We didn't come this far just to get this far

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 We didn't come this far just to get this far

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Admin | Sorcier noir de Rosenrot || Twins
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Admin | Sorcier noir de Rosenrot || Twins
MessageSujet: We didn't come this far just to get this far   We didn't come this far just to get this far EmptyVen 21 Sep 2018 - 23:06


"We didn't come this far just to get this far"


Parfois, il faut savoir provoquer le destin. Tenter des choses qu'on ne tenterait normalement pas, sortir de sa zone de confort et apprécier chaque instant. Parce que ça ne dure jamais


Un long soupir s’échappe de mes lèvres, poussé par un vent profond et indescriptible. Je passe une main sous ma tête, savourant du dos de la paume l’agréable texture de l’oreiller. Il est bientôt midi et je reste silencieux, dans cette petite planque de quelques mètres carrés à peine. La majorité de mes affaires personnelles ont été déplacées dans le domicile familial et je ne me trimballe qu’une simple valise depuis plusieurs semaines, passant les frontières des différents pays d’Europe. Je ne peux pas encore me permettre de revenir à Berlin, pas même de me poser franchement quelque part, et Olive est parti pour une mission d’un petit mois maintenant. Rosenrot essaye clairement de nous séparer sans doute pour brouiller les pistes, mais ça ne me rend que davantage sur les nerfs. Inquiet au moindre bruit, prêt à prendre l’arme la plus proche et tirer sur le premier venu. Pourtant, si je préserver la couverture, je dois à tout prix cesser d’agir comme le fait Olive, c’est-à-dire sans réfléchir. Un peu comme quand Rhyan s’est enfuie, ce jour-là.

La musique qui tourne dans mes oreilles vient faire un peu plus résonner ce qu’il s’est passé cette soirée-là.

I can see when you stay low nothing happens
Does it feel right?
Late at night
Things I thought I'd put behind me
Haunt my mind


Elle m’a hanté, ce soir-là, quand la chaleur était devenue un presque quotidien, que les maisons n’étaient pas aussi hautes qu’ici, moins colorées mais plus brillantes, quand les peaux halées remplaçaient encore celles blanchâtres de mes cousins allemands. Elle m’a hanté lorsque la balle n’est pas partie du canon et que, me croyant malin, j’ai ri à ma propre bêtise en imitant le bruit de la détonation alors qu’elle fuyait au loin, ombre d’été amenant l’hiver. Je l’ai regardé un instant à la fenêtre. A mesure qu’elle disparaissait, j’ai senti quelque chose se rouler en boule dans mon estomac et remonter dans ma gorge, comme un parasite, une gale. Des questionnements, proches de l’incompréhension, éclatant comme des champignons en automne pour disséminer leurs spores et perturber le moindre neurone encore distrait.
Mon attention était toute dirigée sur sa tignasse blonde chancelante mais rapetissant à vue d’œil.

Et puis, mes pas se sont mis à bouger tous seuls. Puis mes bras, mes mains, l’une s’est saisie d’une lame pour la mettre à l’arrière de ma ceinture par prévention, l’autre déjà posée sur la clenche de la porte d’entrée. Je n’ai à vrai dire même pas pensé à fermer la porte sur le coup, malgré tous les risques liés au coup de feu peu avant, aux bruits certainement violents de notre récent acharnement de « je t’aime moi non plus ». Sur le coup, je me suis simplement dit que si je perdais sa trace maintenant, peut-être que je ne la retrouverai plus jamais. Qu’elle pourrait tout aussi bien déménager. Qu’à part une chance certaine et beaucoup de désir, nous n’étions capables de discuter qu’en passer des semaines préalables à se chercher sans se trouver. Ne fallait-il pas simplement faire le premier pas ? Qu’en restant faible, posé dans son coin, à savoir s’ignorer sans prendre le temps de se poser, finalement on ne profite de rien ?

J’ai dévalé, je me souviens, toutes les marches, aussi vite que possible. Il ne me restait rien d’elle. Mis à part son odeur, ou tout du moins une partie, mais je savais pour lors que ça ne m’aurait pas suffit pour tracer une rune de localisation. Il ne me restait qu’à utiliser mes pieds et courir aussi vite dans l’espoir de la rattraper.

Le destin a plutôt bien fonctionné ce soir-là, encore une fois. Je l’ai retrouvé quelques minutes plus tard, moi-même suant de ma course ou bien d’une peur sous-jacente. Quoiqu’il en soit, lorsque son visage est apparu dans mon champ de vision, j’ai brutalement bifurqué dans une autre rue pour ne pas me faire repérer. C’était après tout le deal de la soirée, vérifier qu’elle se trouve au bon endroit au bon moment, qu’elle cicatrise et se soigne comme n’importe quel exorciste se doit de le faire. Je me suis mis à espérer qu’on leur apprenne au moins quelques bonnes techniques. Mais Rhyan était plutôt douée et avait l’air d’être passée par bien plus de choses qu’un coup de poignard, donc bon.

Elle est entrée dans une maison. Il devait s’agir d’une sorte d’hôtel. Un petit truc qui ne payait vraiment pas de mine, avec trois étages. J’ai attendu un certain temps, en me demandant ce qu’elle allait bien pouvoir raconter au mec ou à la nana de l’accueil ce qui lui était arrivé. Si elle allait me comprendre dans cette épopée. Si elle allait être jetée, emmenée à l’hôpital ou laissée tranquille. Nous étions dans un coin particulièrement animé, dans le mauvais sens du terme, alors ce genre de choses pouvait certainement arriver de temps à autres.
J’ai attendu encore quelques minutes puis me suis stoppée à l’entrée du bâtiment, la main posée sur la poignée. Réfléchissant brièvement à mes dernières actions, ce même cerveau reprenant brutalement les rênes à cette instinct prédominant, je me mis de nouveau à hésiter, sur le seuil, pas même certain de savoir quoi faire. Mais la porte a grincé et j’ai donc été forcé d’entrer pour ne pas trahir mon manque de logique.

L’homme, finalement, était d’une quarantaine d’années, mais ses traits laissaient paraître une certaine angoisse récente. Pas de doute, Rhyan était passée par là. Il se reprit très rapidement, professionnel, et se saisit d’un chiffon pour nettoyer l’accueil devant lui. Après un raclement de gorge si prononcé qu’il en paraissait faux, il demanda :

-Pardon, Monsieur ? Vous voulez une chambre ?

J’ai secoué la tête, à des milliers de kilomètres de mon attitude normale. Je le sentais bien que quelque chose m’échappait. Que je courrais après l’invisible. A vrai dire, je ne savais, je ne sais, toujours pas ce que je recherche. Une relation ? Mais quelle relation ? Une confidente ? Elle ne s’approche pour l’instant pas trop de ce type-ci. Une copine ? Tout portait à croire qu’à cet instant, elle n’était pas prête. L’étais-je ? Que fallait-il seulement que je fasse, posté là en plein milieu d’un tapis étranger, entouré du silence et du vide, avec pour seul étranger un humain planqué derrière quelques épaisseurs de bois. Maigre barricade. Fallait-il que je le regarde autrement, maintenant que la seule personne qui occupait mes pensées à ce moment était elle-même une représentante de ce genre ?
Cette simple pensée suffit à me mettre un coup de fouet.

Je me suis avancé, vraiment, lentement. Mon coude est venu se poser sur l’accueil et j’ai demandé :

-La femme qui vient d’entrer. J’ai besoin que vous lui donniez quelque chose… Attendez.

Il était évident qu’il penserait que je l’avais suivi, à raison. Son imagination lui porterait peut-être à croire que j’étais un stalkeur, ou même la personne lui ayant asséné le coup. Ce qui, à vrai dire, aurait été véridique. Il fallait avant tout qu’il ait confiance en moi. Tout en récupérant une carte de visite de ce médiocre hôtel, je tournais le papier et fut bienheureux de constater une surface vierge. Me saisissant d’un stylo disposé là certainement pour les signatures, j’écrivis une suite de numéro. Mon numéro de téléphone. Je n’avais à vrai dire pas tellement envie d’y noter mon prénom, déjà parce qu’il n’était pas tant commun que ça, et par mesure de sécurité. Une sécurité bien pitoyable et négligeable lorsqu’on était sur le point de fournir un numéro personnel à une agente d’Orpheo et pouvoir ainsi relativement aisément géolocalisable, mais qu’importe. C’était un moyen comme un autre de me résigner à ne pas trop sortir de ma zone de confort déjà bien entamée par ma folie furieuse.

J’ai tendu la carte face retournée à l’homme de l’accueil et poursuivit par quelque chose comme :

-Je ne peux pas la voir pour le moment, mais je peux l’aider. C’est important, il faut que vous lui transmettiez ce message maintenant.

Maintenant, avant qu’elle ne fasse on ne sait quoi on ne sait où. Avant qu’elle ne disparaisse et qu’il soit définitivement impossible, ou difficilement possible de la trouver. J’avais assez donné mon destin aux mains de la chance et du hasard et il était parfois temps d’aller un peu plus loin, un peu plus vite. Sauter quelques étapes pour vouloir enfin faire avancer les choses. Je prenais de gros risques, mais il y avait aussi dans ce fond quelque chose d’excitant. Qui sait ce qu’il se produirait ? Tomberais-je aux mains d’Orpheo, dès le lendemain ? Cette chasse à l’homme me manquait déjà bien trop et sans doute cherchais-je dès lors un moyen de m’octroyer un peu d’action. Peut-être un peu de tout ça.

Il faut croire que cette histoire lui a suffi pour se saisir à pleine main de la carte et quitter son poste. Monter les marches deux à deux et disparaître aussitôt. Je ne me suis pas trop posé de questions et j’ai fait volte-face pour quitter l’endroit. Il ne fallait pas risquer de la recroiser maintenant. Il fallait que si elle redescende brutalement, elle ne me trouve pas. Pour peu qu’elle le fasse. J’avais envoyé cet homme au casse-pipe pour une raison légitime et je ne le regrettais pas le moins du monde.

Je suis rentré, simplement, les mains dans les poches et la lune comme témoin.

Mais la Lune n’est plus là depuis de nombreuses heures déjà et il va sincèrement falloir penser à me préparer, car de nouvelles aventures m’attendent déjà. Le point d’orgue d’un des morceaux d’un long medley. Le bout terminal d’une suite d’aventures. J’ai le sourire aux lèvres et une drôle d’impression. Un billet d’avion lui a été envoyé, mais compte-t-elle seulement se déplacer ? Accepter ? Venir avec moi ? Aurais-je besoin de l’attendre à l’aéroport ou bien m’attendra-t-elle ? Ou prendrais-je l’avion seul ? Tant de formules non résolues qui rendent la future aventure un peu plus pimentée.

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Rhyan L. James
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MessageSujet: Re: We didn't come this far just to get this far   We didn't come this far just to get this far EmptyDim 23 Sep 2018 - 23:11


i'm somebody else
you're somebody else
L’avion prend de la vitesse, moment hors du temps où l’homme apprend à voler et considère toujours sa chute. Le soleil ne s’est pas encore levé mais quand il crèvera l’horizon, nous serons déjà bientôt en Grèce. Il n’y aura pas de retour, pas de plan B, pas plus qu’en Tunisie.

J’essaie de fermer les yeux mais mon cerveau tourne à cent à l’heure ; j’aurais dû lui demander pourquoi il avait laissé ça pour moi. Un gars a toqué à la porte et m’a laissé un numéro de téléphone. J’ai remercié et j’ai insonorisé la chambre en runes lentes et lourdes avant de me poser sous la douche, habillée. Et d’éclater sur les murs, sur le sol, sur le miroir en sanglots.

Celui qui a déjà pleuré sans avoir peur d’être entendu sait quels sons peuvent sortir de pleurs. Gutturaux, inhumains, trempés de peur et de peine. J’avais mal à m’en arracher les cheveux, la sueur m’avait rougit les yeux tellement la souffrance m’avait lavée le corps et l’esprit. J’avais laissé le numéro de téléphone et j’avais laissé coulé le temps.

Simje m’avait hurlé dessus. Vous imaginez Simje hurler ? Il m’a dit que j’avais pris mon corps et je l’avais oublié à côté pendant que mes émotions et moi on avait des choses à régler avec ce garçon, mais qu’il allait me rattraper, ce corps. J’avais volé de l’énergie à mon futur et j’aurais un retour de bâton.

J’ai eu un retour de bâton.

Et un retour de sentiments.

J’ai crashé mon corps épuisé chez Carla, pensant qu’un retour à une normalité plus terre à terre me ferait du bien, idée somme toute stupide. Little Angleton, Ian, Carla, Lukas, Autumn, plus personne n’est là, ni les profs, ni Shybaï, rien. J’ai eu l’impression d’être un moucheron dans une barre d’eau, les ailes trempées et le Mystery Orphanage hors de portée.

J’ai eu quelques temps une haine viscérale pour Cyan. C’était leur faute non ?
Mais j’avais déjà mis entre nous nos différences, et il n’y a rien à en tirer. J’ai sorti la pièce de ma poche, je lui ai envoyé une adresse et j’ai gardé les mots aigres dans ma bouche. Je n’ai pas dis que c’était un peu chez lui maintenant ici, je n’ai rien dit. Juste une adresse, avec la pièce dans une poche, avec une note qui disait qu’il pouvait la jeter, cette pièce, (ou la garder), maintenant qu’il me l’avait ramenée, mais que j’espérais qu’il aurait la décence de le faire dans l’océan. J’ai rajouté que c’était que s’il passait dans le coin, que fallait s’attendre à rien.

J’me suis rejouée des milliards de fois la scène dans la tête, encore, encore, encore, encore, encore. Je donnais des bouts de moi à Carla, mais dès que ma conscience pouvait se recentrer, je rejouais la scène. Je n’avais qu’un souhait : qu’il ne m’humilie pas.

Cette peur s’en irait-elle un jour ?

J’me suis pointée en plein jour, robe-t-shirt blanche un peu grande et cheveux salés, et puis il était là aussi. et puis j’ai dis des trucs un peu gauches et patauds, c’était moi quoi, j’ai donné la pièce, j’ai donné un papier avec une adresse aux UK, un numéro de téléphone, et j’ai dit « Merci d’être venu » et comme je me disais que c’était pas assez, j’ai voulu reparler, j’ai ouvert la bouche, je me suis empêchée de dire merci de ne pas avoir runé ta balle, lol, ou, ben alors, j’suis bien facile à pister quand je boîte, ahah! j’avais un peu envie d’oublier cette soirée, alors j’ai rougis, comme une merde et j’ai dis « j’espère vraiment que t’es pas lecteur de pensées » et je lui ai claqué un bisou sur la joue et j’me suis forcée à tourner les talons.

Petits pas, petits pas.

Pourquoi y aller aussi doucement ?

Parce que je suis une tornade, un ouragan qui veut tout, trop vite, trop fort, et que putain, j’y tiens énormément.

Le soleil perce enfin l’horizon et je fixe la ligne plate, les yeux grands ouverts.
J’aimerais bien faire genre, mais j’ai finalement assez peu voyagé et je n’ai aucune idée de à quoi ça va ressembler là-bas.

Je lance un regard tout serein et émerveillé à Cyan avant de me porter à nouveau sur le paysage.

Pourquoi est-ce que j’ai l’impression d’être parfaitement à ma place ici ?
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"Fuck'em if they talk"



Dernière édition par Rhyan L. James le Lun 24 Sep 2018 - 20:46, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: We didn't come this far just to get this far   We didn't come this far just to get this far EmptyLun 24 Sep 2018 - 20:33


"We didn't come this far just to get this far"


Parfois, il faut savoir provoquer le destin. Tenter des choses qu'on ne tenterait normalement pas, sortir de sa zone de confort et apprécier chaque instant. Parce que ça ne dure jamais


J’avoue, je me suis un peu assoupi dans l’avion. Comparé à la téléportation, le moindre transport en commun devient une plaie béante sur l’ennui. Et l’avion, contrairement à la voiture, ne permet pas de s’arrêter. On est tout simplement bloqué en hauteur, dans une boîte de métal, à attendre d’arriver. Les 900km/h sont assimilables à la vitesse d’un escargot, tant la routine du paysage s’installe vite. Les nuages, encore et toujours les nuages, puis un soleil éclatant, si fort qu’il est parfois préférable d’abaisser les hublots. Mais pas de soleil encore, ou bien si, un peu timide, faisant face à la lune, paraissant si près et pourtant si loin.

C’est lorsque l’un des stewards entame sa phrase toute superficielle, répétée un nombre incalculable de fois, que mes paupières se rouvrent. On entame la descente. J’ai l’impression de revenir de loin, d’un pays étrange où les mûres ressemblaient à des pastèques et où les pandas avaient deux têtes. Et pourtant, je ne me suis pas drogué avant de partir. J’aurais jamais passé la douane avec, de toute manière. Et puis de toute manière, je suis pas du genre à me droguer sans raison. Je checke un instant ma montre d’un air nonchalant et bâille tout en m’étirant. Et dire que je me suis tranquillement endormi à côté d’elle. Rhyan. En Grèce, avec moi. Pas juste pour les vacances, mais principalement pour ça quand même.
Je devrais pas être surpris, mais je le suis quand même : elle a vraiment délibérément accepté de m’accompagner sans même me demander pourquoi. Il est vrai qu’elle n’a pas grand-chose à craindre avec moi et que nous pouvons, en quelque sorte, nous considérer, à défaut d’être de grands amis, au moins de faire l’effort de se connaître un peu plus. Mais tout de même.

J’abaisse sans vraiment m’en rendre compte mon regard sur sa nuque et remarque l’absence de chaîne à son cou. Ça me rappelle que, ah, y’a pas si longtemps que ça, j’ai faite relativement la même chose qu’elle aujourd’hui.

Et bordel, j’ai attendu. Plusieurs jours. Peut-être même une bonne semaine ? Je ne sais plus trop. J’ai été très occupé. A vrai dire, je dirais même que j’ai failli y passer. Les exorcistes se sont mis à plusieurs pour me trouver et j’ai dû passer plusieurs journées à fuir on ne sais où. Et puis paf, elle m’a envoyé un message. Une adresse qui menait droit sur Little Angleton. L’espace d’un instant, je dois avouer que j’ai grandement hésité. Mon cerveau, déjà branché sur adrénaline, s’est agité dans tous les sens pour comprendre la raison d’un rendez-vous aussi loin de tout, aussi près du Mystery. Aussi près d’un haut lieu de sorciers noirs. J’ai bien flippé, pour rien, ce soir-là. Je me suis déplacé tout en pesant méticuleusement le pour et le contre. Rhyan était-elle une espionne pour Rosenrot ? Ou pire, pour Croix ? Allait-on me cueillir à l’arrive comme une fraise bien mûre en me demandant soigneusement de m’expliquer sur la raison pour laquelle j’avais tant fait pour Rhyan tout en ignorant son statut ? Je suis parti très loin. Trop loin. Je suis arrivé la queue entre les jambes, pas fier, prêt à me faire taper dessus par mes employeurs.
Je suis allé directement à l’orphelinat, je voulais en être sûr. A chaque coin, j’étais prêt à la croiser. Peut-être que j’espérais, un peu aussi. Me dire qu’un sixième sens m’avait permis de ne pas trahir mon organisation. Et puis qu’en fait, Rhyan était une sorcière noire, que j’avais tous les droits de la fréquenter. Que cette histoire d’humain, ça n’avait été qu’une méthode pour m’éloigner d’elle, parce que son travail demandait de la discrétion et que j’étais tout, sauf discret.
Néanmoins, j’ai eu beau écumer chaque pièce de chaque étage, décimer la population de fantôme au sous-sol, je n’ai perçu que des visages de collègues surpris par ma présence. Pas de Rhyan. Rien.

Et puis, elle m’a rejoint à un endroit dont je ne retrouverai certainement jamais le chemin, perdu entre la lisière de forêt et un chemin peu emprunté. Elle m’a accueilli comme à son habitude, chaude et acide à la fois, et je me suis contenté de sourire. J’étais ailleurs, à ce moment. On dirait que ça a fait un déclic. C’est comme si je me rendais enfin compte de ce que j’étais en train de faire. Ce que nous étions en train de faire. De jouer avec le feu, en bordure de forêt. Une forêt séchée par un vent glacial. J’ai encore hésité dans ma tête, je me suis dit qu’il fallait repartir. Qu’on avait testé quelque chose en Tunisie, que ça n’avait pas marché et qu’on… qu’on faisait quoi maintenant au juste ?
Mais et puis elle m’a remercié d’être venu et ça a brisé ma bulle. Quand elle s’est mise à rougir aussi. Je me suis dit qu’on pouvait bien encore essayer de chercher ce qu’on pouvait construire, même si c’était destiné à tomber. Les œuvres éphémères sont parfois les plus belles.
Elle m’a offert un bisou sur la joue, j'ai voulu l'embrasser en retour, mais elle a filé et moi, je me suis retrouvé avec une pièce dans la main, la même que j’avais récupéré la première fois à son cou.

Qu’est-ce que j’en ai fait ? Je l’ai gardé. J’ai songé à la mettre avec tout le bordel dans la maison familiale, mais j’ai pas réussi à m’y résoudre. Alors, je l’ai un temps accroché à un de mes bracelets, jusqu’à ce qu’Olive me fasse une réflexion bien pâteuse dessus et que je me rende compte à quel point j’accordais de l’importance à une si petite chose. Que c’était à mille lieux de ce Moi originel, délaissé depuis ma première rencontre avec la blonde.
Alors, je l’ai mis au fin fond de mon sac, dans une poche bien fermée. Et j’ai beau avoir fait quelques missions depuis, elle n’a pas bougé. Donc, je n’y ai pas touché.

Les vibrations désagréables des roues de l’avion me sortent de ma quasi torpeur. Je suis placé côté couloir et je m’ennuie ferme. Je sauterais bien immédiatement de cet avion si je n’étais pas certain de mourir. Enfin. Ça ne va certainement pas durer cela dit puisqu’on est arrivé. J’espère qu’il n’y a pas de sorcier ou de doué à la douane, parce que ma valise, elle a des chances de pas passer, vu comme j’ai runé le double fond pour que les armes à l’intérieur soient indétectables.
Ben quoi. Jamais je pars sans un minimum de précaution.
On rentrerait à Londres, Paris ou Berlin, j’émettrais des réserves sur le pourcentage de chances de tomber sur un doué, mais soyons honnête, en Grèce c’est pas la plus grande démographie magique.

Quand j’ai récupéré son adresse et son numéro de téléphone, à mon tour, je n’ai pas su quoi faire. Lui envoyer une carte postale ? Et puis quoi encore. Je savais vraiment, vraiment pas quoi lui dire. On se voit quand ? Est-ce que je te manque ? Ça, c’était définitivement pas le genre de phrases que j’étais en mesure d’écrire. C’était niais au possible et vide. Tellement, tellement vide. Je pouvais tout aussi bien lui raconter ma formidable vie, mais m’étais avis qu’elle n’aurait pas tardé à me bloquer.
Alors, j’ai attendu. Et puis, on m’a proposé un joli gentil job en Grèce. Honnêtement, cinq jours tous frais payés par la boîte pour une soirée de taf. Toujours dans l’option que moins on verrait de jumeaux Soul vers Berlin, mieux lesdits Soul s’en porteraient. Sauf qu’ils -les hauts décideurs de Rosenrot- ont soit très mal géré leurs calculs, soit trop bien. Je me suis retrouvé avec deux billets. L’un à mon nom, l’autre… libre. Avaient-ils prévu un retour plus précoce de mon jumeau ?
J’ai lu l’ordre de mission, puis j’ai compris. C’était pas d’Olive dont il s’agissait. On me demandait de trouver une couverture, pour une soirée. Une soirée visiblement dans la haute société, sur un yacht. Un gros, gros bateau. Avec des gens divers, sorciers noirs, exorcistes, humains. Un melting pot de beaucoup de monde, où chacun sait que son ennemi est là mais où personne ne sait de qui il s’agit. Charmant. Mon boulot, c’était pas difficile. J’avais trois visages à trouver et un à éliminer. Deux sorciers noirs et une taupe. Pourquoi sur une soirée comme ça ? Aucune idée, les trois personnages semblaient visiblement assez friand de ce genre d’événements et s’y considéraient en totale sécurité. Dixit le papier dans ma main.

Bref, j’ai pensé à Rhyan, parce qu’il n’y avait qu’elle en qui j’avais une entière confiance. Et mes mots ont été pesés pour me l’assurer.

J’ai commencé mon message par « Hello », avant d’effacer, tenter un « Yo », effacer, puis me décider et commencer une courte lettre. « Princesse, j’ai un billet gratuit pour la Grèce. Cinq jours, tous frais payés, toi, moi, la mer. Ramène une belle robe de soirée, sinon je te l’achète là-bas. Non négociable. »
Et j’ai envoyé le tout avec le billet d’avion.

Et elle a accepté.
Quant à la robe de soirée… J’ai pas eu de réponse encore.

L’avion s’arrête enfin sur son emplacement. Je sens venir l’écart de température entre l’intérieur et l’extérieur. Je détache ma ceinture et lance un grand sourire charmant à Rhyan, un peu gamin sur les bords :

-Prête ?

Moi oui. Cinq jours par-faits, comme sous les tropiques.

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Rhyan L. James
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MessageSujet: Re: We didn't come this far just to get this far   We didn't come this far just to get this far EmptyLun 24 Sep 2018 - 22:32


I don't know what i'm supposed to do
but imma smile with bruised knees on your grave
- Prête ?

Je lui retourne un grand sourire et me met à avancer. Gamine pourrie-gâtée. J’ai rougis, je sais bien que y’avait une contre-partie au voyage, mais c’était quand même cool qu’il me propose à moi. J’espérais quand même ne pas devoir assister au meurtre de genre centaines de mon espèce.

La chaleur nous enveloppe d’une chape lourde mais délicieuse, des frissons de ravissement hurlent sur ma peau. Je déteste l’été, je déteste les hautes températures ; j’adore être ici. Valise d’un côté, Cyan de l’autre côté. Que dire de plus ? Été indien, je ne sais pas ce que j’ai fait pour mériter ça; sortir de ma zone de confort ? Prendre le pari et lancer les dés ?

Vivement la case prison.

On sort de l’aéroport direction quelque part. J’ai fait confiance aveuglément, prête à regretter et à mordre dans un coussin pour y déverser toute ma self-loathe. Mais on n’en est pas encore là, je tip toe autour des possibilités en essayant de simplement apprécier. J’ai envie de lui attraper la main, lui toucher l’épaule, la joue, les lèvres, mais je suis encore trop loin, retranchée derrière des barrières de verre. Le moment viendra plus tard.

« Princesse, j’ai un billet gratuit pour la Grèce. Cinq jours, tous frais payés, toi, moi, la mer. Ramène une belle robe de soirée, sinon je te l’achète là-bas. Non négociable. »

Est-ce donc comme ça que je me suis retrouvée là ?

Non, pas vraiment, et ça serait mentir de passer au dessus de ça. Carla m’avait fichée les pieds dans la terre. Pourquoi, sous prétexte qu’on était magique, on aurait pu passer au dessus de tout ça ? Au dessus des humains normaux, au dessus des relations et des émotions ? J’avais tellement peur de ne pas pouvoir le voir assez, de ne pas en profiter assez que j’avançais aussi vite que je pouvais sans comprendre que je ne tiendrais pas la distance.

Du temps, on en avait pas moins que les autres.

J’ai escaladé les toits vieillissants ou glorieux de Londres, appréciant les muscles secs qui roulaient dans mon dos, j’me suis perchée le plus haut possible avant de me mettre à l’abri du vent. J’ai pris mon téléphone et j’ai appelé.

J’ai appelé, les mains moîtes mais j’ai - tenté - de laisser l’immense conscience de moi-même à la sortie et de ne pas tout contrôler. Ne pas me blâmer sur un rire étrange, ni sur une blague pas si drôle, ni sur un souvenir partagé. Mais les rouages se sont enclenchés et la discussion a été facile, il a plaisanté sur son frère en râlant et j’ai enchaîné sur Tyr en restant légère, me moquant du fait qu’il était tout ce que je répugnais - répugne, ce verbe mérite d’être au présent - et puis voilà, il s’est passé un long moment, il a plaisanté sur sa capacité à brasser du vent et puis j’me suis faite virer comme une bleue par la sécurité et j’ai raccroché après le hurlement injonctif du gars « MADEMOISELLE, QUE FAITES-VOUS ICI ? »

Mais on avait su fonctionner à deux une fois et parler sans s’entretuer - la distance ça aide - alors pourquoi pas en Grèce ?

