14 juin

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 14 juin

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Admin | Exorciste d'Orpheo
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Sylvester A. Aonghus
Sylvester A. Aonghus
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MessageSujet: 14 juin   14 juin EmptyLun 22 Fév 2021 - 23:42

– Désolé Alec, je sais que tu voulais éviter les bureaux, mais comme il vaut mieux que cette histoire ne s’ébruite pas…

Sylvester regarda le guérisseur qui semblait trop concentré sur sa patiente pour l’écouter. Les deux hommes s’étaient rencontrés sur une mission, il y avait un paquet d’années désormais. Orpheo faisait parfois appel à des organisations extérieures pour les soutenirs, et ça avait été le cas sur un des jobs de Sylvester, en collaboration avec l’ordre Blaidd Ddrwg – d’ailleurs c’était imprononçable leur machin, s’il mettait la main de celui qui avait trouvé ce fichu nom, il se ferait une joie de lui péter les dents pour qu’il ait enfin une bonne raison de retirer les voyelles des mots. Le médecin n’était pas intervenu dans la bagarre, mais était là pour soutenir leur guérison. Et son aspect de bouclier était un sacré atout pour ce genre de missions ; Sylvester n’avait pas eu à soucier que son partenaire se fasse manipuler à distance ou tombe dans un piège magique.
Ils avaient, dès lors, sympathisé et c’était revu quelques fois depuis. Alec avait réalisé son rêve de prendre la tête d’un IBMM pour lequel il dédiait absolument toute sa vie et Sylvester avait continué à grimper quelques échelons sans trop en faire parce que la politique d’Orpheo n’était vraiment, mais alors vraiment pas son truc.

Et puis un jour, on l’avait mis sur une mission. Une missions confidentielle, et on avait bien insisté sur ce mot. Tellement confidentielle qu’il ne fallait même pas que ça s’ébruite dans les hautes sphères d’Orpheo. Sa binôme était une exorciste expérimentée de Berlin aux côté de qui il avait déjà combattu plusieurs fois. Et on leur avait recommandé de prendre un guérisseur avec eux. Mais discrètement, avait-on insisté. La confidentialité.
Sylvester avait immédiatement pensé à Alec. L’homme avait d’abord accepté, mais c’était refroidit en entendant le nom de la capitale allemande. Néanmoins, à force de persuasion, l’exorciste avait fini par le convaincre de les accompagner, à la seule et unique condition qu’ils ne mettent pas les pieds dans les bureaux d’Orpheo.

Ahum. La mission avait mal commencé et, très rapidement, avait encore plus mal tourné. Ils avaient suivi les ennemis jusqu’à un endroit proche d’Orpheo et étaient tombé dans un piège dangereux. Les trois compères avaient juste eu le temps de fuir avant de se faire massacrer, mais sa collègue allemande – Beth – avait pris un coup trop grave pour rester consciente et Sylvester avait terminé en la portant jusqu’à Orpheo, seul endroit où il estimait qu’ils seraient en sécurité, au plus grand damn d’Alec qui avait grogné beaucoup en y entrant. Et, vu l’état de Beth, et l’impossibilité de l’amener dans un IBMM – parce qu’on avait parlé de confidentialité –, le guérisseur avait été obligé de les suivres jusque dans le bureau de l’allemande afin de la soigner.
Ça lui avait pris un sacré moment pendant lequel Sylvester se repentait en excuse, mais les blessures avaient fini par se refermer sous ses yeux, ce qui épataient toujours l’exorciste. Alec avait fait son job, parce que c’était Alec et que son job passait avant tout. Même si l’australien ne comprenait toujours pas pourquoi son pote n’avait pas envie de mettre les pieds à Orpheo et n’avait rien osé lui demander, au moins il pouvait compter sur lui.

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14 juin Giphy

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Alec Meyer
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MessageSujet: Re: 14 juin   14 juin EmptyLun 22 Fév 2021 - 23:42

Alec concentra sa magie dans les fentes et le sang qui coulait. Les blessures étaient impressionnantes, mais pas si grave au final et l’exorciste devrait vite s’en remettre. Sylvester parlait tout seul dans son coin, mais il ne l’écoutait pas vraiment, trop absorbé par la concentration.
Enfin, la dernière plaie se referma et il put ôter ses mains du corps encore salit par le sang.

– Ça devrait aller comme ça. Elle va juste avoir besoin de beaucoup et repos et de boire pas mal pour compenser la perte de sang.

Il attrapa un mouchoir dans la boîte qui traînait sur le bureau pour s’essuyer les mains, mais le sang déjà un peu sec résista sur sa peau. Il soupira, réalisant qu’il allait en plus devoir trouver des toilettes car il était impensable de sortir dans les rues de Berlin dans un tel état sans passer pour un fou ou un meurtrier.

– Appelle-moi si elle ne s’est toujours pas réveillée dans une heure. Ou si tu décides de remettre ça avec tes charmants amis.

