Don't be scared of what you don't already know

Les matins depuis le début de sa vie au Japon, Pandora sentait de la fraîcheur autour d'elle. Elle s'étirait, écoutait les os légèrement craquer. La lumière d'un jaune doux comme un œuf traversait ses paupières et elle se concentrait sur les odeurs. Les nori du petit déjeuner sortis par Orihime, le bambou du parquet et des murs, léger, les fleurs de saison au dehors au printemps, les feuilles en train de pourrir lentement, l'automne. La neige, aujourd'hui.

La vieille femme avait toujours aimé l'hiver, appréciant le froid à sa juste valeur, la mer glacée d'Ecosse, les nuits clairs et gelées, les perces-neige.
A l'époque où son amour avec Alfred était plus frais que les rochers des Highlands un matin de Février, elle avait fait de nombreuses balades avec lui, à cheval, le temps presque arrêté, car par un miracle certain, ils ne revenaient jamais au manoir après midi, et ces moments privilégiés lui avaient alors pourtant paru éternels.
Après qu'ils eurent repris l'orphelinat, ils continuèrent de temps en temps, emmenant avec eux les petits sur des poneys, ou des adolescents sur les quelques autres chevaux de la famille. Puis Pandora n'avait plus monté pendant longtemps, suite à ses fausses couches à répétition, de peur de les provoquer, elle qui désirait tellement avoir son propre enfant, connaitre une grossesse jusqu'au bout, mais surtout, voir le visage d'un enfant d'Alfred et elle.

La réalisation de l'impossibilité de son désir avait bien failli l'anéantir. Elle s'était sentie bardée de pierres aux chevilles, attachées par des cordes qui cisaillaient la peau, la faisaient saigner. Et elle s'en était remise, elle avait guéri, autant qu'elle le pouvait, et son amour avait été offert aux orphelins.

Aujourd'hui, elle avait une nouvelle mission. Allen Kristiansen avait contacté son frère Seth et sa nièce Amaterasu, directrice du QG d'Orpheo Tokyo. Il avait besoin de quelqu'un pour protéger et accompagner un jeune homme. Il voulait le confier à Pandora. Officieusement. Officiellement, c'était à Seth qu'il le confiait. Seth n'était pas autant en disgrâce que sa sœur, malgré son âge avancé. Il assistait toujours sa fille au sein du QG local, et était relativement respecté. De plus, Amaterasu inspirait la confiance de ses confrères, Tokyo était rarement décrié. Le Japon était plutôt indépendant dans sa gouvernance, et c'était pour le mieux.

Toutefois, il n'y avait réellement d'endroit idéal pour le jeune homme en question, selon ce qu'on savait de lui. Il ne savait pas d'où il venait, on soupçonnait qu'il possédât un pouvoir difficilement contrôlable et très rare, voire encore non répertorié. Lui-même ne savait pas grand chose de qui il était. Il s'appelait Garrett Rossi, et les runes avaient fixé son âge à 37 ans, bien que son problème de mémoire lui conférât apparemment des réactions dignes d'un enfant de 7 ans.

Allen avait pensé à Pandora, notamment parce que celle-ci était discrète et actuellement en retrait de l'activité magique. Le cas de Garrett devait éviter d'être ébruité. De plus en tant qu'ancienne directrice du Mystery Orphanage, elle possédait une expérience inégalée en matière d'enfants particuliers, de cas étranges et de pédagogie. Sans compter le fait que, selon son frère, elle possédait une combinaison particulièrement intéressante de pouvoirs et dons pour être à même de veiller au mieux sur ce garçon. Lectrice de pensées et guérisseuse. Pratique en cas de problème tout comme pour une thérapie sur le long terme. C'était ce qui était attendu d'elle : prendre Garrett sous son aile, et l'aider du mieux qu'elle pouvait. Seth et elle avaient accepté à titre gracieux : les Mystery étaient une famille riche, et cela arrangeait Allen de ne pas avoir à remplir une demande de financement pour l'insertion du jeune homme dans la société. C'était la guerre, Orpheo avait besoin de toutes les ressources possibles, et cela rejoignait aussi une préoccupation de discrétion.

Après avoir fait sa toilette, Pandora était descendue saluer sa belle sœur qui avait, comme à son habitude, préparé le petit déjeuner avec une vitesse et une habilité qui la rendaient perplexe. Elle l'aida à finir de tout mettre en place et apprécia son riz et son omelette en silence. C'était souvent le cas. Les deux femmes n'avaient pas nécessairement besoin de mots pour apprécier leurs instants ensemble.

Après avoir échangé une ou deux formules de politesses et une accolade, Pandora quitta Orihime pour rejoindre Seth et le téléporteur qui devait les emmener à Tokyo. En effet, ils résidaient à Kamakura, ce qui représentait environ deux heures de trajet. Autant arriver directement au sein du QG.

Pandora cligna des yeux et reconnut l'immaculé de la salle des transferts. Elle attendit que le léger éblouissement passe, et aperçut le visage de sa petite-nièce. Celle ci paraissait préoccupée, comme à son habitude. Elle aussi était ainsi : toujours quelque chose à l'esprit. C'était le lot des postes à responsabilités, malheureusement.

Allen Kristiansen n'était pas sur place, son futur protégé avait été accompagné par un guérisseur d'Ottawa. Celui-ci s'avança vers eux et leur sourit aimablement. Tout en leur serrant la main, il se présenta :

- Leonard Dumont-Creed, ravi de vous rencontrer. Je vous présente Garrett.

Seth répondit qu'il était enchanté, et se présenta également. Pandora l'imita, puis tendit sa main en direction de son futur protégé. Elle lui sourit avec amitié et respect.
Elle ne voulait pas le considérer comme une victime ou comme un enfant d'emblée sans le connaître réellement. Pas qu'un enfant ne mérite pas de respect, mais il appelait des interactions différentes. Pas toujours, ceci dit, elle avait toujours été du point de vue qu'il ne fallait pas les prendre pour des imbéciles.
Il avait l'air juvénile et sympathique, avec ses boucles châtain et ses yeux noisettes tout perdus. Même sa façon de se vêtir semblait assez malaisée, presque aléatoire. On sentait qu'il n'avait pas pleine maîtrise de son environnement.

