Plus de prénom, plus de nom, plus d’avenir.
Le premier marche, il a dans la tête plus rien, juste des airs de guitare et des lignes de coeur, et quelque chose qui lui manque. L’autre avance un peu derrière, un peu moins grand, un costard noir et rayé, pas de prénom, pas de nom rien, il a dans la tête plus rien, du feu au bout des doigts. Dans quelle réalité se trouve-t-il ? Le dernier des frères n’a plus la réponse non plus, mais devant le siège d’Orpheo de Londres, il a des souvenirs lui, des souvenirs d’eau et de cheveux blonds, de sourires de cachettes.
Y’a bien un quatrième gars derrière, mais pas sûr qu’il soit réellement mort, celui-là. Pas sûr. Mais peut-être, mais pas sûr.
Mais pas sûr.

L’un flotte vers les gens, mais pas son corps ; le deuxième se fige au souvenir de quelque chose qui s’effondre, des yeux couleur eau et sang. Un immeuble prend feu devant eux, il n’a pas réellement fait exprès mais rien n’a l’air réel ou tangible, il faudrait quelque chose à se raccrocher, quelque chose pour se raccrocher, mais si les magiques ont l’air des les voir, personne ne dit rien. Ils sentent les sorciers et humains qui se colorent de noir devant eux. Les mêlés brillent : à protéger les mêlés. N’est-ce pas ?

N'EST-CE PAS ?

C'est le premier frère qui a parlé, ceux qui l'entendent peuvent compter les temps de la ligne de basse maintenant.

Blue treetops and velvet skies

Comme un après-midi d'été qui s'allonge et il y a la paperasse, les mouches dans les bureaux, la lassitude, l'envie d'aller boire un verre sur les quais à Paris.
Alors Alicia décide de faire une pause et d'aller s'acheter un café glacé à quelques pas de là. C'est sa semaine d'Orpheo Londres, elle se partage entre les deux QG. Il y a beaucoup de dossiers à régler actuellement, beaucoup de prisonniers chez Croix, quelques traitres, aussi. Aussi des fantômes se réveillent, arrachés du repos par la chaleur, par l'agitation du monde.

Al se dépêche, pas sereine. Elle marche rapidement jusqu'à son petit café de bobo-hipster préféré. Des petites plantes grasses, des tombantes, des tasses au tons pastel. L'exorciste fait remplir son mug "to go" et sort.
A quelques pas de là, une nausée l'attrape et elle voit des flammes. La nausée, ce sont les âmes en nuances de sombre qui marchent devant elle, comme en procession. Une question a résonné. L'un d'eux a parlé.

D'une main l'humaine trace une rune pour cacher la scène aux yeux des innocents. Elle s'avance doucement. Elle les observe, ne saurait vraiment les décrire. Elle décide de commencer doucement, de parler. Elle peut se téléporter si ça se gâte. Elle demande d'une voix douce :

- Que cherchez-vous ? C'est vous qui avez provoqué l'incendie ?

Il n'y a pas de reproche. Juste la volonté de comprendre. Comme elle ne peut pas laisser un bâtiment crâmer au milieu de la capitale, elle pianote d'une main sur son smartphone pour prévenir le QG.

Hmmmmmmmm. Bon. PAUSE. Parce que faut pas déconner non plus. Assez de boulot, c'est l'heure de ger-man. Mon ventre gargouille. Bah oui, oui. Pas étonnant. Donc direction la cafétéria pour le petit repas avant de reprendre le boulot. La pause va me faire le plus grand des biens. Se décoller la tête du travail, tout ça tout ça. Même si, eh. Ca occupe de toutes les merde que y'a à côté. Mais n'en parlons pas, n'y pensons pas, on va aller voir les copinous en même temps à la cafet et BASTA.

Logan il prend donc son petit plateau repas et prendra son petit café après. Ou un chocolat chaud. Non, un mocca. Voilà, parfait.

Et pour le café, enfin le mocca, alors regarder le beau ciel gris de Londres. Ca nous ferait pas de mal un peu de soleil, mais non, la pluie la pluie la pluie. Le retour du mois de novembre. Bon après, si c'est pour se retrouver avec du 50° comme au Canada, NON MERCI. Je suis un homme du froid moi.