Ça puait depuis le début cette histoire de toute façon. Une mission confidentielle à ce point-là ? Il n’aurait jamais dû accepter. Mais Sylvester avait su trouver les mots pour le convaincre et il s’était dit qu’un peu d’adrénaline ne lui ferait pas trop de mal afin d’oublier… tout le reste. Donc il avait pris l’avion et suivit l’exorciste dans ces embrouilles.
Embrouilles qui l’avait mené au dernier endroit sur Terre où il avait envie d’être.
Alec vérifia une dernière fois que tout irait bien pour la femme qui avait perdue connaissance – tous les indicateurs étaient bon, elle devrait vite s’en remettre –, puis quitta la pièce après un dernier geste de tête en direction de Sylvester. Il ouvrit ensuite la porte avec son coude afin d’éviter de foutre du sang partout sur la poignée, puis commença sa balade dans l’institut afin de trouver une salle de bain, une cuisine, n’importe quoi avec un lavabo.
Mais il fallait croire que les allemands n’avaient jamais envie de pisser car il ne semblait y avoir que des bureaux autour de lui. Qui était l’architecte de ces lieux ? C’était terriblement mal pensé en tout cas. En désespoir de cause et parce qu’il avait envie de fuir cet endroit le plus rapidement possible, il se résolut à demander son chemin à une personne au hasard qui ne s’inquiéta même pas de la couleur de ses mains – l’avantage d’être à Orpheo. Elle lui indiqua une porte dans son dos et il se retourna pour suivre du regard son doigt lorsque…

Deux yeux bleus le frappèrent de plein fouet.
Un sentiment de nausée le frappa alors que remontaient les souvenir, les fines cicatrices encore sur sa main, dues à la cicatrisation qui s’était si mal passée – notamment parce qu’il avait passé son temps à gratter les croûtes, comme pour se punir lui-même – et l’enveloppe glaciale de ses fesses sur le sol de sa cuisine. Tout ce qu’il espérait éviter en venant dans ce lieu.
Il contint le vomi dans son corps, regretta les mains pleines de sang, les cheveux en bataille, les joues rouges d’avoir trop couru alors qu’il n’avait clairement pas l’entraînement des exorcistes. Alec ne pouvait pas faire semblant de ne pas l’avoir vue, ou de ne pas la reconnaître. Même si ça résonnait encore trop lourdement entre ses tempes, il était adultes et bien décidé à la prouver.
Combien même ça lui crevait la poitrine.

– Bonjour Sam.

Sam qui l’avait lâché, abandonné, Sam qui retournait complètement son cerveau sans même qu’il ne comprenne pourquoi.

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Sam Carver
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MessageSujet: Re: 14 juin   14 juin EmptyMar 23 Fév 2021 - 12:28

Sa majorité avait approché à grands pas. Elle avait dû prendre des décisions et ça avait été compliqué.

Elle était tombée amoureuse.

Fauchée net.

Elle avait appris la douceur d’être collée à quelqu’un, toujours contre. Elle avait enfin compris pourquoi elle était dans un lycée humain : comprendre pourquoi ils devaient protéger les innocents. Comprendre en quoi ils étaient juste comme eux. Elle avait passé le printemps à boire des bières sur toutes les places de Berlin, s’était endormie le visage au soleil sur la plaine de l’ancien aéroport des dizaines de fois, sa bande de potes autour d’elle, la tête sur son ventre.

Elle était trop belle, l’autre.

Elles ne s’embrassaient jamais, n’avaient pas couché ensemble, l’effet platonique l’avait rassurée comme jamais : rien n’était attendu d’elle, seulement une présence.

Elle était encore tombée amoureuse, il était un peu plus grand qu’elle, cheveux noirs sur le front, yeux noirs, tactile mais platonique aussi. Il lui semblait la nuit qu’elle tombait dans les failles creusées dans ces certitudes : pouvait-on aimer si fort sans sexe ? Deux personnes ? Et puis arrivait le crépuscule, à quinze sur des serviettes dans un champ de violettes et elle se disait, je les aime trop, tous.

Mais l’été s’était approché et les études supérieures avec ; la vie les séparerait, c’était certain. Elle avait mis aux oubliettes ses désirs de guerrière stylée, de lames au combat ; fini la guerre. Elle ne voulait plus être espionne ou Athéna, elle voulait aider à réparer les creux des gens. Elisabeth l’avait prise à part sur le canapé pour lui parler d’équilibre : ne pas tout miser sur une poignée d’humains. Avoir un travail stable, un endroit qu’on appelle « chez moi », des gens à appeler qui ne gravitent ni dans son âge ni dans son milieu social. Un chat, des plantes, un sport ? De l’art, de la musique, des choses qui créeraient des branches auxquelles se raccrocher pendant la chute.

Elle bouillonnait de vie et d’envies et de contradictions, grandissait à toute allure, mais chaque
putain de jour il avait fallu penser à Alec. Parfois juste en croisant quelqu’un qui lui ressemble dans la rue, des mots, superbe, un whisky un peu plus rond qu’un autre, des marches pour s’asseoir et fumer, même à trois dans le lit, entre Alice & Islem, calée au milieu pour avoir chaud, même en disant Je t’aime à Islem, en sentant ses lèvres sur mon front, pas sexualisée, à l’abri, les yeux d’Alec, son corps, son appartement. Pourquoi ?

Sincèrement, pourquoi ?

Elle ne resterait pas chez Cormag et Éli. Elle avait adoré vivre chez eux mais avait très envie d’un studio pourri en centre ville, à côté d’Orpheo Berlin. C’était chez elle, elle s’y sentait suffisamment bien pour réviser sur une chaise de salle d’attente, pouvait faire des blagues à tout le personnel administratif et les appeler par leurs prénoms. C’est la sécurité, la maison, c’est là où je travaille sur leurs souvenirs, pas toujours pour les changer mais parfois pour les reraconter sans déformer, les mains plongées dans les traumatismes.

Elle plonge les mains dans l’eau glacée jusqu’a en avoir mal aux mains. Comme toujours, ça la ramène à elle même, mais pas assez encore, elle sort une lame de rasoir, s’entaille le creux du coude, regarde la perle écarlate et le pincement singulier la sortir définitivement des souvenirs du patient. Elle colle un petit pansement, sort.[/i]

— Bonjour Sam.

