, vu qu'il n'y a pas assez de tables pour tout c'beau monde, certains sont prêts à se battre à grands coups de plateau pour déjeuner en plein cagnard.

Enfin bref, chacun porte sa croix comme on dit.

Comme vous l'aurez deviné, la perspective de devoir poser mes cuisses d'albâtre sur une chaise (crasseuse et bancale) métallique restée au soleil toute la matinée et d'exposer ma carnation de lapin albinos au grand Râ, ne me remplit ni d'allégresse ni d'excitation débordante. Et puis, le fait qu'on puisse manger tranquille à l'intérieur de la cafétéria de l'hôtel qui nous accueille pour les JO, sans forcément être obligé de subir la conversation suuuper intéressante de tous un tas de concurrents, n'est pas pour me déplaire.

Sauf que.

Sauf qu'aujourd'hui, j'ai décroché le gros lot tout juste avant l'épreuve de gymnastique rythmique (de quoi me donner la pêche) : je déjeune avec Tae-Hyun, le joli lutteur coréen (qui a un de ces petit cul...) qui fait se liquéfier toutes les filles dans un rayon de 10 kilomètres.
Au moins.
Le souci, c'est que Tae-Hyun, le soleil lui, il aime (ce qui explique probablement l'appétissante couleur caramel de ses biceps et les fines tâches de rousseur ornant le plus joli nez en trompette de la création).

Nous nous installons donc en terrasse, lui sous le regard libidineux de toute la gent féminine présente, moi en rameutant autant de tissu que possible pour faire barrage autant que se peut entre mon délicat fessier et le métal crasseux en fusion.
Et comme je suis la plus futée d'entre toutes (oui, vous m'avez déjà signifié ce que vous pensez de mon intellect), je me suis assise de manière à avoir le soleil qui me tombe en plein sur le coin de la gueule ; j'ai les yeux qui pleurent (heureusement que le mascara est étanche, j'vous dit que ça), le museau qui chauffe et je sens mes lentilles fondre lentement sur ma cornée.
Mais Tae-Hyun vaut bien ça, hein alors, pour compenser la perte de mon atout majeur (mes grands yeux bleus), j'en fais des tonnes : j'ondule du bassin, j'imparfait-du-subjonctif, je rire-cristallin.

Pourtant, plus le déjeuner avance, plus Tae-Hyun semble mal à l'aise. Il ne me jette que de rares coups d’œil gênés, regarde avec insistance l'intérieur de la cafétéria pour finir par me proposer au bout de 25 minutes de mettre fin au repas.
Vexée comme un poux, je lui lève un sourcil réprobateur et lui dit que si je l'enquiquine, qu'il n'hésite pas à me le dire, hein. Ben non, en fait, je ne l'enquiquine pas du tout. J'ai simplement pris le coup de soleil du siècle en plein sur la figure, ressemblant trait pour trait à la salade tomates-mozzarella qu'il n'ose plus manger, tellement ça l'impressionne.

De retour à l'hôtel, j'aurais pu décliner ma participation aux Jeux pour me planquer. C'est légitime après tout : j'ai un carnaval de Rio qui me bat en rythme dans chaque joue et je me dois lutter de toutes mes forces pour ne pas courir me plonger la tête dans l'aquarium de l'entrée de l'hôtel et faire des bulles avec les poissons rouges.

J'aurais pu le faire. J'aurais pu, mais non, je suis bien là, représentant la Suisse -oh mon pays- avec mon ruban, mon cerceau et mon ballon en main.

« Bon... ben j'espère qu'on ne regardera pas ma face rouge façon tarte-tatin d'aubergines mais plutôt ma performance... »

Ouais. Bon. L'espoir fait vivre quoi.