Beau ciel gris. Habituel ciel gris. C'est pas ici qu'on se rend compte du changement climatique. Eté, automne, hiver, printemps, de la pluie, de l'humidité, du vent. Une chouette météo dans l'ensemble. C'est comme la Bretagne ici, si il pleut pas, c'est qu'il fait beau.

Y'a un autre gris un peu inhabituel, genre du gris fumée, je me penche un peu pour regarder en contrebas et y'a de la fumée ou un truc bizarre. Je comprends pas trop ce qui se passe.

- Eh Nawel, viens voir ça ! T'y comprends quelque chose toi ?

Toujours demander aux copains, mais c'est un phénomène que j'avais jamais vu avant, et des choses bizarres, j'vous jure que j'en ai vu pas mal.

Des hurlements stridents réveillent le mêlé en sursaut. Un instant désorienté, il regarde autour de lui le coeur battant frénétiquement avant de réaliser qu'il s'est encore endormi sur son bureau. A ce point, il ne serait pas surpris qu'on puisse lire le rapport sur lequel il planchait par impression sur son visage.
Tout ceci n'explique en rien les cris à réveiller les morts qu'il entend. Un instant de concentration lui apprend qu'ils ne viennent pas de l'intérieur du bâtiment ou, en tout cas, pas du voisinage immédiat de son bureau. Ils semblent venir de l'extérieur, en fait, ils semblent arriver par sa fenêtre de bureau entrouverte. Edwin se lève d'un coup, grimaçant contre la protestation émise par son dos – voilà qui lui apprendra à dormir dans des positions improbables – et se dirige à grandes enjambées vers la fenêtre. Il l'ouvre en grand et passe sa tête dehors, avec une brève pensée pour le fait que si le siège est attaqué et les assaillants juste sous sa fenêtre, il pourrait très bien ne plus avoir de tête dans un avenir pas si lointain.

C'est là qu'il la sent, la fumée. Qu'il voit les flammes léchant les murs d'un immeuble un peu plus loin dans la rue. Et qu'il comprend que les hurlements qu'il entend, qui l'ont réveillé, se trouvent dans sa tête car c'est son don qui beugle. Ou plutôt, les objets en train de partir en flammes à moins de 50m de lui. Son premier réflexe est de lâcher un “oh putain” bien senti. Le second, de sortir précipitamment de son bureau avec pour objectif de filer dans la rue. Le troisième, d'ouvrir son téléphone pour appeler non pas les pompiers mais Keith, son collègue maquilleur. C'est devenu un réflexe pendant la guerre, protéger le secret d'abord, voir si il reste quelque chose à sauver ensuite. Ce qui ne l'empêche pas de hurler dans les couloirs pendant sa course folle vers l'extérieur pour que quelqu'un appelle les pompiers, bordel de merde y'a le feu vous voyez bien.

Alors qu'il débouche sur la rue, son cerveau le rattrape. Il aurait juré avoir vu des formes vaguement humanoïdes devant le bâtiment en feu. Vaguement humanoïdes et peut être un peu translucides, mais la chaleur tend à déformer ce qui l'entoure alors qui sait.

Même si au fond de lui, il aimerait bien que pour une fois ce ne soit pas une énième attaque de sorciers noirs.

La musique dans les oreilles, les mains fermement vissées dans le fond de ses poches, Carla marchait en regardant ses pieds. Cookie, une petite chatte qu'ils gardaient en observation depuis plusieurs jours et à qui elle s'était attachée- comment ne pas, l'animal se réveillait dès qu'elle l'entendait arriver et miaulait jusqu'à ce que Carla la prenne dans ses bras - venait de pousser son dernier soupir. Ça arrivait malheureusement souvent dans un cabinet vétérinaire et pourtant là, la tristesse était encore plus grande.
Il ne fallait pas s'attacher aux animaux.