Oh shit.
Je regarde derrière moi sans lui répondre — étrange réflexe. Oui, c’est toi, Sam. Si la colère me donne des réparties stylées, l’étonnement, pas du tout. J’ai froid, j’me gèle le cul après avoir été drainée de la magie, mais subitement j’ai une bouffée de chaleur qui se colle à mes joues. Je revis en express la dernière soirée ; celle où je m’étais dit oh, ça va hein, c’est un grand garçon. J’étais allée danser avec Bart et Martin quand même.

— Euh…

Je regarde ses mains. D’ici je sens l’odeur de vieille rouille. Je déteste toucher du sang, c’est le pire, c’est chargé des autres.
Mais qu’est-ce qu’il fait là ? Et c’est le sang de qui ?

— Hey.

Je me sens immense, comme si je prenais toute la place du couloir, comme si j’étais un blob désarticulé aux joues rouges. J’inspire un peu d’air entre mes dents, hachée. J’ai envie de le toucher — je me rappelle sans mal le vide absolu, le vrai contact de ses mains sur moi, unique, rien d’autre. Juste une paume chaude sur mes hanches, mes joues — mais, est-ce que son bouclier s’épuise après que sa magie ait été draînée en masse ?
Et si je le touchais et que, cette fois-ci, je voyais ?

Et si c’était son sang à lui ?

— C’est le sang de qui ?

Puis elle percuta : c'est une ADMINISTRATION ICI, personne ne meurt dans les couloirs en fait. Ici. Je lève des yeux froids sur Alec, le voile d'inquiétude casse me voix en un râpement rauque.

— Qui est en train de mourir ?

Parce que je les connais tous ici, je les aime.[i] Elle se souvient brutalement de pourquoi elle trouve autant de confort chez les innocents : des problèmes simples et des gens simples (pas toujours vrai, mais dans l’idée, beaucoup, beaucoup moins de décès et moins de souffrances aussi organiques). Elle déglutit, un refrain lui vient en tête, et ça dit :

It might take some friends and a warmer shirt
But you don't get thick skin without getting burnt

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Alec Meyer
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MessageSujet: Re: 14 juin   14 juin EmptyMar 23 Fév 2021 - 13:40

Il la trouva différente. Comme plus grande, plus mature, mais c’était une réflexion de vieux alors il ne le dit pas. Et puis différente de quoi ? Il l’avait à peine croisée dans sa vie, souvent nue dans une pénombre qui lissait tout, pas dans la lumière crue d’Orpheo. L’homme se demanda si elle avait atteint ses 18 ans, si elle vivait toujours chez Cormag et alors il réalisa dans le même temps à quel point il ne la connaissait pas. C’était une étrangère pour lui. Il ne connaissait pas la date de son anniversaire, son signe astrologique, son deuxième prénom, il ne savait même pas son nom de famille. Si elle aimait le café le matin, sa couleur préférée, si elle avait des frères et sœurs.
Tout ce qu’il connaissait c’était son corps et l’expression dans ses yeux bleus pendant l’orgasme.

– Euh…

Évidemment que la situation était gênante. Depuis la dernière fois, depuis le poing contre le carrelage et la brûlure de la glace au chocolat. Il avait voulu enterrer tout ça après. Avait forcé son corps à aimer d’autre, de manière mécanique, recherché le bleu dans les yeux de ses conquêtes, accepté de plaquer le visage de Sam sur les corps sans images qui se déroulaient dans son lit. Il pensait qu’à force ça lui passerait, mais l’été avait fini par chasser le printemps et ça lui collait toujours au corps.
Et désormais elle était là, face à lui et un peu différente.
Alec l’observa et son regard glissa jusqu’au pansement dans le creux de son coude. Il connaissait ce genre de blessures, il en avait assez vu qui marquaient les bras de trop de personnes. Magiques comme innocents. Au jeu de l’autodestruction, il n’y avait plus d’histoire de race qui comptait. Tous égaux.

– Hey.

Un sourire triste s’étendit sur les lèvres du trentenaire. Il ne savait pas comment gérer cette conversation et en même temps, avait peur du silence.

– C’est le sang de qui ?

Le regard du guérisseur coula jusqu’à ses mains rouges. Des mains qu’il avait trop souvent vues recouvertes d’hémoglobine. Celle des inconnus, souvent. Celle des personnes qu’il aimait, parfois.
Et son propre sang aussi, rarement.

– Qui est en train de mourir ?

Alec sentit la panique dans la voix de la jeune femme et releva aussitôt les mains en signe d’apaisement.

– Personne.

Il trouva sa voix étrangement calme, mais peut-être était-ce la marque de sa profession. Il se rappelait la première fois où un patient était mort sous ses mains. C’était un innocent, dans un hôpital tout ce qu’il y avait de moins magique. Le jeune médecin qu’il était à l’époque avait eu envie de se rouler en boule dans un coin, nœud de nerfs qui ne demandait qu’à expier en silence. Ses formateurs ne lui avaient pas offert cette opportunité. Ils lui avaient demandé d’annoncer la nouvelle à la famille et Alec s’était retrouvé face à un homme et une femme de soixante ans, à devoir leur expliquer que l’opération n’avait pas pu sauver leur enfant. Il avait dû supporter les larmes sans tomber lui-même dans les sanglots, rattraper la vieille femme qui s’écroulait, se concentrer sur leur peine plutôt que la sienne.
Puis, après cette scène, il s’était enfermé dans les toilettes pour pleurer seul.
Avec le temps, il avait appris à mieux maîtriser la mort, les annonces aux proches et les sentiments des autres. Même s’il se retrouvait encore fréquemment à s’enfermer dans les toilettes de son IBMM pour tout laisser couler. Voix calme devant les autres, boule d’émotions pour lui-même.

