Allongée sur son lit, Myaw scrollait Instagram du bout des doigts, likant une photo au passage ou laissant quelques commentaires, essentiellement à base d'emoji. Ouvrant ses story, elle sélectionna un filtre créé par l'une des influenceuses qu'elle suivait et qui attribuait au hasard un livre. Après un court roulement, l'image figée au-dessus de sa tête lui proposa Une chambre à soi de Virginia Woolf. Déjà lu ! inscrivit-elle en-dessous de sa tête.
Quelques secondes seulement après la publication, une notification l'avertit que quelqu'un avait réagit à sa story. Elle ouvrit le message de Summer qui disait entre deux emojis rouge de colère : Entre 2 et 3h du mat' afin de bien embété tte la chambre ! Myaw savait que son amie plaisantait aussi se contenta-t-elle de lui répondre *embêter avant de reposer le téléphone sur sa table de chevet.

Elle passait la semaine chez ses oncles – probablement au grand soulagement de Summer qui allait enfin pouvoir dormir – et avait oublié à quel point il était agréable d'avoir vraiment sa chambre à soi. Sur les murs elle avait affiché une série de photographies ; ses oncles et elle lors de son anniversaire – Edwin avait pensé judicieux de commander un gâteau d'anniversaire en forme de Mickey pour un adolescente de 16 ans ce qui l'avait fait beaucoup rire –, Summer et elle en train de faire du pédalo, Hana sur son dos alors qu'elle jouait au cheval, une vieille photo de son grand-père – c'était Edwin qui la lui avait offerte lorsqu'il lui avait raconté l'histoire de Maurice –, elle petite dans les bras de Luka avec toute la bande autour d'elle, Ian et Autumn à 16 ans en train de faire des grimaces, Pandora et Nérys quelques mois plus tôt, et une myriade d'autres souvenirs sur papiers glacés. L'adolescente préférait qu'elles soient là plutôt qu'à l'orphelinat où tout le monde aurait pu les voir. C'était son musée personnel. Un musée où toute une partie avait été avalée par le grand méchant Redwan.

Myaw attrapa une photo au centre de toutes les autres. C'était Ange, assis dans le canapé de son salon, probablement en train de rire à une blague de son colocataire. Elle avait longtemps hésité à la mettre avec les autres, par peur que cette image puisse trahir son secret à Edwin et Kurt. Heureusement les deux hommes, s'ils pouvaient être brillants sur bien des sujets, étaient incapables de comprendre une adolescente de son âge. C'était agaçant parfois, comme un peu agréable lorsqu'elle avait des choses à cacher.
Elle regarda la photo avant d'embrasser le papier en rougissant – c'était un peu stupide comme geste, heureusement personne ne pouvait la voir. Puis elle recolla la photo sur le mur et repris son téléphone, ignora les message d'insultes amicales envoyé par Summer et glissa dans Whatsapp.

Dîner avec les tontons ce soir. Tu fais quoi toi ?

Le message était à peine parti qu'elle remarqua l'heure. 19h05. Mince, Edwin avait dit 19h ! Elle sauta sur ses pieds, attacha rapidement ses cheveux sur le sommet de son crâne avant d'apercevoir sa tête dans le miroir et de grimacer. Elle pouvait faire mieux. Elle perdit donc deux minutes à chercher sa brosse en grommelant puis cinq de plus à démêler ses longues mèches. Une rapide tresse plus tard et elle sortit de sa chambre pour rejoindre la salle à manger – elle avait promis de dresser la table.
Heureusement, Edwin et Kurt ne semblaient pas encore rentrés du bureau. L'adolescente soupira, soulagée. Il n'était pas si fréquent, depuis qu'elle était rentrée à l'orphelinat, qu'ils dînent tous ensemble. L'un des deux travaillaient tard, elle avait rendez-vous avec un ami – le plus souvent Ange, mais elle se contentait de dire "un ami" pour ne pas trahir son secret – ou un imprévu de dernière minute chamboulait tout leurs plans. Mais cette fois-ci, ils s'étaient mis d'accord : Myaw dresserait la table, Edwin ramènerait à manger du restaurant libanais qu'ils aimaient tant et Kurt se chargeait du vin – même si elle n'aurait probablement pas le droit à plus qu'un verre, les deux grands naïfs étant persuadés de son innocence et donc de son incapacité à tenir l'alcool. Ce qui était… un peu vrai, mais pas tant. Elle était loin des frasques qu'Ange lui racontait sur lui et ses amis lorsqu'ils avaient son âge, mais elle aimait bien la bière.