La sorcière tendit donc la main au nouveau venu :

- Bonjour Garrett, enchantée, je suis Pandora Mystery, la sœur de Seth ici présent, et la tante d'Amaterasu, qui vous a accueillis. Vous avez un nom de famille ?

Elle ne mentionna pas le fait qu'elle s'occuperait plus ou moins de lui, ni ne détailla qui elle était. Malgré le fait qu'elle eut confiance en le QG du Canada, elle ne voulait pas risquer un mot qui révélerait son implication dans cette affaire au sein d'un bâtiment d'Orpheo.

Je marchais en rond dans la cantine les bras en l'air, comme si j'étais sur un de ces fils tendu ou les acrobates professionnels font leur tours. Je m'imaginais ainsi en train de faire des acrobaties vertigineuse sous les applaudissement.
Je crois que je veux être acrobates.
C'est bien d'être un super héro mais au final ça reste un métier à risque. Du coup après avoir vu un reportage sur le cirque la semaine dernière je me suis dis : et pourquoi pas ?
Du coup me voici en train de trottiner sur place avec les infirmiers et infirmières qui me regarde. Une fois fini, je salue. C'est très important ! Et ils m'applaudissent, ça aussi c'est important ! Le talent, moi j'dis. Puis il y a Bart qui me demande : "C'est quoi cette fois ?". Je me retourne et lui sourit de toute mes dents :

-Un acrobate !

Il se met à rire et continu de manger. Sur le coup ça m’énerve mais bon, tant pis, il comprend juste pas le talent. Il avale et me regarde de nouveau.

-Mais, y a un mois tu voulais pas devenir aviateur ?

-Il s'avère que je n'ai pas les compétences physique pour un tel travail. Et puis je soupçonne un défaut de vue,et dans mon livre, ils disent que la vue est importante. Et il y a le vide, si je regarde devant pas de soucis mais faut pas que je regarde à côté. Trop compliqué.

Bart sourit et soupir.

-Ne t'en fait pas Garrett, tu trouvera ton métier plus tard ! Tu pourra surement devenir infirmier !

-Ça se pourrait, même si la vu du sang me donne la nausée.

Les infirmiers à côté rigolaient. Je me mis a rire avec eux, tout en tournant sur moi même.
Un médecin arriva dans la salle et le silence s'installa. Il se dirigea alors vers moi avec une troupe de blouse blanche et d'uniforme bleu ou rose. J'ai jamais compris pourquoi ce genre d'humain avait constamment une troupe - un troupeau plutôt - derrière lui. Il doit être le mâle alpha... même si sa posture et le fait qu'il porte des lunettes ne le désignait en aucun cas comme alpha potentiel. J'aurai plutôt choisi Bart, il est grand et musclé prêt à séduire Nicole à tout moment et vu comment elle réagit, il doivent déjà copuler dans un placard une fois ce médecin alpha à le dos tourné. Il pense en plus qu'elle s'en fou de lui - il me l'a dit à Noël - mais si il pouvait la regarder autre qu'avec son envie de se reproduire, il pourrait voir qu'elle a les joue rosé et ses iris dilaté pour peu qu'il lui parle ou qu'il lui frôle la main. Ça saute aux yeux. En plus elle rigole même à des blagues vraiment douteuses et honnêtement pas drôle du tout.

-Garrett ? Peux tu nous suivre s'il te plait ?

Je m’arrête de tourner et tout en lui faisant une révérence je lui répond :

-Je vous suis monsieur !

J'ai appris dans un livre que la gentille docteur m'avait prêté, qu'il fallait respecter les mammifères supérieurs, pas parce que ça boost leur ego - ce qu'elle m'avait dit un jour quand on parlait du méchant médecin -, mais surtout parce que c'est le meilleur moyen de se faire respecter en retour -et donc de ne pas finir manger, la chaîne alimentaire, ne l'oublions pas... Et moi je suis tout en bas. Un brin d’herbe, ou tout comme. N’empêche devenir un super héro me ferai monter tout en haut de la chaîne en moins de deux ! Mais bon, c'est risqué et chacun a sa kryptonite, personnellement c'est le sang et le vide. Pas top pour un super héro de s'évanouir quand on lui fait une simple prise de sang. Et puis si je suis un super héro ce serait tip top de voler non ? Je peux pas et en plus j’ai des vertiges immense une fois monté sur un banc. J’ai donc abandonné ma carrière de héro. Une fois la dur vérité en face, je me suis résigné en lisant des livres et en dévorant des émissions télé sur tous les métiers extraordinaires du monde.
Avant de partir, Bart me dit :

-Au fait petit, pour être acrobate faut savoir y faire avec le vide… Je pense que tu devrai y réfléchir.

Je le regardait perplex et suivis ensuite le monsieur Alpha médecin jusqu'à son bureau, l’air perplexe. Le vide. J’avais pas prévu ça. Le médecin s’était arreté et me regardait de manière insistant mais je continuais d’avancer en réfléchissant à la possibilité d’effectuer quelques tour d’acrobaties en prenant en considération mon vertige plus que potentiel.

-Garrett ?

Je lève mon nez et répond instinctivement.

-Hein ?

-Alors ?

Je le regarde étrangement. Les autres spécimens futur médecins potentiels alpha me dévisagent. Je les regarde un par un. J’ai fais quoi encore ?
Oh non, c’est a cause du chocolat ?

-Si c’est encore l’histoire du chocolat je peux expliquer ! Je vous jure c’est Bart il m’a dit que je pouvais et puis il y avait aussi Spencer, vous savez ? Le gros à l’étage au dessus ! Celui qui inonde les toilettes à chaque fois qu’il est triste ? Mais je vous jure c’est…

Il me stoppa en levant la main.
Merdouille, j’avais balancé Bart en plus le pauvre va se faire crier dessus à cause de moi. Et puis d’abord, c’est même pas moi qui ai pris cette tablette ! C’est Spencer…

-Je ne te parle pas de ça Garrett… Quoi que bon, Bart n’aurait pas dû…Mais ce n’est pas le propos.