– Je répare les corps, tu te souviens ?

Les corps, mais pas les cœurs. Pas le sien en tout cas.
Il pointa du menton le pansement sur la peau pâle.

– Je peux soigner ça aussi. Si tu en as envie.

Sans jugement. Ça ne servait à rien, ça n’apportait rien tant que la personne ne désirait pas en parler d’elle-même.
Son regard glissa à nouveau au rouge sur ses mains. Pour ne pas montrer le rouge sur ses joues.

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Apprentie Exorciste
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Sam Carver
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MessageSujet: Re: 14 juin   14 juin EmptyMar 23 Fév 2021 - 14:26

Il joue à rassurer, les mains devant lui. Il sent le mensonge discret. Même Alice pourrait voir ça, son dos, ses yeux. Peut-être suis-je en train d’extrapoler et que c’est la situation qui me met simplement la puce à l’oreille.

— Personne.

Sa voix, sa voix, sa voix. Elle recule d’un pas, inspire. Naturellement, elle voudrait se mettre de profil, comme si son corps réagissait à une agression physique, extérieur. Se défendre d’une demi-vérité.

Pourquoi est-elle autant soucieuse de lui, subitement, pourquoi
qu’est-ce que j’en ai à faire. Pourtant c’est là, je le regarde de biais à la recherche d’une suite. Ça me tombe dessus, simplement, j’ai envie d’avoir toutes les réponses pour lui, lui donner ce dont il a besoin, qu’il se décharge enfin.

Je déglutis.

– Je répare les corps, tu te souviens ?

J’affiche un air genre, « mais pire explication en fait » mais il ne me laisse pas le temps de me rebiffer qu’il enchaine, soulignant d’un geste de tête ses mots :

– Je peux soigner ça aussi. Si tu en as envie.

Je fronce les sourcils, une lame de fond pleine de rage la fait vaciller mais elle se compose un visage plein calme que ça. Comme à chaque fois qu’elle est vue. Je change de sujet comme lui vient de le faire :

— Tu répares des corps dans des IBMM. À Strasbourg. Pas dans nos locaux, là où les gens ordinairement ne se vident pas de leur sang.

Lâche l’affaire Sam, lâche, lâche, lâche, lâche, ça ne te concerne pas ; mais tout concerne Cormag et tout me concerne par extension, fffffuck, je lui attrape une main pour me faire souffler l’histoire du sang.

D’office.

Ça ne se fait pas, je sais.

Rien ne me vient mais je sens quand même un courant électrique m’hérisser l’échine. Je grimace. Je ne sais pas si c’est le sang trop sec, à moitié essuyé, peut être que c’est moi qui suis vidée. Je déteste le fait qu’il ne dise pas immédiatement la vérité ; si j’avais été un vieux mâle, aurait-il dit les choses ?

— Tu viens d’où, Alec ?

Son prénom sous ma langue. Tant pensé et jamais dit.
Putain ! S’il avait pas été homme bouclier, j’aurais pu lui vriller le crâne pour qu’il cède.
Mais s’il avait pas été homme bouclier, t’aurais pas couché avec.

Je sens mes joues chauffer à nouveau, l’envie de gratter sous le pansement jusqu’au sang. Ravie tout de même de pas lui avoir craché un « mêles-toi de ton cul » à sa tête. C’est une histoire connue en plus, Sam et ses pansements, ça fait plus lever un sourcil à qui que ce soit. Je l’avais expliqué à Cormag, même pas honteuse, j’arrive pas à revenir dans ma peau à moi, je reste engluée à celle des autres, j’ai besoin d’être rappelée à mon corps.
Et elle n’avait connu que la douleur pour ça ; le sexe, certes, aussi.
Sûrement.


J’ai envie de filer dans les couloirs entre ses doigts, d’aller voir ce qu’il se passe en vrai. Cormag dirait que c’est parce que je veux tout contrôler, et peut-être aurait-il raison. Idéfix qu’ils m’appellent ; rien à faire. Je ne lui offre ni sourire ni joie, pourtant, pourtant c’est plutôt mon genre, je ne l’invite pas à danser, je reste bien plantée dans le sol de MON endroit de MON CHEZ-MOI dans lequel il vient me mentir.

Pas ouf.

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Alec Meyer
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MessageSujet: Re: 14 juin   14 juin EmptyMar 23 Fév 2021 - 18:48

Le pansement qui collait à la peau de Sam le rendait triste. Il se demanda si elle faisait ça pour fuir son pouvoir, pour se sentir plus vivante, pour que les blessures de l’intérieur se voient aussi à l’extérieur.
Les fines cicatrices blanchie le grattèrent sous le sang, lui rappelant le poids de son poing contre le mur de la cuisine.
Faisait-elle ça pour la violence ? Ou pour la fuir ?

– Tu répares des corps dans des IBMM. À Strasbourg. Pas dans nos locaux, là où les gens ordinairement ne se vident pas de leur sang.

Elle ne lui laissa pas le temps de répondre et attrapa la main du guérisseur ce qui creusa un peu plus sa tristesse. Ils savaient tous les deux pourquoi elle cherchait ce contact. Mais qu’espérait-elle, que le sang percerait le bouclier ? Qu’il était trop fatigué pour que ça fonctionne encore. Il avait refermé des blessures profondes, mais faciles à gérer. Ce n’était pas une opération où le pronostic vitale de la patiente était engagé ; bien plus simple, bien moins fatigant.
Mais apparemment elle ne voulait pas croire que personne n’était en train de mourir. Pas dans ces bâtiments, pas sous sa surveillance.