Elle chassa ses pensées moroses et sortit son téléphone pour consulter Google maps. Louis lui avait donné rendez-vous pour aller manger ensemble. Il y aurait peut-être également Luka et Ange, selon leurs disponibilités. Good old time. Almost.
La jeune femme pesta contre son téléphone qui, lui semblait-il, la faisait tourner en rond ; elle n'était pas bien habituée aux grands buildings qui se jetaient dans le ciel et cette forêt de béton la perdait un peu. Elle regretta les maisons basses et pleine de fleurs de Little Angleton. Elle ne regretta pas l'enfance et la présence de son père dans sa vie.

Et soudain, alors qu'elle retournait son téléphone afin de voir si dans l'autre sens ça marchait mieux, un immeuble prit feu. Les battements de son coeur s'accélérèrent, bien qu'elle ne songea pas un instant à un incendie magique, alors même qu'elle était au courant de l'existence de celle-ci. Observant une seconde les gros nuages noirs, elle tourna ensuite rapidement les talons, fuyant les flammes oranges et valdinguant entre les passants, sans même remarquer qu'elle traversait un poltergheist, évitant de heurter de justesse une femme qui semblait parler au vide.
Aucune envie d'être mêlée à tout ça.

Encore et toujours du café. Declan ne tenait réellement qu'avec sa dose de caféine et cette victoire futile d'avoir réussi à mettre un peu de sucre et de lait d'amande, comme le bobo qu'il semblait être, dans son costar et ses chaussures. C'était à peine s'il ressentait le besoin d'autre chose. Les derniers événements l'avaient fatigué. Entre les problèmes qu'il avait rencontrés avec Louis le mois derniers et la montagne de paperasse que Kurt lui avait donné (le QG d'Edimbourg entier venait de passer entre ses doigts machiavéliques d'archiviste des souvenirs et patati et patata...), il ne voyait plus le ciel bleu. Ciel qui d'ailleurs n'avait aucune envie de se montrer.

Il venait d'atterrir à Londres pour rencontrer le surlendemain Selena afin de faire le point sur quelques affaires. Declan croisait les doigts pour qu'il puisse croiser Alicia. Il avait toujours apprécié sa bienveillance et leurs conversations venaient souvent à lui manquer. Elle était une sorte de pause bienvenue dans cette vie où ils n'avaient plus le temps de se soucier d'autres choses que la guerre.

Le taxi dans lequel il se trouvait arrivait à bon port et l'homme checkait sur son téléphone les barista les plus proches et les avis des consommateurs. Il avait besoin d'option vegan, bien qu'il ne l'était pas (des peurs inexplicables restaient) et surtout d'un café de qualité, prêt à débourser les dix pounds sans doute nécessaire à cette denrée rare. Le véhicule s'arrêta brutalement, à deux pas du siège d'Orpheo, la circulation bloquée et de gros nuages noirs dans le ciel. Declan paya précipitamment et attrapa son sac à la volée pour se diriger bon gré mal gré vers la fumée.

Ce qu'il vit ne lui plut pas et la course avait réveillé la douleur dans sa cheville.

Des poltergeist ? Un immeuble en feu ? Était-ce vraiment cela ?

Par réflexe, il envoya un SMS à Jane Grey, qu'elle déploie en urgence ses maquilleurs et traça lui-même une rune, une des seules qu'il maîtrisait dans ce domaine, pour divertir les innocents. D'un coin de l'oeil, il aperçut des exorcistes arriver et faire de même. Il se rapprocha encore et entendit une voix connue :

- Que cherchez-vous ? C'est vous qui avez provoqué l'incendie ?

Alicia ! Une chaleur se répandit en lui et ce n'était pas due aux flammes qui léchaient à présent fortement le bâtiment.

Je regarde la télé déblatérer des inepties. Ou plutôt, la télé me regarde travailler pendant qu'elle d'obstine à raconter n'importe quoi. Je ne sais pas pourquoi Maël tient tant à regarder ces dessins-animés qui n'ont pas de sens, mais je sens qu'en disant cela, j'ai vieilli, alors je me tais. Monsieur a de la fièvre et le stage de karaté n'a pas voulu de lui, en pestiféré possible. Alors il boit tranquillement un chocolat chaud alors que je me demande si je ne vais pas exiger d'Owhen qu'il le garde pour faire la meuf indigne et sortir avec mes potes.