Il soupira en se passant la main dans les cheveux et reprit son chemin. Je le suivais de près et tout attentif cette fois.

-Vous n’allez pas le gronder n’est-ce pas ? Je vous jure c’est pas sa faute…

Il me sourit.

-Ne t’en fais pas pour Bart, je lui parlerai. Il serait mieux de penser à toi et a ton futur.

Il marqua une pause. Mon futur ? Il pense toujours que je veux devenir un super héro ? Si c’est ça faut le mettre à jour le pauvre.

-Tu pars pour le Japon dans une semaine, tu vas être pris en charge pas un autre organisme.

Il continua d’avancer, tandis que mes jambes s’étaient arrêté d’un coup. Les apprenties alpha étaient à côté de moi se regardant et chuchotant. Mais moi je les entendais plus.
Partir ? Mais moi je veux pas partir ! Je devrai quitter Spencer ? Nicole et Bart ? Non impossible ! Et la gentille docteur ?
Le médecin se retourna suite au chahut qui s’était installé derrière lui, mais j’étais déjà plus là.
J’avais pris mes jambes à mon cou et je m’étais enfui jusqu'à ma chambre. On m’y avait retrouvé une demi-heure après. Ils avaient d’abord cherché aux machines de gourmandises et à la cantine des infirmiers,pensant que j’étais allé une nouvelle fois me plaindre à Bart ou supplié Nicole. Comme quoi les clichés ont la vie dure.
Je sais pas trop ce que ça veut dire mais Nicole le répète sans arrêt et à tout va. Donc ça doit fonctionner.

J’étais accroupi dans l’angle de la pièce sous la fenêtre et recouvert par le rideau blanc transparent.
Moi je veux pas partir, j’aime ma chambre, j’aime Spencer même si quand il pleure c’est les grandes eaux, j’aime Bart et sa petite barbe qui repousse qu’en partie, j’aime Nicole et ses avis tranchés et son humour.
Je.
Ne.
Veux pas.
PARTIR.


Ils avaient appelé ça : un caprice.
J’avais boudé pendant une semaine, impossible à résonner. Je faisais tout de même ce qu’on me disait de faire, mes exercices quotidiens, prendre mes médicaments, tout ça, mais juste le minimum puis j’allais dans la chambre de Spencer pour parler avec lui. Ca m'était impossible de partir. Et si je partais et j’oubliais ? Encore ? Moi je veux pas, je veux plus ! Ils s’en rendent pas compte et personne ne me comprend ! J’avais tout dit à mon ami Spencer. Il m’avait écouté et il m’avait dit que c’était la vie et que des fois, il fallait se résigner pour que naisse une histoire encore plus extraordinaire que celle qu’on est en train de vivre. “-Le Japon Garrett ! Comme j’aurai aimé y aller au moins une fois…” “Tu me rendra visite hein ?” “Pas possible ami, peux pas bouger de là tu le sais…”
Oui je le savais. Mais c’était dur.
J’avais allongé ma tête sur son gros ventre et il m’avait fait des papouilles. Certainement les dernières qu’il pouvait me faire.
Nicole, avant mon départ, m’avait donné de vieux habits de son frère, un peu délavé mais elle m’avait dit que c’était un cadeau, pour que je me souvienne. Puis elle avait glissé une carte dans la poche, un mot des infirmiers et infirmières qui s’étaient occupé de moi durant cette longue année, ainsi que leurs adresses postale.
J’avais pleuré.
Ils allaient me manquer.


J’avais préparé ce qui ressemblait à un sac à dos plus qu’une valise, la veille de mon départ. Il n’y avait dedans que mes carnets, mon stylo, les vêtements que Nicole m’avait offert, ma paire de chausson et les livres que la docteur avait accepté de me donner. Notamment le premier livre que j’avais lu : celui des cartes du monde.
Je n’avais aucun objet à l'hôpital, n’ayant pas de famille donc pas de visite donc pas de cadeaux. Cqfd. On était venu me chercher le matin tôt pour des derniers examens, et on est allé me mettre dans un ascenseur vers un département de l'hôpital que je n’avais pas encore visité. On me présenta un autre médecin, appelé ‘guérisseur’, qui m'indiquait la marche à suivre. Je l’écoutais mais ne parlais pas.

Et en un ‘pouf’, j’étais au japon.
Enfin, j'étais dans une petite salle blanche qui ressemblait étrangement aux murs des salles de consultations à l'hôpital. J’étais partis sans être partis. La seule chose qui changeait c’était l’odeur, la c’était une sorte de mélange de parfum plutôt floral et d’air frais. Il devait y avoir des ventilateurs, je sentais comme un léger courant d’air plutôt agréable il faut dire.

Le guérisseur s’avança vers une porte et me demanda de le suivre, ce que je fis. Je regardais un peu autour de moi, les visages étaient différents, les paroles aussi, les personnes autour étaient toutes différentes de moi. Une dame au nom imprononçable nous avait accueillit et j'avais esquivé un léger : “Bonjour”, suivit d’un sourire discret. Je me sentais pas super bien vis à vis des regards. Je baissais la tête, regardant mes pieds familiers pour me consoler.

-Leonard Dumont-Creed, ravi de vous rencontrer. Je vous présente Garrett.