– Tu viens d’où, Alec ?

Son nom dans sa bouche.

Il récupéra sa main avec douceur et résista à l’envie de lui répondre qu’il venait, théoriquement, de l’utérus de sa mère. Il voudrait ne pas avoir croisé Sam dans ces couloirs, ne l’avoir jamais revue, continué la difficile tâche de l’oublier, de l’enterrer sous le reste de sa vie. Il aimerait également qu’elle soit avec lui, à le prendre dans ses bras pour calmer la tristesse qui martelait ses temps.
Peut-être que lui aussi, dissimulait son corps sous les pansements. Remy pour oublier que Nana était morte. Sam pour oublier que Remy n’était plus là. D’autres corps au visage flou pour oublier que Sam l’avait rejeté.

– C’est confidentiel. Le secret médical.

Sylvester lui avait interdit de parler à quiconque de cette mission. Il avait bien précisé personne ; ni sa meuf, ni sa mère, ni son chien.
Ça tombait plutôt bien : Alec n’avait pas de meuf, sa mère était morte depuis des années et son chien était en fait un chat antipathique. Puis l’exorciste avait ajouté, en le regardant droit dans les yeux « Et surtout, pas un mot à Cormag Scrimgeour ».
Ne rien dire à Cormag ça voulait dire ne rien dire à Sam.

– C’est plus impressionnant que grave et je te le promets, personne ne mourra dans ces lieux aujourd’hui.

Si ce n’est son cœur qui asphyxiait à mesure qu’il se serrait dans sa poitrine. Il le sentait, l’avait toujours sentit, il n’était pas à sa place dans les lieux, au cœur de la politique et du pouvoir, tout ce qu’il ne comprenait pas, tout ce qui le faisait froncer les sourcils à chaque fois que Remy, passionnée, lui en parlait. Il aimait le confort de la neutralité que lui offrait l’ordre Blaidd Ddrwg et son IBMM. Sauver des vies, pas faire des manigances dans des couloirs pour en prendre.
Il n’était pas chez lui ici, et ça prenait encore plus de sens dans le reflet qu’il apercevait dans les yeux de Sam.

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MessageSujet: Re: 14 juin   14 juin EmptyMar 23 Fév 2021 - 19:57

Il retire sa main et je comprends que j’ai été idiote, mais c’est un peu tard. Tant pis. C’est comme les mots, c’est comme les actions, c’est comme ce qu’on a laissé faire ou non : ce qui est derrière ne repassera jamais devant.

Ferais-je les choses différemment avec Alec ?

Elle ne se rend absolument pas compte qu’elle a pu lui faire du mal en le laissant seul ce soir là, en avril, après le taxi, la montée, le reste. Elle sent qu’elle a été aussi honnête qu’elle pouvait l’air, aussi elle-même, qu’elle ait déchiré des limbres d’un autre ne l’effleure pas.

— C’est confidentiel. Le secret médical.

Je cesse de le scruter, il a raison, je n’ai rien à demander ou à exiger. Je ne suis pas à ma place, mauvaise professionnelle croisée dans le mauvais couloir, c’est juste une rencontre absurde. La vie kiffe pas mal nous doser comme ça ces derniers temps quand même. Un trou dans la poitrine par ici, une barrière qui éclate par là. Dans une autre situation elle aurait songé au soir, à prendre un bain avec Alice, faire le mur pour le seul plaisir de faire le mur, prétendre qu’on en aura quelque chose à foutre qu’elle sorte au beau milieu de la nuit retrouver qui de droit. Mais non. Il n’y a qu’Alec, et elle déglutit, engluée au sol.

– C’est plus impressionnant que grave et je te le promets, personne ne mourra dans ces lieux aujourd’hui.

Mes bras retombent le long de mon corps alors que je hoche la tête. Promets-moi des trucs, Alec. Vas-y. C'est absurde. Pourquoi est-ce que j’essaierai de toute façon de le retenir, pourquoi est-ce que j’essaie de savoir, de fouiller ? Il aurait pu me rejeter net quand je lui ai pris la main, me dire mais tu te prends pour qui au juste ? que ç’aurait été mérité.

Bon.

— D’accord.

Je m’efface sur le côté pour lui laisser la place de passer sans m’effleurer. Il semble tout aussi incongru dans cet endroit ; j’en oublie Cormag qui aurait voulu savoir, qui m’aurait dit d’insister, sûrement. J’en oublie moi-même et sa proximité, je cède net à la réalité : deux étrangers dans un couloir qui devraient pas passer ces longues et douloureuses minutes à ne pas se comprendre. Ils devraient tracer leur route.

— Y’a un lavabo, troisième à gauche, dis-je avec un vaste geste de la main.

J’essaie de me casser en garder les yeux rivés sur le sol, mais je me surprends à lui retourner un regard franc, inquiet, douloureux. En trois syllabes. Longues et douloureuses minutes je disais, à l’instant, n’est-ce pas ?
Rien ne change. Je m’ancre à ses prunelles et je souffle :

— J’espère que ça va.