Mes yeux fatiguent devant les nombreuses lignes des rapports. Parfois, je n'y comprends rien. Comment peut-on écrire si petit dans des retranscriptions de jugement ? C'est déjà indigérable sans une bonne dose de Doliprane, mais il faut en plus se farcir des pattes de mouches. Je crois que l'administration d'Orpheo n'avait pas assez de sous pour dépenser du papier. C'est pareil maintenant. Il faut en mettre le plus possible sur le moins possible de feuille. Merci pour la planète, mais adieu mes yeux !

Je suis en train d'étudier une histoire relativement barbante en plus, piochée dans les archives non pas au hasard, m'a assuré Ewan, mais spécifiquement parce que ce procès d'il y a presque cinq cent ans maintenant a donné une des valeurs principales encore d'actualité aujourd'hui pour l'organisation. Il m'a dit de lire entre les lignes et que j'y comprendrais peut-être un peu plus de choses sur la diplomatie, art qui m'échappe encore tout à fait. J'allais envoyer un SMS à Ange pour lui demander s'il passait par l'appart' pour qu'on aille possiblement ensemble rejoindre Louis et Carla (et s'il était disponible d'ailleurs, avec les exorcistes, on ne sait jamais), mais un message de ma tante Jane attire mon attention.

Tu es à Londres ? Il y a un incendie prêt du siège d'Orpheo, origine magique confirmée.

Je me lève en sursaut et Maël renverse de peur son chocolat chaud. Merde. J'appelle Owhen pour qu'il reste avec son frère et le débarbouille tout en enfilant ce que je peux. Je pose une rune d'ignorance sur mon sabre et part avec (on ne sait jamais et il ne faudrait pas affoler les passants) dévalant les escaliers. Elle ne tiendra pas longtemps, mais j'aurais sans doute le temps d'aller jusqu'au siège comme ça. Serrant les dents, j'évite les passants en espérant n'arriver pas trop tard : Ewan veut que je sois sur tout les fronts.

En r'tard ! En r'tard ! En r'tard ! Je file dans la rue en esquivant la foule de Londres. Je crois que je vais faire attendre Carla, et les autres s'ils viennent. C'est que je dois repasser au siège déposer des papiers avant de pouvoir sereinement profiter d'une pause méridionale bien méritée. Je n'ai pas vu l'entraînement de ce matin passer. Quelques gars de la police magique ont décidé de se rejoindre dans une salle et j'ai cordialement été invité (forcé ?) par un ordre tombé de nulle part. Je crois que Sylvester a des amis partout.

Ma sacoche me pèse du l'épaule. C'est tout de même un soulagement qu'il fasse gris, mon t-shirt n'aurait pas supporté l'affluence de transpiration s'il avait eut du soleil. Mon corps brûle encore de ce qu'ils avaient programmé. J'ai mal.

J'aperçois le siège ainsi qu'une étrange fumée noire, plus loin. Je fronce les sourcils. C'est quoi ce bordel ? Des gens fuient la scène, tranquillement, comme s'ils en étaient simplement détournés, comme s'ils avaient changé d'avis et qu'ici n'était pas le bon endroit ou le bon moment pour venir. Ca sent la magie ça... Je me dirige vers l'immeuble en proie à l'incendie, à contre courant de la foule.

Je serai en retard, y'a un truc bizarre pas loin du siège d'Orpheo. Je t'aime.

Message envoyé à Carla, je sécurise le téléphone dans ma sacoche et rejoint les exorcistes qui affluent. Le feu dégage une drôle de chaleur. Quelques visages connus, mais je ne suis pas rassuré pour autant : des formes se dessinent au milieu de la scène. Des poltergeists ?

Kurt était en train de lire un énième rapport. Il avait lancé la revue des dix ans de tous les QG. Il n'avait pas eut le temps de le faire en 2020, ce qui était une grossière erreur. Ce décalage apportait son lot de paperasse inutile et un flot de choses à rattraper. Il avait de plus cette consciencieuse habitude de s'impliquer un minimum et ne comptait plus les heures supplémentaires qui faisaient doucement râler Edwin. Mais tu ne me payes pas plus pour ça, répliquait-il. Justement ! Justement, Edwin n'en voyait pas non plus la couleur. Il était tout de même bien content qu'on remette de l'ordre et que la procédure soit appliquée : les sièges devaient être passé sous un filtre minutieux une fois tous les dix ans. Voilà. Point final.