Je lève la tête. Mais c’est une vieille dame ? Comme miss Hotson au bâtiment 2. J'espère que celle là n’a pas d'incontinence, ça deviendrait vite gênant. Et du coup je suis censé faire quoi ? Oui, bon sourire c’est la base.
J’ai alors eu un petit sourire timide. Pas envie de faire des efforts. Puis ils se présentèrent : l’un s’appelait Seth - je ne m’avance pas sur la prononciation - et l’autre dame c’était Pandora. Facile à prononcer pour celui la. J’aime bien. Durant un petit moment de silence, certainement le moment ou j’aurai du me présenter seule ou dire que j’étais enchanté, je baissa les yeux et regardais autour de moi. Je ne vais pas dire que je suis enchanté car je ne le suis pas. J’ai juste envie de rentrer voir Nicole ou Spencer. A la limite j’aimerai être en présence d’un crise d’inondation spéciale Spencer plutôt qu’être dans cette grande salle blanche avec une tripoté d’inconnus autour de moi qui me fixe comme un objet aux enchères. Spoiler alerte : je ne suis pas à vendre alors lâchez moi… S’il vous plaît…
L’image de ma docteur fit irruption, elle m’avait demandé d’être sage puis d’aider les autres à m'intégrer, de ne pas être fermé. De sourire, et d’être fort. Facil a dire ! J’aimerai bien la voir à ma place, en plus ils parlent ma langue devant le monsieurs qui m’a emmené, ils sont les gentils mais qui me dit pas qu’ils vont m’abandonner dans un coin après ? Trop d'incertitudes. Et je suis pas a l’aise avec les incertitudes.
C’est foutu pour que je devienne acrobate.

Une main se présenta à moi :

-Bonjour Garrett, enchantée, je suis Pandora Mystery, la soeur de Seth ici présent, et la tante d’Amaterasu, qui vous a accueillis. Vous avez un nom de famille ?

Quand on me pose cette question en premier, généralement c’est un rapide : “Ca va ?” cordial, suivi de questions bateaux. Oui j’en ai un, enfin je crois en avoir un.

-Ils disent que c’est Rossi.

Puis je pince les lèvre.

-Enfin, je crois que c’est ça.

Wouah, sensationnelle comme première impression. Je mache à moitié mes mots et je ne suis même pas sur de mon nom. Fantastique. Je peux me trouver un trou et attendre le prochain départ pour l'hôpital ?
Au fait elle m’avait tendu sa main, alors juste avant qu’elle la retire, je glissais la mienne, madame la gentille docteur serait fière de moi. Puis je la retire aussitôt pour la caler dans mon t-shirt. Je fais quoi ici au juste ? En plus on me présente des dames, mais c’est elles qui vont s’occuper de moi ? Je me demande si elles ont des superpouvoirs, comme monsieur le non-papa.
Et puis elle sait que j’ai tué des gens ? Elle sait que je peux être un monstre ?
Si ça se trouve non, et si elle le découvre elle voudra plus de moi. Enfin si c’est elle. Qu’importe qui me prend, je ne resterai pas ici.

I guess that sometimes we both lose our minds to find a better road

Il n'avait pas l'air très sur de lui, ce jeune homme. Après tout, c'était normal. Il ne savait pas où il était, et s'il le savait, il ne pouvait certainement pas saisir toutes les implications de ce voyage, quels enjeux étaient présents dans les personnes qui l'accompagnaient, dans leurs actions. Il ne sentait certainement pas les vibrations dans l'air, la tension, car ils cachaient quelque chose à Orpheo. Ca, Garrett n'en avait aucune idée. Et c'était peut-être mieux pour l'instant, pas le moment de l'accabler avec ça. Il fallait d'abord faire en sorte qu'il se sente chez lui, et apprécié.

Il mit sa main dans celle, tendue, de la sorcière, et la retira assez rapidement, non sans avoir répondu à sa question. Garrett Rossi. Elle ne savait pas comment les médecins avaient pu déterminer cela, elle décida donc de demander. Lui-même n'avait pas l'air réellement certains.

- Vous croyez, dit-elle d'un ton pensif. Mr Dumont Creed, est-ce bien cela ? Comment avez vous été capable de déterminer l'identité de ce jeune homme ?

Elle sourit au principal intéressé afin qu'il ne se sente pas exclu de la conversation, puis décida de lui donner de plus amples informations sur la suite des événements. C'était la moindre des choses, car il était concerné, on l'avait sûrement trimbalé jusqu'ici sans trop lui dire de quoi il retournait, et la vieille femme se doutait qu'il devait être dans un état de globale incompréhension. Et pas seulement depuis aujourd'hui. Certainement depuis qu'il avait été "trouvé". Elle n'était pas empathe, mais c'était du simple bon sens. Elle avait accueilli tellement d'orphelins perdus, et dans des situations toutes plus différentes les unes que les autres, qu'elle se sentait tout à fait prête à accueillir et aider Garrett.

- Voyez Garrett, si je suis ici c'est parce que nous pensons qu'il n'est pas bon pour vous de rester dans un hôpital, car vous n'êtes pas un rat de laboratoire, n'est-ce pas ? Ayant une grande expérience dans l’accueil d'enfants orphelins, c'est à dire sans familles, je pense être capable de vous procurer l'environnement familial dont vous aurez besoin. Je vis actuellement chez mon frère Seth avec sa famille. D'ailleurs, je vous propose de me tutoyer, et si vous m'y autorisez, à faire de même avec vous. N'hésitez pas à me poser toutes les questions que vous aurez.

Pandora ne souhaitait toutefois pas s'attarder au QG. Bien que sa nièce en soit la directrice, elle se sentait à la merci d'une fuit vers les conservateurs, vers des autorités n'approuvant pas sa personne. Que la vieille Mystery se retrouve chaperonne d'un grand mystère magique serait à même de faire grincer plus d'une mâchoire. Elle tâcherait donc d'informer plus amplement son nouveau protégé une fois à la maison. Elle espérait simplement qu'il se montrerait coopératif. Evidemment, si ce n'était pas le cas elle ne pourrait lui en vouloir. Il était adulte, après tout, pourquoi accepter de suivre untel ou unetelle juste sous prétexte que des gens l'avaient décidé pour lui ?

Elle n'avait aucune envie d'utiliser la force, ou que quelqu'un le fasse pour elle. Son défi personnel était, en cet instant, que l'arrivée de Garrett dans son pays d’accueil et dans sa "famille d'adoption" se fasse sans heurt. La sorcière fut soudain prise par une légère angoisse. Elle avait été malade longtemps, puis isolée, prise dans la contemplation d'un nouveau monde qui l'effrayait, d'une guerre dont elle n'avait su protéger sa famille. Et maintenant, elle se préparait à prendre une nouvelle responsabilité. En était-elle seulement capable ?