Je détale — par là d’où il vient, mais pas pour aller fouiller. Je pourrais peut être, pourtant, ouvrir toutes les portes, fouiller les recoins, hurler de toutes mes forces pour qu’on trouve pour moi. Mais je garde les mains contre moi, le visage crispé d’une souffrance qui me tord les tripes et que je ne comprends absolument pas ; un tambour dans ma tête tape tape tape tape tape
rattrape moi rattrape moi rattrape moi

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Alec Meyer
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MessageSujet: Re: 14 juin   14 juin EmptyMar 23 Fév 2021 - 21:54

Où était-elle allée ? Le soir où elle l’avait laissé, après l’avoir fait jouir, où était-elle allée ? Était-elle rentrée chez Cormag, avait-elle pleuré dans ses bras – pouvait-on seulement pleurer dans les bras de quelqu’un comme lui –, avait-elle simplement fumé une clope avant d’aller danser, d’embrasser d’autres lèvres, de sucer d’autres bites ?
Pendant que lui se répandait sur le sol de sa cuisine ?
Combien de temps était-il resté par terre, à se sentir comme une merde, le goût de chocolat partout sur ses dents ? Combien de temps avant de se relever, de passer sa tête sous l’eau du robinet de sa cuisine puis de s’écrouler sur son canapé, trop fatigué pour monter les escaliers ? Les cauchemars de la nuit qui avait suivi et toute cette solitude qui s’était effondrée. Comme pour accentuer son abandon, Gris n’était pas rentré les jours qui avaient suivi cette nuit-là. Il avait déserté l’appartement et sa gamelle, sans doute pour aller squatter chez un de ses voisins. Le chat avait l’habitude de vivre sa vie ailleurs et de ne faire que passer, mais c’était la première fois qu’il partait aussi longtemps.
Tout le monde désertait sa vie.
Sa famille, Remy, Sam, même son putain de chat.

– D’accord.

Elle se décala du paysage, un simple pas sur le côté et elle n’était plus devant lui, lui laissant le champ libre pour se laver les mains, puis partir loin de Berlin et ne jamais, surtout jamais, y remettre les pieds. Combien même Sylvester le supplierait à genoux. Hors de question de revivre tout ça, de revivre le silence entre eux alors que dans sa tête il préférait tellement l’image de leurs corps en train de danser et de s’enlacer, c’était cette image là qu’il désirait garder, celle de Sam qui jouissait dans son lit.
Pas sa bouche sur son sexe, sa bouche sous l’eau, sa bouche qui ne disait même pas adieu.

– Y’a un lavabo, troisième à gauche.

Un lavabo. Troisième à gauche. Ok. Des faits, que des faits. Y’a un lavabo, troisième à gauche. Il répéta les mots dans sa tête, les y ancra. Se concentra sur les faits, l’architecture des lieux pour la rendre plus familière à son regard et fuir un peu Sam qui se mit à bouger sans le regarder.
Si elle ne levait pas les yeux vers lui c’était terminé.
Le grand bleu renversa son cœur.

– J’espère que ça va.

Il resta planté là alors qu’elle s’échappait de lui, son regard encore planté dans sa tête. Il fit un pas vers les toilettes, encore sonné, tendit un main rouge vers la poignée qu’il serra un peu trop fort, laissant les lignes de sa main sur le métal.
Pas deux fois.
Fallait arracher les pansements parfois et regarder les blessures en face. Refuser de toujours recouvrir. Remy n’avait pas été un bandage, elle avait été sa moitié, sa meilleure amie, sa meilleure amante. Et Sam n’était pas non plus là pour couvrir Remy. Sam était Sam, grande et belle dans cet environnement qui était le sien, grande et belle dans son appartement à Strasbourg, Sam qui hantait un peu trop souvent ses pensées.
Il se retourna, le cœur ballant de l’avoir manquée, qu’elle soit déjà partie trop loin. Quelques pas hésitants, puis plus insistant.

– Sam, attend !

Attendre avant qu’il ne soit trop tard.

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MessageSujet: Re: 14 juin   14 juin EmptyMer 24 Fév 2021 - 11:57

Elle part. Elle part, elle part, elle part, le coeur battant sans raison ; comme Cendrillon chanté par Téléphone, elle part. Elle voudrait avoir des explications sur pourquoi les gens lui font si peu d’effet d’ordinaire, elle les aime tous, elle aime les lycée, elle aime sa vie, elle aime le soleil des fins de journées, elle aime la sensation de la première gorgée de bière, de la sixième taf de clope, elle aime dormir en serrant quelqu’un, elle aime pspspsps les chats inconnus dans les rues.

Mais elle n’aime pas Alec.

Alec est le tsunami qu’elle attend, immobile, étonnée à chaque fois de pouvoir être un réceptacle aussi grand, de pouvoir ressentir autant. Il se coule dans des interstices salis par d’autres souvenirs, ça fait tout remonter ce qu’elle avait juré de laisser entre les lattes du parquer.


Pourquoi il existe, en fait ?
Pourquoi est-ce qu’on continue à se téléscoper comme ça, sans raison, juste pour se brûler et faire des étincelles, idiote idiote idiote Sam, le goût d’émail dans ma bouche et subitement, il dit, il dit putain, il dit :

— Sam, attend !

Je me retourne, bien évidemment. Comme continuer à tracer, les oreilles chaudes et le regard emprisonné au sol ? Pas moi, ça, pas moi. Je me retourne sans avoir pourquoi je devrais attendre — persuadée qu’il ne le sait pas non plus.

Je me retourne est me pince les lèvres, trop gênée, trop grande et trop perdue, là. Mais je sais exactement ce qu’il veut dire, enfin je crois. Il lui semble deviner l’urgence de la situation, le truc qui fait que tu veux pas lâcher, comme si en se séparant y’aurait un gouffre qui s’ouvrirait, vide, immense. Elle se sent tout à fait au bord du vide, prête à retourner dans la morosité de l’océan qu’elle aime pourtant, et qu’il lui propose les vertiges de l’air, jamais de pose, jamais de repos.