Je n’ai pas acheté de tenue de soirée - il avait précisé belle. Mais quels sont ses goûts ? Dos nu ? Décolleté ? Chic ? Osé ?

Aucune idée, je n’ai rien acheté.

Sauf un maillot de bain. Parce que j’aime la mer et j’aime encore plus les vagues, les putains d’immenses vagues, et j’ai de quoi les provoquer.

Haha.

« I just wanna know
i just wanna know
If you’re gonna
If you’re gonna stay. »

- Prête.

Je dis quand même.

- J’ai pas de robe par contre. Je sais pas ce que t’entends par belle robe, alors j’ai pas pris de risques.

C’est ironique non ?
Saisi l’ironie, s’il te plaît Cyan, que je vienne jusqu’en Tunisie, jusqu’en Grèce pour quelqu’un qui m’a tiré dessus et pourrait me supprimer en un relâchement de sourcil, mais que je n’ose pas le faire pour une vulgaire robe.

M’enfin.

- On dort où d’ailleurs ?

Une chambre ou deux ?
Un lit ou deux ?

Am i being horny ?
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MessageSujet: Re: We didn't come this far just to get this far   We didn't come this far just to get this far EmptyMar 25 Sep 2018 - 23:10


"We didn't come this far just to get this far"


Parfois, il faut savoir provoquer le destin. Tenter des choses qu'on ne tenterait normalement pas, sortir de sa zone de confort et apprécier chaque instant. Parce que ça ne dure jamais


La chaleur du vent tournoie autour de moi comme une tempête de poussière. Agréable ? Plutôt en fait. J’ai retiré quelques couches de vêtements, ces mêmes couches qui ne me seront plus d’aucune utilité, histoire que Rhyan arrête de penser que je mets des cols roulés quand il fait plutôt chaud. Enfin, moi qui m’était attendu à de grandes chaleurs, au final elles sont plutôt supportables, faut pas oublier qu’on est passé au nord de la Méditerranée et niveau courant et vagues de chaleur ça change pas mal de choses. Ça perce bien la vingtaine de degré, mais ça atteint pas la trentaine pour autant.

J’suis un peu beaucoup déçu. Pour les plus frileux, un col roulé ça peut encore se justifier.
Mais j’ai pas ramené de col roulé. Heureusement, je suis pas non plus trop frileux.

J’étais d’ailleurs plutôt bien sur mon lit, plutôt au chaud qu’au froid, plutôt en sécurité qu’exposé à cette traque inopinée d’Orpheo. J’étais dans mon minuscule deux pièces, prêt à bouger à la seconde, pour simple valise qu’un bagage à main. Je prenais pas le risque d’éteindre mon portable, je dormais d’ailleurs jamais vraiment très bien. Et puis, Rhyan m’a appelé. De là où elle émettait, des bruits l’environnants, j’ai d’abord cru qu’il s’agissait d’un hall de gare où les trains passaient telles des fusées. Puis, j’ai compris qu’il ne s’agissait certainement que d’un vent puissant. Il était tard et elle semblait fatiguée. Sur un plan plus psychologique que physique même. Elle m’a parlé, s’est tue alors j’ai commencé à blaguer sur Olive sans vraiment savoir pourquoi. Il n’y avait aucune tension mais je désirais au fond de moi lui faire plaisir. Je voulais un peu l’entendre rire, ou sourire. Sans raison.
Est-ce qu’elle me manquait un peu ?

Je ne sais pas pourquoi, mais à ce moment elle s’est mise à me parler de son père. Elle n’a pas lâché le combiné, elle s’est comparé à lui en l’insultant de tous les adjectifs possibles. J’ai attendu, silencieusement, qu’elle déverse tout ça. Qu’il était un utopiste, un peu trop. Qu’il avait un caractère assez plat. Qu’il restait dans son époque sans vouloir avancer, se détachait du monde. J’ai failli laisser échapper un « et toi, qu’est-ce que tu veux ? » mais je m’en suis retenu. J’avais pas envie que la situation baisse d’un ton encore, devienne grave et pesante. C’est après tout ce qu’elle désirait entendre en m’appelant moi et pas un autre, non ? Elle ne voulait pas être sermonnée, pas non plus questionnée. Ça m’allait. J’étais décidément pas de ceux qui allaient à la rencontre des autres pour leur poser des questions sur leur passé et tenter de recoller des morceaux.
A vrai dire, ces gens-là, j’ai toujours trouvé qu’ils se prenaient vraiment pour plus qu’ils ne l’étaient. Ou qui avaient de sérieux problèmes d’amour propre. Pourtant, pas besoin d’équations pour ça, c’est pas en réglant les problèmes du monde que ça fera de toi une meilleure personne. Ça remplira juste un peu plus ta tête des problèmes des autres pour oublier les tiens.

Bref.
J’ai blagué. A vrai dire, ce Tyr, j’ai trouvé que c’était typiquement le genre de personnes qu’il m’était possible de haïr au moindre regard. Un homme qui fuit. Face à lui-même, face au monde. Ce n’était plus un problème de se mêler des affaires des autres, c’était ici poussé à l’extrême. Du portrait qu’elle en peignait, il paraissait difficile de croire qu’ils aient été du même sang.

Y’a eu un « MADEMOISELLE, QUE FAITES-VOUS ICI ? » et puis elle a raccroché aussi vite.

J’ai fini par lui envoyer quelques minutes plus tard un simple SMS pour connaître sa situation, si elle était en sécurité, tout ça. Et puis c’est tout. Ça a coupé et on s’est pas reparlé.

- Prête.

On est dehors, puis à côté d’un taxi. J’ai aucune notion de grec ou peu importe la langue qu’on cause ici alors je m’adresse comme un vrai touriste qui ne veut pas faire d’effort : en anglais. Je lui montre l’adresse sur mon téléphone au cas où les deux neurones parviendraient pas à se connecter et c’est après son acquiescement certain que je décide de poser nos valises dans le coffre. Heureusement pour moi, j’ai pu récupérer mon sac sans encombre. Et c’est une très. Bonne. Chose.

- J’ai pas de robe par contre. Je sais pas ce que t’entends par belle robe, alors j’ai pas pris de risques.

Les deux valises sont mises dans le coffre et je me retourne vers elle, mi-touché mi-attendri. Elle a pris l’information au pied de la lettre et… Non en fait, par « belle » j’entendais « prends quelque chose de portable pour une soirée, histoire de pas trancher avec les autres ». Y’avait pas du tout de connotation par rapport à mes propres goûts et… je m’attendais pas à ce genre de commentaire. Ou alors c’est moi qui ait mal compris et elle n’a elle-même simplement aucune idée de ce que porter une belle robe veut dire. Mais ça, ce serait vraiment, vraiment triste. Pour le coup, à la réflexion, ce serait même pire et il faudrait remédier à ça de toute urgence.
J’incline la tête sur le côté et sourit d’un air plaisantin :

-Tu fais référence à mes goûts personnels ou à ton absence propre de référence ?

Dans les deux cas, c’est mignon. C’est affreusement, épouvantablement, excessivement mignon. J’ai envie de l’embrasser, je peux l’embrasser ? Je réfléchis avant d’agir pour ça maintenant ? Grande, grande nouveauté chez Cyan Soul, mes amis. Et en plus je me retiens. Je ferme le coffre avec plus d’acharnement que prévu et passe à l’arrière du véhicule.

- On dort où d’ailleurs ?
-Aucune idée. J’ai juste une adresse, on verra sur place, tout est déjà réservé.

Normalement, ça devrait pas être trop moche. Pas un cinq étoiles mais pas une minuscule cage à poule pour autant. Déjà, c’est un hôtel. Un petit trois étoiles visiblement. Ce qui m’inquiète un tout petit peu plus, c’est si concrètement les gars de l’accueil seront oui ou non des sorciers noirs. Parce que bon. Me faire passer du bon temps gratuitement pour une aussi petite contrepartie et sans frais, en général, ça veut dire qu’il y a déjà un joli petit trafic. On verra sur place. Dans tous les cas, c’est pas comme si je ramenais une tête connue d’Orpheo. Ça devrait passer crème. Et si ça se trouve, c’est papa Allen qui a tout payé et notre emplacement du soir est tout ce qu’il y a de plus humain.

Pas comme la dernière fois, hein.
Sauf que la dernière fois, c’était peu après que Rhyan m’ait envoyé son adresse d’Angleterre. J’ignore totalement ce qui m’avait fait remonter dans un endroit aussi chaud, aussi proche d’Orpheo mais clairement ça avait été une mauvaise idée. Je me suis retrouvé dans un hôtel trois étoiles, aussi, mais encerclé, par un hasard total, par des exorcistes en mission. Pas sur moi, non, mais il faut dire qu’ils ne s’étaient pas gênés pour me poursuivre en pleine journée après m’avoir reconnu. J’ai mis un bordel monstre. J’étais à deux doigts de me faire toper, on m’avait bien amoché et je me suis souvenu de l’adresse de Rhyan. Comme à mon habitude, le fait d’avoir bien étudié les lieux m’a permis de sauter par sa fenêtre miraculeusement ouverte.
Faut croire qu’elle était là. J’étais un peu à bout. Fatigué, presque effrayé. J’était persuadé de me faire arrêter à présent et il était probable qu’ils m’aient vu au moins passer dans l’appartement. J’l’ai attrapé par la main et j’l’ai supplié de me couvrir, en la fixant droit dans les yeux. J’ai pas eu le temps de lui faire un topo car déjà, ça s’est mis à toquer à la porte d’entrée. Je me suis laissé tomber contre le mur en étalant un peu de sang sur le sol malgré moi. J’étais persuadé que ça allait mal se terminer.

Pourtant, faut croire que j’me suis ni fait arrêter, ni tué.

Faut croire qu’on est à égalité aujourd’hui.
Le voyage semble ne durer que quelques minutes. L’endroit est charmant mais le ciel un peu nuageux n’aide pas trop à embellir les infrastructures. L’hôtel est encastré dans une rue perpendiculaire à une autre, étroite. Très étroite. Trop étroite. Quand le taxi s’engouffre dedans, j’ai la sensation qu’on ne pourra jamais en sortir. Incapable de faire demi-tour et des portières bloquées par les murs trop proches. Pourtant, le bout de la rue donne sur une petite cour où grimpent vigne et lierre comme une toiture végétale. Toiture trouée, cela dit.

Assez de largeur pour ouvrir coffre, portières, payer et rentrer. Voir le mec à l’accueil, comprendre immédiatement en scrutant ses prunelles qu’il est aussi de l’organisation. Croix, Rosenrot, solitaire, peu importe. Il a tué. Il recommencera. Il jauge Rhyan du regard et je m’empresse de récupérer son attention pour lui demander les clés. Il me les donne sans broncher. D’ailleurs, il n’a pas sorti un mot depuis le début. Je prends ma valise et nous montons au deuxième étage. Chambre ouverte. Salon, terrasse, salle de bain et lit. Au singulier. C’est tout à fait dans l’esprit Rosenrot ça. J’ai envoyé deux billets d’avion mais techniquement tu peux venir tout seul. Mais si tu viens avec quelqu’un c’est censé être ta couverture au moins pour la soirée. Après tu fais ce que tu veux. Un lit double pour toi tout seul ou pour deux. L’organisation s’est attendu à ce que je me débarrasser de ladite personne. C’est vrai, je l’aurais fait. Si ç’avait été une autre personne que Rhyan, j’aurais pas hésité un instant. Au pire y’a le canapé. Et on peut changer d’hôtel si besoin est.
Je dépose la valise au pied du lit et l’ouvre pour en vérifier le contenu.

-C’est pas moi qui ai loué la chambre, désolé. Si tu veux pas dormir avec moi, je peux prendre le canapé.

Rosenrot et ce souci du détail.

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MessageSujet: Re: We didn't come this far just to get this far   We didn't come this far just to get this far EmptyMer 26 Sep 2018 - 15:13




POLYGRAPH
eyes
Il se retourne vers moi, yeux clairs et épaules détendues. C’est étrange de le voir réellement à sa place, ni agressé ni chamboulé, juste vaguement amusé et serein. Comme il doit être au quotidien ? Ai-je vraiment le droit de voir Cyan dans son quotidien à l’instant ? Je me sens reconnaissante. Peut être que finalement on a réussi à se saisir à pleines mains de cette chance.

-Tu fais référence à mes goûts personnels ou à ton absence propre de référence ?

Je fronce le nez.

- Mon absence absolue de référence. Qui sait, pour vous les allemands, peut être qu’une jolie robe c’est un drap avec juste un trou pour passer la tête.

J’ai affreusement hâte d’arriver quelque part pour me poser cinq minutes. Les avions, ce n’est pas exactement le top du confort. Pas que j’ai eu à me plaindre, mais tout de même. Un gros canap sa mère c’est bien aussi.

-Aucune idée. J’ai juste une adresse, on verra sa place, tout est déjà réservé.

Je sais bien dans quoi je m’embarque, à quel point je pourrais me faire reconnaître et abattre. Juste, abattre. Comme on regarde d’un air blasé un cafard avant de le piétiner avec soin. Quel tête ferait Cyan ?
Je ne pourrais jamais le savoir, c’est un peu dommage. J’aime bien voir les gens surpris. Ils passent un micro-moment en dehors de leur conscience en général et leur première réaction est animale, instinctive. En général.

Peut être que les Souls sont bien trop entraînés pour cela.

On se fait finalement secouer dans la voiture pour arriver au logement - air bnb ? - et Cyan regarde juste par la fenêtre. Il a l’air si différent que quand je l’ai explosé à Berlin, dans la banque. Ses yeux clairs avaient pris un éclat de sang, de peur et d’enfance. Vous savez, cette enfance qu’on vous donne sans vous demander votre avis, quand vous êtes trop jeune pour savoir dire non et vous battre, alors on vous pousse dans un sens. Il avait exactement la même tête quand il avait débarqué chez moi.

Il m’avait, supplié.

Cyan Soul, me suppliait.

L’anxiété et la culpabilité m’avaient rongé les os comme des chiens dalleux mais j’avais hoché la tête. Des coups précipités à la porte m’avaient fait sursauté mais je savais d’avance qu’ils n’avaient pas défoncé la porte parce que tout était runé (Simje, tu as sauvé la vie de Cyan par inadvertance, c’est beau) et je n’avais pas de plan. Ils pouvaient forcer l’entrée mais à l’idée d’un magique à l’intérieur ils avaient pris leurs précautions.

J’avais enlevé mon bas et j’étais passée à travers la porte paresseusement, en culotte, l’air de m’être fait réveillée à l’arrache « ouais ? ». Je ne connaissais personne.

Mais qu’est-ce que t’aurais fait, Rhyan, si ça avait été Shybaï à la porte ?

Takeji ?

Ian ?

« tout est runé, personne n’est rentré.. de quoi vous parlez.. qui ? »

Simje ?

Pandora ?

T’aurais pu mentir droit des les yeux de celle qui sait déjà tout ?

J’avais eu un haut-le-coeur et j’étais passée devant Cyan en l’ignorant pour aller vomir ma culpabilité dans les toilettes. L’appartement avait pris une odeur de sang et j’étais revenue déterminée et je l’avais soigné avec la même patience que la sienne. Les mêmes gestes qu’il avait posé sur mon dos. La même énergie dans les mêmes runes avec une mécanique simple et soignée, habituellement, se focaliser entièrement sur les chairs et le sang, sur les os et le temps qui passe.

- Je ne veux rien savoir, avais-je murmuré.

Sans colère, sans rancoeur mais avec la certitude que tout ça finirait vraiment mal. Vraiment, vraiment mal.

Mais à quel point ?

Nous ne nous étions pas revus mais j’me souviens bien de son visage quand il est arrivé à l’aéroport. Fringues passe-partout, mais cet air détaché et désinvolte tout en étant parfaitement concentré.

Où-est ce que je vais ?

Peu importe.

Je le savais mais j’en ai le coeur net : Cyan Soul n’est pas n’importe qui, et la chambre mise à sa disposition n’est pas vraiment une chambre. C’est une putain de suite.

Une putain de suite avec un seul lit.

Je sais ce genre de choses et pourtant je ne peux pas m’empêcher de pincer les lèvres et de me mettre dos à lui alors qu’il dit :

-C’est pas moi qui ai loué la chambre, désolé. Si tu veux pas dormir avec moi, je peux prendre le canapé.

Je loupe le timing de la réponse - l'esprit gentleman est tout de même apprécie - et deux secondes trop tard je réponds :

- Mais non, un lit c’est suffisant.

Il n’y a pas d’humour dans ma voix parce que j’en suis pendant une bonne minute incapable et je vais sur le balcon. J’oublie juste de temps à autre comme ça fonctionne de l’autre côté des rails. Qu’on prend et qu’on jette. Et je ne suis pas certaine d’avoir de la chance avec Cyan. Au fond, il prend soin de moi parce que j’ai eu un timing parfait, parce qu’il apprécie une personnalité, un corps, des moments, mais ça ne change pas sa façon de voir les choses. Pas que j’aimerais la changer, je ne suis pas ce genre de personnes, mais j’aimerais éviter de penser au nombres de fois où la moquette à dû être refaite parce que les tâches de sang ne partaient plus.

Je m’imagine mettre tout ça dans une boite, fermer la boîte, brûler la boîte.
Ça ne changera pas, Rhyan, et tu ne partiras pas. Autant l’accepter non ?

Autant l’accepter.

Je me retourne sur la terrasse, soleil dans le dos et l’air iodé dans les cheveux.

Mmmmmmmmmmh. Par rapport à l’Écosse, mon will to live à grimpé en flèche. La sensation est délicieux et je me déleste des rochers dans ma poitrine.

On s’en fou des autres qui meurent.
On s’en fou.

- La soirée est quand d’ailleurs ?

Je suis pas très shopping mais très, très, très mer. Très nager, les poissons, les vagues, l’eau, la fraîcheur, le sel.
Pas très magasins.
J’adore les fringues pourtant, mais je voyage trop pour avoir genre une penderie. Alors qu’un maillot de bain, c’est pratique non ? Pour nager avec les poissons, les vagues, l’eau, la fraîcheur, le sel..

Je rentre à nouveau dans la pièce. C’est très joli, j’en conviens. Je me plante sous son nez, de toute façon je suis - malheureusement - pas mal dépendante de ses mouvements. Il est là pour une raison, je suis le bon temps mais peut être qu’il aura du boulot à faire entre temps.

Sauf si la soirée est ce soir.

- Je suis ta couverture pour la soirée ou la distraction d’ailleurs ?

J’adore jouer les distractions, c’est vraiment génial. Il y a des milliards de jeux et de possibilités. Ton binôme qui fait supposément genre de te draguer mais tu lui dis non, non toi tu veux l’autre, la cible. Tu dois simplement draguer bidule ou machin, attirer chose ici, distraire truc. J’en oublierai presque que je joue pour la mauvaise équipe. Mais je sais - du moins j’espère - qu’il ne m’amène pas éhontémment sur un lieu de gros affrontement - je serai découverte de toute façon, faut pas déconner.
Même si pour une fois j’aimerais être la couverture.

Pour un peu plus qu’une soirée.
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MessageSujet: Re: We didn't come this far just to get this far   We didn't come this far just to get this far EmptyMer 26 Sep 2018 - 19:11


"We didn't come this far just to get this far"


Parfois, il faut savoir provoquer le destin. Tenter des choses qu'on ne tenterait normalement pas, sortir de sa zone de confort et apprécier chaque instant. Parce que ça ne dure jamais


Finalement, alors que je m'étais dit « Chouette ! Il se pourrait que, sans vraiment l'avoir souhaité, Rhyan elle s'intéresse à mes goûts », je me suis heurté à la réalité. À vrai dire, n'ayant rien espéré au départ, je me suis contenté de sourire plus ou moins dans le vague à sa réponse.

Mon absence absolue de référence. Qui sait, pour vous les allemands, peut être qu’une jolie robe c’est un drap avec juste un trou pour passer la tête.

J'avais envie de lui dire qu'en fait on s'en fichait pas mal des allemands puisqu'on était en Grèce et que leurs critères risquaient de changer considérablement. Qu'au final, si en plus elle faisait référence à mes origines, faudrait plutôt qu'elle tape vers la Nouvelle Zélande puisque j'étais né là-bas. Que j'avais certes passé le plus clair de ma jeunesse en Allemagne dans le manoir familial, mais qu'en fin de compte, j'avais tellement bougé qu'on ne pouvait pas vraiment me claquer la casquette d'allemand sur la tête. Après tout, je parlais aussi bien l'anglais, l'allemand que le français. Mes origines, elles étaient européennes.

Mais j'ai rien dit. J'ai pris la blague comme elle venait, j'ai ri et puis c'est tout. J'ignorais si elle parlait en connaissance de cause, si les allemands avaient des goûts aussi particuliers, si elle n'avait pas simplement imaginé tout ça. Et puis, d'où elle venait à l'origine pour les descendre de la sorte en s'excluant volontairement. L'ayant rencontrée à Berlin, il m'avait semblé logique de la croire allemande, d'autant qu'elle s'exprimait plutôt bien dans cette langue. Mais après tout, son adresse était localisée en Angleterre et nous ne communiquions qu'en anglais.
À vrai dire, c'est souvent le problème quand on est trilingue ou simplement bilingue. On oublie la langue qu'on écoute ou qu'on parle. On passe par-dessus ces barrières construites par des divergences millénaires. Des guerres, des cultures etc.

J'ai l'esprit un peu moins brumeux lorsqu'on arrive à l'hôtel. Qu'on croise ce très charmant silencieux aux yeux perçants à l'accueil. Et qu'au final, je finis par sourire jaune à la vue du seul lit disponible. Je tente de me rattraper, de masquer l'évidence, un travail mainte et mainte fois répété. Qui s'est produit avant moi, se répétera après moi, s'est déroulé avec moi et d'autres filles. Je sais pas trop pourquoi je me sens curieusement un peu mal à l'aise. Je ne remets pourtant pas en question la légitimité de mon travail. C'est quelque chose que j'ai fait, que je continuerai à faire si on me le demande. J'ai pas choisi mon camp mais je l'ai accepté, j'y ai pris goût dès mon plus jeune âge et rien ni personne ne serait en mesure de me faire changer d'avis.
Et pourtant, aujourd'hui, c'est différent. Elle répond avec un temps de retard.

- Mais non, un lit c’est suffisant.

Tout pâle, sans rire dans la voix. Comme une constatation lointaine, qu'on croirait désintéressée parce que l'attention est portée autre part. Elle file vers le balcon. Un peu trop vite à mon goût. Est-ce qu'elle va enfin juger que ça vaut vraiment pas le coup ? Rhyan a bien compris pourtant. Elle est humaine, à mon grand malheur, mais pas aussi innocente. Elle aussi, elle a tué. Elle a certainement également tendu des pièges, participé à des assassinats. La pièce anormalement propre pour l'ensemble de l'hôtel, une odeur un peu trop chargée en javel vaguement masquée par les fenêtres grandes ouvertes, comme une routine de femme de ménage. Une femme de ménage un peu trop maniaque.

Elle est au balcon et moi je suis toujours penché sur ma valise. Je compte mes lames, les dents d'un couteau, les balles dans leurs douilles, pour occuper mon esprit et trouver des mots un peu plus justes. Elle sait déjà dans quoi elle est entrée et devait déjà s'en douter avant de poser son pied à l'aéroport. Pourtant, elle n'a pas hésité. Pourquoi elle n'a pas hésité ?

Est-ce que tu es avec moi parce que tu m'apprécies ou bien est-ce la proximité de ma lame qui t'intéresse ?
Je me mens à moi-même en disant que je n'y ai jamais pensé.

J'y pense dès qu'elle est devant moi. Je me demande si le bruit du chargeur lui ferait tourner la tête, si je percevrais cet éclat d'incertitude. Comment peut-on seulement se faire confiance alors qu'un coup tordu est si vite arrivé ? Quand nos travaux respectifs nous forcent presque à nous entre-tuer et le favorisent jusqu'à emplir l'espace de sous-entendus macabres.
Quand elle dit qu'un lit c'est suffisant, j'ai mille et une manière d'interpréter ses mots. Et l'amertume d'en découvrir plus de 900 à connotation négative.
Sa voix paraît de nouveau à quelques mètres, légèrement camouflée par une brise un peu plus virulente.

- La soirée est quand d’ailleurs ?

La soirée ? C'est à l'instant où sa question se pose que je dégage mon smoking de la valise. Il n'a heureusement pas l'air d'avoir trop souffert du voyage et c'est en l'étendant sur le lit que mes pensées se confirment. C'est une tenue on ne peut plus classique. Veste, chemise et pantalon noir parce qu'une tâche et toujours moins visible que sur du bleu marine – bien que je préfère cette dernière couleur – si vous voyez ce que je veux dire. Il n'y a que la cravate et les revers de col qui soient bleu foncé. Et encore, d'un bleu foncé tirant également sur le noir. Autant dire qu'il ne s'agit que de reflets.
Qu'importe. La soirée...
Disons qu'on favorise d'abord le travail pour ensuite s'amuser. En temps normal, je n'aurais eu qu'une journée et demi et non cinq.

-Ce soir. Il va falloir se pencher très sérieusement sur ta robe donc. On aura tout le temps de profiter demain.

Elle entre de nouveau et se pose juste devant moi. Je l'observe, intrigué. Elle a l'air décidée, de quelque chose. Est-ce que la perspective du shopping l'enchante ? Ou non ? Pas le choix, en fait. Ils ne nous laisseront pas entrer avec ses habits. Non pas qu'ils soient laids, simplement inadaptés. On doit avoir l'air de la haute, c'est tout ce qui compte. L'intérieur, ils s'en fichent. Là, il faut tout miser sur l'aspect extérieur. Je regarde un instant ses cheveux et je songe à une époque révolue où j'aimais tant coiffer les cheveux de Bleu quand père nous faisait sortir en famille. C'est très idiot, mais...

- Je suis ta couverture pour la soirée ou la distraction d’ailleurs ?

Nevermind.
Je ferme les yeux un instant et rejette ma tête en arrière dans un profond soupir. La dirige de nouveau vers Rhyan et encadre son visage avec délicatesse. J'ai pas envie de lui mentir mais son discernement est aussi pénible que gênant. C'est vrai, j'y ai pensé pourtant. Je sais très bien qu'elle n'est pas comme les autres filles. Qu'elle possède des connaissances, un pied voir les deux dans le milieu, consciente de ses choix, consciente de son travail, consciente de la raison de sa présence. « Regarde le voyage que je nous ai offert », « Tu vas voir, on va participer à une belle soirée ». Je ne peux pas lui resservir ces mots prononcés et répétés inlassablement, quand bien même pour une fois j'en crèverai d'envie. Elle me regarde, présente, claire. Elle pose une question en plaçant ses deux mains dans un plat soigneusement caché.
J'arrive pas à trouver les mots. Est-ce qu'elle accepterait simplement le fait que je l'ai amené ici pour me servir d'elle ? Il est même probable qu'elle y ait pensé. Mais pourquoi diable s'être déplacée en jouant volontairement dans le camp adverse.
Et pourquoi à l'entendre me parler de distraction, y'a toujours ce morceau de cerveau pragmatique qui pense à utiliser au mieux les capacités de la jolie blonde. Et si je lui en parlais, simplement ? De ma mission.

À l'instant où je relâche, sans avoir poussé le moindre mot, son visage, je sais que je risque gros. Que la confiance est une chose aussi impossible à attraper qu'une fumée. Je m'accroupis au niveau de ma valise, cherche dans le sac annexe mon téléphone et me relève. Les yeux plantés sur l'écran, je fais défiler les messages de ma boîte mail jusqu'à trouver les visages des trois hommes. Un instant hésitant, le pouce en suspens au-dessus de l'écran, je finis par tourner l'appareil vers Rhyan et faire défiler les trois visages.
Passant une main rapide dans mes cheveux, anxieux, je dirige mon regard vers la demoiselle, me rapproche d'elle et déclare à voix basse :

-Ce sont trois sorciers noirs. Ils marchent toujours ensemble et ne se détachent qu'aux fêtes mondaines, où ils semblent également abaisser leur garde. L'un d'eux est soupçonné d'être un espion au service d'Or.. pheo, mais leur proximité rend la chasse difficile. L'objectif est de le trouver et de l'éliminer. Néanmoins, il est probable que vu leur ténacité à se protéger mutuellement, les trois soient en réalité plus ou moins impliqués dans l'affaire.