La table mise, elle jeta un coup d'oeil à l'horloge de la cuisine qui indiquait que le couple était en retard d'un quart d'heure. L'adolescente retourna dans sa chambre pour récupérer son téléphone afin de vérifier qu'un bouleversement du monde magique n'avait pas tout annulé à la dernière minute. Aucun message cependant de Kurt – encore moins d'Edwin, mais comme il avait encore bousillé un téléphone le matin même, ce n'était certainement pas lui qui allait lui écrire.
En revanche, elle avait reçu une réponde d'Ange : Terrasse avec Chuck et des potes innocents
Un sourire aux lèvres, elle était sur le point de lui répondre lorsqu'elle entendit la porte d'entrée s'ouvrir. Lâchant le portable sur son lit, elle se précipita à la rencontre de ses oncles.
De sa famille.

En retard, encore en retard et en train de courir dans les couloirs, pour changer. Aujourd'hui est un jour à retard, de toute façon, tous les objets sont contre lui, le boulot est contre lui, le temps est contre lui, le monde est contre lui.

Over dramatique ? Yep, peut-être. Est-ce qu'il en a quelque chose à faire ? Pas du tout.

Eeedwiiin, en retard pour son repas de famille avec son copain avec qui il travaille et sa nièce qui pourtant est chez lui, chantonne son téléphone. Téléphone obtenu il y a environ 2h, après qu'il ait abusé de sa position sur un de ses subordonné pour l'envoyer en acheter un de secours. En lui confiant un billet et la certitude qu'il ne serait pas fâché que le pauvre subalterne en question prenne du retard sur son boulot. Oui oui, aucun soucis.

Aucune idée du boulot du jour de la personne en question, d'ailleurs.

Ce téléphone, donc, remplaçant celui tombé au combat le matin même, risque fort de venir grandir la pile de petits appareils électriques détruits par le mêlé, si il ne se tait pas rapidement. Ce qu'Edwin lui fait donc savoir, sans arrêter sa course à travers les couloirs. Le téléphone a la décence de se taire mais, vraiment, qu'est-ce qu'Ed espérait en confiant l'achat de ce genre d'appareil à quelqu'un qui ne les entend pas parler. Penser. Parler. Peu importe. Tout ce qui compte c'est qu'ils sont tous inutilement bruyants et qu'il regrette des fois d'être cogiste plutôt qu'élémentariste feu. Ce qui, franchement, est probablement une mauvaise nouvelle pour Edwin mais une excellente nouvelle pour le reste de l'humanité et l'intégrité du QG d'Orpheo Londres.

Sur cette pensée, il effectue un dérapage totalement contrôlé à l'entrée de son bureau pour récupérer sa veste avant de repartir de plus belle en direction du restaurant libanais dont il a promis une livraison à domicile à Kurt et à Myaw. Et oui, il a bien entendu la commande de Kurt. Il aurait probablement pu la deviner, étant donné l'amour porté par son compagnon au Labneth, aux falafels dorées au sésames et au Zaatar. Edwin pour sa part a une addiction parfaitement saine au Chich Taouk.


C'est avec « presque pas » de retard et affamé qu'il finit par arriver à l'appartement avec la nourriture en main. Il enlève ses chaussures dans l'entrée en lançant à la ronde :

- Désolé, y'avait la queue au libanais.