La dame était toujours en train de me regarder avec un air assez tendre. Je détourne le regard toujours énervé serrant mes doigts dans mon t shirt trop large. Je suis trop fin pour mon âge. C’est ce qu’ils disent. Même si je ne sais pas ce que ça veut dire tout. E que je vois c’est que des fois on m’habille et je me retrouve dans une tente.
Ses yeux toujours sur moi elle s’adresse à l’homme.

- Vous croyez. Mr Dumont Creed, est-ce bien cela ? Comment avez vous été capable de déterminer l'identité de ce jeune homme ?

C’est par ce que les médecins savent tout. La gentille dame elle m’a dit qu’elle avait apprit beaucoup de chose dans ce qu’elle avait appelé des «  études » pendant de longues années. Peut être qu’elle avait décidé de faire aussi détective ? C’est beaucoup trop cool.
L’homme inspire et répond.

-Nous avons retrouvé des documents aux archives sur un incident qui pouvait être lié à son pouvoir et avons envoyé une personne sur place. Elle a trouvé son dossier médical à l’hôpital local et en avons déduis son identité.

Il ne dit pas tout. Je le regarde répondre mais il semble agité. Son doigt tapote frénétiquement sur le dossier marron. Et puis c’est ici cette histoire d’hôpital encore ? On ne m’a rien dit sur ça ?
C’est louche.

- Vous trouverez les détails ici.

Je suis du regard ce fameux endroit à détails quand le monsieur le tend devant lui.

- Voyez Garrett, si je suis ici c'est parce que nous pensons qu'il n'est pas bon pour vous de rester dans un hôpital, car vous n'êtes pas un rat de laboratoire, n'est-ce pas ? Ayant une grande expérience dans l’accueil d'enfants orphelins, c'est à dire sans familles, je pense être capable de vous procurer l'environnement familial dont vous aurez besoin. Je vis actuellement chez mon frère Seth avec sa famille. D'ailleurs, je vous propose de me tutoyer, et si vous m'y autorisez, à faire de même avec vous. N'hésitez pas à me poser toutes les questions que vous aurez.

Je fais des grands yeux. C’est la première fois qu’on me dit tout ça. J’ai soudainement un profond respect pour cette vieille dame sans comprendre vraiment pourquoi. Peut être qu’elle est douée finalement ? Qu’elle va pouvoir m’aider ?
Je souris faiblement car je ne sais pas quoi dire sur le moment.
Orphelin.
Cela veut dire que j’ai vraiment plus de famille ? Vraiment plus du tout du tout ? Je sais que j’ai tué les gens que j’aimais mais je m’étais toujours dit que peut être que quelque part il y avait quelqu’un’ une personne reliée à moi d’une manière. J’ai les larmes qui monte mais je les retiens. Je dois pas m’effondrer maintenant’ la gentille médecin m’en voudra si je ne me montre pas fort.
Je sens du mouvement à côté de moi. Quelques personnes n’attendent pas que je répondent et se mette à partir.
La vielle dame elle, reste sur place en attendant sagement que je réponde.
Je me tortille.
Allez Garrett. Tu peux le faire.

-D’accord pour le tu.

Elle semblait satisfaite.
Je baisse la tête. Je me sens si gêné.
Je suis docilement la vieille dame et les autres. Je ne sais pas où cela me mènera mais peut être que je pourrai grandir et ne plus être un monstre avec elle ? Peut être que je pourrait devenir Normal ?
Et puis je crois que j’ai quand même envie de découvrir où elle vit. Est ce mal ? De vouloir rentrer mais de quand même espérer découvrir quelque chose ?
J’ai un jour lu un livre sur des pays. Un avec moins d’image. Je me demande à quoi ressemble celui qu’ils appellent Japon, même si ça ne remplacera jamais ma chambre blanche ni Spencer ou Bart ni même la gentille dame ou monsieur le non-papa.
Ils vont tous et toutes beaucoup me manquer.

Hold my hand and it's halfway there

Les mains dans le t-shirt, des mouvements nerveux. Garret n'était pas acquis, il était ailleurs, dans un mal-être qui ne se dissiperait pas si facilement. L'ex-exorciste était attentive à chaque frémissement de la peau, faisant défiler -avec une légère pénibilité- dans son cerveau toutes les informations médicales qu'elle avait acquises au fil des années. Si un ou une guérisseur.euse voulait utiliser son pouvoir de manière optimale, il ou elle devait s'intéresser un minimum au corps humain, à la médecine. Certains se tournaient plus vers les fonctionnements des animaux, apprenaient auprès de vétérinaires.

Pandora, malgré son amour de toute créature vivante, avait consacré sa vie au soin des êtres humanoïdes, au sens large. Elle essayait de se connecter aux yeux du jeune homme, pour lui permettre de ressentir toute la bienveillance qu'elle avait à son égard. Juste partager la douceur.

Dumont-Creed se lança dans des explications. Remonter des archives. Elle hocha la tête. Il y avait donc d'assez fortes probabilités que cette identité soit vraiment la sienne. Il fallait quand même rester prudents, mais il ne servait à rien de perturber le jeune homme pour le moment. Restons sur Garrett Rossi.

L'exorciste tendit un dossier à la sorcière, qu'elle prit en le remerciant, hochant la tête. Elle remarqua les yeux de l'innocent -plus si innocent- voguer sur la couverture brune. Pas rassuré, pas en confiance. Cela devait être déchirant pour lui. Pas de souvenirs, pas d'accroches. Qui était-il, au final ? Comment pouvait-il se percevoir ? Et tous ces mots qui grouillaient autour de lui, termes médicaux, jargon d'exorciste. Cela devait être épuisant. Pandora lui adressa un sourire de sympathie, pas de pitié, juste de l'humanité.