Je passe ma langue sur ma lèvre inférieure, me maudissant pour l'accroc sur le nom de l'organisation adverse. Son organisation. Plus j'y pense, et plus je me dis que lui raconter cette histoire ne joue pas en ma faveur. Jusque là, il n'était question que de fréquenter un homme d'un camp adverse. Ce soir, je lui demanderais de jouer contre son camp. Un sorcier noir n'hésiterait pas. Je n'hésiterais pas. Et la vie est une fois de plus présente pour me rappeler que mes idées ne sont pas nécessairement partagées par la femme présentement chère à mes yeux.
Je retire le portable et le passe précipitamment dans ma poche arrière de jean.

-Comme tu es affreusement perspicace, voilà le contexte. En ce qui concerne ton rôle, il n'est normalement pas important. J'étais...

Je souffle une énième fois, poussé par un vent de révélation qui me semble impossible à stopper, peu importe les dégâts. Il est sans doute préférable de lui cacher tout cela, mais une force au fond de moi m'en empêche. Parce qu'elle cherche des réponses. Peut-être pas aussi poussées que celles que je lui offre, mais ces dernières ont au moins la particularité d'être honnêtes. Et le vrai Cyan, celui que très peu ont la chance de connaître, il est honnête.

Et présupposé bavard.

-J'étais supposé amener une femme. N'importe qui, pour peu qu'elle m'assure un bras pour la soirée. Je te demanderai pas d'agir contre tes valeurs. Simplement de fermer les yeux sur ça.

Puis...

-Et de garder en tête, d'être persuadée que j'ai pensé à toi pour être...

Je détourne la tête.

-... Enfin... être juste avec toi.

Je peux pas croire que j'ai dit ça. J'ai le cœur qui bat un peu plus vite et ça m'agace autant que ça m'adoucit. Mais je peux pas supporter ça trop longtemps.
Alors, je pince ses joues et, tout sourire, je la regarde de nouveau avant de déclarer :

-Donc faut qu'on aille acheter ta robe.

Bien Cyan, y'a du progrès.

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MessageSujet: Re: We didn't come this far just to get this far   We didn't come this far just to get this far EmptyJeu 27 Sep 2018 - 14:51




Blood in the water
Welcome home
Ses lèvres s’étirent mais le rire n’atteint pas ses yeux, je sais que j’ai raté ; tant pis. Je ne le connais pas assez pour savoir où j’ai échoué, quelle partie était maladroite et comment réparé les choses. Mais on a déjà vécu bien pire et réussir à déceler mon échec me réchauffe le ventre. Peut être qu’on va quelque part. On ne sait pas où, mais quelle importance ? On sait au moins où commencer, visiblement.

Il sort un habit qui sort du pressing et regarde les pièces. Ça non plus, il ne l’a pas choisi ? Il ressemble à un soldat sur-entraîné à qui on prémâche tout pour ne garder que le meilleur sur le champ de bataille. Qu’il ne pense pas trop, qu’il ne se fatigue pas à choisir, on s’occupe de tout, il ne prend en charge que le reste. Rosenrot est une organisation bien plus petite qu’Orpheo et je me demande si nous avons les mêmes chiens fous dans nos locaux. Si nous avons des assassins qui ne sont libérés de leurs chaînes que de temps à autre. Peut être que les conservateurs fomentent ça dans leur coin, qui sait ? Tyr disait qu’ils étaient salis, que c’était des pourris chez Orpheo et qu’ils tuaient autant que chez Rosenrot, Croix, Santiago.

Mais ce qui compte à la fin de la journée, n’est-ce pas nous-même face au miroir ? Qu’ils fassent ce qu’ils veulent, je m’occupe de mon reflet.

- Ce soir. Il va falloir se pencher très sérieusement sur ta robe donc. On aura tout le temps de profiter demain.

Très bien. Je n’ai rien à argumenter sur le sujet, pensant juste à mes barrières que je me dois de laisser tomber. Je me souviens clairement avoir aboyé après Matt, lui sifflant entre mes doigts de ne pas commenter mes corps, mes cheveux, mes yeux. Bien ou mal aucun intérêt je ne voulais pas le savoir.

Je passe ma langue sur mes lèvres, distraite.

Mais Cyan s’approche de moi, souplesse du chat mais lourdeur du puma. Je vois bien que je n’aurais peut être pas du demander pour la couverture ou la distraction, mais ses yeux se sont enflammés d’une lueur différente. Ses mains viennent sur ma peau ; je suis pleine de ses paumes sur mes mots. Il se semble nager au milieu des possibilités sans se décider à m’offrir une répondre, mais je suis ancrée dans l’instant et il est hors de question de fracturer l’instant. J’ai un air dans la tête et je plante mes yeux dans les siens.

Patiente.

Ses mains me lâchent - comptait-il m’embrasser ? - et je vois fondre ses résolutions de se taire. Son tic d’anxiété fait une brève apparition alors qu’il ouvre les lèvres en me montrant des photos.

Je ne connais personne.

-Ce sont trois sorciers noirs. Ils marchent toujours ensemble et ne se détachent qu’aux fêtes mondaines, où ils semblent également abaisser leur garde. L’un d’eux est soupçonné d’être un espion au service d’Or.. pheo (une taupe donc, dis-le Cyan, un traitre, un homme déjà mort. N’est-ce pas ?) mais leur proximité rend la chasse difficile. L’objectif est de le trouver et l’éliminer (l’un des nôtres. L’un des miens, donc. J’espère qu’Orpheo est vraiment vaste.) Néanmoins, il est probable que vu leur ténacité à se protéger mutuellement, les trois soient en réalité plus ou moins impliqués dans l’affaire.

J’hoche la tête. Très bien, tu fais le choix et de me dire et de poser un vase de confiance dans mon coeur. Si tu me laisses cette chance, je la prendrai ; ça vaut mieux que vivre dans le noir, non ?
Je n’en sais rien.
Peut être que j’aurais préféré n’avoir aucun détail et continuer à me mentir à moi même. Non ?
Non.

-Comme tu es affreusement perspicace, voilà le contexte. En ce qui concerne ton rôle, il n’est normalement pas important. J’étais..

Il ravale la suite. Je fronce le nez, j’ai envie de me détourner ; qu’il ne joue pas en demi-ton par pitié. Je te donne et te reprend, t’arrache des mains ce que je viens de mettre. Mais il se remet à parler.

-J’étais supposé amener une femme. N’importe qui, pour peu qu’elle m’assure un bras pour la soirée. Je te demanderai pas d’agir contre tes valeurs. Simplement de fermer les yeux sur ça.

Simplement ?

Il a dit simplement, je rêve.

Simplement.
Simplement Rhyan et juste pour cette fois, passe du côté des méchants.

-Et de garder en tête, d’être persuadée que j’ai pensé à toi pour être.. Enfin.. être juste avec toi.

Il n’a pas pu finir la phrase en me regardant dans les yeux. Persuadée mais quand convaincue, alors ? Cyan est-il ce genre de personne qui choisi ses mots avec soin, ou un autre polyglotte qui n’a pas les nuances infimes de mots similaires ?

N’a-t-il pas dit des mots si durs à dire ?

Il me pince la joue, en souriant, j’ai envie de lui planter un couteau dans l’oeil pour avoir seulement osé faire ce geste, mais je laisse juste échapper un rire crispé. Crispé mais marrant.
Il a osé faire ça quand même.

-Donc faut qu’on aille acheter ta robe.

Je ne suis pas conne, je sais qu’on aura toujours du mal. Que ça ne sera jamais facile et que je vais souhaiter, encore et encore et encore d’avoir fait un autre choix pour arrêter de me battre.

Mais j’suis pas encore fatiguée.

- Hé, Cyan ?

Badinage.

Je l’embrasse.

Je l’embrasse, parce que même si ça avait été uniquement pour m’utiliser, ça aurait quand même été encourageant. Encourageant parce que n’importe qui but me aurait été plus simple. Qu’il a choisi de se battre, lui aussi.

Et de se justifier.

Je le lâche et n’ose pas non plus le regarder dans les yeux. Au moins on a ça en commun : la lâcheté.
J’suis un peu gênée.

- T’as pas besoin de te justifier ou de t’excuser pour ehm. Tu sais. (Je hausse les épaules.) Je te choisis en entier, je sais dans quoi je m’embarque. Je suis ni stupide, ni aveugle.

Je vrille mes prunelles dans les siennes.

- Je te choisis en entier.

Voilà, ceci étant dit, on s’éclipse, maintenant. Parce que t’as peut être porté tes couilles une micro-minute, mais c’est déjà beaucoup. Je me tourne après un petit sourire en coin et j’attrape juste un sac pour aller chopper la-dite robe. Est-ce que seulement il sait où aller ? Parce que c’est pas comme si on connaissait la Grèce comme notre poche non plus. Je passe une lame à la cheville, courte lame de rasoir avec manque translucide, plus cutter que réel couteau, une vraie lame à l’épaule et je considère pensivement une arme à feu.
Nah, ça devrait aller sans, non ?

On va juste acheter une robe.

Putain, qu’est-ce que c’est que cette réalité baisée dans laquelle on ne fait pas du shopping sans être armé.

Impressionnant.
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MessageSujet: Re: We didn't come this far just to get this far   We didn't come this far just to get this far EmptyVen 28 Sep 2018 - 16:21


"We didn't come this far just to get this far"


Parfois, il faut savoir provoquer le destin. Tenter des choses qu'on ne tenterait normalement pas, sortir de sa zone de confort et apprécier chaque instant. Parce que ça ne dure jamais


J'ai le regard incertain et une drôle de sensation dans le ventre. Ce ne sont que quelques mots mais ils suffisent pour m'ébranler. Pourtant, ces mots, je les ai déjà prononcés. À d'autres filles, dans d'autres circonstances mais avec le même ton. C'est dans ce genre de situation que Rhyan me fait prendre un peu plus conscience de sa présence. Les mots ne sont jamais difficiles à prononcer, c'est la façon dont ils seront perçus qui nous scelle la bouche. À l'heure où ces phrases sont prononcées, des millions de questions se heurtent aux parois de ma boîte crânienne. Je lui pince les joues parce qu'il n'y a rien d'autre à faire, rien à ajouter et qu'un silence ne peut décemment pas s'installer maintenant. On n'est pas faits pour vivre sur la gravité des situations.

Elle me sourit d'une drôle de manière. Je ne la quitte pas des yeux et sa réponse faciale ne me rend qu'un peu plus hésitant, qu'un peu plus sévère envers moi-même. Ce n'était certainement pas le bon timing, ça ne l'a jamais été après tout. La Tunisie, ça s'était mal passé, on avait vécu toutes les émotions dans un méli-mélo dramatique. Je m'étais dit à la suite qu'il ne fallait plus jamais, jamais mettre ça sur le tapis. Que j'avais bien assez compris qu'elle attendait rien de tout ça, Rhyan. Que j'étais allé trop vite, même trop loin par rapport à mes véritables capacités. Je m'étais laissé emporter par un tourbillon qui n'était pas de ma création et j'ai lâché des mots qui ne m'appartenaient pas. Moi, l'égoïste de service, je m'étais retrouvé plongé dans des sentiments externes.

- Hé, Cyan ?

Elle est juste là. Toujours juste là. J'aurais jamais cru ça possible. Je me serais même jamais imaginé une chose pareille. Toujours avec cette profonde impression de faire n'importe quoi, mais d'y plonger à corps perdu. Elle s'approche et m'embrasse. C'est la première fois, non ? Ça fait déjà longtemps, mais c'est aussi la première fois qu'elle m'embrasse. Je crois. Je ne suis plus très sûr, mais la sensation est nouvelle. Ça n'a plus cette odeur de revendication ou de hasard, comme quelque chose de fade et d'irréfléchi. Ça a quelque chose de sincère. D'un peu plus vrai. Une phrase non formulée qui n'attend pas une réponse immédiate mais qui prend le temps de poser un questionnement, calmement. Lorsqu'elle se détache, je la suis sur quelques centimètres pour l'allonger encore d'une micro seconde et la voit se détourner. Je lui souris d'un air un peu peiné, paradoxalement heureux. Je suis content d'être là. Je suis content qu'elle soit là. J'aurais pu inviter personne d'autre à sa place.

- T’as pas besoin de te justifier ou de t’excuser pour ehm. Tu sais. Je te choisis en entier, je sais dans quoi je m’embarque. Je suis ni stupide, ni aveugle. Je te choisis en entier.

Il y a mille et une choses qui nous opposent, à commencer par nos façons de percevoir la vie d'autrui, de vivre nos propres vies. De faire partie d'organisations ennemis et d'être incapable d'être honnête sur ces termes maintenant qu'on en fréquente un membre. Bien sûr, ça ne me fera pas changer d'avis. Je ne défendrais pas Orpheo, je ne me battrais pas pour eux. Je ne les tolérerais pas plus sur un champ de bataille. Ce serait Rhyan et personne d'autre. Mais s'adresser à elle, parler librement ou presque de ma mission principalement sujette à luter contre ses collègues, c'est autre chose. Voilà qu'on craint de toucher aux points de rupture. « Jusqu'où es-tu prêt pour être avec moi ? » Jusqu'où suis-je moi-même prêt ? J'ai la sensation d'être pleinement mêlé à ses histoires, mais je n'ai toujours pas la prétention de la connaître ne serait-ce qu'un peu. Est-ce qu'à sa place, j'aurais acquiescé ? Est-ce que je l'aurais aussi rassurée ? Lui aurais-je dit que je l'avais choisi pour tout ce qu'elle était et pas seulement pour un ou deux traits particuliers ? Que travailler et heurter mes principes en tant que sorciers noirs n'étaient finalement pas grand chose ? Quand on a vécu toute sa vie pour quelque chose et qu'on tend à se retourner un jour, réfléchir à ce qu'on a accompli parce qu'on trouve une de ces bonnes personnes, est-ce que c'est pas un peu effrayant ? On ne parle même pas de tout quitter ici, simplement agir contre des enseignements matraqués jours après jours.

C'est putain d'effrayant.

Faut pas me dire des mots pareils, parce qu'on m'a pas appris à réfléchir sur ces questionnements. J'ai toujours tellement peur de faire un vrai pas en dehors de mon cadre et de voir tout s'effondrer. De devenir dépendant d'une personne parce que toute ma liberté de pensée, aussi limitée ait-elle été tout ce temps, a au moins eu l'illusion de me faire me sentir indépendant. Et elle veut pas ça. Je veux pas ça. Personne ne veut ça. Je veux pas devenir comme Silver qui a perdu les boules.
Ces trois mots que l'on aime entendre, je ne les prononcerai sans doute jamais.

Elle bouge déjà. S'active pour prendre son sac, se préparer. Je fais de même et me bloque un instant sur mon téléphone pour parcourir notre annuaire. C'est un peu comme une agence de voyages participative, mais pour sorciers noirs. Disons que les grands monuments on a tendance à s'en taper. Par contre, les recels d'armes en cas de problème, les boutiques gérées par des sorciers noirs ou d'intérêt pour des missions et les principaux lieux de restauration s'y trouvent. Il faut croire qu'on a des passionnés de cartographie dans le milieu. Qu'importe, je trouve deux ou trois sites intéressants à quelques kilomètres.

J'ai rien à lui répondre et puis elle semble déjà partie sur autre chose alors je n'insiste pas. Peut-être que ça m'arrange aussi d'un côté.

On se retrouve dans un magasin plutôt chic, dans une grande ville. Je serais bien incapable de dire de quelle ville il s'agit puisque tout est signalé dans un alphabet différent du nôtre. Y'a aucun risque qui nous arrive la moindre chose mais je suis tout aussi harnaché en armes que Rhyan. Discret mais présent, les armes sur soi, c'est devenu aussi naturel qu'un brossage de dents le matin.
Malgré tout, alors que les doubles portes de la boutique s'ouvrent automatiquement à notre approche, je me rapproche d'elle et lui glisse deux-trois informations dans l'oreille.

-Choisis ce qui te fait plaisir, Rosenrot me rembourse. Prends juste quelque chose de confortable et qui ne limite pas trop tes mouvements. Même si j'ai bien conscience que tout ça ne rime pas trop avec une robe de soirée.

Et mieux vaut pour elle essayer avant d'acheter, on ne sait jamais, des fois les coupes c'est pas trop ça. Et pas le temps de faire du sur-mesure.

Bref, passé le choix de la robe, les ajustements, tout ça, la soirée s'approche grandement. À peine rentré qu'il faut déjà commencer à se préparer. J'avoue, j'ai un peu insisté pour faire sa coiffure. Un peu beaucoup. Mais ça m'a fait vraiment, vraiment plaisir. Ça doit bien faire parti des seuls trucs artistiques que je sache faire d'ailleurs. Mon hémisphère droit s'arrête là, après c'est que de l'analytique. Est-ce que j'ai cherché à l'impressionner. P't'être bien qu'oui. Ça se trouve, elle a pas aimé. Je sais pas, j'ai pris mon temps et dès qu'on en a fini j'ai fait « Voilà », j'ai vérifié la position de mes armes, mes mouvements, j'ai laissé toutes mes affaires de valeur ici, je l'ai asséné de phrases comme « Assure-toi de ne rien prendre qui puisse justifier ton identité » ou « Te surcharge pas d'armes, t'es vraiment pas censée en avoir à la base » ou même « Oublie pas de prendre un petit sac et de le remplir des trucs classiques ». J'ai terminé en la regardant très gravement par « Tous les gens que tu croiseras maintenant ont de grandes chances d'être noirs, alors mieux vaut faire attention à ce que tu dis ». Je lui ai tendu une fausse carte d'identité pour qu'elle la mette dans sa pochette et j'ai tout pressé pour pouvoir fermer la chambre. J'ai donné ces mêmes clés sans un mot au réceptionniste.

J'avoue, j'ai plus ou moins pris conscience de mon changement d'attitude une fois dans la voiture. Le simple fait d'être en mission suffit à me rendre impassible, mais avoir Rhyan à mes côtés me tend plus que d'ordinaire, attentif au moindre geste suspect. Mais voilà, on est dans la voiture, le chauffeur est un sorcier noir et je peux décemment pas lui dire que je m'excuse de lui avoir parlé sèchement de choses auxquels elle doit déjà avoir eu connaissance ou faisant appel au bon sens. J'ai sans doute fait un inventaire très exhaustif, trop même, mais j'ai pas le temps de m'excuser. Pas le temps de laisser place au stress ou aux remords. On verra ça après.

On arrive au port d'une ville au nom toujours aussi peu facile à lire mais visiblement assez riche. Le chauffeur s'inscrit dans la petite file de voitures rutilantes et c'est durant ce laps de temps qu'il se tourne, me fournit mes faux papiers et un autre téléphone d'une vie totalement inventée pour ne pas me rendre suspect à la vue des autres. J'ai emprunté des noms à des milliers de personnes et je m'empare de cette nouvelle identité avec une nonchalance routinière. Il lâche sa phrase sans émotion, lui aussi focalisé sur son rôle :

-L'invitation se trouve dans les téléchargements du téléphone. Pas besoin de donner votre nom.

Il jette un regard discret à Rhyan, évaluant son attitude avant de se recentrer sur moi.

-Si vous avez besoin de quoi que ce soit, n'hésitez pas à appeler.

J'acquiesce d'un regard tout aussi soutenu et la voiture s'arrête devant l'énorme yacht. Il doit bien pouvoir contenir une cinquantaine de personnes. Je tends mon bras à Rhyan en crispant un peu la mâchoire, inspire et revêt mon masque de bienséance pour la soirée. Soirée qui promet d'être longue.

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MessageSujet: Re: We didn't come this far just to get this far   We didn't come this far just to get this far EmptyVen 28 Sep 2018 - 22:09


Hollows, hollows
C'est juste une fois, ferme les yeux et avale ça.
Il ne répond pas. Son geste est plein de sobriété mais il me rend mon baiser. Est-ce que c’est suffisant ? Je ne sais pas mais je suis déjà partie, protégée. Mieux vaut des petits pas que des sauts dans le vide.

L’aube d’un peu d’espoir s’écraserait bien facilement, autant ne pas trop y penser. Parce que tu sais faire ça non ? Laisser ton esprit rouler comme une caillou emballé dans la descente.

On décale donc en ville. Il sait où on va et je suis mais mes yeux sont des partout. Et pas comme une touriste. J’aimerais bien être une touriste mais j’ai bien peur de ne jamais en avoir l’occasion tant que je traîne avec lui. Je ne pourrais jamais me détendre mais pour le moment, je crois que ce n’est qu’un petit prix à payer. Je ne sais pas combien de temps cette croyance me suivra ; mes yeux balayent les bâtiments, les rues, les endroits. J’ai envie de runer des murs et des ponts pour ma sécurité mais je sais qu’elles me mettraient en danger. Les gentils runent comme des gentils.

Suis-je encore une gentille ?

-Choisis ce qui te fait plaisir, Rosenrot me rembourse. Prends juste quelque chose de confortable et qui ne limite pas trop tes mouvements. Même si j’ai bien conscience que tout ça ne rime pas trop avec une robe de soirée.

J’hoche la tête sans répondre. J’ai quand même besoin de son avis; certaines soirées sont très jet set, d’autres plus sobres. Je n’ai pas envie d’être l’objet bling bling qui attire l’oeil, pas non plus envie d’être la petite prude du bateau. Les tissus ici sont tous de riche manufacture de toute façon et je ne sais absolument pas ce que je cherche. Ça me saoule qu’il ait répété plusieurs fois robe; il y a des millions de tenues qui feraient soirée, chic ou vulgaire et dévoilement de peau à base de bodys et de pantalons, de costards décolletés et de chemises légères.
Mais je pars quand même du principe qu’il pèse ses mots et qu’il n’a pas dit robe pour dire tenue. Qu’il aurait dit tenue si il avait voulu dire tenue.

Pas de caillou qui roule dans la pente; je fouille.
Et réalise que je ne sais pas si Cyan est connu de ces sorciers noirs; toujours est-il que je ne le vois pas au bras d’une meuf avec des trucs super extravagants - honnêtement, regardons son costume. Sobre.
Robe décolletée attachée dans le cou, dos entièrement nu, robe assez longue pour couvrir mes jambes mais fendue d’un côté. Idéal pour cacher une lame sur la jambe couverte et des runes, idéal pour être à l’aise car elle n’est pas bustier. Le seul truc qui coince c’est la longueur de la robe mais honnêtement, au dessus du genou et moulant, ça m’aurait empêché de prendre la moindre lame.

On repart avec.
On rentre à l’hôtel.
Et là, il se passe la chose la plus improbable du monde, le gars insiste pour me faire mes cheveux. Genre, normal, genre, c’est un fait. Genre ça va arriver.

Je le laisse faire mes cheveux, ça me fait extrêmement bizarre - je fais toujours mes cheveux, j’ai jamais eu de soirées clichées entre fille, ou de soeur qui sache tresser. Ou de frère du coup.
J’pense à Bleuann Soul et Cyan se glisse dans un costume subitement beaucoup plus humain. Même s’il est tout déchiré.

- Voilà.

Je ne sais pas trop quoi répondre qu’il est déjà en mouvement, tourbillon de tension et de concentration. Moi aussi, je commence à être sous pression. Le jour décline peut à peu et je me routine en me maquillant. Gestes habituels, concentrés, évidents. Rouge à lèvre d’un rouge bordeau foncé et mat, lèvres de velours pour un regard de glace.

C’est joli, ce qu’il a fait des mes cheveux.

Je vérifie mes runes, ma tenue, mes runes encore, mes lèvres, mes yeux, mes runes. « Assure-toi de ne rien prendre qui puisse justifier ton identité » et puis mes runes à nouveau, je passe mon doigt sur le fil de mes lames jusqu’à ce qu’une goutte de sang perle sur chacune, « Te surcharge pas d’armes, t’es vraiment pas censée en avoir à la base », mes lames encore, j’ai envie de me barrer sur la terrasse et juste attendre, « oublie pas de prendre un petit sac et de le remplir de trucs classiques », j’ai envie de l’assassiner ou de lui hurler que je suis pas débile et que chez nous on sait bien les avoir, parce que par ailleurs on gagne la guerre mais je mâche mes mots, je mâche mes dents qui grincent les unes contre les autres jusqu’au coup final « Tous les gens que tu croiseras maintenant ont de grandes chances d’être noirs, alors mieux vaut faire attention à ce que tu dis. » Je lui jette un regard noir et un sourire grinçant. Je suis bien ravie de ne pas être empathe pour ne pas être emportée dans sa tempête. J’ai envie de lui siffler à la gueule « Merci, mec. », je broie mes mots dans mes bouches et puis merde; pourquoi ne jamais m’être dérangée pour dire ce que je pense et maintenant essayer d’être quelqu’un que je ne suis pas ?

- Merci bien.

Ce n’est pas pour chercher la merde ni pour entrer dans un conflit. C’est une action-réaction.
Déjà oubliée car avalée.

La voiture met des plombes à arriver. J’ai mon coeur qui bruisse à mes oreilles lourdement et j’essaie d’ignorer Cyan au possible pour rester concentrée sur la tornade dans mon coeur. Moi je, moi je, moi je. Ne rien laisser déborder, ni volcan ni ouragan. On se calme.

Parce qu’on est acceptés.

On descend de la voiture. J’ai une pochette pendue à mon épaule aux reflets argentés et quinze centimètres sous les pieds. Je sais que si ça chauffe, mes pompes iront rapidement au tapis, mais j’aurais eu l’air bien peu crédible dans une soirée en baskets. Je prends le bras de Cyan, parfaitement détendue maintenant qu’on est dans le grand bain.

Puis faut dire que le costard, ça lui va mieux que les espadrilles et le short de vacancier. Mieux que le col roulé aussi.

Il est ultra bg.

Je passe la langue sur mes lèvres en essayant de jauger la foule assez compacte et visiblement vibrant sur une ambiance assez étrange. On s’amuse et on profite pour montrer à la galerie qu’on s’amuse et qu’on profite. Mais c’est un jeu auquel j’ai déjà joué et je me fonds dans la peau d’une fille sans passé, sans avenir. Juste un présent de poulette à paillette.

Je souris largement. J’espère que mon dos n’est pas trop une trahison à lui tout seul : sec et musclé. Bien loin des physiques qu’on voit ici.
Peut être bien que la poulette à paillettes elle aime l’escalade, qui sait.

- Tu vas me chercher un verre ?

Je bats des records d’allégresse et de légèreté dans ma voix. Tout à fait pas moi; parfait.

C’est important qu’il soit le seul à m’apporter ce que je bois, surtout avant qu’on comprenne qu’il est avec moi ; déjà que les gens de du côté présumé des gentils sont fous, je n’imagine pas comment ça se passe ici.
Mais j’ai déjà été droguée et honnêtement non merci, après t’es tout malade le lendemain, heureusement que j’ai des back-up dans ce soirée de soirées.

Je roule mon nouveau prénom sous ma langue ; il faut vraiment que je me retourne à son appellation. Et que celui de Cyan ne ressorte pas.
Important.

Quelques regards se trainent lascivement sur moi, je sais que la robe - ou le rouge à lèvre ? fonctionne et je me laisse aller à un peu de nonchalance. Comme si je ne savais pas, comme si j’étalais ma peau nue et mon air naïf sans savoir. Ils sont ma peinture et ils se pensent muses.

- Aurais-je l’honneur de vous avoir à mon bras quelques instants ?

Il est banal, mâchoire carrée et un accent prononcé de l’Italie. Regard légèrement sur le côté, puis recentré.

- Vous êtes ?..
- Conquis par votre physique..

JE SAIS QUE C’EST UN MISSION MAIS REVIENT CYAN ME LAISSE PAS LUI CASSER LES ROTULES ÇA NUIRAIT À LA MISSION.
Je suis perdue, est-ce qu'il me drague pour me baiser, pour obtenir des infos, pour quoi au juste ?
Putain.
Alors que je sais qu’au fond tout le monde est là pour jauger, il joue le même jeu que moi, il ne répond pas à ma question, je ne réponds pas à la sienne.

Je passe une main sur mon épaule pour m’empêcher d’effleurer mes lames bien cachées.

Cyan, re, vient. Je ne sais pas jusqu’où j’ai le droit d’aller, si partir à son bras est intelligent ou pas. Peut être que les sorciers noirs ont l’habitude de se prêter leur conquête de la soirée et après lui caler une balle dans la tête. Peut être que je suis une marchandise périmable ; ils savent très sûrement déjà qui sont les « innocents » du lot et qui est fracassable sans respect.