Ce qui est vrai. Ce qu'il omet, c'est qu'il était déjà en retard avant d'arriver au restaurant et que la queue de clients n'a rien à voir avec ce fait, comme ses chaussures le lui font aimablement remarquer. Le mêlé réplique avec un regard noir dans leur direction avant de se tourner vers l'appartement. Il pose ses sacs sur la table de la cuisine avant d'aller envelopper Myaw dans un câlin.

- Comment tu vas ?

Il l'avait vue le matin, oui, et alors ? Une vie entière s'est écoulée depuis.

Après l'avoir relâchée, il se dirige vers son compagnon à qui il offre un baiser très simple, parce que Myaw est dans la pièce donc un peu de retenue s'il vous plaît, et un sourire. Deux petits gestes et pourtant il est tellement amoureux de cet homme que ce n'est même plus drôle. Il s'en détourne pour aller sortir les victuailles des sacs, avant d'être tenté d'avoir des gestes qui suivent ses pensées devant Myaw qui n'a rien demandé à personne.

Retenti alors la sonnerie de l'appartement.

- LIVRAISON, gueule la porte.

- Livraison, à priori, Ed informe le reste de la pièce et pose ce qu'il tient pour aller ouvrir la porte.
Il tombe nez à épines avec un adorable petit cactus en pot, affublé d'une étiquette qui dit simplement «Pour Kurt Höwigräsche». Pas d'expéditeur, rien, et la personne de la livraison s'est enfuie le temps qu'Ed lise l'étiquette. Le voilà comme un con avec un cactus même pas pour lui et aucune explication.

Franchement pas la chose la plus bizarre de la journée, vu ce qu'il a entendu le matin même de la part de la machine à café du 3ème étage.

Il ferme la porte en haussant les épaules puis va offrir le cactus à Kurt.

- Visiblement c'est pour toi. Une idée de l'expéditeur?

Le pot est étrangement silencieux, peut-être un de ces objets incapables de communiquer.


[Si besoin, Mymy ou Kurty, vous pouvez bouger Ed pour l'assoir à la table pour faire avancer le RP. Sachez qu'il a la dalle.]

La voix de Kurt depuis le hall l'informa qu'Edwin allait arriver et Myaw se précipita sur lui, heureuse de le voir rentrer. Elle se rappelait, enfant, lorsque sa mère l'emmenait au parc et que la jeune mère et sa fille rencontraient Green. La gamine qu'elle était se précipitait sur son parrain qui la faisait tourner dans les airs. Les rires de sa mère, le vent dans ses cheveux longs, le sourire de Green.
Tout ça avait disparu dans un accident de voiture qui avait brisé sa famille et la joie de son parrain. Il n'y avait plus eu personne d'abord. Puis l'orphelinat, tout plein d'enfants qui, comme elle, cherchaient à se retrouver dans des gestes qui n'étaient plus familiers. Ca avait pris du temps pour se reconstruire, du temps pour retrouver des rires, des sourires. Mais ça restait un endroit, certes fabuleux, mais rempli de trop de pas d'enfants pour trouver des racines. On leur offrait des ailes, on leur donnait des rêves, mais il manquait quelque chose.
Et puis tout ça avait disparu et Red l'avait traînée dans la boue. Lorsqu'Ange l'avait sauvée, elle s'était retrouvée démunie. Une fois encore, il fallait tout construire, tout retrouver. Edwin et Kurt avaient été là. À lui offrir une chambre à elle. Un foyer. De l'amour. Une famille. Des racines.
L'adolescente se précipita donc dans le hall d'entrée pour prendre le nouvel arrivant dans ses bras avant qu'il n'ôte son manteau.

- Tu as passé une bonne journée ? J'ai croisé notre amie, Luka. Elle m'a demandé si je chantais bien...