Il se dandinait d'un pied sur l'autre, ayant certainement préféré être ailleurs. Mais il se montra réceptif aux paroles de l'écossaise, l'écoutant avec des yeux ronds comme des soucoupes. Une esquisse de sourire apparut sur le visage perdu. Et puis une tempête, pluie torentielle s'abat dans les yeux de Garrett. Ses paroles ne déclenchent pas que du positif chez lui. Elle s'attache à ne pas considérer cela comme une erreur. L'honnêteté peut faire peur. Il n'empêche pas qu'elle est nécéssaire. Pandora ne dit rien et laissa le processus se faire, patiente. Il devait retrouver son chemin en lui même, son courage.

Il finit par approuver, d'une toute petite voix, le tutoiement.

- Cela me ravit, Garret.

Elle fit une pause, lui laissant un peu plus de temps pour faire le tri dans ses ressentis, regarda Dumont-Creed ainsi que les autres collègues du personnel médical d'Ottawa. Eux non plus n'avaient pas l'air très à l'aise, pas surs de ce qu'ils étaient en train de faire, comment faire face à la situation. Comment se positionner face à elle, face à cet adulte-enfant. Pandora décida de ne plus leur préter trop d'attention et demanda au principal intéressé :

- Tu as des au-revoir à faire ?

Puis elle se dirigea vers les soignants et scientifiques ayant accompagné le "kamikaze" comme ils l'appelaient pour qu'ils lui fassent leurs dernières recommandations. Elle avait besoin de leur opinion honnête, elle espérait donc qu'ils éviteraient toute langue de bois à cause de la présence de Garrett. Il était enfantin, certes, mais percevait tout. Cela se voyait. Il n'avait pas besoin de condescendances ou de cachotteries. Il avait besoin de soutien humain, de conversations d'égal à égal, d'honnêteté de patience. Elle voyait tout cela, elle le sentait, profondément. C'était maintenant son rôle de lui offrir tout cela. Et elle en avait besoin autant que lui.

- Tu as des au-revoir à faire ?

Si j’ai des au revoir ?
Une nouvelle boule grandit dans ma gorge. Elle essaye de faire venir des pleures mais je la ravale aussitôt, je ne veux en aucun cas pleurer ici. Je secoue doucement la tête pour signifier que non.

-C’est déjà fait.

Puis je baisse la tête et j’attend.
Je réfléchis et a priori j'ai dit au revoir à tout le monde. Ah non ! Je n'ai même pas revu Monsieur le non-papa ! Pas sur que je lui manque, mais quand même, s' il me cherche ?
Arrête Garrett, personne ne te cherche.
Personne.
Nul part.
Mon regard se perd dans la pièce, je regarde les médecins et autres, puis la dame, puis les murs, le sol. Ils parlent encore et j'évite d’écouter. ils disent toujours des choses comme : incontrôlable, incompréhensible.
Comme si eux avaient essayé de chercher ce qui n’allait pas je n'avais jamais vu tout ces gens avant aujourd’hui. Du coup j'attends, encore.
Je me laisse perdre par mes pensées et je réfléchis à ce que peut ressembler une maison, si la dame chez qui je vais à des animaux de compagnie, des plantes, de la famille, si elle aimait les tomates, le pudding, le chocolat, vu son âge j’imagine qu’elle aime lire, et apprendre, peut-être est-elle plus littéraire que math ? Ah les maths, je n’ai jamais vraiment aimé ça, j’ai toujours du mal avec la table de 7. Et me voilà en train de réciter dans ma tête les tables de multiplications pour retrouver 7x6…
Oui je suis parti loin là.
Une voix me fait sortir de ma torpeur mathématique et me dit qu’on va bientôt partir.
Je n’ai pas remarqué que la plupart des gens étaient partis. La dame me fait signe de la suivre alors je la suis gentiment. On passe un hall assez classe et on descend dans un sous sol étrange avec une odeur forte. Je panique un peu, on m'emmène ou là exactement ? Sous terre ? Genre je suis un si grand danger que ça ? Je vais revoir le soleil ou pas ? Hein ? Finalement, je souffle un coup quand je vois une rangée de voitures garées. Elles sont toutes belles et brillantes, quelques-unes sont bleues sombres, d'autres blanches mais celle qui s’avance est noire. Un homme sort et salue la dame avant d’ouvrir la portière passager.
La dame me sourit. Je la regarde, puis regarde la voiture, puis la regarde.
Je suppose que je dois entrer là dedans ?
Bon, bah c’est parti alors.
Je m’installe sur le siège opposé. Le cuir neuf couine un peu sous mes mains et son odeur attaque mes narines. La dame s’installe derrière à côté de moi puis dit quelque chose que le chauffeur semble comprendre car il démarre aussitôt la voiture.
Attendez, pourquoi le volant est à droite ?
Il dit ensuite quelque chose et la dame me montre la ceinture qu’elle venait de mettre sur elle.

-Ah oui !

Je la mets aussi vite que je peux. en quelques secondes nous sommes sortis du sol et la lumière m'éblouit. Une fois habitué, je découvre un paysage totalement fou. De grands, partout, en mode champ de maïs américain, des grands, des gros, des larges, des immeubles lumineux clignotants de partout, y’a même des télé IMMENSES sur les murs ! Je colle mon nez à la fenêtre. Dire que j’avais à peine le droit de regarder ma télé dans ma chambre et là les gens peuvent voir ça comme ça dans la rue ? Mais WHAT ! Là, une dame danse avec des fleurs et un shampoing apparaît, ici une enseigne semble indiquer qu’elle est là avec une ÉNORME flèches, et la bas, des trucs INCOMPRÉHENSIBLES défilent. Puis on roule à gauche aussi. Qui fait ça ? A part les anglais ? Que je ne comprends pas d’ailleurs, leur accent est sexy mais leur manière supérieure est insupportable. Le feu est rouge, et une avalanche de gens traverse.
Autant de gens… c’est fou. Ce monde est fou.
Mais magnifique.
Je sens une excitation grandir en moi, trop prêt à découvrir ce monde.
Fini les rêves d'acrobate, de funambule ou autre, je veux être japonais.