Et pour la première fois de la soirée, je commence vraiment à flipper. Pas parce que je suis entourée de sorcier noirs mais parce que je suppose que n’importe qui pourrait me faire sauter le crâne que tout le monde trouverait ça normal non ?

Beaucoup d’imagination.

Quelques morceaux de vrai ?
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MessageSujet: Re: We didn't come this far just to get this far   We didn't come this far just to get this far EmptyDim 30 Sep 2018 - 16:27


"We didn't come this far just to get this far"


Parfois, il faut savoir provoquer le destin. Tenter des choses qu'on ne tenterait normalement pas, sortir de sa zone de confort et apprécier chaque instant. Parce que ça ne dure jamais


Gérer des groupes ou devoir être une tête de file en mission, ça a jamais été mon grand dada. Je suis aussi bien dans mon coin, avec ma mission propre. Qu'on me couvre, passe encore, tant que je n'ai pas à décider ce que telle ou telle personne devra faire. J'ai déjà eu des apprentis. Plein d'apprentis. Ils n'ont jamais fait long feu, j'ai pas eu la patience pour tout leur apprendre et Rosenrot s'est donc soigneusement attaché à me fournir de la chair à canon. Je sais pas si le message est passé entre temps ou si je me suis fait une réputation chez les newbie, mais maintenant ils sont bien plus autonomes. C'est tout ce qu'on leur demande.

Je parle des apprentis pour justifier mon caractère pleinement invivable, oui je sais. On ferme les yeux comme on peut, à défaut de n'avoir ni la patience ni la volonté de changer. J'ai mille et un scénarios dans ma tête, mille et une réponse toute faite à sortir au cas où les choses tourneraient mal. Je suis dans mon bain, dans mon élément favori, dans mes habitudes et ça m'apaise. Le Cyan que tout le monde connaît est à nouveau là, prêt à poignarder un dos trop tourné, à couper une langue trop bavarde. Même si l'époque faste de la guerre est à présent un peu loin, l'issue actuelle me permet de penser que nous aurons encore plus de pain sur la planche. C'est vrai, j'ai beau râler sur les missions, titiller Rosenrot sur la formulation d'une phrase pour n'en faire que le moins possible, au final, c'est dans un état que je me sens pleinement utile, vivant. Et qu'on ne m'apprécie pas ainsi n'y changera rien. Ça reste moi.

Rhyan a dit qu'elle signait pour un tout, n'est-ce pas ?

- Merci bien.

Je ne la regarde pas. Les nerfs sont déjà tendus, mais la concentration m'empêche de vouloir démarrer un quelconque conflit. Ses deux mots me permettent néanmoins de comprendre le fond de sa pensée, comme une fourchette rayant une plaque de métal. Elle a les dents serrés mais n'explose pas.

Peut-être que j'aurais dû m'excuser.
Mais je l'ai pas fait. J'ai fui lâchement. J'ai préféré poser le moins possible mes yeux sur elle, par crainte d'être déstabilisé ? Je ne vois pas comment je pourrais être déstabilisé. Je sais même pas pourquoi je me dis ça.

Quoi qu'il en soit, nous arrivons finalement sur le bateau. Il y a beaucoup de monde et c'est à la fois une bonne et une mauvaise chose. Beaucoup de témoins mais peu de risques de se faire remarquer. Mais puisqu'il me faudra fatalement aller à leur rencontre à un moment ou un autre, considérons cet amas de monde comme une pénalité.

- Tu vas me chercher un verre ?

Je me tourne assez brusquement vers Rhyan, surpris par son ton de voix. Le bord de mes lèvres se relève très légèrement et un soupçon de moquerie et de surprise passe dans mon regard. Je n'ai pas même le souvenir d'avoir déjà entendu ce timbre de voix alors ça me fait doucement sourire. Et voilà, déconcentration. J'acquiesce et me détache d'elle pour m'orienter vers le bar. Un serveur lambda c'est trop risqué. C'est toujours dans les films qu'on a tendance à voir que les drogues et machins du genre se trouvent dans ces flûtes de champagne. Je ne vais pas pour autant nous limiter à boire des cocktails sans alcool, ce serait louche.

Qu'importe, je m'approche donc du bar plus ou moins désert. Normalement fréquenté dirons-nous, et attend mon tour en m'adossant à ce dernier, les bras croisés, le regard désintéressé. En apparence. Et puis, assez rapidement, je vois apparaître cinq personnes dans mon champ de vision. Non pas qu'il n'y en ai que cinq, mais ces cinq-ci sont d'une importance plus élevée. Ou même trois. Merde. On m'avait dit qu'ils évoluaient seuls et pas plus ou moins accrochés aux bras de dames, tous ensemble.
Et voilà qu'ils s'approchent, en plus, de moi avec un sourire sur le visage. Je réfléchis très rapidement. Suis-je censé les connaître ? Non. La réponse est brutale et précise. Alors, je dévie rapidement mon regard d'eux afin de ne pas me trahir et poursuit nonchalamment mon inspection de la pièce. Je suis près du bar, ils peuvent tout aussi bien s'y diriger. Et le sourire ne m'étais peut-être pas non plus destiné.
Mais ç'aurait été trop facile d'avoir l'air d'une personne banale et de pouvoir les épier d'aussi près.

-Eh bien, eh bien, ce n'est pas souvent que l'Allemagne vient frapper à notre porte. Et ça l'est encore moins lorsqu'on nous ramène une pointure.

Pointure ? Je hausse un sourcil. Dans ce genre d'événements, il est important de peser chaque mot car les noms sont bien souvent falsifiés. Il faut parvenir à se faire comprendre sans les employer ou sans prononcer de mots-clés. Je tourne la tête vers eux et agit de manière toute à fait neutre. Je ne suis pas censé les avoir déjà vu, même après avoir étudié leur dossier de fond en comble. Ça demande un peu d'entraînement de feindre la connaissance, mais on s'y fait rapidement.

-Messieurs, mesdames. Nous sommes-nous déjà rencontrés ?

J'incline légèrement la tête sur le côté. Celui ayant pris la parole le premier -et certainement le plus bavard de tous- semble une fois de plus prêt à s'exprimer.

-Non. Mais vos derniers agissements ne sont pas passés inaperçus. Et puis Al ici présent -il indique du doigt l'homme le plus en retrait et sans compagnie- est captivé par le fait de devoir connaître tout le monde. C'est lui qui vous a repéré en premier.

Le fameux personnage a tout d'un bosseur de nuit. Des cernes marqués, une petite taille mais un corps tout aussi fin. On dirait un enfant, mais ses rides et son regard prouvent sa très certaine maturité. Il a la tête de l'emploi. Il a le regard du sorcier noir aussi. Comparé à lui, l'homme a la langue bien pendue à l'air à des années lumières. Grand, fine musculature, visage angélique, une attitude avenante, il attire plus qu'il ne repousse. Les deux femmes sont d'ailleurs agrippées à chacun de ses bras. Et le troisième est à mi-chemin. Banal. Il regarde sans regarder, focalisé et paradoxalement détendu. Il n'est pas en retrait, pas sur le devant pour autant. Il se fond parfaitement dans son environnement.
Sur ces impressions, je comprends à quel point cette mission pourrait me mener nulle part si je ne me décide pas à poser les bonnes questions dès à présent. Ils sont tous les trois potentiellement incriminables dans leur façon d'être, des choses à cacher.
Le barman m'interpelle et je lui commande deux mojitos. Tandis qu'il les prépare, je réponds tranquillement.

-Je vois. Ravi de faire votre connaissance.

Je tends la main, qu'ils prennent tour à tour. Le plus grand, toujours, m'assène alors immédiatement de questions :

-Alors, qu'est-ce qui vous amène aussi loin de chez vous ? Et sur ce bateau, qui plus est. -il s'approche de moi pour me souffler à l'oreille- Vous savez qu'il y a des membres d'Orpheo ici, n'est-ce pas ?

Je fronce les sourcils, légèrement. Pas de drame, cela peut-être interprété de plein de manières. Pour le moment, mon regard se dirige instinctivement sur l'homme à l'arrière, celui dont la mémoire des visages semble surpasser celle des autres. Peut-être aussi de la mienne. Le barman me tend les deux mojitos. Je m'en saisis pour les poser à mes côtés. Si je leur dis que ma présence s'explique par le fait que je recherche des gens d'Orpheo, la taupe risque de prendre encore plus de précautions. Il faut que je la joue un peu plus fine, quitte à paraître plus idiot que je ne le suis.

-Je suis en vacances. Et oui, je m'en doute mais je ne les ai pas encore identifiés. Vous pouvez me fournir quelques visages ?

Le même, toujours le même, réplique dans un brin de rire :

-Voyons, on ne vous demande pas votre couverture. Vous ne venez pas là par hasard, il...
-Ce ne sont pas vos affaires.

P'tin, il me tape sur le carreau celui-là. À quel moment il a pu croire que j'allais le mettre dans la confidence ? Est-ce qu'il croit que son petit tour du monsieur-je-suis-trop-gentil va fonctionner avec moi ? Désolé, je tombe pas dans le panneau. Je le fusille du regard avec une véritable intensité. Il se met à rire d'une manière gênée en relevant son bras comme il le peut, sur une position défensive. J'y peux rien, je me suis un peu trahi. Il y a des chances que leur regard ne me quitte pas de la soirée. Génial.

-Pardon, pardon. Dans ce cas, nous n'allons pas vous ralentir. Il me semble que votre compagnie attend son verre de mojito. À moins que vous ne buviez pour deux.

Oh mais ta gueule.
Éclair de lucidité. Ils vont me suivre du regard. Est-ce que Rhyan va leur rappeler quelqu'un ? S'ils découvrent qu'elle est d'Orpheo, ce sera quitte ou double. Soit ils m'approcheront plus ou moins vite à trois et se trahiront, soit seul l'un d'entre eux sera incriminé dans cette histoire et les deux autres risqueront d'en dire deux mots à Rosenrot. Il y a plusieurs cas de figure en plus de ces deux extrêmes et j'hésite, sur mon chemin -et après les avoir très rapidement salué-, à me diriger vers une autre femme. Mais non, ça ne ferait que compliquer les choses et me rendre un peu plus louche.
On oublie.

Puis, je parviens enfin à voir Rhyan. Qui semble aux prises avec un homme. Sur la défensive. Je ne sais pas trop pourquoi, mais en l'espace d'une seconde, j'ai juste envie de la libérer de ce lourdaud. Je m'approche alors d'elle et surplombe le gars d'un petit centimètre. Petit centimètre suffisant, psychologiquement parlant. Je ne le regarde pas immédiatement et tend son verre à Rhyan. Passe une main autour de sa taille pour m'en rapprocher et dirige enfin ma personne vers l'homme vraiment, vraiment chiant.

-Excusez-moi ? Je crois qu'elle a pas trop l'air de vouloir vous parler, non ?

Pleure dans les jupes de Satan avant de venir la faire chier.
Et apprends à faire un nœud de cravate.
P'tit merdeux, va.

Il insiste pas. Mon regard ou mes mots, je sais pas, il pars assez rapidement. Peut-être qu'il pense qu'il aura tout le temps d'en trouver une qui sois venue seule. Bah pas celle-là, connard. Va chercher ailleurs. Je me fonds de nouveau dans ma neutralité et pose mes lèvres à quelques centimètres à peine de son oreille. Je souffle :

-J'ai rencontré les trois gars. Ils sont dans ton dos et l'un semble connaître les visages de beaucoup de monde. Ils m'ont reconnu et il est probable qu'ils cherchent à savoir qui tu es et à t'approcher. Il faut qu'on agisse vite. Est-ce que tu reconnais des visages, par hasard ?

Je relève la tête et effectue un rapide tour. Il faut qu'elle fasse attention à elle aussi. Je ne connais pas beaucoup de gens par ici, mais quelques étrangers de notre organisation sont venus. J'en pointe quatre discrètement du doigt et poursuis.

-N'approche pas ces quatre-là. Ils sont de chez nous. J'aimerais éviter qu'il t'arrive quelque chose.

Une manière de dire que quelque part, je pense plutôt quand même à toi. Et si je la préviens de rester à distance de ces gars, c'est aussi parce que je ne pourrais très certainement pas rester constamment avec elle. Et que bon, j'ai quand même quelque chose à lui demander et que je vais pas passer par trente six mille chemins pour le dire :

-On va avoir du mal à rester discret. Je prévoyais pas de te mettre dans l'histoire, mais puisque tu es d'Orpheo il y a des risques pour que ça nous retombe tous les deux dessus. Il faudrait faire sortir la taupe d'une manière ou d'une autre. Soit en essayant de propager une rumeur de ton côté, soit en extrayant des informations sans paraître trop suspect.

Et pendant ce temps-là, je vais tâcher d'occuper les trois minets un peu plus loin. Je prends un risque énorme, même pour les autres sorciers noirs présents, de faire des aller et retour entre les deux camps pour les plus observateurs. Mais c'est aussi à ça qu'on repère les bons agents, non ? Mais après, pour éviter de me décrédibiliser, il faudra... il faudra que je m'occupe de Rhyan. Et pas dans un sens qui me plaise.
On verra ça plus tard. On trouvera une solution. Comme simuler une noyade ou qu'importe. On n'y est pas encore.

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MessageSujet: Re: We didn't come this far just to get this far   We didn't come this far just to get this far EmptyDim 30 Sep 2018 - 18:34


If you're still breathing you're a lucky one
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C’est idiot, mais quand je sens Cyan approcher je sais d’avance qu’il va faire quelque chose d’idiot. Il porte des marques d’agacement - déjà ? - et l’agacement n’entraîne jamais vers de bonnes choses. Sa paume vient contre ma hanche dans un geste autant protecteur que possessif alors qu’il siffle « Excusez-moi ? Je crois qu’elle a pas trop l’air de vouloir vous parler, non ? » et je me retiens de l’envoyer bouler devant tout le monde.
Je sais me protéger quand j’en ai besoin, je sais dire non quand j’en ai besoin. Ouais, j’espérais qu’il m’ouvre une porte de sortie en ramenant un verre. Une porte de sortie polie.

Je secoue la tête alors que l’autre sans va.

- J’ai rencontré les trois gars. Ils sont dans ton dos et l’un semble connaître les visages de beaucoup de monde. Ils m’ont reconnu et il est probable qu’ils cherchent à savoir qui tu es et à t’approcher. Il faut qu’on agisse vite. Est-ce que tu reconnais des visages, par hasard ?

Je n’ai aucune idée de comment réagir. Il ne respecte aucune limite, aucune lien, aucune frontière. Et peut être n'en est-il même pas conscient. Est-ce que je suis censée l’aider, dans, sa, mission ?
Je me fais craquer les phalanges en essayant de trouver une bonne façon de me sortir d’ici. Admettons que je me retourne et que je reconnaisse un gars de chez nous, la taupe, je fais quoi ? Je mets un panneau sur sa tête et je le balance avec joie et amour pour Cyan ? Quelle ironie. Je trempe mes lèvres peintes dans le liquide clair du mojito.

- N’approche pas ces quatre-là. Ils sont de chez nous. J’aimerais éviter qu’il t’arrive quelque chose.

Je reste muette, langue de plomb et yeux d’acier. Je ne sais pas comment l’aider; j’aimerais nous aider sans me salir les pieds. Mais j’ai dis que je le prenais en entier ? Petite Rhyan va se perdre au loin dans la forêt. Je le sais, et j’ai pas bien hâte. Des tas de jurons me viennent dans la tête pour l’idiotie de ma présence ici, mais voilà qu’il assène d’autres maux :

-On va avoir du mal à rester discret. Je prévoyais pas de te mettre dans l’histoire, mais puisque tu es d’Orpheo il y a des risques pour que ça nous retombe tous les deux dessus. Il faudrait faire sortir la taupe d’une manière ou d’une autre. Soit en essayant de propager une rumeur de ton côté, soit en extrayant des informations sans paraître trop suspect.

Je secoue la tête, avale une gorgée de courage. J’éclate de rire pour la galerie avant de lui murmurer à l’oreille, comme une jeune fille en train de flirter :

- Déjà, plus jamais cet éclat de possessivité. Oublie pas, je suis ton bras pour la soirée, t’es pas supposé en avoir quelque chose à taper de moi. Si je quitte la soirée avec quelqu'un d'autre, c'est pas important (ai-je le droit d'en profiter pour le finir dans le caniveau ?). C’est idiot d’attirer l’attention comme ça..

Surtout quand clairement il avait juste à me prendre par la taille en m’emmener plus loin pour marquer que c’était chasse-gardée. J’évite de froncer les sourcils et je regarde un visage amène et accueillant. Vlà là schyzophrénie, ça me casse les couilles d’avoir à jouer un jeu face à lui, mais je sais reconnaître son regard un peu tendu et j’me fais un peu du soucis pour lui.
Parce que si ça chauffe, ça va vite, mais alors vite partir en un bon gros bordel.

- Ensuite, je fais quoi si je le reconnais, hein ? Je le balance ? Je trahis ? Je t'aide ?

Je me recule en souriant. Ni mon visage ni mon corps ne sont raccords avec ce que je suis en train de dire, mais c’est comme ça que ça se joue non ?

- Je suis pas là pour te gêner mais non, on fait courir des rumeurs qui sont fausses pour se protéger. Faire courir une rumeur sur moi reviendrait juste à me balancer. Si ça chauffe pour moi, je veux bien m’éclipser discrètement, mais si je deviens la cible d’un bateau entier avec l’étiquette d’Orpheo sur mon front, crois-moi, c’est un maëlstrom entier qui va engloutir ces gens.

Putain, je devrais pas dire « je m’occupe de distraire bidule » ou « je vais séparer le trio ». Je suis supposée être un bras débile et rester dans mon rôle pour pouvoir encore me regarder dans un miroir demain. Je souffle en essayant de ne pas paraître sincèrement gavée par ma propre personne. J’aurais préféré qu’il prenne un autre bras et qu’il l’égorge dans un ruelle.

Egoïste, Rhyan.

Bon.
Tu peux l’aider sans t’impliquer ?
Je suis contente d’avoir des talons aussi haut pour avoir l’air moins minuscule à côté de lui. Moins indécise.

- C’est pas pressé. Fais-toi des amis et parle de toi, fais comme si t’avais bu, laisse du temps passer. Je suis censée être juste ton bras, alors pavane-toi, partage-moi et attend que tout le monde soit éméché, je laisserai trainer mes oreilles. Le gars que t’as jeté était venu pour avoir des informations aussi ; quand on sait des trucs on général on finit par les répéter et il avait l’air bien informé.

J’évite de me retourner.

- Et puis pas besoin de rester discret. Plus on nous voit, moins on nous cherche.

Je finis le mojito. C’est peut être le moment de se faire payer un verre, mais même dilemme, j’ai pas envie d’être droguée, et si j’envoie Cyan à nouveau dans le même manège, on est pas sortis de l’auberge. Est-ce qu’il tient bien l’alcool ? Est-ce qu’il fume ? On a besoin de s’intégrer, et quand je regarde les gens autour de moi, ils se ressemblent tous, dans un lâché prise faussement orchestré et ridicule. Pourtant tous ont un verre à la main et une femme.
Cyan ne fait pas exception et c’est un bon début. Mais si on veut avoir une chance de faire un double six, va falloir se donner les moyens de faire plusieurs lancers de dés.

Enfin, on.

Cyan.

Tout seul.

Ne nous méprenons pas.
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MessageSujet: Re: We didn't come this far just to get this far   We didn't come this far just to get this far EmptyDim 30 Sep 2018 - 21:21


"We didn't come this far just to get this far"


Parfois, il faut savoir provoquer le destin. Tenter des choses qu'on ne tenterait normalement pas, sortir de sa zone de confort et apprécier chaque instant. Parce que ça ne dure jamais


Y'a peut-être bien un monde entre les humains et les sorciers finalement. Entre les hommes et les femmes, entre Rhyan et puis moi. J'ai fini de déblatérer, tout est soigneusement rangé dans une case, dans un schéma adaptatif, principalement construit pour y faire entrer l'inconnue X, Rhyan. Je sais pas à quoi j'ai pensé après lui avoir pleinement comprendre qu'elle n'aurait pas à agir. Dans mon cerveau focalisé sur la mission, j'ai voulu me saisir du plus de cartes en main, délaissant le côté humain. Comme toujours. Humain.
Sorcier.

Si elle n'avait pas été là, j'aurais préféré prendre mon temps. Attendre une fin de soirée. Je me serais totalement fichu de ce que la dame à sa place aurait fait puisqu'elle aurait fini sa vie en même temps que cette soirée. J'aurais pris moins de risques. Mais je l'ai pris ici, sans me rendre compte à quel point ça finirait par m'affecter. Que mes choix d'en finir, à tout prix et le plus rapidement possible, n'était qu'un reflet pour ne pas nous mettre en danger.
Je me dis que je suis Cyan, que je maîtrise mon temps et mon espace sans me rendre compte que la blonde est déjà si proche et qu'elle a percé au travers de mon imperturbable sérénité.

Et puis ça :

- Déjà, plus jamais cet éclat de possessivité. Oublie pas, je suis ton bras pour la soirée, t’es pas supposé en avoir quelque chose à taper de moi. Si je quitte la soirée avec quelqu'un d'autre, c'est pas important. C’est idiot d’attirer l’attention comme ça..

J'accuse le choc comme je peux et c'est assez lamentable. Mon masque se fissure et j'ouvre de grands yeux ahuris. Deux choses graves. Graves. Vraiment, vraiment très graves. Ça, c'était un éclat de possessivité ? Je m'en rends même plus compte ? Ça se passe comment ? C'est limite si j'entendais ses ondes m'inciter à revenir et voilà ce que je récupère ? Faut que j'arrête d'être possessif. Ben tiens, ça m'apprendra à essayer d'être gentil. Voilà, on sait tous bien que c'est pas dans mon caractère, que y'a rien à charrier de mes débris de sentiments. Et puis elle a raison, elle me rappelle à quel point elle n'a aucun rôle à jouer, réduisant en miettes toutes mes idées. C'est un non déguisé, mais un non certain. Et puis alors, comble du tout, coup de grâce porté à un cœur pas même foutu de s'écouter sauf lorsqu'il souffre, elle me dit qu'on s'en contrefiche de la personne avec laquelle elle finira la soirée. Ou même de la personne avec laquelle elle rentrera. Oui, pourquoi pas. Encore une fois elle a raison, c'est la mission. Et elle la gère mieux que moi. C'est un double coup porté son mon professionnalisme et mes sentiments. Bien sûr qu'on devrait s'en foutre.

Pourquoi j'ai le sentiment que j'arriverai pas à m'en foutre.

J'ai du venin qui monte dans mon œsophage et se concentre dans ma bouche. Si je l'ouvre maintenant, je vais vraiment tout faire foirer. J'ai le regard, mon corps, mon être tout entier posé sur elle, avec l'impression qu'une fissure vient de se propager entre nos pieds. J'aurais pas dû l'amener. Peut-être que la Grèce c'était une bonne idée, mais peut-être que la mission c'était pas le cas. Que j'ai été assez con pour croire que j'allais pouvoir la considérer comme toutes les autres filles avant elle et ne pas du tout m'en préoccuper.
C'est un échec, Cyan.

Un échec.

- Ensuite, je fais quoi si je le reconnais, hein ? Je le balance ? Je trahis ? Je t'aide ?

C'est encore le même problème. Elle est d'Orpheo et lui demander... l'inciter à venir dans un endroit passablement dangereux c'était pas efficace. Et là, en plus d'avoir accepté de fermer les yeux sur mes agissements, je lui demande d'agir pour de vrai. Contre son organisation. J'hésite pas à piétiner les valeurs des autres pour conforter les miennes, pour m'élever un peu plus. Elle me sourit d'une manière tout à fait charmante et je perds le mien. J'ai l'air d'un débutant sur un terrain trop gros, perdu au-delà de son bac à sable. Et elle me semble rayonnante, dans son élément. J'ai la rage au ventre mais bien plus d'affection que je ne le pense.
J'ai envie de lui dire de se taire avant que l'on ne finisse par déclencher quelque chose. Se montrer un peu plus. Marquer nos différences. J'arrive pas à me mettre à sa place, à me dire que peut-être, elle est encore plus stressée que moi, qu'elle a pas envie que ça foire juste parce qu'elle risquerait de crever pour rien. Qu'elle pense peut-être elle aussi que c'était une mauvaise idée de venir ici. Je pense toujours à moi. Et mon moi est sincèrement blessé dans son estime.

- Je suis pas là pour te gêner mais non, on fait courir des rumeurs qui sont fausses pour se protéger. Faire courir une rumeur sur moi reviendrait juste à me balancer. Si ça chauffe pour moi, je veux bien m’éclipser discrètement, mais si je deviens la cible d’un bateau entier avec l’étiquette d’Orpheo sur mon front, crois-moi, c’est un maëlstrom entier qui va engloutir ces gens.

Je fronce un peu les sourcils, pour une raison différente cette fois-ci. Faire courir une rumeur sur elle ? Non. Jamais je permettrais ça. C'est moi qui me suis mal exprimé. Comme il y a des gens d'Orpheo sur le bateau, elle aurait pu leur faire croire qu'une information de la part d'un espion allait être donnée et de fil en aiguille... Mais peut-être ne lui ai-je même pas dit que certains de ses collègues se trouveraient sur le bateau ? Je m'y serais volontiers attelé si j'avais pas les mâchoires durcies par une tension palpable. Si c'est une tempête qui attend le bateau, peut-être bien qu'elle sera pas la première à le déclencher. Voyons qui de nos deux pouvoirs sera capable de faire chavirer un minuscule bateau en pleine mer. Je souffle et ferme les yeux, tâchant de m'accaparer cette tranquillité perdue. J'ai Rhyan qui tourne en boucle dans mon esprit.

- C’est pas pressé. Fais-toi des amis et parle de toi, fais comme si t’avais bu, laisse du temps passer. Je suis censée être juste ton bras, alors pavane-toi, partage-moi et attend que tout le monde soit éméché, je laisserai trainer mes oreilles. Le gars que t’as jeté était venu pour avoir des informations aussi ; quand on sait des trucs on général on finit par les répéter et il avait l’air bien informé. Et puis pas besoin de rester discret. Plus on nous voit, moins on nous cherche.

Je me mords la lèvre. Ne prends surtout pas le risque de dire que je suis en train de tout faire foirer, que j'envoie balader cette mission simplement pour en finir au plus vite, pour que le moins de personne ne puisse nous reconnaître. Que je réfléchis pas avec le bon organe dans cette histoire. Et que c'est, au final, parce qu'elle est là.
J'ai pas besoin d'être sermonné. Surtout pas par elle.
Elle est devant moi et actuellement, je suis plutôt content qu'on ne se touche pas. Mon cœur bat dans mes tempes avec acharnement et résonne dans ma boîte crânienne. C'est vraiment pas le moment de céder à la violence mais j'ai pas été conçu pour autre chose alors c'est compliqué de luter contre une part de moi-même. Rhyan évite soigneusement de me regarder et semble s'intéresser à son environnement. C'est bien. Ça me laisse le temps de digérer... enfin non, d'engloutir ses mots et de les poser quelque part quand j'en aurai besoin. Quand il faudra tuer la taupe, par exemple.

Voilà, on se réapproprie rapidement la mission. J'inspire profondément et laisse tomber la boule dans ma gorge jusqu'au fond de mon estomac. Ça aussi, on le digérera plus tard. J'avale deux bonnes gorgées de mojito et laisse le frisson brûlant me parcourir le corps pour laisser la place à un hiver glacial. C'est bon signe. Je délaisse l'anxiété et la fureur pour saisir l'euphorie. La première phrase qui s'extrait de mes lèvres n'est pourtant pas aussi détachée qu'elle n'y paraît, bien que le ton y soit.

-Oh... Alors tu gérais très bien le gars là. Désolé d'avoir perturbé tes projets. Et bien sûr que tu peux rentrer avec qui tu veux, j'm'en tape. D'ailleurs t'as raison, t'embête pas et profite de la soirée. Après tout c'est ma mission, j'ai dit que j'allais me démerder. Je sais pas pourquoi je te mêle à tout ça.

Même moi j'arrive pas à savoir si ma dernière phrase est ironique ou non. J'suis blessé d'aussi loin que je peux l'être et ça m'étonne que ça se produise dans une circonstance pareille pour, mais alors, rien du tout. J'ai l'air d'un gosse à qui on a promis une sucette à la fin du dentiste et qui au final ne récolte rien. C'est une drôle de manière de se faire rembarrer et je sais que ça n'a rien à voir avec ce qui se produirait réellement, qu'on joue rien que des rôles préfabriqués. Je me suis trop vite pris au jeu et je récolte rien d'autre que mon manque de discernement.