Il commençait à se dire qu'il aurait bien besoin d'un p'tit repas ou au moins de se plaindre à Edwin quand Zach entra en trombe dans son bureau.

- Euh chef, y'a un blem au bout de la rue là.

Au bout de la rue ? Il regarda par sa fenêtre mais ne vit rien. L'autre rue alors. La rue visible du bureau d'Edwin ! Il se leva, parcouru les couloirs et monta un nombre incroyable d'escaliers pour débarquer lui même en trombe dans le bureau de son chef et compagnon de vie. Qui n'était pas là, mais avait laissé la fenêtre grande ouverte, une odeur de brûlé se répandant dans la pièce. Le blem donc, un incendie ? Kurt réfléchit deux secondes : Edwin avait lui-même dû voir les flammes et s'en était allé dans la rue pour aider. Il referma la fenêtre et constata de l'extérieur des mouvements étranges : une foule d'innocents semblaient fuir la scène quand, du bas de la rue, les exorcistes qui sortaient du siège remontaient vers la scène. Oh ! Magique !

Il se mit à dévaler les escaliers qu'il avait monté (pourquoi être chef impliquait d'être éloigné du sol ?) et débarqua dans un nuage noir qui lui piqua les yeux et le fit toussoter. Il n'était même pas sur les lieux de l'incendie, mais le vent pernicieux avait emmené la fumé jusqu'au bas de la rue. où donc était Edwin ?

Il y a bien du mouvement, partout autour, des magiques qui reviennent. Ou qui viennent. Ou des humains qui s'en vont. Le premier frère, L, le deuxième frère, A, ou bien, ᚪᛊᛏᛁᚿ, le dernier frère, H.

- Que cherchez-vous ? C'est vous qui avez provoqué l'incendie ?

Parce que le deuxième frère sait encore ses pouvoirs, quelque part il n'a rien ou tout perdu (elle lui manque et il aimerait la retrouver, mais comment retrouver les autres quand on ne sait pas qui on est ?). Le troisième ne sait plus si c'était le feu le problème, ou les gens, et un autre immeuble prend feu. C'est qu'ils sont liés leurs pouvoirs alors, comme le A a répondu à la question, nécessairement, il fallait que quelque chose brûle. La fin de toute chose le début de rien d'autre. Au moins ils savent une chose, les trois : la police magique est ici non ? C'est ici qu'ils sont venus, un jour, mais pourquoi ? Ca ne sentait pas encore le feu alors, ça n'avait jamais senti le feu de cette manière ici, non, ils avaient ramené ça ailleurs, plus loin, ou d'autres l'avaient fait. Les sorciers en danger, les humains en danger, les autres... ah, les autres. L, A, H, les visages de l'emploi. Les mêmes yeux clairs, les mêmes cheveux clairs, le même sang au milieu, séparé en deux. Inarétables en l'état, pourtant pas bien avancés : des choses à retrouver pour pouvoir partir.

Tam tam tam ts tam tam tam, j’ai un peu mal au crâne, ça dure depuis quelques temps maintenant et rien n’y fait, rien ne passe, rien. La magie non plus, rien. Alec Meyer aurait peut-être une solution, mais je n’y suis pas retournée, il fait froid et c’est un été nul, et :

— Eh Nawel, viens voir ça ! T’y comprends quelque chose toi ?

Le mal de crâne s’intensifie légèrement, comme si un équilibriste marchait sur ma corde sensible, placée d’une oreille à l’autre en reliant les yeux. C’est opaque dehors, comme si un voile s’était étendu face à nous. J’ai envie de téléporter ma petite personne pour aller voir et j’attrape Logan avec moi.

Pouf, plus proche du schimiliblick. Schiiimiliblick. Schmilblick.

