Namyon continuait à sortir afin d'oublier ses pensées qui l'accablaient. Le problème, c'était qu'en plus elle les refoulaient, et en plus elles lui revenaient à la figure avec force. Si bien qu'elle commençait à en avoir mal à la tête. Alors pour la sortie du jour, elle avait décidé d'aller à la plage, où elle espérait bien que le bruit des vagues l'apaiserait.
En volant, le trajet depuis Little Angleton restait relativement long. Pour ne pas penser, elle s'occupait à compter le nombre d'animaux qu'elle croisait. Six oiseaux depuis son départ. Pas très nombreux aujourd'hui. Pourtant il ne faisait pas si moche que ça. C'était pas non plus le grand et beau Soleil tout brillant de sa puissance brulante, mais au moins il ne pleuvait pas. Une nouvelle pensée lui vint, et son cœur se serra. Ça avait plus été un sentiment soudain qu'une pensée, et elle ne l'avait pas identifié, mais cela lui avait fait mal. Son esprit continuait à cogiter pendant qu'elle l'ignorait du mieux qu'elle pouvait, mais il lui faisait part des résultats de ses analyses, et des fois elle ne pouvait tout simplement pas les ignorer entièrement.
Il allait bien falloir qu'elle se résigne à affronter la vérité en face, le pourquoi elle continuait à fréquenter un homme qui voulait la tuer régulièrement par exemple. Ça avait viré à l'obsession, et bien trop rapidement.
Son visage s'éclaira en apercevant la plage, chassant ses pensées pour un moment. Le sable clair donnait envie de s'y assoir, juste pour regarder les vagues aller et venir et gagner du terrain avec la marrée montante. Elle se posa et marcha un peu en écoutant tantôt les vagues, tantôt le bruit du sable sous ses pas. L'endroit agréable et calme lui remonta légèrement le moral au fur et à mesure de sa promenade.
Il y avait une forme humaine un peu plus loin. La sorcière souhaitait être seule, mais sa curiosité voulait voir qui était la personne. Et comme elle ne pouvait rien faire contre sa curiosité maladive, elle partit à la rencontre de l'humain, qui se révéla être en fait une humaine. Arrivée à sa hauteur, elle se demanda vaguement si elle n'avait pas l'air un peu bête à venir à la rencontre des gens comme ça. Peut être qu'en plus, la jeune femme en face d'elle souhaitait être tranquille elle aussi. Mais maintenant qu'elle se trouvait là, elle ne pouvait pas se permettre de faire demi-tour comme si de rien n'était.

- Bonjour, fit-elle en souriant.

Puisqu'elle avait un moment de répit dans sa tête, autant en profiter pour faire connaissance au passage, non? Elle ne souhaitait pas s'imposer, et repartirait si la jeune inconnue le lui demandait.

- Pardonnez-moi si je vous dérange.

Elle s'était retenue un moment. Oui, Artémis avait réussi pendant cinq minutes à s'en empêcher. Et puis, les larmes étaient venues tout de même, d'un coup d'un seul. En une seconde, ses joues étaient trempées, ses yeux rougis et sa respiration saccadée. Il suffisait de si peu... Heureusement, elle était seule sur la plage. L'eau salée de ses larmes bouillantes lui parvint jusqu'aux lèvres tandis qu'elles dégoulinaient sur son visage, se mêlant à l'air marin et iodé du large.

Elle ramena ses genoux contre son corps qu'elle pressa de ses bras sur sa poitrine et continua de sangloter violemment: elle risquait plus de détremper son jean avec ses pleurnicheries qu'avec l'humidité ambiante. Mais elle ne pouvait pas lutter contre. C'était plus fort qu'elle. Une crise de larmes... Elles continuaient de lui descendre les joues tandis qu'Artémis reniflait. Je ne suis vraiment pas belle à voir comme ça.

- Bonjour.