Et ça fait quoi si j'leur dit, à tous, à quel point ils vont prendre cher s'ils te tombent sur le carreau ?
Ça tient qu'à nous de changer les règles d'un jeu aux relations faiblement définies.
Mais tu sais te défendre. J'ai pas mon mot à dire, j'pourrais être un chevalier mais t'es pas une princesse.
Est-ce que le fait de t'appeler comme ça me fait croire que je peux t'être utile et me décharge des immondices dans lesquelles je te fais tomber ?

J'essaye d'avoir l'air blanc dans une armure impeccable alors que j'suis peut-être le plus brisé des deux avec mille âmes sur le dos, sans même m'en préoccuper.

Puisque je suis bon qu'à avoir l'air faux, autant s'y mettre à fond.

-On se sépare, on couvrira plus de surface comme ça. Enfin, dans mon cas déjà, je pourrais plus facilement extraire d'informations de la part des dames. -je regarde ma montre- Le bateau sort du port dans une petite dizaine de minutes et revient dans deux heures. Prenons notre temps, en effet. Ah et, il se pourrait que je ne te l'ai pas dit, mais il se peut qu'il y ait autant d'exorcistes que de sorciers noirs ce soir, en plus des innocents. T'as au moins le choix de te placer sur deux identités si on finit par te le demander.

Pas trois. Ça ne lui viendrait certainement pas à l'idée de se faire passer pour une sorcière noire de toute manière. Je vise son verre vide et le tape doucement contre le mien dans un bruit cristallin avant de terminer le cocktail. Je souris et lui fait un clin d’œil avant de diriger mon regard vers son verre en soufflant :

-Et attention à la drogue.

Les sorciers noirs en sont particulièrement friands, même entre eux. Surtout entre eux. Et l'extérieur du yacht est bien assez grand pour laisser des espaces déserts.

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Rhyan L. James
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MessageSujet: Re: We didn't come this far just to get this far   We didn't come this far just to get this far EmptyLun 1 Oct 2018 - 14:25


CALM DOWN
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Il se mord la lèvre et je l’ai perdu. Il relève un peu la tête, dévoile un instant ses lèvres comme s’il allait dire une immondice cruelle mais non. Il souffle et son visage prend l’air d’un verre poli, plus aucune prise ni aucune émotion, je ne peux plus me rapprocher. Les aspérités qui font qu’il est ce qu’il est se sont lissées; il n’est plus personne.

-Oh.. Alors tu gérais très bien le gars là. Désolé d’avoir perturbé tes projets.

J’incline la tête, prudente. J’essaie de rester les épaules détachées et fluides alors que tout en moi à envie de se crisper. Est-ce qu’il pense vraiment ce qu’il dit ? Désolé ?

- Et bien sûr que tu peux rentrer avec qui tu veux, j’m’en tape.

Je déglutis, la rage mâchée entre les dents. Putain, est-ce qu’il fait exprès ? Je m’en tape ? on parle de la mission là, qu’importe le bras qui me ramène c’est vers toi que je rentre. Mais il ne le prend pas comme ça, n’est-ce pas ?

- D’ailleurs t’as raison, t’embête pas et profite de la soirée. Après tout c’est ma mission, j’ai dit que j’allais me démerder. Je sais pas pourquoi je te mêle à tout ça.

J’ai à cent pour cent envie de faire une scène sur le bateau, utiliser ma colère pour faire l’idiote, lui dire « quoi ? tu m’as trompée avec cette pouffiasse ? » jouer les effaroucher pour lui hurler dessus. Tout ce qui vole en éclat c’est mon masque de meuf à l’aise et enjouée et je baisse les yeux et secoue la tête en reculant de Cyan. J’ai envie de mordre dans un coussin et hurler toute ma vie.

Et le pire c’est qu’il continue, et moi j’ai juste envie qu’on se casse de ce bateau tout pourri. Un coup légers, un coup trop lourds, aucune harmonie ; quel bel équilibre. J’ai hâte qu’on se casse la gueule de ces montagnes russes sur lesquelles on est montés volontairement.

-On se sépare, on couvrir plus de surface comme ça. Enfin, dans mon cas déjà, je pourrais plus facilement extraire d’informations de la part des dames.

Il est sérieux, putain de ses morts, « niania tu m’as rendu jaloux, j’vais baiser dans les chiottes pour aller faire couler ton mascara ». Quelqu’un se rend compte que Cyan a trente-six ans dans l’histoire ?
Est-ce qu’il a déjà eu une meuf ?
Je veux pas savoir. Ça s’est sûrement fini super mal et j’ai pas spécialement envie de retourner dans la spirale.

- Le bateau sort du port dans une petit dizaine de minutes et revient dans deux heures. Prenons notre temps, en effet. Ah et, il se pourrait que je ne te l’ai pas dit, mais il se peut qu’il y ait autant d’exorcistes que de sorciers noirs ce soir, en plus des innocents. T’as au moins le choix de te placer sur deux identités si on finit par te le demander.

Il claque son verre contre le mien, et, me sourit, et, me, fait, un, clin d’oeil.

-Et attention à la drogue.

Et voilà, j’ai juste envie de me jeter du bateau et rentrer en Angleterre à la nage. Autant je pourrais créer des courants qui me feraient avancer super vite et je pourrais réussir. Non ?
Je divise mon temps et mon moi, me coupe en deux pour la galerie, je passe une main sur sa joue en recomposant mon masque avec soin, je lui fais un sourire en penchant légèrement la tête. Tendresse.

- Va te faire foutre.

Je me faufile dans la foule. Attention à la drogue Cyan ? Il aurait pas pu être plus explicite, après avoir pris des milliers de précautions comme si j’étais une attardée, une poupée qu’il fallait protéger, il me jette au milieu des requins en me disant bon courage après m’avoir saignée.
Tu vas devoir sauter en parachute et je vais t’apprendre à déplier un sac plastique.
Merci, mec.
Après, j’suis comme j’suis non ? Tornade qui dit sur le champ ce qu’elle pense avec la rage au dents et la mousse aux lèvres ; comme dans les voitures c’est oublié. Je n’espère pas qu’il vienne s’excuser ou quoi, juste que du temps passe un peu et qu’il refasse sa place autour de moi naturellement, comme s’il avait toujours été là. Parce que c’est ce que je ressens, non ?
Il a toujours plus ou moins été là et je ne suis plus celle que j’étais quand il n’y était pas. J’oublie les autres.

La preuve, il a la pièce non ?

Peut être qu’il va la jeter ce soir ; peut être que c’est déjà fait.

La mer flottille contre la coque avec un rythme régulier, étendue noire et opaque, étrangement silencieuse et sombre en comparé aux lumières, aux rires et aux diamants, aux verres et aux éclats de musique ou de rire. Ce moment dans la soirée où t’as oublié pourquoi t’es venu et t’as vraiment envie d’être ailleurs.

Je m’approche d’un bar ; l’alcool ça aide toujours non ? Je reste attentive à ce qui est mis dans le verre, les glaçons, personne n’y touche et je récupère la vodka glacée du bout des doigts. Je me retourne quand un homme s’approche, petit et fin, un sourire calme et posé sur le bout des lèvres.

- Bonsoir.

J’incline la tête, lui offrant un demi-sourire. Il garde la tête très légèrement penchée en avant et doit lever les yeux pour me regarder ; cela accentue les cernes qui forgent son visage. Sa posture, tout fait de lui quelqu’un de totalement engagé vers moi. Ce qui est rare, on drague comme on rêve normalement, on passe de tout à rien, de rien à tout sans vraiment s’en apercevoir.

- Bonsoir, votre visage m’est familier, on se connait ?

Il hausse les épaules.

- C’est la deuxième fois qu’on me demande ça ce soir, tiens.

Aurais-je fait une bourde ?
Je trempe mes lèvres dans l’alcool qui me brûle la langue. Merveilleuse sensation qui s’étire jusque dans mon estomac avec une langueur qui s’imprime sur mon visage. Ses yeux ne trainent ni dans mon dos, si sur mes seins, ne s’accrochent pas à mes lèvres. Mmh. Peut être est-il venu pour Cyan, et pense l’atteindre ?
Hors de question, bien entendu, hors de question.

- Peut être devrais-je aller rejoindre ceux dont je connais le nom, n’est-ce pas ? Il paraît que le Nom Véritable seul peut invoquer les plus puissants.

La mythologie m’appuie, le Nom Véritable peut ramener Chtulu, un Démon, Satan, Lucifer, peut importe. Qu’apporte l’inconnu ?
Il se fend dans un sourire très étonnant quand on considère l’état d’épuisement qu’affiche son visage. Pourtant ses dents éclairent subitement son visage en entier et atteint ses yeux. Il s’approche de moi et un frisson hurle sur ma peau ; je m’attends presque à sentir une lame dans mon plexus solaire alors qu’il murmure à mon oreille :

- Je suis celui-qu’on-ne-doit-pas-trouver. Vos glaçons sont en train de fondre.

La pop-culture ça marche aussi ; l’instant d’après il a disparu avec un clin d’oeil. J’avale une gorgée, la Vodka a pris un goût acide et terne.
Je ferme les yeux une demi-secondes.

Heureusement que j’ai pas fini cul sec ce putain de verre. Ma gorgée était minuscule, ça ne devrait pas m’atteindre - j’espère - ça serait trop facile sinon, j’ai à peine trempé les lèvres. Je pose le verre sur un rebord mais le yatch déboîte du port au même moment. Les gens font, « wouuuuu » en levant les bras, les verres, les yeux. Belle brochette de connards.
Le bateau tangue un peu, le moteur fait vroum vroum vroum et toute mon empathie pour cerne-man s’est envolée. C’est étrange quand même cette envie de dire ce qu’on sait sans vouloir rien craindre derrière. Je lui dis pour me soulager et après je la drogue pour qu’elle en parle pas ? En plus autant il brouille les pistes, j’en sais rien.

Mais que Cyan se méfie, non ?

Mais j’suis un peu ivre et déstabilisée et ça tangue, et moi j’ai lâchée ma tension sur mon pouvoir qui s’est frayé un petit espace à l’extérieur. Vent, vague, autre vague de « wouuuuuuu », mais quelle bande de trouduc’ sérieusement, et je n’arrive pas à trouver de costard tout foncé avec des cheveux tout clairs.

Nique sa mère le bizzard un peu, il fait pas chaud.

Putain, putain, putain.
J’enferme tout à nouveau, l’énergie déployée me fait chanceler mais immédiatement la mer se lisse. Comprend, Cyan, s’il te plaît. Comprend que j’fais des clapoti-clapota pour te trouver. Sinon je coule le bateau pour t’faire comprendre que faut t’ramener.

Allez, comprend que je fais des vagues pour te ramener.
Parce que je te trouve plus.
Parce que je t'ai perdu.

Une enclume tombe dans mon estomac et je reste un instant à fixer le ciel qui sombre et glacial en espérant que c'est faux, que je manque de discernement. Qu'on ne perd jamais rien, surtout pas la personne à qui on tenait encore la main quelque minute auparavant.

Petit Rhyan n'aurait donc pas encore compris qu'on perd tout pour quelques mots ?
Pour quelques maux ?

Petite Rhyan voudrait juste être trouvée.

Mais peut être que Cyan ne veut pas chercher. Peut être qu'il joue l'indifférent.
Et l'indifférence est un va de faire foutre en tenue de soirée.

Balle au centre.
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MessageSujet: Re: We didn't come this far just to get this far   We didn't come this far just to get this far EmptyLun 1 Oct 2018 - 21:53


"We didn't come this far just to get this far"


Parfois, il faut savoir provoquer le destin. Tenter des choses qu'on ne tenterait normalement pas, sortir de sa zone de confort et apprécier chaque instant. Parce que ça ne dure jamais


Si j’avais le recul nécessaire, je m’excuserais. Je lui dirais franchement que j’ai pas apprécié. Je lui indiquerais le pourquoi et le comment, préciserait par A+B qu’elle compte déjà beaucoup pour moi et que lâcher des mots comme « j’pourrais partir aux bras d’une autre personne », même pour le bien de la mission, ça me fait quelque chose. Je nous trouverais idiots alors peut-être bien que le sourire que je lui lancerais alors sonnerait un peu comme une excuse et qu’on pourrait bien reprendre la mission où elle en était, au calme et serein.

Mais, spoiler alert, j’ai pas le recul nécessaire. J’suis trop fier pour écouter et trop extraverti pour me taire. Alors je lui renvoie son ascenseur balancé du deuxième étage en me plaçant du haut du cinquième. J’ai pas la maturité pour savoir quand m’arrêter alors je m’abaisse jusqu’à tenter de la rendre jalouse. Quand bien même ça ne marcherait pas. Je feins de me focaliser sur la mission, encore et encore.
J’ai fini de lui sourire par politesse et redevient celui que je ne suis pas. Je sais juste qu’elle bouillonne d’envie de partir. Ça se lit facilement, ou bien y suis-je dorénavant habitué. Est-ce une bonne chose ? Mais je ne me laisse pas abattre. Jamais. C’est dommage d’utiliser son énergie pour ça, mais une part de moi en aura toujours pour continuer à débattre avec elle, à s’engueuler la plupart du temps et parfois à s’autoriser des moments un peu moins tumultueux.
Quand bien même ces derniers se comptent sur les doigts d’une main.
C’est peut-être ce qu’on recherche ?

Elle me sourit à son tour et son expression est en parfait décalage avec ses mots.

- Va te faire foutre.

Elle disparaît dans la foule avant que j’ai pu l’attraper par le bras. Et il serait mentir de dire que l’action ne s’est pas déclenchée. Mais je ne l’ai pas même effleurée alors j’ai rapidement remballé ma main dans ma poche. Qu’est-ce que j’aurais bien pu lui dire de toute façon. « Tu me parles pas comme ça » ? J’ai fait mieux quand même. D’autant que sa réplique m’a fait marrer plus qu’autre chose. Au moins, il semblerait que l’on soit toujours capable de s’agacer mutuellement.

Je fais à mon tour volte-face et me dirige de manière aléatoire vers la première personne attirant mon regard. Une personne en retrait, une œillade indiscrète, une onde particulièrement oppressante. C’est comme faire fonctionner un sixième sens. Je récupère deux coupes de champagne gracieusement proposées par un serveur après avoir déposé mon verre de mojito sur son plateau et me dirige vers une personne en arrière-plan. Sa peau halée et son regard perçant soigneusement masqué sous des traits de demoiselle perdue ne me trompent pas. Je me pose directement devant elle et engage les présentations. Elle s’exprime avec un fort accent et semble bien peu sensibilisée à l’anglais. Elle s’exprime bien, mais les hésitations et l’utilisation abusive de descriptions pour qualifier de simples mots me suffisent. C’est un avantage indéniable d’avoir ce genre de personnes sous le coude, car mentir est bien plus difficile lorsque les subtilités de la langue ne suffisent pas.

-Pardonnez-moi de vous questionner ainsi. Cela dit, vous êtes bien pâles, vous souhaitez aller dehors ?

Je ralentis mon flot de questions pour lui proposer cette opportunité. Il commence à faire chaud dans la salle intérieure. Elle me sourit, hésitante et semble chercher quelqu’un dans la foule. Il est probable qu’elle ne soit pas venue toute seule. C’est comme déposer une brebis dans une meute de loup. Même les humains ne feraient pas ça. Cependant, fort de l’absence de cette personne, elle finit par accepter. Nous sortons à l’instant où le yacht se défait de ses liens et rentre ses bouées. On dirait que la houle se lève.

En Méditerranée ?

Nous montons sur le pont et la jeune fille semble fortement apprécier ce nouvel environnement, faisant tomber toutes ses barrières, pour peu qu’elles les aient un jour gardées. Il n’y a presque personne pour le moment, il faut dire que l’air s’est considérablement rafraîchi. Mais tant mieux, ça me laisse le temps d’asséner les bonnes questions. Tandis qu’elle garde le dos tourné, je dépose dans son verre un petit quelque chose. Elle se retourne finalement lorsque je prononce son prénom et je lui tends la coupe. Elle l’accepte, plongée dans sa petite idylle et y porte ses lèvres.
Franchement pas bien compliqué.
Mais voilà que le bateau tangue une nouvelle fois et que dans sa folie du moment, la demoiselle ne laisse échapper la coupe de ses mains. Le machin tombe fort heureusement dans sa direction et tâche sa jolie robe nacrée. Son rêve prend fin dans l’instant mais ce n’est pas pour la robe. Un homme s’approche subitement de nous deux et me propose sans détour de m’éloigner de sa fille. Lui, il a de suite l’air on ne peut plus humain. Qui tâche de se faire grand avec sa grosse voix, un papa qui présente sa fille au grand monde.

Je me suis trompé.

Je redescends sans faire de vague et récolte le bras puissant du vieil homme en tâchant de ne pas me retourner pour l’égorger. Et alors, je vois le petit gars tout cerné sortir à son tour de l’endroit. Il tombe sur moi et semble un instant faire face à un fantôme. Se ressaisit dans l’instant et sort en compagnie d’une femme dont je ne reconnais pas le visage. Elle est simplement très bien habillée et m’offre un sourire charmant. Sourire que je lui renvoie. J’ai le temps de percevoir un « Et puis lui » mais je ne me retourne pas. Et puis moi quoi ? Il y a de nouveau une forte secousse en mer et là, j’ai vraiment l’impression de me retrouver en Atlantique. Les bruits des bouteilles s’entrechoquant apportent une ambiance un peu surnaturelle. Je jette un regard autour de moi pour apercevoir de nouvelles cibles et remarque certains regards clairement tournés vers les sorciers noirs. En tout cas ceux que je connais le sont, ainsi que d’autres personnes qui, par élimination, devraient aussi en faire partie. Ça sent le roussi et en général, j’aurais tendance à partir m’isoler plutôt que de rester au centre de cette salle sous tension.
Sauf que d’un coup, y’a comme qui dirait quelqu’un qui me revient en tête. Rhyan.

Putain, j’étais tellement énervé contre elle que je l’ai complètement extraite de mon cerveau, opération chirurgicale à cœur ouvert. Sur un coup de tête. Mais si l’ambiance tend à se transformer en règlement de compte général, ça va devenir dangereux. J’étais censé identifier une taupe, pas entrer dans un énième conflit entre Orpheo et les quelques sorciers noirs du bateau. Je me rétrécis pour paraître un peu moins présent et me mêle à la foule. Une tête blonde. Une tête blonde.
Où diable est-elle ?!

Je m’approche du bar dans un dernier espoir et la voit, là. Clairement pas fraîche. Clairement pas du tout fraîche que même l’alcool c’est pas censé mettre dans un état pareil. Je m’approche à grands pas et pose mes mains sur ses épaules avec un air inquiet sur le visage. J’ai tellement pas la tête à plaisanter que son nom s’échappe tout juste de mon murmure.

-Rhyan, qu’est-ce qu’il t’arrive ?

Je regarde son verre pas du tout fini non loin et je crache. J’ai pourtant dit qu’il fallait faire attention à la drogue. Fais chier. La prochaine fois, quand elle me dira d’aller me faire foutre, j’ose espérer qu’elle prendra mes phrases précédentes à la lettre. Ça me saoule. Je suis passablement très beaucoup irrité et je gère mon pouvoir comme je peux. Mon visage s’approche un peu plus du sien et je récupère son attention du mieux possible.

-Faut qu’on se barre, tu m’entends ?

Mais alors que je l’empoigne par le bras pour la faire sortir, tout s’arrête en l’espace d’une demi-seconde. Une petite dizaine d’armes s’extraient de leurs fourreaux et pointent en direction des six sorciers noirs visiblement présents à l’intérieur. Autant dire que le résultat est immédiat. Des cris subits, une grande majorité de gens qui s’agenouillent sur le sol ou courent dans tous les sens. Et puis Orpheo, parce qu’il n’y a décidément qu’eux pour parler ainsi aux humains :

-Veuillez rester calme s’il vous plaît et rester à vos places. Nous n’intervenons que pour ces individus.

Les sorciers noirs ne répondent pas. D’ailleurs, la plupart ont lâché leur verre et gardent les mains en évidence. Vu leur peu de distance avec les exorcistes, j’aurais fait de même. A un moment faut pas être con et rester en vie le plus longtemps possible. Le silence retombe plus ou moins sur l’assemblée et je nous ai accroupi en même temps que les autres. Bonne nouvelle, j’ai trouvé la taupe. Mauvaise nouvelle, visiblement les trois étaient dans le coup à en déduire par leur position face à l’un des sorciers noirs. On les sort un à un de la pièce et je songe très sincèrement à me barrer.
Puis je comprends à quel point ça pourra pas se passer comme ça.
Parce que j’suis compris dans la nouvelle équation même si j’étais pas prévu à l’origine. Je sais sincèrement pas comment j’ai fait pour éviter les trois glandus mais on dirait qu’on me cherche pas.

-Il en reste un.

Enfin parle pas trop vite hein. Bon. Il me semble qu’on va devoir employer la manière forte. Espérons que Rhyan soit suffisamment jetée pour pas me tomber sur le poil quand je vais vraiment agir comme un sorcier noir, et pas que dans mon attitude. Espérons aussi que ce blizzard ait été sa création et pas celle d’un élémentariste eau. Ce serait vraiment, vraiment notre fête auquel cas.
J’m’approche de Rhyan, j’lui fais un petit bisou sur le front même si ça n’a aucune logique et je lui souffle un léger :

-Désolé.

Sur ce, je récupère l’arme dans la doublure de ma veste et charge le pistolet. Y’a pas trois milles solutions pour faire flancher les gens d’Orpheo. J’ai 9 balles et un chargeur de plus. 18. J’peux en assassiner 3 pour un sorcier noir. Autant bien le leur faire comprendre. Le bruit du chargeur fait malheureusement un certain bruit et j’attire immédiatement le regard sur moi. Me lève. Abat les trois personnes les plus proches de moi. Deux femmes, un homme. J’crois que je le reconnais. C’est pas le vieux ? Y’a pas sa fille, on dirait.
Les gars d’Orpheo bloqués à la porte me regardent mal mais ça tombe bien, c’est réciproque. J’aime quand on joue selon mes règles.

-On commence le compte à rebours ? Toutes les cinq secondes, j’en abats un de plus si vous ne libérez pas les autres. Et quand le chargeur sera vide, c’est le bateau qui va exploser. Ce qui nous laisse approximativement trente secondes. Prêts ?

Je jette un regard au petit homme tout cerné. S’il me reconnaît, il doit tout aussi bien connaître mon pouvoir, n’est-ce pas ? M’est avis qu’une onde de choc sur un bateau à moteur qui transporte de l’alcool, ça doit faire un joli petit feu d’artifice. Mon regard jusque-là avenant se mue dans un rictus sinistre et je souffle :

-Un.

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MessageSujet: Re: We didn't come this far just to get this far   We didn't come this far just to get this far EmptyMar 2 Oct 2018 - 14:58

RHYAN


I can't die today
I can't afford it.
Personne ne me trouve. Personne ne me trouve jamais, n’est-ce pas, Papa ? Est-ce que t’as au moins cherché ? Faut croire que c’est de famille, moi aussi je baisse les bras et j’abandonne. Torin, je le trouverai jamais. Et Cyan ?

Comment ça, j’ai la drogue mauvaise et l’alcool triste ?

Je finis par m’isoler un peu en essayant de ne pas paraître suspecte. Lame contre ma peau, je rends en deux l’intérieur de ma cuisse, l’oeil hagard. Le sang coule à peine mais la chair s’ouvre en deux. Rune, aide-moi. Je sais qu’elle va pulser avec souffrance et rage mais que d’ici quelques temps, j’aurais les idées plus claires, malgré la fatigue. Je souffle en prenant mon temps, remet la robe sur ma peau mutilée et repose un masque avec douceur sur mon visage.

Des paumes viennent subitement presser mes épaules et je lève les yeux. Mmmh, Cyan, merde. Maintenant que j’attends tranquillement dans mon coin, voilà qu’il me trouve. Si il me fait la morale, je le noie dans la boue. Mais ses mots ne sont pas des sermons et sa voix n’est qu’un souffle.

- Rhyan, qu’est-ce qu’il t’arrive ?

Je recule un peu. J’me sens bien et mal, je sens les os dans mes doigts qui se heurtent contre ma chair à l’intérieur. Je sens mon cerveau qui tape contre les parois de mon crâne. Mais tout va bien.

- Faut qu’on se barre, tu m’entends ?

C’est ça que j’adore avec la drogue. T’es coupé du monde extérieur et il ne peut plus vraiment t’atteindre, à l’intérieur tout est calme. Mes pensées sont claires et déliées, je ne suis ni pâteuse ni abîmée.
Alors oui, Cyan, je t’entends. Je ne sais pas d’où vient cette subite envie qu’il a de partir mais ça pue, ça pue sa mère. Un Soul qui ne se bat pas ? Fierté et ego ?

On va p’t’être y rester.

Il m’attrape pas le bras et me fait mal, ses doigts s’enfoncent douloureusement mais l’ambiance vrille subitement. La rune pulse dans ma cuisse alors que je passe ma langue sur mes lèvres abîmées. La drogue me donne envie de rigoler mais elle n’a jamais été assez forte pour faire tomber tous les interdits que j’ai posé en arrivant sur ce bateau. Je hais ce yatch, et je hais ces gens.

Et je ne suis pas sûre de comprendre ce qu’il se passe.

-Veuillez rester calme s’il vous plaît et rester à vos places. Nous n’intervenons que pour ces individus.

Je sais immédiatement que c’est Orpheo, que c’est la maison, qu’ils sont là pour aider. Qu’ils sont là pour sauver les autres et pas pour faire de la charpie. N’est-ce pas ? Alors pourquoi l’un d’entre eux a-t-il tenté de me droguer ?
Parce que je suis une méchante maintenant ?

J’ai froid, j’ai chaud, je veux rentrer. La drogue ? Oh non, ma conscience qui s’est bien bien bien rattrapée et qui me fait comprendre qu’il est temps de mettre les voiles, que j’ai beau être perdue dans la forêt, il me faut maintenant rentrer.

J’attrape de l’air par goulées désordonnées.

Ses lèvres heurtent mon front comme un marteau. Quoi, maintenant ?

-Désolé.

Je ferme les yeux. Je sais ce qui va suivre et quand j’entends trois détonations, je sais qu’il y a trois cadavres. J’aimerais fermer les yeux et me rouler en boule mais je sais que tout joue contre ma faveur. Tu fais quoi maintenant, Rhyan ? Si tu les défends, ceux d’Orpheo, il auront ton visage, si tu ne les défends pas, ils auront ton visage, tu es sur ce bateau et ta porte de sortie, c’est leur mort. Ta vie vaut-elle celle des autres ? Au pire tu pourrais te faire dénoncer.

Je fous ma vie en l’air et il n’y a pas de porte de sortie, juste des choix qui m’éloignent toujours plus de la simplicité. Qu’est-ce que j’suis conne, j’essaie de jouer sur tous les tableaux en me persuadant que j’ai raison, que je peux rester du bon côté.

Il n’y a pas de bon côté, n’est-ce pas ?

-On commence le compte à rebours ?

J’admire sa façon de redevenir le chien d’attaque bien dressé qu’il a toujours été. Ses muscles roulent sous son costume alors que sa voix a éclaté, claire et assurée. Il est parfaitement à sa place, sorcier noir du tableau qui renverse la guerre.

-Toutes les cinq secondes, j’en abats un de plus si vous ne libérez pas les autres. Et quand le chargeur sera vide, c’est le bateau qui va exploser. Ce qui nous laisse approximativement trente secondes. Prêts ?

Peut être que j’ai juste aucun rôle à jouer dans l’histoire, mais j’sais que si Cyan ne me tire pas dessus, ça sera cramé. Peut être que je devrais juste vraiment bien fermer ma gueule et attendre qu’ils se démerdent.

- Un.

Je ferme les yeux.
Un bruit de détonation, je me redresse un peu et je vois le gars d’Orpheo qui me fait les gros yeux, qui fait des mouvements chelous, et je sais que c’est fini, que je suis reconnue, qu’il pense que je suis sous couverture avec Cyan.

Enfin j’en sais rien.

J’en sais rien mais il fait ce petit sifflement qui veut tout dire, Orpheo ouais ouais, je me redresse et d’un seul mouvement, je passe derrière Cyan et ma lame lui mord la peau. L’adrénaline me scie les veines mais mes mains ne tremblent pas. Je sais bien quelle lame en question coupe Soul mais je m’en fou. Tant pis s’il doit porter un petit pansement pendant une semaine. Parce qu’on va s’en sortir facilement, non ? Facilement.