Dear god, je suis illettrée. Anyway, la main serrée sur le bras de Lolo au cas où il soit nécessaire de repartir fissa, je vois les immeubles en flamme, la chaleur qui lèche tout ça et personne qui ne réagit vraiment. Et surtout pas moi, les yeux rivés sur les trois formes assez tangibles. Je sais que je devrais appeler qui de droit, trouver une solution, t'es la police Nawel mais ouais, j'suis la putain de police et pas les putains de pompier. Je ne lâche pas Lolo comme un doudou à courage et plisse les yeux pour y voir quelque chose au milieu des têtes connues. Et ces trois têtes, elles me disent pas rien. C'est bien ça le problème. Je jette un oeilleton terrifié à Logan et on se téléporte ailleurs.

C’est fou comme le temps passe vite. Comme l’espace aussi, passe, vite. Ce matin j’étais encore en train de tenter le morse avec les mouches du tapis et me voilà propulsé en Angleterre pour Allen seul sait quoi. Les QGs sont des fourmilières à ciel ouvert, à peine s’en approche-t-on que les visages des étrangers nous semblent familiers, que les sourires s’échangent malgré le temps somme toute totalement pourri du nord de l’Europe. J’aimerais bien qu’il pleuve, pour pouvoir la sortir cette phrase, à mes compagnons européens, que « le Canada c’est quand même mieux ». Cette belle phrase de beauf, universelle et détournée à l’infinie.
Sauf que quand les flammes dévalent d’un seul coup un bâtiment, sans réel départ de feu concret, pour aucune raison scientifiquement prouvée, je comprends, et sens à vrai dire, que ça pue. Je lève les mains en signe de soumission et putain je viens à peine d’arriver et ça crame déjà, c’est parce que je me suis plains mentalement du climat d’Angleterre ? La météo se venge ? Les gens de ce côté-là de la rue me regardent moi et mes mains levées, l’air aussi coupable qu’innocent parce que cramer des bâtiments c’est pas comme si c’était une première n’est-ce pas. Et je me souviens de l’écho de mes pensées quelques instants avant. N’est-ce pas.

J’abaisse les bras, quelqu’un de plus qualifié que moi saura s’occuper du problème, magique, à n’en pas douter. J’écrirai bien à Allen pour lui dire que « hey, un QG vient de cramer », ce qui serait évidemment plus ou moins faux, mais enjoliver la situation c’est toujours un argument valable pour les nerfs d’Allen.

Alors je contourne le bâtiment, rapidement. Et là, la crème de la crème. Et trois fantômes plus ou moins étranges, plus ou moins déconnectés de la situation, si l’on eut pu dire qu’un fantôme soit connecté à la réalité. Mrs Roussel et Mr Mystery. Ce ne sont pas eux les fantômes, quoiqu’à leur visage décrépi. Hm. Qu’est-ce qu’un sous-directeur de QG outre Atlantique fait là ? J’sais pas. J’vous laisse le soin de vous faire vos scénarios. Allen est une très bonne justification.

Ils ont l’air de vouloir s’adresser aux fantômes. Fantômes qui n’agissent pas mais qui pourraient se mettre à bouger. Alors je tends les bras de chaque côté du corps, pour les encercler. Si tant est qu’ils possèdent encore un semblant d’humanité, ils s’arrêteront. S’ils ont lâché l’affaire, je ressentirai juste un immense courant d’air désagréable au possible me traverser sans vergogne. Trois fois. Hm.
Croyez- pas que j’essaye de justifier mon acte inutile.

-Messieurs dames les hauts gradés de QG. Meeessieurs venus cramer des bâtiments. Ça va devenir un sport national chez nous bientôt.

Parce que malgré tout on n’oublie pas la politesse.

Un soupir s’échappe enfin de mes lèvres après plusieurs secondes à retenir mon souffle. C’est devenu plus que dangereux de venir ici et j’en ai on ne peut plus conscience. Avec la reprise de l’orphelinat, Anja qui lâche l’affaire, c’est comme si notre monde, celui des sorciers noirs, s’écroulait comme un château de carte. C’est d’ailleurs étonnant que père n’ait pas encore décidé de faire des vagues une bonne fois pour toute, Bianco dans son sillage et répandant les germes de la discorde.