La voix derrière elle la fit sursauter. Elle se retourna rapidement pour ne rien apercevoir derrière le rideau de brouillard lacrymal; elle se frotta les yeux avec force en reniflant comme peu permis. Artémis s'empressa aussi d'ôter ses écouteurs afin de pouvoir correctement entendre l'inconnue.

- Bon... bonjour. Pardon je... bégaya-t-elle à travers les sanglots.

- Pardonnez-moi si je vous dérange.

- Non non... non je... c'est moi... je dérange...

Maintenant qu'elle y voyait quelque chose et même si les larmes revenaient, Artémis put entrevoir son interlocutrice correctement. C'était une asiatique qui devait approximativement faire sa taille, aux cheveux de jais et au visage souriant. Elle devait jurer dans le tableau, elle, à geindre. La honte l'attrapa à la gorge et serra: elle pensait être seule sur la plage: et même s'il y avait eu quelqu'un, pourquoi fallait-il qu'il ou elle vienne lui parler ?

Artémis venait de quitter l'inconnue du regard pour s'essuyer à nouveau les yeux. Maintenant qu'elle était forcée de le faire pour paraître moins... larmoyante et baveuse, elle se demanda si elle n'aurait pas dû le faire avant. Elle allait pour se lever mais se reprit: elle était bien ici, l'autre n'avait qu'à s'asseoir si l'envie l'en prenait.

La madeleine plongea son regard humide dans les flots et réprima un sanglot de plus.


- Désolée pour ça.

- Bon... bonjour. Pardon je...

Namyon regretta d'être venue en s'apercevant qu'elle débarquait quand la jeune femme pleurait et souhaitait surement être seule.

- Non non... non je... c'est moi... je dérange...

Non! Elle n'avait pas à s'excuser de quoi que ce soit. Le regard embué de larmes se détourna du sien et l'inconnue tenta tant bien que mal d'essuyer ses yeux. Puis elle se tourna vers la mer.

- Désolée pour ça.
- Non c'est moi qui m'excuse. Je suis sincèrement désolée d'arriver au mauvais moment.

Et maintenant, qu'allait-elle faire? Elle ne pouvait décemment pas passer son chemin, et de toute façon n'avait pas envie de laisser la jeune femme comme ça. Peut être qu'au final un peu de compagnie lui ferait du bien? Avec un peu de chance, elles parviendraient même à se réconforter mutuellement. Alors Namyon s'assit auprès de la femme et fixa elle aussi l'eau pendant un moment.

- Je m'appelle Namyon, et vous?

Elle ferma les yeux pour écouter les bruits environnants. Les vagues, le vent, les éventuels sanglots à ses côtés. Et au lieu de l'apaiser comme elle avait pensé que ça le ferait, elle fut saisie d'une énorme boule dans la gorge et d'un sentiment de malaise lourd. Elle se serait mise à pleurer si ça avait été dans sa nature. Mais elle pleurait rarement, même quand la situation s'y prêtait. Pas qu'elle veuille paraitre forte, c'était juste comme ça. Certains souriaient peu même quand ils étaient heureux, et bien elle, elle ne pleurait pas. Qu'elle le veuille ou non. Mais il n'en restait pas moins qu'elle commençait à étouffer intérieurement, et que pleurer semblait être une façon très pratique d'évacuer le surplus. Seulement rien ne venait. Alors elle parla à la place, et sa voix sortit douce et quelque peu faible:

- Pourquoi pleurez-vous?

Question parfaitement étrange puisqu'elles ne se connaissaient pas. Mais des fois, cela faisait du bien de se confier aux inconnus alors pourquoi pas? Si elle ne souhaitait rien dire, Namyon trouverait un autre sujet de conversation. Elle avait besoin de s'éloigner le plus possible des sentiments qui l'assaillaient.

- Excusez-moi, ce n'était pas vraiment une question à poser, ne vous sentez pas obligée de répondre.