Il y a le soleil haut dans le ciel, le vent qui souffle doucement. Le temps était clément en cette douce journée de novembre, sur votre île grecque. Il n'y avait presque pas de bruit, sauf peut-être le son des vagues qui venaient s'écraser contre les rochers, mouraient sur le rivage et retournaient dans la mer, encore et encore. Ce cycle éternel, cette nature indomptée. Paradoxalement, c'est ce que tu aimais le plus, c'est ce qui t'avait le plus manqué dans tes années d'exil. Ça avait beau n'avoir duré que trois petites années, tout ce temps t'avait semblé une éternité, interminable. Tu avais tant perdu ici. La famille, les amours, les problèmes. Partis, disparus, morts sur ce pays, le tien. Il t'a trop arraché, t'as trop écorchée. T'as fait saigner, déchirée plus d'une fois. Mais dans tout ça, n'y avait-il pas eu du bon également ? Si, bien sûr que si. Il t'avait pris, mais il t'avait aussi donné. Donné plus de joie, plus de bonheur que tu ne pouvais l'imaginer.
Et ce bonheur était encore là aujourd'hui.
Il jouait dans l'eau.
Il riait, insouciant.
Tes yeux se posent sur lui, le suivent, le gardent. Ses petites boucles couleur chocolat rebondissent à chaque saut, arrivent à faire fondre ton cœur à chaque fois. On te l'a déjà dit et tu l'avoues toi-même, il y a plus de son père en lui qu'il n'y a de toi. Et même si tu arrives à t'en réjouir, le voir si présent alors qu'il n'est plus ravive constamment cette peine que tu avais prise trois ans à accepter.
À commencer à accepter vraiment.
Tu le savais que l'attachement finirait par être fatal, devait uniquement être feint. Et puis les choses ne se sont pas passées ainsi, et puis s'il est devenu important pour toi, il est resté un dommage collatéral pour beaucoup d'autres. Effectivement, jamais tu n'aurais cru pouvoir aimer. Pas aimer un autre, mais simplement aimer, réellement. Les épreuves furent difficiles, le deuil long, mais tu as appris à pardonner, tu as appris à vivre. Pas seulement pour toi et pour ta santé mentale. Pas pour Rayne, pas pour Orphéo. Tu l'as fait pour ce qui restait d'Oskar, pour ce qu'il restait de ce que vous aviez un jour eu et qui fut vrai.
Pour Ulysse.
« M'man, on va ? »
Tu sursautes, légèrement. Tu n'avais même pas remarqué que tu t'étais perdu dans tes pensées, qu'il était sorti de l'eau avec Rayne pendant ce temps.
« Oui, oui mon cœur, tu as bien joué avec Rayne ? »
Il hoche de la tête, te regarde avec ses grands yeux bleus, les tiens. Voilà bien la seule chose qu'il ait de toi. Ça et sa magie qui ne s'est pas encore montrée. Tu n'es pas impatiente cependant, tu préférais presque qu'il ne soit qu'humain. Être un mêlé n'a jamais été simple, a toujours été dangereux. Et même si tu fais tout pour l'éduquer et le protéger, tu ne sais pas ce que réserve ce monde. Même ton don de voyante ne peut prévoir un si lointain avenir. Mais jamais tu ne cesseras de protéger ton enfant.
Envers et contre tout, et contre tous.
« Maman a un voyage très important ce soir, je veux que tu sois sage et que tu obéisses à Ra' et à ta tante Anthéa, d'accord ? »
Tu le portes, le serres dans tes bras. Si ça ne tenait qu'à toi, jamais tu ne partirais sans lui, jamais tu ne le laisserais. Mais cette fois la mission était beaucoup trop importante pour que tu la refuses, elle te touchait de beaucoup trop près. Après tout, c'est la faute de sa femme si tu avais perdu ton premier fils. C'est la tienne s'il avait perdu sa femme.
Une vie pour une vie, n'est-ce pas.
Mais le sang réclame encore plus de sang.
Une compensation.
Tu comptais bien lui faire payer aussi.
Le jour suivant.
Tu te retrouves de nouveau à Londres. Cette ville aussi a connu bien trop de choses, a trop vécu. Tu entretiens cette relation d'amour-haine avec elle. Un peu bittersweet. C'est ici que tu l'avais croisé la dernière fois, l'étalon. Enfin, croisé n'est peut-être pas le bon mot. Après tout, cette petite mésaventure avait bien failli te coûter ta place. Oui malheureusement, lorsqu'on n'est pas si important que ça chez Orphéo la moindre connerie peut entacher sévèrement un dossier, terminer ta carrière. Peut-être que tu aurais dû devenir Directrice, il paraît que c'est si simple de monter dans la hiérarchie lorsque l'on sait quelles bottes lécher.
Tous les mêmes au final.
Toi il te fallait plus.
Et moins.
Il te fallait ce que tu n'arrivais toujours pas à t'avouer réellement.
Alors, jusqu'à ce que tu réussisses tu as continué comme exorciste et ce soir tu étais l’appât. Assise au comptoir de ce bar dans ta robe noire, tes cheveux naturellement détachés et tes lèvres rouges, tu attendais le poisson qui mordrait à l'hameçon.
Ce gros poisson noir.
Tu te retrouves de nouveau à Londres. Cette ville aussi a connu bien trop de choses, a trop vécu. Tu entretiens cette relation d'amour-haine avec elle. Un peu bittersweet. C'est ici que tu l'avais croisé la dernière fois, l'étalon. Enfin, croisé n'est peut-être pas le bon mot. Après tout, cette petite mésaventure avait bien failli te coûter ta place. Oui malheureusement, lorsqu'on n'est pas si important que ça chez Orphéo la moindre connerie peut entacher sévèrement un dossier, terminer ta carrière. Peut-être que tu aurais dû devenir Directrice, il paraît que c'est si simple de monter dans la hiérarchie lorsque l'on sait quelles bottes lécher.
Tous les mêmes au final.
Toi il te fallait plus.
Et moins.
Il te fallait ce que tu n'arrivais toujours pas à t'avouer réellement.
Alors, jusqu'à ce que tu réussisses tu as continué comme exorciste et ce soir tu étais l’appât. Assise au comptoir de ce bar dans ta robe noire, tes cheveux naturellement détachés et tes lèvres rouges, tu attendais le poisson qui mordrait à l'hameçon.
Ce gros poisson noir.