J’suis sur un toit à fixer les gens en contrebas, accroupi, runé pour éviter d’être détecté par les beaucoup trop nombreux gars d’Orpheo. Je suis censé assurer les arrières d’un des nôtres, une mission suicide, assurément, que je me contenterai d’observer de loin. Ce n’est qu’une petite infiltration, mais à l’heure actuelle, c’est aussi idiot qu’inutile.
Et voilà qu’un bâtiment s’embrase sans raison apparente. Je ne suis pas très loin, pas trop proche non plus. Je vois l’épais nuage se densifier encore davantage et certains cris retentir. Est-ce que mon collègue… ? Non, pas possible. Pas de curiosité à avoir, aussi près du QG principal, aucune chance que l’endroit ne grouille pas déjà d’exorcistes. C’est du suicide que de s’approcher du lieu.

Le son dans mon oreillette me confirme que le collègue en question n’est pas à l’origine de l’incendie et j’amène un instant mon ongle à ma bouche. Je n’aime pas les événements imprévus. Pas du tout. Alors autant avancer doucement. Tout. Doucement.

Je passe de toits en toits pour m’approcher. Je ne suis alors qu’à une rue du sinistre et comme je m’en doutais, le sol fourmille d’exorcistes. Je murmure dans mon oreillette :

« Profite de la zizanie. Ils ont l’air pas mal occupés par ici. »

Pour une fois qu’une chose tourne à notre avantage depuis ces derniers mois…

Honnêtement, en levant les bras comme un demeuré, jamais au grand jamais n’aurais-je pensé que mon explication foireuse réceptionnerait une quelconque réaction. Il y en a beaucoup, vers le Canada, des fantômes qui n’en ont plus rien à battre de la vie. Beaucoup à qui ça amuse de passer à travers les gens, les portes, les poires, les tapis, les… Tout.
Pourtant, ceux-là, enfin l’un de ceux-là, l’un de ces frères – j’en déduis qu’il s’agit de frères ou tout du moins d’apparentés proche vu leurs similitudes – me déverse quelque chose dans le crâne.

"Vous pouvez nous voir ? Où est Lola ?"

Je n’aime pas les télépathes. Si tu parles, tu ouvres la bouche. Il y a des milliards d’êtres humains qui font cet effort, alors être vivant fait de chair ou de plasma, faites-moi comprendre qui de vous s’est exprimé. Comme moi. J’ouvre la bouche.
La referme.

Ces questions…
J’incline la tête, dubitatif. Dans mon cerveau c’est deux entités qui tirent la corde de chaque côté. Deux paradoxes qui parviennent enfin à trouver un terrain d’entente. Tout. Petit.
J’abaisse les bras, entre gens civilisés.

« Vous n’étiez pas exorcistes visiblement. Et Lola ? Lola qui ? » Je me tourne vers les directeurs de QG. C’est pas mes connaissances qui nous avanceront. « Vous connaissez une Lola ? »

Des fantômes magiques qui ignorent qu’ils sont visibles des gens magiques. Et un nom. Je connais des Lola. Beaucoup de Lola, mais mon intuition me dit qu’aucune n’ont à voir avec le ton de cet homme. Pourquoi la situation est-elle devenue si sérieuse tout à coup ? Je le savais, je savais qu’Allen aurait dû prendre ma place aujourd’hui. Il avait une réunion, ben voyons. Oui. Et moi, rendez-vous avec les petits pois de la cantine canadienne.
Sérieusement.

Je quitte le cabinet pour prendre ma pause repas. Je n'ai pas de rendez vous avant 15h. Mon assistant pourra gérer les urgences, et il sait que je suis joignable. Et je ne pars pas loin. Mes pas me conduisent pas loin du QG d'Orpheo, où j'ai l'habitude de manger dans un petit café avec Logan. Je m'y rends donc sereinement. J'ai l'habitude de manger seul. Logan travaille beaucoup. En même temps, Orpheo. Moi aussi j'ai beaucoup de travail, mais on s'arrange. Je ne peux pas manger avec mon équipe vu qu'il faut en permanence quelqu'un au cabinet. Durant la journée, s'entend. Pour les urgences de nuit, mon téléphone est toujours allumé. C'est compliqué parfois, mais gérable.