C’est con pour nous que subitement ça dépasse le domaine du sexe, on aurait dû en rester là, j’aurais dû faire genre de venir sous ses doigts, j’aurais dit, et voilàààà, tadaaaa, maintenant je repars, c’est peut-être parce que j’ai créé la première déchirure et le premier manque qu’il me rattrape, qu’il me dit attend, j’en sais rien et à la fois, à la fois… Ses sourcils se rejoignent dans une expression de mélancolie toute en dentelle qui s’accroche à sa bouche, la ligne de ses épaules, ses mains. Elle s’humecte les lèvres, et souffle, bas, tout bas, si bas, face à lui :

— Je sais.

Elle balaye l'air d'un geste qui veut dire,
je sais, et j'en suis désolée, moi non plus je, je, je ne comprends pas. [i]
Que ça fasse sens ou pas pour l'autre ne lui importe pas, parce qu'elle croit qu'il saura, lui aussi, le tourbillon et le vertige et l'envie de le serrer fort, fort, fort, de ne pas le lâcher jusqu'à ce que ça fasse mal et qu'elle soit obligée de se tailler,
en deux,
comme ses coudes et ses poignets,
rougis,
l'immobilité la rend folle à cet instant, l'estomac dans les talons, les yeux rivés sur Alec.

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MessageSujet: Re: 14 juin   14 juin EmptyMer 24 Fév 2021 - 12:39

Peut-être qu’elle aurait déjà disparu, effacée au bout du couloir et qu'alors, tout serait plus simple. Qu’elle ne voudrait pas l’entendre, pas s’arrêter, pas continuer tous ces faux semblants. Le fait de la suivre résonnait creux en Alec. Ça le ramenait à leur première fois, quand elle était sortie dans la nuit après qu’ils aient joui, qu’ils avaient hésité à lui dire qu’il appelait un taxi, mais que tout ça était trop bizarre. La deuxième fois à l’IBMM. Lorsqu’elle était partie furibonde de son bureau, mettant sans dessus-dessous la tête du guérisseur, qui s’était retenu de lui courir après. Ou la dernière fois chez lui, quand il n’avait rien su dire en la voyant refermer la porte derrière elle.
À peine quatre rencontres éparpillées sur quatre mois, alors pourquoi c’était aussi fort ?

Elle s’arrêta et se retourna, ses yeux basculant dans les siens. Elle se retourna et quoi ? Il se rendit compte qu’il n’avait pas de plan, pas d’idée toute faite, d’envie de la prendre dans ses bras et de la faire s’envoler en riant dans un baiser passionné, pas de phrase toute faite à l’intérieur de sa tête, d’expérience similaire qu’il aurait vécue, vue, lue. Il l’avait appelée, elle s’était arrêtée et retournée, et il ne savait pas si ce n’était ce grand gouffre en lui qu’elle avait déverrouillé, un soir d’ivresse à la Saint Valentin.
Ils étaient toujours dans le même couloir, le même rouge dans le sang, incapable de parler correctement.

– Je sais.

Elle avait soufflé ces mots tellement bas qu’il avait un instant cru les avoir rêvés. Imaginé. Dans cet instant, dans cette lumière, elle lui semblait tellement plus grande, âgée, mature. Lui n’était qu’un con. Il pensa à Sylvester qui devait encore être dans un bureau avec sa collègue à attendre qu’elle se réveille. Il pensa à cet ami qui, s’il le voyait dans cette situation ne manquerait pas de se moquer de lui, de lui demander pourquoi il s’entichait d’une gamine pareille, qu’ils avaient mieux à faire, et viens je t’invite boire un verre, tu verras les allemandes seront toutes folles de toi.
Mais la folie elle était déjà là, en face de lui, et il ne savait pas comment la gérer.

Ce fut à cet instant très précis qu’il les sentit. Était-elle déjà là avant, quand il avait crié le nom de Sam au plein milieu du bâtiment d’Orpheo ? Les larmes sur ces joues, les traîtresses, celles qu’il n’aimait pas voir couler devant les autres. Aucun mur ne le séparait des autres, de l’autre, de Sam et il se sentait comme les derniers des imbéciles à bloquer les sanglots dans sa gorge.
Les toilettes n’étaient pas très loin derrière lui après tout, il aurait pu se retourner sans un mot et s’y enfermer sans explication. Mais à quoi ça aurait rimé ? C’était trop tard et il ne savait même pas pourquoi il pleurait. C’était juste le gouffre sous ses pieds qui l’attirait, toujours plus profondément, le gouffre et puis les yeux de Sam, le souvenir satiné de sa peau contre la sienne, tous les mots qui ne pouvaient être dits qu’avec le corps.

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MessageSujet: Re: 14 juin   14 juin EmptyMer 24 Fév 2021 - 15:54

Sam, elle a l’impression qu’on lui a beaucoup menti — et ce, toute sa vie. Chacun avait eu des raisons de le faire très différentes, mais on lui avait raconté des tas de bobards, et elle en avait toujours plus ou moins eu conscience. Certains étaient si gros qu’elle les portait dans sa chair et puis d’autres, ridicules, de son âge. On ment pour pas être vu, pour pas montrer, pour pas avouer, pour esquiver, éviter.

Et là, pour la première fois, personne ne se cache, n’esquive. Ils ne parlent pas parce que : comment adapter son langage à l’inconnu ? À celui à qui on ne parle jamais, qu’on a si peu côtoyé et si peu compris, finalement. Le français de Sloane est scolaire, bien maîtrisé mais ne dit pas son coeur, son passé, ses racines, ses vices.