Myaw sentit le rose lui piquer les joues et elle se promit de faire un rapide message à Luka dès qu'elle retrouverait son téléphone. Elle n'était pas sûre que ses oncles soient très heureux de savoir qu'elle racontait leur vie, et surtout leurs étranges comportements à tous leurs collègues. Bon, certes, Luka n'était pas n'importe quel collègue, c'était avant tout une amie pour elle. Mais pas sûr que le couple le voie ainsi.
Heureusement, elle fut sauvé par le gong, ou plus exactement par la porte qui s'ouvrit pour laisser passer un Edwin chargé de nourriture.

- Désolé, y'avait la queue au libanais.

Elle écouta à peine ses excuses alors que son ventre grognait, elle avait faim et tout son organisme criait un seul mot : HUMMUS.

- Comment tu vas ?

Elle piqua un baiser sur la joue d'Edwin alors qu'il l'enveloppait dans ses bras. L'adolescente ferma un instant les yeux et un souvenir s'imposa à elle ; celui de son oncle qui débarquait pour la première fois à l'orphelinat, sa maladresse d'adulte dans un monde enfantin. Il avait le même parfum.

- Bien ! Mais j'ai trop faim !

Il se détacha d'elle pour embrasser Kurt et elle sourit tendrement ; ils étaient tellement mignons tous les deux. #couplegoal aurait dit Summer sans aucun doute. Myaw se surprit à penser à Ange. Elle espérait que, même après autant d'années ensemble, ils auraient la même tendresse, les mêmes regard brillant plein de désir, le même amour que ces deux-là.
Bon d'ailleurs, en parlant de désirs... Peut-être pas autant. Sa chambre était vraiment pas loin de la leur et parfois... non, elle préférait ne pas y penser. Edwin et Kurt était sa famille et, comme tout enfant, elle ne tenait pas à savoir ce qu'ils faisaient dans leur lit.
Heureusement, une fois encore le gong vint à son secours. Littéralement cette fois-ci puisque ce fut la sonnette qui retentit dans tout l'appartement.

- Livraison, à priori.

Inconsciemment, Myaw grimaça. Voilà pourquoi il était aussi difficile d'avoir des secrets avec Kurt et Edwin ; avec un don comme celui de parler aux objets, tout l'environnement était une perpétuelle menace. Heureusement que son téléphone et ses affaires avaient décidé d'être ses alliés et de ne pas parler de sa relation amoureuse. Sûre qu'elle les garderait pour toujours ceux-là. Tant pis s'il lâchait, elle trouverait bien quelqu'un dans le monde magique pour soigner un portable un peu obsolète. Il lui semblait que sa toute nouvelle patronne - Melany l'avait engagée quelques jours plus tôt pour l'aider au cinéma et se faire quelques sous - était très forte pour réparer toute sorte de chose. Il faudrait un jour que Myaw lui parle d'Edwin ; sûr qu'un don pareil pourrait intéresser celle qui chouchoutait ses objets, persuadée qu'ils avaient une âme.

Edwin revint quelques instants plus tard, alors que Myaw a déjà commencé à ouvrir les boîtes et à tout disposer sur la table, un cactus entre les mains. Il le tendit à Kurt, ce qui paraissait étrange.

- Visiblement c'est pour toi. Une idée de l'expéditeur ?

Kurt avait un admirateur secret ? Mais normalement c'était plutôt des fleurs qu'on offrait et le végétal la faisait vaguement penser à quelqu'un.

- Ca ressemble à un coup de Ti...- elle se reprit, il fallait vraiment qu'elle arrête avec ces surnoms enfantins - M. Kido. Les rumeurs de l'orphelinat disent que lui et sa femme ont un élevage de cactus dans leur frigo.

D'autres cultivaient bien de la marijuana dans leur cave, alors pourquoi pas des cactus ? Ca devait être moins utile, cela dit, pensa Myaw en attrapant une galette pour la tremper dans le hummus tant rêvé.