- Tu peux arrêter de compter.

Ma voix n’est que velours et violence; j’ai parlé assez fort pour que les autres m’entendent.

- On le descend avec les autres.

Je lui feule presque dessus. Pour qui il se prend ce fils de pute ?

- Bien sûr que non. Avec un pouvoir pareil on évite de faire sauter un bateau.

J’ai totalement perdu le contrôle sur mon pouvoir et le vent s’est levé, épuisant, encourageant et totalement grisant. J'ai peur pour Cyan et si ils les mettent tous en bas, si ce sont des conservateurs alors ils les descendront sans procès.

Cool cool cool.

Même si j’ai vraiment, vraiment pas de plan B. Ni de plan A, d’ailleurs. Ma seule chance, c’est que les gars d’Orpheo soient de vrais gentils, que si Cyan me tire dessus, ils se préoccupent de ma survie plutôt d’un Soul qui fuit. Le problème c’est que si ils savent bel et bien que c’est un Soul, ils me laisseront mourir sans se retourner.

Ça ne tient pas debout.

- On rentre au port.

La phrase a claqué comme un ordre, alors que je ne suis en charge de rien du tout. Mais y’a cette petite meuf blonde et brindillarde, perchée sur ses échasses avec une simple lame qui tient un Soul en respect et qui à l’air de savoir ce qu’elle fait.
Alors qu’elle ne sait rien du tout.

On rentre, et je le prends avec moi, on se sépare et c’est fini, sa mission a sauté et c’est de ma faute, j’ai pas laissé mourir des innocents, je me suis pas laissée exposée. Il savait que j’étais d’Orpheo, qu’est-ce que je pouvais faire à part assurer mes arrières ? Je risquais trop gros.

Sérieusement, sa mère la pute de ses morts, on n’en sortira pas vivants.

Les vagues heurtent les flancs du bateau avec violence, tâchant de sang le pont un coup à tribord, un coup à babord. Quatre cadavres, ça saigne pas mal. Allez Cyan, tire moi dessus, tu sais que je te laisserai faire, saute du bateau et envoie l’onde de choc de ta vie. Fou nous à l’eau et puis c’est tout.

Je me rapproche de son oreille.

-Désolée.

Le vent est tellement fort qu’on n’entendrait pas les autres parler. Suis-je capable d’envoyer une tempête, de la pluie et des vagues monstrueuses ?
Honnêtement je ne pense pas.
Mais peut être que j’ai senti une goutte.

Where is my mind ?

Maybe it's in the gutter

Where I left my lover

What an expensive fate.




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MessageSujet: Re: We didn't come this far just to get this far   We didn't come this far just to get this far EmptyMar 2 Oct 2018 - 20:52


"We didn't come this far just to get this far"


Parfois, il faut savoir provoquer le destin. Tenter des choses qu'on ne tenterait normalement pas, sortir de sa zone de confort et apprécier chaque instant. Parce que ça ne dure jamais


Tout était plus ou moins fait pour marcher. Me donner tout du moins une porte de sortie quoi qu’il arrive, avec du sauvetage de noirs par la même occasion. Pourtant, je fais pas dans la charité. On a pas cet espèce d’altruisme entre sorciers qui consiste à sauver son prochain au péril de sa vie. On sauve la sienne puis, en fonction du danger, on estime les chances qu’on a de sauver celle de l’autre. Si y’a un pourcentage négatif, on essaye pas.
Sauve qui peut.

Bref, pour mon sauve qui peut, j’ai besoin des autres sorciers noirs. Je dois suffisamment détourner l’attention d’Orpheo pour que les autres puissent prendre le relais. Après tout, les exorcistes se sont eux-mêmes foutus en embuscade en mettant un groupe d’un côté du bateau et en m’oubliant de l’autre. Bon, certes, ils pourraient juste m’abattre, mais fort heureusement, ils n’ont pas l’air d’être des conservateurs. Sinon, otages ou pas, ils m’auraient déjà fait sauter le crâne. J’estime donc avoir une chance incroyable.
Le canon dirigé vers un énième personnage auquel je ne m’intéresse même pas, je démarre mon compte à rebours. Mes mains vrombissent presque sous la pression exercée par mon pouvoir, mais je le retiens pour la simple et bonne raison que le compte à rebours n’est pas terminé. Il n’y a d’ailleurs rien de mieux que ça pour faire réfléchir les gens. Niveau pression psychologique, ça reste une panacée indémodable.

J’éclate quand même la tête de la personne à proximité, histoire de leur faire comprendre que c’est moi qui gère le jeu et que si besoin, j’en change les règles comme il me chante. J’ai un vide à la place du cœur dans ce genre de situation, mais Rhyan est toujours là pour me rappeler que sans lui, point de vie.
Je suis tellement persuadé qu’elle plane encore quelque part que j’en oublie presque sa présence, entouré dans ma monotonie sorcier noir versus exorcistes. Pourtant, ce n’est qu’une fois collée à moi et une lame sous ma gorge que sa présence me revient parfaitement. Mais alors par-fai-te-ment. J’aurais essayé de simuler la surprise à ce point que j’y serai pas parvenu. Je lâche mon pistolet et mon cœur, bien présent, émet un soubresaut. Surpris ? Ebahi plutôt.

- Tu peux arrêter de compter.

C’est une blague ? Dites-moi que c’est une blague. Je relève lentement, très lentement les mains. Les questions se bousculent à la sortie de mes lèvres mais je suis encore sous le choc. Tout l’hémisphère persuadé d’avoir joué à une vaste blague depuis notre rencontre s’acharne à la considérer comme une traîtresse, appuyé encore par le regard soutenu de l’exorciste au loin. Là, tout de suite, je songe à lâcher l’explosion illico tout autour de moi. Mais heureusement, le moi de l’autre hémisphère parvient à passer au-dessus de l’état confus et atterré pour imaginer autre chose. Cesser de définir une action par A+B mais en acceptant de saisir les nuances.
Grosse nuance ici pour une question de taille : Est-ce que Rhyan est sincèrement en train de me faire croire qu’elle est un espion ? Mais genre, pas du bon côté ?
Oui. Non. J’en sais foutrement rien.

- On le descend avec les autres.

Réfléchis. Réfléchis. La pression sur la lame est forte, un peu trop forte pour être simulée, un peu trop faible pour tuer. Alors quoi ? Je sais pas saisir l’ambiguïté comme les femmes. J’ai des nuances dans mes mots, mais pas dans mes ressentis. Le gris, c’est soit un peu plus noir, soit un peu plus blanc, alors finalement c’est la même chose. Tu vis, tu meurs, point. J’ai pas le temps de répliquer qu’elle lui crache dessus.

- Bien sûr que non. Avec un pouvoir pareil on évite de faire sauter un bateau.

My, my. Cette femme. Je commence à comprendre pourquoi elle me plaît tant. J’ai un sourire léger sur le visage, un peu moqueur, et l’un des exorcistes me répond d’un air mauvais. J’ai toujours aucune idée du futur déroulé de la situation mais ça m’empêche pas d’être un peu plus léger. Enfin, façon de parler, j’ai quand même une lame qui est en train de couper la peau de mon cou à l’instant où mon futur se joue. Y’a un peu de houle et je comprends que miss météo doit être plutôt perturbée. Le problème, c’est que ça tangue et que sa jolie petite lame polie a tendance à faire un aller retour passablement désagréable sur ma plaie. Ça se compte en millimètre, mais justement, ça bouge.

- On rentre au port.

Et maintenant elle aboie des ordres. Dois-je dire à quel point je l’aime ? Si ça se trouve, elle s’est inventé aussi toute une vie pour être avec moi et en fait elle est un peu plus gradé que je ne le pensais. M’enfin, ça tient pas la route, elle a quand même frôlé la mort plusieurs fois sans savoir si j’allais oui ou non la sauver. Elle m’a accessoirement sorti de belles merdes. Trop de risques pour quoi, au juste ? Se dévoiler dans une soirée sans importance, à l’instant où je commence à peine à la faire entrer dans ma vie ? Dans une micro partie de ma vie ?
Ça n’a aucun sens, c’est du bluff total. Il y a trop de variables à faire rentrer pour que tout se soit particulièrement bien déroulé selon un plan. Et Orpheo ne ferait pas tout ça juste pour moi.
Peut-être bien que je m’accroche à quelque chose de faux. Mais tant pis.

Le moment s’étale un peu et je la sens se rapprocher de mon oreille pour me glisser un :

- Désolée.

Bien reçu. Désolé en retour. J’attends que la houle monte un peu plus et un nouveau tangage me fait m’activer. J’abaisse brusquement les bras et lui assène un coup mesuré, très mesuré. Trop mesuré. Dans l’aine afin qu’elle se décide tout du moins à me lâcher. Sa lame me coupe et la plaie commence à saigner un peu plus franchement. J’écarte son bras pour la faire tomber en arrière et relâche une partie de mon pouvoir en le dirigeant pleinement devant moi. Avec le stress, il parvient à passer un peu derrière ma personne mais en nettement moins violent. Les fenêtres explosent de part et d’autre, mais pour avoir soigneusement visé l’avant du bateau et non le bar, ils devraient pouvoir s’en sortir avec une jolie petite propulsion sur deux-trois mètres. Assez pour les distancer. Je m’accroupis pour saisir le revolver bloqué sous mon pied avant l’onde et coure jusqu’à la fenêtre la plus proche. Aperçois Rhyan un peu plus loin et me précipite vers elle. J’ai pas le temps de m’étaler sur les mots ni de les choisir avec tact alors ça sort brut de pomme :

-Saute avec moi ou garde tes pattes à Orpheo. Tu sais où j’habite.

Le bateau coulera pas pour ce que je lui ai balancé. Si elle souhaite garder un minimum de logique auprès de son organisation, le mieux est pour elle de rester. Mais elle risque de devoir s’expliquer. Ou peut-être est-ce que je réfléchis mal. On a pas les mêmes manières de fonctionner. Si j’avais été dans sa situation face à des sorciers noirs, je serais resté et j’aurais feint à merveille mon état. Mais peut-être que l’honnêteté c’est tout ce qui compte par ici. Et puis, comme je l’ai dit, elle sait où j’habite.
Et j’l’embrasse parce que hey, c’est peut-être la dernière fois qu’on se voit.
Et puis parce que j’ai eu envie, ça fait comme dans Titanic.
Avec une eau à 25 degrés.

Enfin espérons, parce que je vais y goutter dès maintenant. J’attends pas plus et passe par une fenêtre pour tomber sur le pont passer les rambardes et plonger après avoir pris une grande inspiration.
C’est pas très chaud.

Pas trop trop froid non plus. Allons aussi loin qu’on le peut sans sortir la tête hors de l’eau si possible.
J’ai raté ma mission mais j’suis vivant donc c’est tout ce qui compte. Enfin raté c’est vite dit, on m’a dit d’identifier la taupe. J’ai trouvé. D’autres sorciers noirs s’en chargeront par la suite. J’irai quand même réclamer mon salaire.

Je nage et je flippe un peu en écoutant quelques balles traverser l’eau. Bah, ils ignorent où je suis et vu la luminosité, je suis dès à présent hors de danger. J’attends d’être hors de portée et sort enfin la tête, prend une grande inspiration. J’suis à bonne distance. Je sais pas où est Rhyan mais je pense que si j’avais eu un sniper là maintenant, je les aurais tous explosés comme des faisans. Mais je vais pas risquer à tirer avec un revolver qui a pris l’eau.

Je m'attarde pas, le sel sur ma blessure est comme une torture. Je nage, encore et encore, ignorant la douleur, jusqu'au port. Ça prend le temps que ça prend mais j'ai perdu le bateau de vue. Je me hisse sur une rampe de secours et tousse. Ma. Vie. Je suis épuisé et plaque mes cheveux en arrière. La douleur du sel sur ma plaie me fait tourner de l’œil et je m'empresse de la runer.
Rune qui ne fonctionne pas. C'est quoi cette blague ? J'ai beau y injecter mon énergie, le machin fait même pas mine de tenter une cicatrisation. Génial. Qu'est-ce que c'est que ça, encore. Elle est où Rhyan ? J'ai beaucoup envie qu'elle s'explique. Chaque toussotement me donne envie de mourir.

Faut rentrer.

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MessageSujet: Re: We didn't come this far just to get this far   We didn't come this far just to get this far EmptyMar 2 Oct 2018 - 22:04


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Cyan vibre comme une batterie en surchauffe. Je ne sais pas si il en a conscience, si c’est juste son pouvoir au bout de ses pattes qui fait tout trembler, mais je sens l’énergie sous sa peau et je ne sais pas combien de temps il va la conserver. Enfin, peut être que ça ne fonctionne pas comme moi, peut être qu’il doit invoquer un pouvoir plutôt que le contenir en permanence. Je ne sais pas.

Je ne sais pas grand chose finalement.

Il me frappe avec une violence contenue, rage muselée et me je plie en lâchant la lame par convenance. Qu’elle est belle notre pièce de théâtre.

Je sais ce qui va suivre mais j’n’y suis absolument pas préparée, les fenêtres explosent et le bateau est soufflé par une onde de choc. Petite onde de choc.

J’ai la gerbe et mon corps est soufflé comme un foetus de paille. Des fois, j’aimerais bien faire deux cent kilos de plus. Mais des pas se rapprochent, je sais plus où j'ai tapé, j'sais plus comment j'm'appelle, je fuis un peu, gênée par mes talons mais c’est Cyan qui me lâche dans le chaos « Saute avec moi ou garde tes pattes à Orpheo. Tu sais où j’habite. », m’embrasse, disparaît. J’enlève mes chaussures fébrilement alors que des coups de feux sont tirés, je récupère ma lame, les sorciers noirs reprennent du poil de la bête, et moi, moi j’ai perdu tout contrôle. Le temps se gâte un peu et je ferme les yeux pour ne pas en mourir. Pour ne pas provoquer de tsunami qui me ferait, littéralement exploser.

Une balle explose mon épaule et la douleur me fait perdre tout raisonnement fondamental. J’happe de l’air mais la seconde d’après je suis dans l’eau noire et sombre.

À L'AIDE.

Je remonte à la surface en battant des pieds et me heurte à quelque chose - la coque du bateau ? - passe à moitié au travers dans la cale pendant une vague, replonge dans l’eau, me tape contre la coque à nouveau.

Je m’enfonce vers le fond et nage le plus loin possible - que c'est contre nature de plonger pour se sauver - avant de crever la surface, littéralement étouffée. Toux, crachat, crachat toux, poumons qui essaient de s’essorer. Mal sa mère. J’ai, mal sa mère.

Le bateau est loin, la plage encore plus. J’ai nagé vers le large.

J’ai l’instinct de survie d’une baleine. Qui après s’être échouée rejoint les siens. Je sais pas qui je suis censée rejoindre mais j’suis bien bien partie. Je reste à surnager quand un rire me monte aux lèvres et j’éclate de rire au son des verres brisés sur le bateau. Je me mets sur le dos sans arrêter de rire pour autant, halo de cheveux blonds autour de ma tête. Rire qui s’arrête quand je me remets à nager. La balle a traversé l’épaule sans trop rien toucher je pense, tissus mous et tissus gras, mais la chair et le sel, c’est vraiment pas la joie.

Ah, et le sang dans l’eau aussi.
Y’a des requins ici ?

Oh mon dieu, y’a des requins ici ?

Jamais nagé aussi vite de ma vie. Ma robe me gêne et je la coupe largement pour en faire une mini-jupe. J’ai vraiment la gerbe, mon estomac se tord dans tous les sens mais je continue. Dans le sens des vagues, c’est plus simple - mais je n’arrive absolument pas à réchauffer l’eau ou à créer un courant. Genre je saurais même pas comment m’y prendre, poule noyée avec un couteau. J'étais bien prétentieuse de penser ça. Quelle petite conne, sérieusement. J'me giflerais bien. Poule noyée complètement conne avec son couteau.

J’ai plus d’téléphone aussi.

J’atteins le port honnêtement des années plus tard. J’ai le temps de passer en revue ma soirée, cette chanson dans ma tête que j’aime bien, penser trente fois aux requins, tenter de nager à un bras pour soulager mon épaule, sans les bras pour soulager et tenir mon épaule, sur le ventre ou sur le dos, en crawl, brasse, crawl, pleurer et rire en même temps, attacher mes cheveux tout salés et

voir

le

bateau

exploser.

Une peur sans nom, irraisonnée et irraisonnable se fraie un chemin dans tout mon corps et l’enserre. Je me remets à nager sans émotions, appliquée à battre des bras, des jambes et du coeur le plus vite possible. J’atteins le port et mets au moins cinq tentatives à me hisser. Je glisse, j'suis toute huileuse comme une otarie et surtout, surtout je tremble de tout mon corps d'épuisement. Mes muscles lancent des décharges comme quand t'as couru trop longtemps et marcher te semble épuisant.

J’ai froid, et tout le monde est sûrement mort.
Cyan ?
Non, j’pense que Cyan a sauté. C’est ce qu’il m’a dit non ? Je me hisse sur la route, soaked in blood. Et j’suis pas la seule sur la rive. Les regards sont choqués et j’ai l’air d’une revenante avec mon maquillage qui a entièrement coulé, blessée et à moitié noyée. Ah ben ouais, forcément.

- Βοηθοί φτάνουν!

D’acc d’acc les gars. Je les regarde avec un air de pigeon, une femme s’approche et je recule en sortant la lame. C’est qui, eux ? Barrez-vous les pecnauds.

Elle recule un peu en montrant ses mains.

- Help ?

Je sais pas quoi faire, normalement je suis du côté des gentils, et y’a d’autres gentils qui disent que tout va bien se passer, et j’ai pas besoin de prendre soin de moi ou des autres et les bateaux n’explosent pas dans mes missions à moi.
C’est moi qui vais exploser putain.

Comment voulez vous que je rentre maintenant sans sac et sans taxi et sans téléphone et sans chaussures ?

J’ai envie de me faire une rune intégrale d’énergie pour pouvoir aller au bout de cette nuit, toute dégueulasse qu’elle est cette nuit, mais je ne peux pas. Mais je bénis la Grèce d’avoir des maisons aussi petites et serrées. En cinq secondes je suis disparue à travers les murs, je passe à travers un petit mur et puis un portail et je m’enfonce dans la ville. J’ai un bon sens de l’orientation, mais de toute façon ils me laisseront pas entrer à l’hôtel.

Je suis vraiment épuisée et je ne sais pas pourquoi, mais j’essaie de penser aux gens qui ont fait la guerre et qui continuaient à marcher parce qu’ils n’avaient pas le choix, aux gars qui faisaient des micros-sommeils de trente secondes à chaque inactivité car le corps poussait le bouton off en permanence. Alors que j’fasse pas ma ptite meuf fragile. Il est temps de rentrer à la maison, pieds nus ou non.

J’me rune le ventre d'une rune de guérison avec mon propre sang d’épaule. Ragoûtant. Les runes anciennes de Simje, si chiantes à apprendre mais tellement plus efficaces.

J’hésite à me runer contre la douleur et puis j’abandonne l’idée.

C’est chiant d’ailleurs, ça pique les pieds, ça pique l’épaule, ça pique l’ego, ça pique le futur et puis j’suis crevée et j’ai, vraiment très froid. C’est l’été et j’me les pèle dans un pays du Sud, sérieusement on est où là ? On est où ? Moi j’vous le demande hein. Pays de gueux, là, tous moches tous cons qui servent à rien, help, ça veut dire quoi help ? Help mes couilles, j’ai l’air d’avoir besoin d’une ambulance ?
Ouais, sûrement. Mais c’est pas la question; en plus mon pouvoir a complètement foutu le camp, j’ai plus rien à mettre sous verroux, parce que j’ai tout donné. Trop donné.

Je pourrais tuer pour un bain et un matelas avec une bouillotte. Une bouillotte en Grèce, en été. Pays de merde, soirée pourrie.

La prochaine fois que t’as des idées comme ça ma ptite Rhyan, tu, te, les, gardes. C’était l’idée de Cyan en plus.
Oh, Cyan.
Vague de peur et d’anxiété. J’accélère le pas, le coeur tambourinant. Soit là quand je rentre s’il te plaît. Soit là, j’ai besoin que tu sois là, j’ai besoin que tu sois là, soit là s’il te plaît.

J’ai envie de pleurer et je sais même pas pourquoi. Comment je débloque.
Comment je ferais mieux d’arriver chez moi.

Peut être qu’Orpheo aura trouvé la chambre d’hôtel d’ailleurs. Peut être qu’ils y sont déjà et que j’vais trouver Cyan mort ou ligoté, que je vais être reconnue et que je vais devoir m’enfoncer plus loin dans les mensonges. Même si ceux du bateau ils sont tous morts de toute façon.

J’arrive aussi épuisée qu’on peut être à l’hôtel alors qu’il était pas si loin. On aurait pu y aller à pieds à l’aller, mais marcher c’est pas chic. Sauver la planète c’est pas un truc de richos, hein. Autant les Soul-super-riches ils prenaient la voiture pour aller ramasser des pommes dans le jardin, qui sait.

J’en ai plein le cul. Honnêtement, j’en ai tellement ras le bol.

L’hôtel est tout éteint, tout tranquille. Grave style sorciers noirs, pas du tout style Orpheo qui aurait déjà évacué la zone blablalablabli blablabalblou. On veut faire les choses bien et du coup une fois sur deux on n’arrive rien à faire du tout. Je les aime bien quand même, mais la justice des fois, c’est pas efficace. Les règlements de compte de mafieux, m’voyez, c’est pas juste, mais super efficace.

J’ose pas escalader la façade au cas où les runes, j’ose pas me présenter à la réception, j’ose pas passer à travers les runes parce que je vais me louper. J’rassemble à une serpillère qui fait floc floc dans une cour.

Mon épaule ne saigne plus, et j’ai séché. Je tamponne les restes de sang, porte mes doigts à mes lèvres, et siffle le plus fort que je peux.

Wesh, y’a quoi.

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MessageSujet: Re: We didn't come this far just to get this far   We didn't come this far just to get this far EmptyMer 3 Oct 2018 - 17:34


"We didn't come this far just to get this far"


Parfois, il faut savoir provoquer le destin. Tenter des choses qu'on ne tenterait normalement pas, sortir de sa zone de confort et apprécier chaque instant. Parce que ça ne dure jamais


Le sel, franchement, c’est pas top. Avouons que même lorsque la mer est translucide, où les coraux fréquente les poissons tropicaux et où l’envie de se baigner est omniprésente, y’a toujours une partie qui se dit « va falloir se sécher après, et les cheveux ils vont coller, et puis le siège de voiture il va être sale, et puis j’aurais ce goût atroce sur les lèvres ». Si la mer et l’océan étaient doux, y’aurait plus de monde dans l’eau, c’est moi qui vous le dit. Donc déjà soit. L’eau salée, c’est pas top. L’eau salée quand on est égratigné, ça pique. L’eau salée quand on a une plaie ouverte, c’est mille fois pire. Mais alors sur le cou en complément, je crois qu’il n’y a rien de pire. C’est à croire que le sel s’est engouffré jusque dans mes poumons après avoir colonisé toute la trachée. Et ça, à chaque respiration.

Mais l’apitoiement dans ce genre de situation n’a pas lieu d’être. J’aurai le temps d’insulter le monde entier une fois que je serai chez moi, en vie. Je pose mes mains sur la bordure bétonnée du port et soulève mon poids additionné à celui des vêtements mouillés pour me hisser sur la terre ferme. Une fois certain d’être à l’abri des regards, je souffle franchement et déclenche une rune de vent. Suffisamment puissant pour me sécher au moins en apparence. Je me retourne mais n’aperçois ni Rhyan ni… le bateau. Il y a tout de même de drôles de nuages à l’horizon.

Je secoue mes cheveux et reprend la route vers la maison. A pied, de toute façon ce n’est pas très loin et je n’ai plus besoin d’agir selon l’étiquette vaguement définie précédemment. J’inspire et me fraie donc un chemin dans le silence de la nuit. Des lampadaires allumés et un vent léger, un peu trop froid même lorsqu’on est mouillé.
J’arrive à l’entrée de l’hôtel et tombe sur le même homme à l’accueil. Il me jauge de bas en haut sans prononcer un seul mot. Tant mieux, j’ai vraiment pas envie de parler. Je le salue à peine, d’un signe de tête banal. Il ne me répond pas et continue à me fixer. Est-ce qu’il est en ligne avec Rosenrot et attend un retour ? Pas de gris une fois encore. Du blanc, ou du noir.

-Tu laisseras rentrer la femme qui était avec moi ce soir.

Traduction : Bah tu peux juste aller te faire foutre et continuer à faire ton boulot. Son expression ne change pas du tout. Il continue à me fixer gravement, avec l’air de ces vieux PNJ qui te fournissent une quête alors que tu évolues dans les égouts depuis un bon quart d’heure. Sauf que celui-ci ne parle pas. Et que cet hôtel a tout sauf l’air d’un égout. Peut-être est-ce sa mine allongée et ses incisives avancées qui me font penser à un rat. Ou bien c’est sa mâchoire inférieure qui est en retrait. J’en sais rien. Il est concrètement pas celui qu’on qualifierait de top model. Mais il fait plutôt bien son boulot, alors c’est tout ce qu’on lui demande. Il soutient un instant mon regard et finit par acquiescer lentement. Un fond sonore de grincement de porte serait parfaitement adapté à son hochement de tête saccadé.

Je récupère les clés, monte à l’étage et rentre dans l’appartement. Je suis pas tellement fatigué mais j’ai pas pour autant envie de me lancer dans un footing nocturne. Franchement, mater un film ou jouer sur une console, ce serait parfait. Mais avant ça. Diable, avant ça, je veux juste me dessaper complètement et jeter cette tenue aux ordures. Je referme ma porte d’hôtel et déverse sur mon chemin jusqu’à la salle de bain chaussures, veste, cravate, chemise, montre, pantalon, chaussettes, calbut. Je passe la porte de douche et ouvre l’eau à fond. Le passage à l’eau chaude est quasi immédiat et ma peau se teinte d’une couleur écrevisse en quelques instants. Une sensation parfaitement contradictoire perturbe mon faciès qui, d’une part, réagit avec joie à la chaleur des gouttes sur le visage et d’autre part, rougeoie de douleur sur la plaie. Qui se réouvre évidemment. L’eau chaude fait fondre le sel, qui s’évacue, qui maintenait plus ou moins la coagulation. Pouf, la blessure est de nouveau toute fraîche. Mais bon, on sait très bien que l’eau de mer, c’est pas trop ça. Les pollutions, le plastique, j’ai beau pas être super intéressé, ça nous martèle pas mal le cerveau que bon, vaut mieux éviter de se blesser avant d’aller piquer une tête.
Manque de pot.

Je supporte encore un instant la douleur après m’être correctement lavé, shampoigné, douché jusqu’à cette sensation de propreté tant nécessaire. Je sors de la douche et m’essuie en tapotant la blessure, qui charge sa couleur sur la serviette blanche. Je dois avoir des bandages dans mon sac. De toute façon, j’ai rien emporté dans la salle alors je passe la grande serviette autour de ma taille et, les cheveux tout mouillés, je sors. Et là, un sifflement.
Mais ce sifflement. Je sais pas, je l’ai jamais entendu mais je serais capable de le reconnaître entre mille. Alors déjà, d’où elle me siffle ? Je suis pas un chien, à ce que je sache. Je râle et fouille rapidement dans mon sac à la recherche de compresses, que j’applique rapidement sur me cou. Je vais devoir crier et ça me saoule à l’avance. Je m’approche du balcon et me penche pour voir Rhyan. Je lui aurais bien fait comprendre qu’elle a pas du tout le droit de me siffler comme ça, mais à observer son état, je me retiens de lâcher une blague et préfère :

-Entre, l’accueil est prévenu et la porte est ouverte.

Et sur ces mots, je disparais. Parce que j’en ai pas fini et je peux pas sortir la chercher dans ma tenue actuelle et il y a toujours mes vêtements qui tentent d’imiter les cailloux du petit Poucet jusqu’à la salle d’eau. Je commence par ramasser ça et le jeter en vrac sur un des fauteuils. Bien. Maintenant, calbut numéro 2, jogging noir et débardeur blanc. Plus classique, tu meurs. Puis, de quoi désinfecter la plaie et deux-trois trucs de pharmacie. J’emporte le tout et referme la porte de la salle de bain derrière moi, enfile les vêtements et me pose très sérieusement devant le miroir. Ok, c’est plus profond que je l’aurais pensé. Je serre les dents au moment de désinfecter à l’alcool. J’ai conscience qu’autant de temps après la blessure, c’est un peu inutile, mais c’est psychologique. J’en ai bien rien à foutre de me rouler dans des crottes en mission si après je peux juste être propre. On a le mode mission et le mode vie de tous les jours. Et les deux son radicalement opposés.