Il pleure face à moi et je sais qu’on a sûrement l’air ridicules dans ce couloir. S’il y avait eu des caméras, elles auraient enregistrés si peu de mouvements, de mots, d’actions. On aurait été bien net sur les rouleaux en noir et blanc, à s’agiter à l’intérieur de nous-mêmes. Mais j’en ai rien à foutre. J’hésite à réduire la distance entre nous, mais pour faire quoi, une fois arrivée tout contre lui ? Le prendre dans mes bras ?

Mais qu’est-ce que ça voudrait dire, au juste ?

Ça n’appelle pas au réconfort. Ça n'appelle pas au sauvetage ou aux mots doux ; il me faudrait les sous-titres de ma propre vie, un pilote automatique que je pourrais enclencher sur les prochaines minutes, quelqu'un aux commandes à qui en vouloir d'avoir pris de telles décisions.

Il n'y a que nous deux.

Je me sens désolée, autant pour lui que pour moi-même.

L’instant d’avant je lui disais que je savais, mais là, tout sens s’est fait la mal. Je ne sais plus rien que le temps qui roule mornement autour de nous, sans emprise réelle sur Alec, sur moi. J’me souviens de cette BD qui disait que des âmes étaient destinées à se recroiser, que dans chacune de leurs vies elles seraient liées, elles se retrouveraient pour se déchirer à chaque fois, incapable de produire autre chose que l’histoire originelle de la douleur, la seule si facile à créer.

Il devrait partir.
I think he should go.

J’ai une boule dans la gorge et j’avale les mots que je m’apprêtais à dire en même temps, pas prête encore pour me faire renverser ma vie en ce jour de juin, pas prête à assumer tout ça, pas prête, pas prête, pas prête, mais j’ai l’impression que subitement je n’ai plus le choix, je bouffe la distance entre nous, ouvre les bras et les referme autour de son cou, le menton par dessus son épaule, c’est n’importe quoi, si vif, si absurde, frotter deux dépecés l’un contre l’autre pour qu’ils se tiennent chaud,
mais je ne sais pas pourquoi, je ne sais pas pourquoi, je ne comprends pas pourquoi, je ne sais plus comment.

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MessageSujet: Re: 14 juin   14 juin EmptyJeu 25 Fév 2021 - 10:55

Un homme, ça ne pleure pas.

Un homme, ça ne pouvait pas montrer ses émotions. Ça pouvait souffrir, se plier en deux, rester au fond du lit pour une fièvre quand une femme devait chaque jour sourire pour cacher la douleur des règles. Mais un homme, ça ne pleure pas, pas pour des broutilles en tout cas. On n’étale pas ses sentiments sur la place commune, on garde tout dedans, quand on est fort et viril on n’a pas besoin de voir quelqu’un, de bras pour nous serrer la nuit ou d’un psychologue à qui parler.

Les larmes d’Alec coulèrent un peu plus fort.

Un homme ça pouvait montrer sa colère, ça oui, d’accord. Mais une colère virile, celle qui fait mal, qui tape du poing sur la table pour assurer sa stature, la colère qui rend la peau rouge et les yeux fous, pas celle qui fait pleurer, ce sentiment de rage mêlé à du désespoir. Pas de larmes, même aux naissances, aux enterrements, dans toutes les étapes de la vie.

Le guérisseur serra ses poings, ses doigts musclés par la magie appuyant sur l’os de sa paume jusqu’à la crampe. Il comprit le besoin de certains de se faire mal consciemment, de se crever la peau pour ne pas s’asphyxier, faire vivre la douleur à l’extérieur et pas seulement à l’intérieur. Il comprit le pansement sur la peau de Sam.
Sam qui soudain se mit à bouger, franchit en quelques pas la distance qui les séparaient pour glisser ses bras autour de son cou. Ses cheveux bruns contre les joues d’Alec qui ruisselaient, son odeur sur la sienne, mais pas l’odeur du sexe, une odeur différente, plus douce, qui réveillait beaucoup de chose dans le cœur du trentenaire. Il se sentait comme un gosse apeuré qui avait besoin d’un refuge, de bras où cacher toute la terreur du monde. Il se revoyait petit, l’orphelin, celui que tout le village appelait « l’enfant maudit de Borsec », parce qu’il n’avait jamais connu sa mère et qu’il vivait avec un grand-père fou, incapable de réaliser la mort de sa fille. Seul dans sa chambre parce que les autres avaient peur de lui, parce que ses parents n’étaient pas là pour lui – c’était avant que son père ne revienne dans sa vie – et que l’adulte responsable de lui n’avait plus toute sa tête.
Besoin infini de bras pour l’entourer.

Il se perdit un instant dans cette étreinte et dans son passé, des cloques éclatant sur son cœur d’enfant. Il eut envie de rester là pour l’éternité, mais il savait qu’il n’était pas à sa place, que ce n’était pas son droit de rester là, pas sa maison que cet institut qui ne représentait absolument pas ses valeurs, ou même ces bras qu’il connaissait si peu.

Je devrais y aller.

Mais les mots furent happés par un sanglot, incapables de trouver la voix pour s’exprimer. La vérité, c’était qu’il n’avait pas envie d’y aller, qu’il n’avait même pas envie de baiser avec Sam, que c’était bien plus profond, bien plus inexplicable que ça, et que les mots n’existaient pas pour le dire. Ni en français, ni en roumain, ni en anglais, ni même dans les quelques bribes qu’il maîtrisait de l’allemand.
Il la serra un peu plus fort contre lui, comme s’il voulait s’absorber dans sa jeunesse, son parfum, la douceur de sa peau. Enfin, après peut-être une heure entière comme une minute, le flot se calma et il trouva la force de murmurer :

– Merci.

Sans savoir à quoi pouvaient faire écho ces remerciements.

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