Hold my hand and I'll take you there

La scène qu'elle était en train de vivre déchirait le coeur de Pandora. Le gamin en face d'elle était tout perdu, ne savait à qui se lier, qui vraiment croire, qui vraiment suivre. Il avait déjà fait ses au revoirs, il s'en remettait à elle. Bon gré, mal gré, c'était ce qu'elle essayait maintenant de savoir. Il semblait tout penaud, la tête basse, les tics nerveux au repos, peut-être parce que c'était trop d'angoisse, justement. Pandora laissa le silence s'installer quelques secondes, malgré la gêne visible du personnel médical. Puis elle inspira profondément et expira doucement, comme on tenterait de calmer un cheval, et lui demanda :

- Est-ce que je peux te toucher ? Poser ma main sur ton épaule, par exemple ?

Elle avait plus de facilités à guérir s'il y avait contact corporel. Depuis ses soixante ans environ, elle avait acquis la possibilité de le faire à distance, mais c'était une sensation différente, ce n'était pas aussi complet. Il manquait quelque chose d'organique, la magie peau à peau.
La vieille femme offrit un sourire ridé ou tout jeune homme, cette âme toute propre, lavée de force, à la javel.

Puis il fut temps de partir, d'amorcer un réel mouvement. Pandora attendit Garrett pour qu'il puisse marcher à son niveau et ils descendirent les nombreux étages du QG tokyoïte pour finalement rejoindre ses sous-sols. Amaterasu était trop occupée pour qu'elle puisse passer la saluer. La prochaine fois. Tout cela se passa en silence, un chauffeur les attendait en bas, devant une Subaru impreza noire reluisante. Le visage de l'homme était impassible, comme le voulait le travail en QG d'Orpheo, d'autant plus au Japon. Le respect des supérieurs y était presque angoissant, trouvait la vieille écossaise. Mais M. Tatsumoto, elle s'y était habituée. Il était souvent au service de son frère et de sa nièce. Il était un innocent, qui était tombé par hasard sur le monde magique plus de vingt cinq ans plus tôt et avait décidé de dédier sa vie à Orpheo. Son épouse, une exorciste, était morte dans un attentat perpétré par Croix, alors qu'ils étaient encore de jeunes mariés. Etrangement, cela avait renforcé sa ferveur dans l'Ordre. Pandora avait énormément de respect pour lui.

Elle lui adressa un léger signe de tête et monta dans la voiture, suivie par Garrett.

Evidemment, la sorcière dut lui faire signe d'attacher sa ceinture de sécurité, ce qu'il s'empressa de faire, dans un enchainement de gestes d'enfant soucieux de bien faire. Au moins ne s'était-il pas excusé. Curieux comme elle avait la capacité à sentir ce petit bourgeon d'affection dans sa poitrine grossir aussi vite. Elle n'avait que son regard, ses quelques mots et gestes maladroits pour cela. Visiblement ça suffisait. La vieille femme souriait. Le visage du jeune homme était ouvert, émerveillé sur le monde qui l'entourait, une énorme vague d'incompréhension mêlée d'admiration. Pandora osa un léger instant son esprit ouvrir celui de Garrett. Vouloir être japonais. Elle sourit de plus belle.

Ils sortirent rapidement du parking souterrain, et l'émerveillement commenca.

Elle se laissa emporter par son admiration de cet enfant à ses côtés, alors qu'ils traversaient la mégapole, remplie d'enseignes bariolées, de taxis verts, de vélos, d'enfants en uniformes, de salary men et women en costumes et tailleurs, de mascottes de grandes marques, de publicités criardes...
Tout cela était diamétralement opposé à ce qu'aimait Pandora, à l'apaisement qui coulait dans les cascades des highlands, à la terre sous les doigts pendant les travaux de jardinage, aux couleurs austères de bâtiments victoriens. Mais cela ne voulait pas dire que Tokyo lui était diamétralement opposée.
Il fallait juste chercher plus longtemps, reconnaitre les quelques recoins aussi vieux qu'elle, épargnés par le temps. Du temps, il en fallait pour découvrir les rides dans d'autres visages que le sien, enveloppés dans des kimonos ou travaillant encore, faute de retraite correcte, ou refusant de ne plus êtres utiles à la société. Du temps pour transpercer le goût du thé dans de petites tasses en terre cuite, servi dans de petites maisons ratatinées derrière des parcs, dans des quartiers résidentiels.

Tout cela était beaucoup plus facile à trouver à Kamakura. Cette ville était pour elle le parfait équilibre et elle savait que son frère s'y sentait bien également. La tradition et le passé étaient comme une énorme fleur aux racines infinies qui couraient en surface comme sous la terre. Dessus poussaient également des scènes rock alternatives, des couples de parents bobo, des expositions d'art moderne.

Au milieu de tout ça prospérait la famille Kamigawa, dont une branche était mariée à la famille Mystery. Et ce, depuis des siècles. Ils se mêlaient aux innocents, ça et là, quoique réputés pour être un clan proche du pouvoir, dont les membres occupaient des postes prestigieux au sein de la société japonaise ou à l'international. Ils étaient respectés, voire craints. Ils n'étaient pourtant pas si haustères que l'on pouvait le croire, du moins, pas dans toutes les branches. Sa belle famille avait certes un goût pour la carrière, l'ambition, quelle que soit le domaine, mais était ouverte à tout, culturellement, professionnellement, personnellement. Si ce n'était de l'acceptance ou de la tolérance, au moins de la curiosité. C'était pour cela qu'après de longues discussions et vérifications, on avait décidé que Garrett serait mieux chez eux, protégé par Pandora. Entouré de personnes bienveillantes, autant qu'elle sache. Elle ne pouvait se targuer de connaitre les convictions profondes des centaines de membres de la famille Kamigawa. Heureusement, tous ne vivaient pas ici.