Bref. Comme les runes ne fonctionnent pas, j’évalue les dégâts. Pas besoin de suturer, c’est déjà ça. Sans Olive, ç’aurait été bien compliqué. J’applique la compresse stérile et jauge un instant le scotch et les bandes pour finir par opter pour le premier. Voilà, en deux temps trois mouvements, j’ai un joli gros pansement. Il aurait été moins grave, je l’aurais laissé à l’air libre et j’aurais dessiné deux yeux au-dessus mais comme les runes ne semblent pas être efficaces, on fait moins le malin.

J’entends la porte d’entrée s’ouvrir et je lance à travers la mienne :

-Je te libère la place dans 30 secondes.

Même moins. Je finis de tout ranger, jette les déchets dans la poubelle et ouvre la porte de la salle de bain, frais. Bien, bien frais. Rayonnant presque. Je m’étire et ne manque pas de faire tout de même remarquer, en passant une main sur mon cou.

-C’était joli, sur le bateau. Franchement, quand tu m’as passé la lame sous le cou, j’y ai cru. L’utilisation d’une lame magique, ça par contre…

Je hoche la tête de droite à gauche, mimant une certaine hésitation.
Je suis tellement content d’en avoir fini avec cette mission que je me sens capable de tout oublier. Ça change un homme d’être propre sur soi, c’est moi qui vous le dis. Je devrais juste pas la retenir. D’ailleurs, je passe en retrait de la pièce pour l’inciter à continuer ses affaires malgré ma petite parlotte.

-Et désolé pour ce que j’ai pu dire, là-bas. J’ai tendance à oublier que je suis pas doué pour travailler en groupe.

Sauf avec Olive, mais c’est parce que je le considère pas vraiment comme une autre personne ; plutôt comme un prolongement de moi. Je m’assoie sur le fauteuil et récupère mon téléphone portable pour m’occuper l’esprit le temps qu’elle se change et profite un peu des bienfaits de l’eau. Normalement, y’a pas de soucis d’eau chaude, c’est une chaudière et je suis sorti il y a un certain temps. Vu l’heure ensuite, ça m’étonnerait qu’on sorte, mais on verra bien. Pour le moment, on va faire son gros cas social et jouer au démineur les genoux en tailleur sur le fauteuil.

12 ans d’âge mental.
Même pas capable de commencer par les bases du social par un "comment ça va ?"
On s'ouvre difficilement aux problèmes des autres lorsqu'on a vécu accroché à un jumeau toute sa vie.

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MessageSujet: Re: We didn't come this far just to get this far   We didn't come this far just to get this far EmptyMer 3 Oct 2018 - 19:12


Someone will love you
But someone isn't me
Ahahah.
Il comprend que c’est moi, c’est merveilleux. Genre, je m’y attendais pas, je suis à moitié désespérée et totalement décédée, et il comprend quand je le siffle.

Attaboy !

-Entre, l’accueil est prévenu et la porte est ouverte.

Je passe devant connard n°1 et monte dans l’ascenseur en ahanant. Bouh la vie, bouh. Nulle. Tu es.. nulle.
NULLE.

Quand j’arrive dans la suite royale de Monsieur Soul, au bord de la crise d’hystérie, je ne sens qu’un lourd relent de shampoing et de savon. J’ai incroyablement envie de faire pareil ; j’aurais eu une tige de laurier que je me serai flagellée avant pour m’être auto-mise dans cette situation qui pue la merde. Genre, j’étais obligée de rien dans tout ça, et j’ai tout fait volontairement. Niania la robe et les talons, niania la drogue, niania la balle, niania la baleine noyée pi échouée pi à pieds. Une horreur.

La vie, cette, sale, race.

-Je te libère la place dans 30 secondes.

Je suis bien bien deg de pas avoir de baignoire, j’m’y serais noyée avec joie et prestance. J’aurais pu me laver de ma honte et mes pêchés. Et ma fatigue.

Il sort, tout content. Je vous jure, c’est son expression principale. Il est absolument rayonnant. Oui oui oui. T’as pas l’impression d’avoir allègrement raté la mission ? Non ? Oui ? Je sais pas.
Mais il a l’air content, détendu, et ridicule avec son ptit pansement-de-cou.

Je l'aime bien.
J'pourrais refaire tout ça finalement.

-C’était joli, sur le bateau. Franchement, quand tu m’as passé la lame sous le cou, j’y ai cru. L’utilisation d’une lame magique, ça par contre..

Franchement, moi je jette l’éponge, les noirs ils ont trop des problèmes dans leur tête. « j’ai vraiment cru que tu m’avais trahi, c’était cool » sans aucune ironie, ça choque que moi ? M’enfin, si j’aime autant traîner avec lui c’est sûrement que j’ai ma part de tords hein. Mais wow. Moi ça me va.
Il est super beau, vous imaginez pas, les petits cheveux mouillés et les yeux clairs brillants, je sais pourquoi je signe à cent pour cent.

Il s’efface sur le côté et j’me rends compte que j’ai toujours rien répondu. Rhyan, trente trains de retard.

-Et désolé pour ce que j’ai pu dire, là-bas. J’ai tendance à oublier que je suis pas doué pour travailler en groupe.

Ah donc le mec s’excuse.
En fait c’est lui qui a été drogué, pas moi. Serum de faiblesse inséré dans ses veines ? Il est tout pipou et y’a même pas de couille dans le pâté.

- Ça va.

Je hausse les épaules. Je l’aime bien.

- J’ai, pris, bordel. T’as sauté, et là, tout le monde s’est mis à tirer dans tous les sens, j’me suis pris une balle, je sais même pas de qui, j’suis passée à travers le bateau sans faire exprès, j’me suis à moitié noyée et ensuite tout a explosé.

Je souris.
Peut être que j’ai perdu la boule, moi aussi.

-Mec, t’as, tout raté. Tu sais coudre ? Désolée pour la lame, c’est un cadeau de mon père. C’est chiant hein ? Va falloir attendre, j’espère que ça te laissera pas de cicatrice. Ma couverture a sauté je-sais-pas-comment. C'est sûrement écrit Orpheo sur mon front.


Ça serait dommage.
Pour la cicatrice hein. Pas Orpheo. Orpheo, c'est pas le genre de truc à ressasser maintenant. Comme le fait que Cyan ait abattu des innocents comme ça.

Pan, pan, pan.

Pas que les cicatrices c’est laid ou quoi hein, mais on n’a pas idée d’abîmer Cyan par un tel souvenir. La fois où je l’ai presque égorgé et qu’il a bien fait de pas bouger.

Je file sous la douche. Ma robe n’est plus une robe, j’suis deg je l’aimais bien. L’eau brûlante est entre le délice et l’horreur, ma plaie me fait un mal de chien et je laisse échapper une plainte de chochotte qui m’fait tout de même du bien. Râler, ça reste s’exprimer, et exprimer sa douleur, c’est.. de temps à autre sympa.
Voilà.
Je reste aussi longtemps que je le supporte - la douche se transforme vite en hammam est je supporte mal la vapeur dans les poumons, je déteste ça et je comprends pas à quoi ça sert. Parce que ça sert à rien. Les saunas c’est très bien.
Jme savonne deux fois, me shampouine trois et sort enfin, m’enroule dans une serviette. Immédiatement elle se colore de sang à l’épaule mais je me sens un milliard de fois mieux. J’ai super envie de genre, pizzas, ou de bouffe chinoise, ou de n’importe quoi qui pourrait arriver directement à la porte sans avoir besoin de lever le petit doigt.

Mmmh. Nourriture.
J’ai pas mal envie de dormir aussi. Ça se vaut.
Mes pas automatiques me traînent dans la pièce principal ou Cyan à l’air d’un enfant autiste à qui on aurait donné une mono-tâche.

- Hey.

Je sais pas si je peux me changer comme ça, nature-peinture, parce que je suis pas pudique; mais peut être que lui il est pudique, peut être qu’il est romantique, peut être qu’il a pas envie de me voir pour la première fois à poil comme une gueuse alors que je me change. J’passe un bas de lingerie.

- T’aurais un t-shirt qui craint rien à me prêter ?

Et là - et je l’aurais parié en mille de toute façon - je me sens rougir, et c’est con, j’ai absolument pas envie que mon corps se permette des trucs comme ça, c’est agaçant. J’suis pas gênée, j’suis toute intimidée, subitement. C’est tout; c’est déjà beaucoup. Mais je sens mes joues chauffer et j’esquisse le mouvement pour poser mes doigts sur ma peau ; la douleur me bloque à mi-chemin, et puis j’ai peur d’avoir trop parlé, et je m’entends bafouiller :

- T’aurais un téléphone, ehm, protégé ? Ou neutre ? J’ai un petit coup de fil à passer.

Et je suis là, immense dans la petite chambre, prenant toute la place à trop parler et trop exister, mes bras ballants et mes cheveux trempés, du sang sur le sol et mes mots immenses, mes maux plus grands encore et tout le reste; je recule d’un pas et j’ai subitement envie de disparaître.

Sans savoir pourquoi.

Ptêtre parce que j’y tiens trop, tellement, tellement trop.

- Désolée.

J’ai déballé tout ça rapidement, précipitée et j’sais pas pourquoi j’suis comme ça, exubérante et chiante, je sais pas pourquoi subitement j’me laisse être comme ça, j’me laisse faire ça, j’fais pas gaffe ça se fait pas ça. Mes dents s’enfoncent dans ma lèvre. Je nage dans ma peau et râcle le fond, contre-coup émotionnel qui me noie, je reste là.

Mais c'est déjà ça non ?

Parce que cette fois, je reste là.
Comme ça.

Pan, Pan, Pan.
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MessageSujet: Re: We didn't come this far just to get this far   We didn't come this far just to get this far EmptyVen 5 Oct 2018 - 18:49


"We didn't come this far just to get this far"


Parfois, il faut savoir provoquer le destin. Tenter des choses qu'on ne tenterait normalement pas, sortir de sa zone de confort et apprécier chaque instant. Parce que ça ne dure jamais


On dirait que le fait de m’excuser est une fête à célébrer. En tout cas, c’est ce qui transparaît dans ses yeux. Et je me rends compte après coup qu’effectivement, ça n’a rien de moi de me lancer dans des excuses. Mais j’y peux rien, je me sens bien, Rosenrot ne viendra pas frapper à la porte ni ce soir, ni demain, ni même dans deux jours ou trois. J’suis seul avec elle, et sur le coup, ça me suffit pour être un peu plus joyeux que la normale. J’ai pas envie qu’on commence à se prendre la tête alors peut-être que cache mon côté relou au fin fond d’un tiroir peut-être pendant une heure ou deux. Qu’importe, je m’en rends pas compte. Est-ce que ça va si j’ai juste l’air gentil ? C’est pas mal aussi le calme après la tempête qu’on s’est tapé. Faut pas croire que je suis un affamé de sang dès que je m’ennuie.
Bon d’accord, sans Rhyan ou Olive, je dis pas que les trois jours se seraient pas déroulés sans un ou deux accro. Mais là n’est pas la question.

- Ça va.

Ah oui. Bon ben si ça va… Je m’attendais tellement à une nouvelle tempête que sa petite réponse toute tranquille me laisse sans voix. Je sais d’ailleurs pas pourquoi je m’étais attendu à ça. Ni pourquoi je me suis spécialement attaqué à ne pas la faire chier justement pour pas récolter sa mauvaise humeur. Va falloir que je refasse ma propre psychologie pour savoir où ça commence à partir en cacahuète. Elle hausse les épaules. Va te changer. On dirait qu’elle va tomber. J’irai pas jusqu’à dire qu’elle est faible mais ça se sent qu’elle est à un bout. Un bout de quoi, j’sais pas.
Eh, déjà. Je tiens à faire remarquer que j’arrive à choper des émotions chez les autres. Ce qui est une évolution en soi. Bon, juste pour elle. Ça reste quand même une chose. Bonne ou mauvaise, je vous laisse débattre.

- J’ai, pris, bordel. T’as sauté, et là, tout le monde s’est mis à tirer dans tous les sens, j’me suis pris une balle, je sais même pas de qui, j’suis passée à travers le bateau sans faire exprès, j’me suis à moitié noyée et ensuite tout a explosé. Mec, t’as, tout raté. Tu sais coudre ? Désolée pour la lame, c’est un cadeau de mon père. C’est chiant hein ? Va falloir attendre, j’espère que ça te laissera pas de cicatrice. Ma couverture a sauté je-sais-pas-comment. C'est sûrement écrit Orpheo sur mon front.

Est-ce qu’elle m’a déjà parlé aussi longtemps comme ça, en passant les mots les uns derrière les autres avec une rapidité pareille ? On dirait qu’elle me raconte un résumé de film qui l’aurait bien emballé. Elle sourit et j’ai envie d’exploser de rire. C’est pas du tout drôle, mais cette décharge d’énergie venue d’on ne sais où, c’est trop, le tout sur un bon début de nuit. Bon, et le contenu des paroles est pas mal quand même. Manquer de se noyer pour être passé à travers le bateau, c’est déjà un comble en soi. Et puis, elle est en vie, c’est le principal non ? On peut bien rire d’être passé à côté de la mort si on reste en vie. En plus, on a toujours plus de choses à raconter quand une soirée, une journée, un après-midi ou seulement quelques heures se sont mal passées. Ou pas de la manière qui nous arrangeait. Quand une journée est banale et qu’on pose la question fatidique du « comment s’est passé ta journée ? », on répond par « bien ». Quand en revanche y’a ce chat qui s’est fait écrasé, cette vieille qui a frappé le gosse du coin et ce gars qui a shooté dans le verre du mendiant, tout de suite, on fait un focus dessus et la journée sort de sa routine.

Tout ça pour dire que c’est nouveau pour moi qu’elle s’exprime avec autant de légèreté sur des choses que l’on pourrait qualifier de grave -qui ne le sont que pour les petites natures- et avec un air aussi… intime ? Familier plutôt. C’est comme raconter des potins sur le bord de la route en rentrant de l’école, le sac de dix tonnes sur le dos.

Passons pour la lame. Espérons aussi que ça cicatrise néanmoins, parce que ça n’a pas qu’un but esthétique mon histoire, c’est aussi mon visage de travail. Et si un truc aussi énorme me permet de me différencier de mon jumeau d’un simple coup d’œil, ça peut devenir vraiment problématique. Parce que le masquer avec du maquillage est une chose, mais c’est jamais parfait. Et les runes ont leurs limites.
Je suis à deux doigts de rire.

-Eh, respire. T’es vivante, c’est le principal. Et pourquoi tu me demandes si je sais coudre ?

J’ai pas le temps d’ajouter quoique ce soit qu’elle file dans la salle de bain et moi je reste sur mon téléphone à laisser le temps s‘écouler. J’entends le bruit de la douche et reste focalisé sur mon jeu. C’est quand même bien passionnant comme jeu, le démineur. Les rageux diront que c’est de la chance, moi je dis que c’est de la logique. Un peu de chance aussi. Je laisse un instant le téléphone sur le côté et m’occupe un peu de mes vêtements laissés en abandon à côté de moi. Les armes sont posées anarchiquement sur le tas de vêtements et je profite de ces quelques instants pour nettoyer les lames et le pistolet. L’eau de mer, c’est pas franchement ce qu’il y a de mieux face au métal.
Je termine ça tout en laissant divaguer mon esprit sur tout et n’importe quoi puis me recentre sur mon jeu. J’ai le temps de finir quelques parties et puis…

- Hey.

Je relève la tête. Elle a les cheveux tout mouillés, une serviette pour simple vêtement, teintée de rouge à un endroit. Toujours avec cette allure légère, des membres fins, elle donne l’air d’un joli petit ange qui remonte dans les nuages après s’être pris les gouttes de rosée. Je pensais pas pouvoir faire dans les métaphores, mais en quelques mots, je la trouve juste tellement belle. Y’a une espèce de tranquillité en ce moment que j’ai pas l’habitude de connaître et qui me va. Une sérénité toute douce qui me donne envie de m’envelopper dans du coton. C’est agréable. Je la suis du regard, à l’affut du moindre mouvement et la regarde se rhabiller. Ici ?

- T’aurais un t-shirt qui craint rien à me prêter ?

Elle va sincèrement me faire croire que dans sa valise, elle a pas du tout prévu le pyjama ? Ou peut-être qu’elle dort toute nue. Auquel cas. Well. Pas que ça me dérangerait. Bref. Je bouge pas. J’admire ses petites courbes de ma place avec un regard observateur. Peut-être que ça me donne un air vilain. Je sais pas. En général, je me pose pas trop de questions sur moi-même quand je vais dormir avec une nana. Principalement parce que je me fous de la nana. Principalement parce que je sais ce que j’ai à faire et que ça s’arrête là. Mais là, y’a pas de papier qui me dise quoi faire et je suis loin de me foutre de ce qu’elle pense.

Et puis là, elle rougit. C’est pas la première fois, mais ça reste toujours aussi adorable. J’veux me rapprocher et la voir un peu plus. Qu’elle se dise pas qu’elle doit pas me montrer ça, pour une quelconque raison. Que je sais qu’elle n’est pas frêle comme une princesse mais que j’aime aussi quand elle en a involontairement l’air. Mais peut-être qu’elle se vexerait si je lui disais ça. Elle me donne pas l’air de vouloir être protégée. Elle a vécu par elle-même, c’et une exorciste et elle attend certainement toujours rien de moi.
Je sais pas si j’attends toujours rien d’elle par contre.

J’ai levé le pied et je suis debout. A quelques mètres à peine lorsqu’elle poursuit :

- T’aurais un téléphone, ehm, protégé ? Ou neutre ? J’ai un petit coup de fil à passer.

Je m’accroupis près de ma valise. Une chose après l’autre. Mes mains fouillent à la recherche de quelque chose « qui ne craint pas », donc. Est-ce que je dois continuer à lui lancer des piques parce que c’est comme ça que ça a toujours fonctionné entre nous ou est-ce que je lui réponds sincèrement sans faire de détour, tel que l’homme au premier degré que je suis ? La dernière fois m’a laissé un goût amer. Je dirais pas que j’ai peur de la toucher. J’dirais plutôt que j’ai peur d’agir et de tout foirer.

- Désolée.

Je me relève et évalue ce qui se trouve dans ma main. C’est qu’une manière de détourner mon attention.

-Hm ? Pourquoi tu t’excuses ? Désolé, j’ai plus que mon téléphone, l’autre a fini à l’eau. Mais il y a une cabine téléphonique à cinquante mètres de l’hôtel.

Je relève les yeux et dérive jusqu’à sa blessure avant de l’indiquer du menton, neutre.

-Tu veux de l’aide pour ta blessure, sinon ?

J’ai vraiment, vraiment envie de la toucher. De prendre sa taille et m’approcher de son visage. Juste ça. Juste pour sentir sa chaleur, son odeur, imprimer dans ma tête sa taille et ses courbes, l’épaisseur de ses cheveux. Mais c’est bizarre, comme ça, d’un coup. En plus, elle doit être crevée. J’ai pas le souvenir qu’on ai mangé mais en général c’est pas ma priorité.

Je soulève à hauteur d’épaule les deux tenues et lui lance :

-Je te laisse choisir. Si c’est pour éponger le sol ou en faire de la charpie, prends la chemise s’il te plaît. Si c’est pour porter, les deux iront, même avec deux tâches de sang.

Non parce que même si des deux hauts y’en a un qui ressemble à un t-shirt noir banal et tagué de partout et l’autre à une chemise noire très chic, si y’a à choisir je garderais le t-shirt. La chemise c’était un change au cas où et elle a aucune identité si on peut dire. C’est une chemise chère mais qui sort de la boutique. Le deuxième, tout noir, c’est un t-shirt tagué avec du feutre à tissu, le résultat d’années et d’années à nous bagarrer pour lui. Maintenant, je crois qu’Olive a lâché l’affaire et fait semblant de le laisser traîner pour que je me l’accapare. C’est écrit en allemand, en français et en anglais. Y’a des dessins de runes absolument non fonctionnelles, des têtes qui font des tronches abominables. Y’a des conversations entières ou des concours de la meilleure insulte. Au fil des lavages, il s’est distendu un peu pour s’adapter à nos morphologies mais il est encore en très bon état. En général, je le prends juste pour le prendre parce que je l’ai porté des millions de fois. C’est peut-être ce qu’on considère être un gri-gri.

Pour moi, c’est juste une œuvre d’art.
J’agite les deux vêtements et rit à moitié :

-Y’a pas de piège, tu prends ce qui t’arrange. T’as faim sinon ? Je peux commander un truc pendant que tu passes ton appel. Et tu peux prendre mon manteau si le tien est pas sorti.

Franchement, n’importe quoi. Du moment que c’est chaud et que ça rentre dans l’estomac, c’est le principal. J’ai pas particulièrement faim mais au moins on dormira pas le ventre semi-vide.
J’arrête pas de lui poser des questions ou quoi ?

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MessageSujet: Re: We didn't come this far just to get this far   We didn't come this far just to get this far EmptySam 6 Oct 2018 - 12:09


I hope you'll never be afraid of me
Because the day you are, you'll have to run
Son visage reste relâché et quand il ouvre la bouche, c’est pour lâcher quelques mots qui me semblent précieux : « Eh, respire. T’es vivante, c’est le principal. Et pourquoi tu me demandes si je sais coudre ? » Je lui lâche juste un clin d’oeil et je file sous la douche, entourée d’émotions qui dansent un instant avec moi. Enfin, rien que l’eau brûlante ne saurait laver.

Bref, je sors donc, serviette éponge et cheveux trempés. Il commence à fouiller dans sa valise à la recherche de ma requête, sans faire de commentaire. Parce que c’est le pire, non ? Prétendre se cacher sous un drap que quelqu’un nous arrache en disant : « je ne joue pas. Et je te vois ». Il aurait pu mais ne l’a pas fait.

-Hm ? Pourquoi tu t’excuses ? Désolé, j’ai plus que mon téléphone, l’autre a fini à l’eau. Mais il y a une cabine téléphonique à cinquante mètres de l’hôtel.

Cinquante mètres + l’extérieur, ça me semble immédiatement insurmontable. Je suis ce genre de personne qui n’essaie même pas et qui repousse toujours tout à plus tard. Et ça me va, mais alors, à cent pour cent. Pourtant cette fois je n’ai pas envie de mon épaule me gâche le reste du séjour et j’ai envie d’en avoir rapidement fini. D’ailleurs, son cou, si on va se baigner, ça va vite le saouler. Mais j’y suis pour rien, j’ai sauvé ma peau.

J’aime beaucoup cette expression. Quand on sauve sa peau on sauve ce qui nous maintient comme un ensemble, qui tient tout, couvre tout. J’me souviens bien de cette fois où j’suis restée en vie mais j’y ai allègrement laissé ma peau.
N’est-ce pas ?

-Tu veux de l’aide pour ta blessure, sinon ?

Il reste à quelques pieds de moi, cheveux enfin secs qui retombent mollement devant ses yeux. Je ne connais pas encore toutes ses expressions et ça me gêne un peu de ne pas tout déceler, tout de suite, sans mots. J’ai l’impression d’être un peu coupée de lui mais surtout de moi, de ne pas pouvoir réagir assez vite à ce qu’exprime son visage. Pourquoi ai-je autant envie de me fondre dans le moule ?
D’être celle qu’il a envie que je sois ?

Je fronce les sourcils alors qu’il soulève des fringues. Chemise ou t-shirt ?
T-shirt, voyons.
Mais le t-shirt en question pèse des tonnes de souvenir, il est déformé de son passé.

-Je te laisse choisir. Si c’est pour éponger le sol ou en faire de la charpie, prends la chemise s’il te plaît. Si c’est pour porter, les deux iront, même avec deux tâches de sang.

Je ne suis pas devin mais peut être qu’il prend des pincettes comme moi, qu’il se laisse une porte de sortie pour ne pas qu’on lui soulève son drap. Pour en faire de la charpie Cyan ? J’ai déjà ma robe pour ça.
Ahah.
En vrai j’ai les boules.
Je lève mes yeux fatigués sur lui alors qu’il se met à les agiter en rigolant.

-Y’a pas de piège, tu prends ce qui t’arrange. T’as faim sinon ? Je peux commander un truc pendant que tu passes ton appel. Et tu peux prendre mon manteau si le tien est pas sorti.

Un manteau ?
En été ?
En Grèce ?
Pas un petit gilet ou quoi, il a dit un manteau. Il a un manteau dans sa valise ?
J’attrape le t-shirt et me retourne, fais tomber la serviette en l’enfile. Il sent vraiment Cyan et j’ignore la vague de sensations qui m’électrisent. Je joue à jeu auquel finalement je n’ai jamais joué, maladroite et instable, j’ai jamais compris les règles je crois.

- Merci. J’ai super faim et je verrais après l’appel pour la plaie. C’est peut être là que tes talents de couturier vont m’être utile.

Clin d'oeil.
J’ai faim sa mère, on va être honnête, je pourrais grailler plusieurs kebab d’affilé - j’aime pas trop les kebab, mais admettons des pizzas. Des tacos ? Ou des pâtes ? Ou chinois ?
Je m’en fou sérieusement, j’suis affamée. Une histoire de noyade, de runes et de balle dans l’épaule je crois. Le fait d’être rentrée à pied aussi. Mon estomac se tord alors que j’enfile une paire de chaussettes qui m’arrivent mi-mollets et que je chausse juste une paire de baskets. De toute façon, hein, on va pas se mentir, le t-shirt me fait totalement une robe. Je suis minuscule.
Ça me fait une voile de bateau. Un coup de vent et je suis envolée, c’est moi qui vous l’dit.

Pas de manteau. Entre ça et les cols roulés, y’a quelque chose qui cloche chez ce garçon. Mais c’est cool, ça produit un joli son.

Lame à la cheville, cuter au bras.

Je descends paresseusement de la chambre, passe devant connard n°1 qui ne bronche absolument pas. J’ai toute la fatigue du monde au bout des doigts mais j’adore ce moment d’ivresse d’épuisement, la sérénité se pose sur mes paupières et toute la rage s’évanouit. Peut être parce que je l’ai trop crachée aujourd’hui ? L’impression tenace d’avoir raté ma mission me suit encore un peu. Va falloir que j’apprenne à mon cerveau à dissocier.

Je balance la monnaie dans la cabine. J’adore les cabines. C’est parfait pour hurler dedans, taper contre les vitres, pleurer, attendre que quelqu’un décroche sans jamais que ça arrive. Le potentiel cinématographique de ce truc me sidère.

« - Allo ? (comment il hésite, oh là)
- C’est Rhy.
- Ah.
- J’ai un service à te demander.
- Sans blague. J’pense que le jour où t’as plus rien à me demander, c’est que t’es morte. Contente de savoir que t’es vivante.
- J’ai peut être pris une balle dans l’épaule..
- Mais t’es notée en vacances sur tes dispos..
- ..
- Je veux tellement pas savoir. Bref, la balle. Et ?
- Et je fais comment ?
- Oh mon dieu. Rhyan. J’ai envie de te dépecer vivante. Tu runes toutes les deux heures autour de la plaie. Tu utilises le vieux langage du vent, il marche sur toi.
- Mais sur un plaie ?
- Oui.
- Bon, bon, très bien. Et ?
- Tu peux recoudre, mais si ça a traversé, c’est débile, tu vas juste créer un tube qui va se salir et s’infecter et tu vas mourir.
- ..
- Donc tu runes bien, tu désinfectes souvent et puis tu manges, accessoirement.
- Okay, cool cool, merci mec. J’ai une autre petite question, tu sais la lame runée pour ne pas être soignée ?
- Tu la regrettes ?
- Y’a un moyen d’inverser les effets ?
- Faudrait m’emmener la personne, y’a des chances que je trouve un truc.
- ..
- OH MON DIEU, RHYAN, tu fais toujours n’importe quoi. J’veux pas savoir. Je veux pas savoir. Non, y’a aucune chance que t’arrives à faire quoi que ce soit. Mais si c’est grave, emmène moi la personne. C’est Matt ?
- Quoi ?!
- J’sais pas, les gens savent ça sur toi.
- Non, c’est pas Matt. Merci bien.
- Tu m’dois tellement de services que t’es bientôt officiellement mon esclave personnel. Profite bien de ta liberté, Dobby. 
»

Je reste quelques secondes après avoir raccroché. Je ne sais pas pourquoi il ne me balance pas, pourquoi il ne s’affole pas, pourquoi il ne me juge pas, pourquoi il essaie juste de se garder en sécurité avec mes histoires de merde.
Je rappelle.