Ils allaient avoir beaucoup de choses à se dire, à s'expliquer. A s'apprivoiser. Pandora se sentait prête pour cette nouvelle aventure.
Ses os avaient beau être vieux, son moral fragile, son honneur piétiné, elle ne pouvait s'enlever de la tête, ou ne serait-ce qu'ignorer le fait que Garrett avait besoin d'elle. Et qu'elle avait la capacité de l'aider. Il fallait qu'elle le fasse pour continuer sur la voie de la guérison de son âme, pour se retrouver utile dans ce monde et surtout pour ce petit garçon dans un corps d'adulte.

Elle laissa le paysage défiler le long d'eux, assis confortablement dans le véhicule. Des rizières, des immeubles, des vélos, des gens, puis finalement des morceaux de forêt, la plage. Tout doux, sans un mot, pour laisser le temps à Garrett de s'imprégner du monde et de sa présence.
Pandora fredonnait un vieil air dont elle n'était pas certaine de l'identité au creux de ses lèvres et souriait au vent.

Ils entrèrent dans le domaine Kamigawa, taillé à la perfection selon des standards japonais shinto légèrement mêlé d'un style à l'anglaise. Le véhicule se gara devant la demeure traditionnelle qui semblait flotter comme un nuage dans un ciel d'érables et de pins parasol.

Tatsumoto leur ouvrir la porte en s'inclinant légèrement et la vieille femme lui rendit un signe de tête. Elle descendit et s'adressa à son nouveau protégé en se dirigeant vers la porte :

- Nous voicis arrivés à Kamakura. Nous ne sommes pas très loin de Tokyo, cette ville a également été une capitale du Japon, en son temps. Ceci est la maison de la famille Mystery-Kamigawa, celle de mon frère. Nous venons d'Ecosse, sa femme est japonaise. Tu as une petite idée de la géographie du monde Garrett ?

Ils entrèrent tous les deux dans le bâtiment sobre et épuré, un écrin pour la collection d'art traditionnel de sa belle soeur et pour les frimousses de ses nombreux enfants, petits enfants, arrière petits enfants et arrière arrière petits enfants. Tout paraissait cependant bien calme en cette heure du début d'après midi. Pandora retira ses chaussures et invita Garrett à faire de même, puis lui tendit une paire de chaussons. S'avançant dans le hall, elle vit passer trois adolescentes en pleine discussion, qui s'arrêtèrent brusquement en voyant leur aïeule accompagnée d'un jeune occidentale, s'inclinèrent légèrement et disparurent dans un bruissement de chuchotements et de slippers sur le parquet ciré. Yumi, Sara et Dahlia, trois de ses arrière petites nièces, certainement venues ici pour faire leurs devoirs de vacances et profiter du calme de la demeure de leurs aïeux.

- Mon frère Seth et sa femme Orihime vivent donc ici, rarement seuls. Ils ont eu dix enfants et font déjà partie d'une grande famille, alors il y a toujours du mouvement ici. Par exemple, leur petite fille Xenia vit ici avec son fils Hyun, et leur arrière petit fils Hideo vit également avec nous, il est téléporteur et préfère vivre ici que dans la métropole.

Pandora fit une petite pause et fit signe au jeune homme de monter à l'étage :

- Tu verras donc que c'est très animé ici, tu rencontreras certainement de nouvelles personnes chaque jour, personne ne t'en voudras si tu ne retiens pas tous les noms. Mais ici - elle ouvrit la porte qui se trouvait à gauche de celle de sa chambre- c'est ton domaine et personne ne viendra t'y déranger. Voici ta chambre, Seth et Orihime m'ont dit que tu pouvais la décorer à ta guise, je sais que tu n'as pas encore beaucoup d'affaires mais si cela te tente, nous irons faire les boutiques un de ces jours. Il y a également une salle de bain, juste à droite.

Elle laissa le temps à Garrett de poser ses affaires, puis elle lui montra la pièce d'à côté :

- Moi je dors ici, tu peux toujours venir m'y trouver si tu en as besoin.

La sorcière sourit à son nouveau protégé et dit :

- Tu as faim ? Je vais nous servir du thé mais je peux aussi nous préparer un repas !

Elle finit avec lui le tour de l'étage, passant en revue le bureau de son frère et l'atelier de sa belle soeur, les chambres, les toilettes, une petite salle de sport, une salle de jeux pour les enfants. En bas, deux salons, dont un orné d'une magnifique baie vitrée donnant sur le jardin dans sa partie japonaise , on voyait la mer au loin. Salle de bain familiale avec le bain et la douche séparées, laverie, réserve, puis la cuisine. La vieille femme fit bouillir de l'eau et poussa vers Garrett une petite assiette de céramique ornée de patisseries traditionelle, qu'Orihime avait laissées là à leur intention.

Pendant que le thé chauffait, elle regarda le garçon droit dans les yeux.

- Mon pouvoir à moi, c'est de guérir. C'est aussi un don, celui de lire dans les pensées. Tu accepterais que je le fasse avec toi pour essayer de t'aider ? Pas nécéssairement maintenant, bien sûr. Plus tard.

Elle fit une petite pause pour mélanger le matcha à l'eau chaude et continua en remuant :

- Je pense que nous devrions faire chaque jour ou presque des séances pour t'aider à soigner ta mémoire et à comprendre ton pouvoir. Je pense qu'il faudrait aussi que tu aies des cours pour apprendre des choses essentielles que tu as oubliées, qu'en penses-tu ? Il y a des choses que tu aimerais savoir ?

Nouvelle pause. La maison était très calme, c'était inhabituel. Seth avait peut-être organisé une randonnée familiale pour ne pas submerger Garrett dès son arrivée, c'était bien son genre.

- Il ne faut pas que tu hésites à me poser toutes les questions que tu as, ni à me le dire s'il y a des choses qui te sont désagréables ou avec lesquelles tu n'es pas à l'aise, d'accord ?

Les rayons clairs du soleil de février dansaient sur la peau claire du rescapé amnésique. Il était si beau et si perdu, comme un oisillon tombé du nid.