« - Ouais ?
- Hé. Merci beaucoup.
- Hé, Rhyan ? Tu vas vraiment, vraiment en baver j’pense bien. Genre ça va t’avaler toute entière et tout ce qui va se passer te semblera plus important que le reste. Ça l’est. Mais quand il te restera plus rien à la fin, ne le reproche à personne et considère ta chance d’avoir eu, quelque chose, un jour, qui compte.
 »

Il raccroche net.
Colère de sa part, malaise de la mienne. Okay, well. Je remonte. Mes émotions ont blanchi sur le brusque retour à la réalité, mais rien qui ne saurait être soigné, par, de, la, BOUSTIFAILLE. Je regrette un peu de pas avoir pris un manteau finalement, je sais bien que c’est la fatigue qui parle, pas j’ai pas chaud du tout.

Je rentre dans la chambre, avec le soupçon de peur. Soit encore là, ne soit pas mort baignant dans ton sang, ne soit pas parti, enfui, pour toujours et à jamais.

- Hey.

J’ai tellement sommeil.

- J’peux rien faire pour ton cou, j’suis désolée. Si vraiment ça te gêne faudra me le dire.


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MessageSujet: Re: We didn't come this far just to get this far   We didn't come this far just to get this far EmptyDim 7 Oct 2018 - 18:49


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Parfois, il faut savoir provoquer le destin. Tenter des choses qu'on ne tenterait normalement pas, sortir de sa zone de confort et apprécier chaque instant. Parce que ça ne dure jamais


Non mais ce regard. C’est quoi le problème avec un manteau pour sortir ? En-dessous de 20°C c’est acceptable un manteau non ? J’ai tendance à m’en foutre pas mal de la mode et tout ça donc à partir du moment où ça suppose de mettre quelque chose par-dessus des habits, c’est un manteau. J’ai l’air un peu ronchon dans un premier temps, jusqu’à ce qu’elle se décide à choisir le t-shirt. Le tissu glisse entre mes doigts et je le laisse s’échapper sans rien dire. Ça me fait curieusement un peu bizarre de me dire que ce vêtement vivra sa première expérience sur le dos d’une femme. Sur le dos de quelqu’un d’autre qu’Olive ou moi. J’ai toujours l’air de ne m’attacher qu’à peu de choses car je perds rarement les choses auxquelles je tiens. Peut-être qu’il compte un peu plus pour moi que je le pensais, ce haut. Elle se tourne et je la suis du regard, l’observe porter ce vêtement bien trop ample pour elle. Laisser tomber la serviette.
J’ai pas les idées claires mais je fais comme si c’était pas le cas. C’est vraiment, vraiment pas le moment de me laisser aller. Elle se rend peut-être pas compte de ce qu’elle fait, mais ça fait quoi de nous, tout ça ? Est-ce que ça va si on y va doucement ou est-ce qu’on brûle toutes les étapes. Si les relations sont systématiquement livrées sans mode d’emploi, celle-ci n’a pas même pas lieu d’être correctement définie. Je crois que pour le moment, je crains un seul mot. Un « non » clair et directif. Alors, j’agis selon mes préceptes : je pose le moins de questions sur ce qui compte et noie le reste dans des phrases bateaux.
P’t’être que t’aurais peur, Rhyan, si tu percevais tout à coup tout ce que je pense sur toi.

- Merci. J’ai super faim et je verrais après l’appel pour la plaie. C’est peut être là que tes talents de couturier vont m’être utile.

Voilà. Des questions banales pour des réponses concrètes. De quoi occuper la tête et museler le cœur. J’ai pas appris ce genre de choses chez les Soul, on nous apprend pas à aimer de toute manière. Mais peut-être que la présence d’Olive m’a permis de garder un semblant d’affection.
Le problème c’est que c’est pas de l’affection ça, c’est une ruche vrombissante au-dessus de ma tête. Menaçante si incontrôlée. Je souris en réponse à son clin d’œil et l’observe disparaître en deux-deux. J’me retrouve comme ça, tout seul dans la chambre. Je ramasse la serviette laissée à terre et remonte lentement jusqu’à la salle de bain pour le déposer sur un porte-serviette. J’ai des gestes lents et désintéressés, plongés et satisfaits de leur travail. J’attrape mon téléphone, parcoure les listes de restaurant pour choisir un truc pas trop chiant et rapidement prêt. Y’a de tout. Pizzas, pâtes, chinois, libanais, turc, même du fast-food américain. Mais je choisis les falafel. Parce que ça remplit bien l’estomac et c’est bon. Et j’en ai pas mangé depuis longtemps. J’ai jamais su d’où venait ces machins mais c’est bon. Visiblement, ils en font dans le libanais. Du coup, je prends tout et n’importe quoi parce que 1. J’suis du genre à tout goûter 2. J’en ai aucune idée des goûts de Rhyan. C’est vrai, j’en ai absolument aucune idée. Elle est végétarienne ? Vegan ? Carnivore stricte ? Quand le mec au téléphone me prend la tête avec les possibles intolérances au gluten ou quoi, je me frustre tout seul. J’en ai aucune idée. Je vis bien, je suis bien en chair et j’ai pas peur de goûter ce qu’on me présente. Mais elle ? Si ça se trouve, elle a un régime super spécial et elle pourra rien manger et j’aurai l’air bien fin. Sauf que ça se fait pas de dire qu’on va rappeler.

Wait.
Depuis quand ça se fait pas ?

A quel moment je me dis que faire du tort à un humain, ça se fait pas ? Mais je m’en branle violent de ce qu’il pense ou pas de moi. Oui, enfin sauf qu’il est censé m’apporter ma nourriture. Bon. Je finis par commander plein de trucs et lui file l’adresse de l’hôtel. Dans 10 minutes, il me dit. J’insiste pas et je raccroche. J’ai oublié le prix qu’il m’a donné pour l’ensemble mais si j’ai pas noté, c’est que c’était pas mirobolant.

Je me relève du lit et file de nouveau jusqu’à la salle de bain. C’est fun, le cou c’est vraiment le dernier endroit agréable où se faire mal. Je suis pas mal limité dans mes mouvements si je veux éviter de me faire mal en fait. Pas que la douleur soit insupportable, à vrai dire elle me gratte plus qu’autre chose. Mais le frottement de la plaie contre le pansement est passablement irritant, sur tous les points de vue. Le scotch c’était sans doute pas fantastique, il maintient pas assez le pansement contre la peau. J’crois que j’ai pas le choix, va falloir me passer des bandes autour du cou. On repassera pour l’aspect esthétique mais bon hein, la seule qui puisse faire une remarque est celle qui est à l’origine de la blessure.
Je m’empresse donc de retirer le pansement déjà bien imbibé pour opter pour des compresses et commence à passer les bandes autour de mon cou, en serrant juste ce qu’il faut. La précision, c’est mon métier, je vais pas me faire un garrot.
A ce moment,

- Hey.

Je passe la tête par la porte de la salle de bain et bloque le bout de tissu dans les tours de bandes. Je bouge la tête un peu plus brusquement pour vérifier la réponse de la plaie et semble déjà un peu plus satisfait. Tout se maintient parfaitement en place. Si Rosenrot se décide à me mettre à la retraite précipitamment, j’aurais plus qu’à devenir chirurgien. Pour sorciers seulement, faut quand même pas abuser.

- J’peux rien faire pour ton cou, j’suis désolée. Si vraiment ça te gêne faudra me le dire.

Le lui dire ? Et après ? Elle va me faire une danse de la guérison ou agiter des feuilles de lauriers autour de moi en parlant une autre langue pour que je guérisse plus vite. Je sais pas pourquoi, mais quand cette image s’invite dans mon esprit, j’explose d’un rire franc et m’empresse de me justifier en passant ma main devant ma bouche :

-C’est bon, j’ai géré le problème. J’aurais bien aimé voir ce que tu aurais fait pour me soulager par contre. Mon esprit s’est engagé dans des drôles d’idées, haha.

Heureusement que j’étais pas en train de boire, parce que je lui aurais tout relâché au visage. Je m’approche de mes vêtements et jette un coup d’œil à la montre. Il devrait plus trop tarder, le livreur maintenant. Elle va tenir jusqu’au repas ? Elle a les yeux qui papillonnent et dans sa tenue trop large pour elle, ça lui donne un air tellement, mais alors tellement adorable. Rhyan, elle me montre des parties d’elle que je connaissais pas et ça me fait sombrer un peu plus. C’est la première fois que je la vois aussi… apaisée ? Pas avec ce sentiment d’avoir trente mille histoires sur la tête et le poids de ses actions derrière elle. Je sais pas depuis quand je fais aussi attention à ses mimiques et je sais qu’il y a encore des milliers de choses à apprendre, mais c’est une sensation vraiment épanouissante. Et plus je m’enfonce, plus j’ai peur de la moindre de ses réactions.
Je sais qu’à un moment, mon élastique va lâcher et ira dans un sens ou dans l’autre. Je peux pas déterminer la voie qu’il prendra alors je prends mille et une précautions, frôlant le game over à chaque nouveau plateau.
C’est angoissant.

Et grisant.

Je m’approche d’elle d’une air radieux et taquin et poursuit, les mains dans le dos.

-Le livreur devrait pas tarder. Tu vas tenir jusque-là ? J’peux te maintenir éveillée, si y’a que ça.

Et je pose mes index successivement sur le bord de ses épaules, son cou et ses joues que je remonte un peu pour tenter un sourire grimace forcé. Comme si je voulais la maintenir debout. Je résiste pas à l’idée de passer une main dans ses cheveux aussi.
Puis j’réalise ce que je viens de dire.

Et là j’la lâche.
Le bateau il coule par tous les trous, capitaine.
Sans jeu de mots.

-Enfin…

J’ai la réaction d’un gamin de 8 ans qu’on vient de prendre sur le fait. J’arrive pas à déterminer si mes pensées profondes sont sorties sans que je leur demande leur avis ou si j’m’auto-censure tellement que le moindre double-sens me paraît être une grosse remarque pataude. Parce que c’est une remarque pataude. On balance pas ça comme ça. Enfin… Ouais, j’oubliais que j’ai une phrase sur le feu. Ouais, le feu. C’est chaud patate, par ici. Sans jeu de mots again. Pitié, tuez-moi. Enfin, non, c’est une expression. J’lui dis quoi ? « J’ai un jeu de cartes si tu veux. » ? Problème numéro 1. J’ai pas de jeu de cartes. Ni même de jeu de société ou de truc qui se joue à deux, concrètement. J’suis un asocial qui vit sur son portable ou aux crochets de Rosenrot. Et j’ai pas vu passer de console par ici, malgré le joli écran plasma.

-J’ai acheté du libanais. Ça te va ?

C’est tout ce qui me passe par la tête. Absolument tout. J’ai enfoncé la porte de sortie qui me restait et j’ai l’air juste bien con. Quand j’me souviens comment ça s’est passé la dernière fois et à quel point on a failli s’étriper, j’me dis que c’est vraiment pas la peine de remettre ça sur le tapis maintenant. A vrai dire, je sais même pas pourquoi j’ai parlé de la maintenir éveillée. J’peux même pas lui chanter de chanson, je sais pas chanter. J’pourrais faire la danse du réveil.
Je sais pas si c’est cette vision qui décidément semble bien marcher sur moi ou si je suis juste complètement gêné, mais j’me remets à rire. Bon, c’est pas le même rire. Celui-là est plus diffus, moins présent. Il a un petit air d’excuse.
J’passe ma main dans mes cheveux. C’était donc définitivement un rire d’excuse.

-Désolé, c’est parce que t’es vraiment trop mignonne dans cette tenue. Mais l’enlève pas hein. Enfin, pas qu'ça me…

Cyan, juste.
Tais-toi.

Y’a un klaxon en bas qui résonne par le balcon.
C’est ce qu’on appelle le klaxon de la libération. Louons un culte au klaxon de la libération. Loué sois-tu, ô toi livreur grec au nom imprononçable, probablement avec une famille et une jolie petite routine bien agencée. Aujourd’hui, tu sauves la vie du pauvre pêcheur que je suis. Répand ton souffle de pot d’échappement et ta puissante voix pour me libérer de mes maux.
Je me suis excusé plus de fois en une soirée qu’en 4 années réunies.

-Ouais. J’vais aller réceptionner. Tu… restes là, hein ?

Stp, prends pas peur. Moi j’attends. J’attends que je tu me répondes. Le klaxon de la libération a sonné, par contre je peux faire patienter le livreur un peu plus longtemps. J’suis pas du genre à m’enfuir. Et j’veux pas non plus qu’elle s’enfuit quand j’aurais le regard tourné. J’ai jamais autant espéré un « oui » dans ma vie. Juste qu’elle reste. Pas plus. Ça me suffit.

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MessageSujet: Re: We didn't come this far just to get this far   We didn't come this far just to get this far EmptyLun 8 Oct 2018 - 15:50


pimpimpim
poum poum poum.
Ce qui va suivre est merveilleux. Mais ce qui arrive là tout de suite est décevant : ça ne sent rien. Il n’y a pas d’odeur de nourriture dans cette chambre et moi, moi j’en salivai d’avance.
Même que Cyan se moque, mais genre vraiment « AH! AH! AH! » comme ça, pour de vrai et je reste genre, okay d’accord, j’ai pas fait de blague, mais si ma merveilleuse personnalité te suffit, tout va bien.

- C’est bon, j’ai géré le problème.

Je remarque seulement là que le gars s’est emmailloté avec une bande. Autant du cou. Genre un ptit collier de soin - on est pas loins de la collerette de la honte, ahah. Non en vrai, c’est vraiment ridicule mais c’est vraiment de ma faute. Même si techniquement c’était de la sienne de m’avoir emmené sur son bateau. D’ailleurs leur taupe, elle doit être tout à fait décédée. Sauf si quelqu’un a un pouvoir de téléportation ou de.. je sais pas. Un truc qui contre les explosions ?

- J’aurais bien aimé voir ce que tu aurais fait pour me soulager par contre. (te soulager ?) Mon esprit s’est engagé dans des drôles d’idées, haha.

Je reste un peu les yeux tout grands telle une chouette qui ne comprend pas tout. C’était une référence sexuelle ça ? Qui t’as fait rire ? Oh my. Mais il s’approche alors que j’ai toujours pas réagit, toute incertaine quant à l’attitude à adopter. Il s’approche, il à l’air vraiment en joie, c’est agréable d’avoir quelqu’un de léger avec soi mais j’aimerais bien pouvoir m’alléger aussi.

On parle de quoi au juste du coup ? Éclaire moi de ta lanterne.
Mais il n’éclaire pas ma lanterne, non non. Par contre il mouche la sienne.

-Le livreur devrait pas tarder. Tu vas tenir jusque-là ? J’peux te maintenir éveillée, si y’a que ça.

Wow, je pars deux minutes et quand je reviens le type il est chaud bouillant comme jamais. Ou alors il s’entend pas parler. Ou alors j’ai l’esprit vraiment pervers mais quand même, y’a des limites, quand un gars de trente ans te propose de te tenir éveillée, bon.
Ou alors le mec c’est Mickey Mouse de chez Disney. Ses mains viennent sur mes épaules et la douleur claque dans ma colonne comme un courant électrique mais je ne bouge pas. Il remonte sur mes joues et là, merveille de la vie.

Réellement, merveille, de, la vie. J’aimerais avoir un enregistreur dans mon crâne pour pouvoir me repasser ce moment en boucle. Jusqu’à la fin des temps.

Il me lâche brusquement alors que dans son regard s’allume la petite flamme du « eh eh eh je viens de comprendre »

-Enfin..

Ses joues s’embrasent - j’pense pas qu’il en ait conscience. Je meurs, sérieusement. Un immense sourire me barre le visage mais je reste sans répondre, le laissant se noyer avec joie. Haha.

Mais c’est pas terminé. C’est ça, le mieux.

-J’ai acheté du libanais. Ça te va ?

Une moue sidérée passe sur mes lèvres, je suis à deux doigts de mourir de rire, d’éclater dans une rigolade immense, mais là, juste là, je me rends compte qu’il n’est pas au fond du trou. Non non. Qu’il a touché le fond mais qu’il utilise encore ses bras pour creuser.

-Désolé, c’est parce que t’es vraiment trop mignonne dans cette tenue. Mais l’enlève pas hein. Enfin, pas qu’ça me|

Et il se tait.
Et ça klaxonne.

Je me mords la joue et les lèvres, les larmes au yeux de tendresse et de rire mêlés.

-Ouais. J’vais aller réceptionner. Tu.. restes là, hein ?

Le rire s’enfonce immédiatement dans mon estomac et mes joues échauffées de l’hilarité reprennent une teinte normale. Sa gêne s’est muée en une sorte de peur malsaine qui je pense, ne disparaîtra jamais entre nous. Parce qu’on pense jouer à deux mais qu’il y a tellement d’autres participants sur ce plateau qu’on ne peut pas les compter. Rosenrot, Croix, ses frères et ses parents, Simje, Shy, les jumeaux, Taki, qui va l’apprendre et qui va essayer de nous enterrer en premier. Et comme j’essaie d’être sincère, je ne me laisse pas répondre « j’partirai plus » ou « je resterai » dans un futur absolu, je resterai toujours et puis c’est tout.
Parce que j’en sais rien, je commence juste à le découvrir, peut être que ça va pas marcher, peut être que je vais pas aimer ce que je vais trouver.

J’ai pas les mots non plus pour plaisante. M’enfin mec, bien sûr que je reste, tu ramènes la bouffe. Voyons.

- Oui.

Tu veux que j’aille où ? Parce que de ce que j’ai appris, je suis toujours là où tu es, que je le souhaite ou pas vraiment. Comme dans la soirée où on s’est fait tirer comme des lapins.
Je sors sur la terrasse, je ferais mieux de dormir. La fatigue me fait baisser toutes mes barrières et, si je suis habituée à ce que les horreurs que je cache sous le planchers refassent surface à la nuit tombée, je n’ai pas envie de m’ouvrir en entier face au Sorcier Noir. Que j’accompagne volontairement.
J’sais pas ce que je veux, comment mon humeur peut-elle sauter aussi facilement ?

On sent la mer d’ici, c’est délicieux. Je prends quelques secondes pour runer tout le tour de la balle à l’avant de mon bras, puis me rend compte que je suis incapable de faire l’arrière mais que j’ai la flemme. Encore plus la flemme de demander. Les tracés pulsent doucement sur ma peau et m’apportent un peu de réconfort. Je sais que j’avais demandé à Tyr de runer la lame pour qu’elle m’apporte sérénité et pouvoir mais quand je la tiens je ne sens rien de réel, j’ai l’impression d’être enfermée dans un sentiment qui ne vient pas de moi. Quand je pense qu’il a essayé de me piéger pour me montrer le passé. Tiens donc.
Enfin bon, quand je vous dis que tout me reviens que j’dors pas, c’est pas glorieux. Reviens avec le manger Cyan, je meurs de faim. J’ai même pas de téléphone pour me distraire.

La porte s’ouvre alors que je suis en tailleur sur le lit, à nouveau envahie par une sérénité fluctuante. Reste avec moi s’il te plaît. Paumes ouvertes sur les genoux, je joue avec les bribes de pouvoir qu’ils me restent. Manière inépuisable de se distraire.

- Hey.

J’ai tellement faim.

- J’peux rien faire pour tou cou, j’suis désolée. Si vraiment ça te gêne faudra me le dire.

Je lui lance un immense sourire.
Oui je me moque. Oui oui. Allègrement.

- Enfin, je te répète ça au cas où t’aies enfin de refaire la conversation de toute à l’heure sans la gêne que t'as brassée.

Je me lève mollement, toujours dans ma voile de bateau volée - et tâché par le sang, désolée - et vient lui voler ses lèvres avec candeur. Simple, sincère, désintéressée.

- Libanais c'est parfait.

L’hilarité me glisse entre les doigts. J’pense que j’ai des problèmes de thyroïde. Ou de bipolarité. C’est lié non ?

- Et peut être qu’on pourra voir après manger pour ces histoires de tenues à garder ou à enlever.

Petit sourire de biais.
En vrai après mangé, si il a le malheur, le malheur de me prendre dans ses bras sur le lit et que j’my sens un poil bien, le combo chaleur + lit + safe place, j’vais dormir instantanément, il va rien comprendre.

Elle est pas incroyablement longue cette journée, dites moi ?
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MessageSujet: Re: We didn't come this far just to get this far   We didn't come this far just to get this far EmptyLun 8 Oct 2018 - 20:39


"We didn't come this far just to get this far"


Parfois, il faut savoir provoquer le destin. Tenter des choses qu'on ne tenterait normalement pas, sortir de sa zone de confort et apprécier chaque instant. Parce que ça ne dure jamais


J’sais pas ce qui me prend. Enfin non. C’est faux. J’sais tout à fait ce qui m’arrive, c’que j’veux mais j’enterre tout sous une montagne de poussière. Ça fait rapidement beaucoup d’épaisseur mais suffit de souffler un peu dessus pour que tout revienne à la surface. C’est peut-être le retour de la douche. J’ai trop forcé sur la chaleur moi qui suis plutôt habitué à me jeter sous la fraîcheur. Qu’on ajoute à ça cette blessure qui m’énerve et Rhyan qui me demande sans trac de lui prêter une de mes tenues. J’y peux rien, y’a un enchaînement de choses qui font que…

Bref.

J’ai les mots qui se mélangent et plus je parle, moins j’ai l’air fier. Mais je continue, parce qu’on m’a appris à ne jamais perdre la face. Sauf que j’la perds violemment malgré tout. Plus ça va et plus c’est pire. Et l’autre, je vous jure, je la vois presque se marrer. Ça ne tient qu’à elle de m’exploser son rire à la figure. J’sais pas sur quel pied danser et je décide donc de me taire, plus sage décision des dernières secondes.
Et puis le livreur.
Et puis j’lui demande de rester.
Quand même.

Y’a un silence.

Non ? Je veux pas l’entendre me dire ça. Je veux pas qu’elle disparaisse comme ça sans dire au revoir ou quoi. J’ai beau l’avoir vu à deux secondes de s’esclaffer, je suis pas foutu de deviner ce qu’elle pense maintenant. On dirait que tout s’est refermé, qu’on est passé d’individus à exorciste et sorcier noir. Voilà, c’est exactement ça. Y’a à nouveau ce fossé qui s’est créé et ça m’effraye de voir à quel point ça peut être long de le reboucher. Si rapide pour le creuser.
J’aimerais bien y couler du béton, la prochaine fois.

- Oui.

Ça me suffit. J’acquiesce silencieusement de la tête et je m’en vais. Je descends les escaliers avec la sensation de lâcher des poids derrière moi. J’ai l’esprit qui se vide comme à chaque fois que je fais un minimum d’exercice. Bouger, ça suffit. C’est terriblement facile. Trop facile. Je me focalise sur cet homme à l’entrée de l’hôtel. Comme une mission. Pourrie, certes, mais ça me suffit pour mettre ces angoisses émergentes sous le tapis. Ça fera plus d’effet qu’un monticule de poussière.

Je réceptionne la commande, paye, vérifie le contenu du paquet et remercie l’homme avec un faux sourire. Il hoche la tête et démarre sa mobylette. Petite mobylette. J’laisse un instant le vent frapper contre ma peau, rêve éveillé. Ma tête se lève pour diriger son attention sur le balcon. Y’a personne ; Elle a fermé la fenêtre d’ailleurs ? J’ai l’impression de rien entendre. En même temps, y’a pas de raison de faire la fête. Et puis, elle avait tout à fait l’air claquée.
J’soupire et je remonte les marches. Normalement, ni trop pressé, ni trop lent. Je pousse la porte du micro appartement et l’observe posée sur le lit, à faire je sais pas trop quoi. Je m’attarde pas trop et m’approche pour poser le repas sur le lit. J’ai la flemme ultime de nous déplacer sur une table ou sur le sofa. Le lit, c’est bien. Les rageux qui dit que c’est sale, je les invite à avoir évité une fusillade et sauté d’un bateau avec le cou à moitié ouvert.
Ensuite, on discutera.

- Hey.

Je relève la tête, déjà bien intéressé par la bonne odeur de nourriture.

- J’peux rien faire pour ton cou, j’suis désolée. Si vraiment ça te gêne faudra me le dire.

Je fronce les sourcils, songeant aux possibilités qu’elle se soit frappée la tête pendant mon absence. On sait jamais, un accident est si vite arrivé. Ou bien je suis dans une boucle temporelle et j’ai une chance de me racheter et refaire l’histoire. Mais j’y crois pas trop même si j’suis dans le monde de la magie, c’est pour dire. Ça pue le traquenard alors je me tais, pour une fois. C’est toujours bien d’attendre la fin de l’histoire avant de partir sur un scénario totalement improbable. Ou bien elle jase. Ouais. A voir le sourire qui s’affiche sur son visage radieux – à se demander où elle est passée, la fatigue – c’est définitivement de la moquerie. Première fois qu’on se fiche autant de ma gueule que maintenant. J’aurais dû prendre du champagne pour fêter ça, tiens.

- Enfin, je te répète ça au cas où t’aies enfin de refaire la conversation de toute à l’heure sans la gêne que t'as brassée.

J’lui lance un regard de spitz nain mouillé. Le genre de chien tout petit qui essaye de soutenir le regard alors qu’il a juste l’air ridiculement rachitique sans sa grosse touffe de poils. Bah c’est pareil, avec un soupçon accusateur, parce que hey, c’est bon, on peut arrêter cinq minutes. Je lève les yeux au ciel pour marquer le début d’agacement et j’manque allègrement d’attention quand elle s’approche tranquille pour me voler un baiser. Pouf, j’oublie tout.
Ah ouais. En fait, c’est peut-être qu’une impression, mais genre elle me mène par le bout du nez un peu là non.

Je demande l’avis de l’arbitre, ce match est on ne peut plus déloyal.
Ma tête se secoue toute seule. Genre j’ai rien demandé.

- Libanais c'est parfait.

Ouais bah j’espère bien parce que le monsieur il est parti. Comment ça, j’suis mauvais joueur. Je savais pas qu’on jouait à quelque chose déjà. Donc voilà.

- Et peut être qu’on pourra voir après manger pour ces histoires de tenues à garder ou à enlever.

J’lui réponds par un sourcil relevé. Genre. Ouais. Ecoute, déjà si t’arrives à finir de manger, ce sera bien. Et après, après seulement on verra. J’dis pas que ça m’intéresse pas, que j’aimerais pas, mais je suis réaliste. Donc on arrête avec ce petit sourire, on arrête de mettre des espoirs comme ça et on mange gentiment. D’ailleurs, j’ouvre le paquet, je chope une cuillère en plastique et un pois chiche et j’m’en sers comme d’un projectile contre Rhyan. Comme je vise bien mais que j’suis pas trop expert en système de trébuchet, je touche son bras au lieu de viser la tête. A si peu de distance, c’est un peu ridicule, mais j’ai surestimé la capacité d’une cuillère en plastique par rapport à l’aérodynamie et le poids d’un pois chiche. Bref, ça l’a touché, c’est le principal.

-C’est tout ce que j’ai à dire.

Et j’me sers. Voilà. Sans plus m’exprimer. Y’a rien à dire de toute façon. On discute de tout et de rien en mangeant. Ça fait drôle, même s’il y a bien des choses qu’on n’aborde pas, conscients dans notre fort intérieur des secrets qu’on devra continuer à garder comme tels jusqu’à ce que l’un des deux choisissent de changer de camp. Et comme ça n’arrivera pas, on sait qu’on part déjà avec un lourd handicap. Parce que les relations ça se base sur la confiance, non ? Limiter les phases d’ombres.
C’est comme ça.
On fait comme on peut, ça durera le temps que ça durera.

Même que la soirée m’a l’air bien terminée quand je me rends compte à quel point j’ai mangé et que j’ai qu’une envie, c’est marcher pour faire descendre tout ça et me pieuter. Ça tombe bien, parce que Rhyan m’a l’air plutôt bien prête à prendre le même chemin. Avec un saut direct jusqu’au lit.

Voilà, ça se termine tout en douceur.

[FIN]

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