J'allais sortir quand j'entends des hurlements dans la rue. Je sors donc. Je vois une foule de gens qui se précipitent loin du QG, je crois même apercevoir Carla, ma stagiaire, elle travaille bien et est très empathique avec les animaux, je l'aime bien. Je pense reconnaître certaine tête d'Orpheo mais je n'en suis pas sûr. J'ai de vagues informations par Logan, la plupart du temps. Mais je préfère rester éloigner de leurs problèmes même si je n'hésiterai pas à leur venir en aide pour lutter contre les sorciers noirs. Ils sont vilains, je ne suis pas fan des gens vilains. Je m'approche donc du groupuscule qui se forment auprès de trois formes à l'air ectoplasmique. J'entends ce qu'ils disent, mais ne me rapproche pas davantage. Je ne sais pas encore si c'est juste un problème pour Orpheo, ou pour tout le monde.

J'envoie tout de même un SMS à Logan, pour savoir si il va bien. "Je suis près du QG de Londres, y a l'air d'avoir un incendie ... ? Tu vas bien ?"

Quelque chose ne tourne pas rond — mais quoi ? Je traverse deux étages net, mon don me remonte à la gorge : doucement Rhyan. Le crépitement des flammes se fait entendre depuis le QG, des gens qui hurlent, des maquilleurs — des gens qui meurent ? J’ai les doigts qui fourmillent, je sais que tous les magiques vont aller voir et ça pue, ça pue, ça pue. J’ai pas les mots tellement ça pue. Je sors sur le pavé — je suis d’administratif encore au moins un an, sans cesse punie, sans avoir jamais regretté mon choix. Je vais voir, comme tout le monde, les fantômes, les flammes et un orage gronde immédiatement au dessus de nous avant de balayer la scène de lourdes gouttes de pluie. J’y mets beaucoup d’énergie, mais pas tout : Cyan est dans le coin. Cyan est dans le coin putain. Est-ce Rosenrot en mission, qui pilote les fantômes ?

Et puis je vois leurs visages. Les yeux pâles les cheveux blonds. Ils me disent quelque chose, bien sûr qu’ils me disent quelques choses. Je vois mon ?… mon père ?…
Mais qu’est-ce que ?…

Ok, j’esquive, la pluie me trempe les cheveux, les épaules, les cuisses, je coupe mon don avant que l’épuisement ne l’emporte. Je les connais ces visages, les visages des morts ; il s’est passé quelque chose de vraiment crasseux. Je touche la rune qui me relie à Cyan pour l’activer, juste qu’il sache que s’il est around, ça craint vraiment fort.

Mais pas le temps de niaiser, je rerentre dans les locaux et profite de la panique pour aller fouiller les dossiers. En espérant que j’n’aie pas commis d’erreur quelque part, que je ne sois pas responsable des trois visages qui errent au milieu.

Il n’y en a qu’un qui engage réellement avec l’identité des trois. Une question se pose : a-t-il les réponses ? Mais il n’a pas l’air de savoir qui était Lola, Lola, Lola, Lola. Alors quel intérêt ?
Pourtant Londres est grande est belle, il devrait y avoir de la consistance et des réponses à Londres, non ? Il n’y a rien pour A, rien pour L, rien pour H, rien pour le pauvre derrière qui déambule. Il leur semblerait que s’ils devenaient plus humains à nouveau, si on les aidait à reprendre de la consistance alors ils pourraient faire quelque chose que errer et brûler tout sur leur passage, mais il n’y a que des questions ici, aucune réponse, personne pour leur rappeler quoi que ce soit. Juste du vide, des errements, des gens qui ne se connaissent pas qui me tissent rien qui s’inquiètent. ᚪᛊᛏᛁᚿ et les autres, les incantations, les mots, ils ont dû mal à tout saisir il a dû mal à tout saisir, c’est le télépathe qui sait encore entrer en contact, les autres auraient besoin d’un nom pour réussir à parler à nouveau, juste un nom pour redevenir autre chose qu’un cadavre, que des dents à identifier, que des os blanchis.

Des noms, un passé, une carte au trésor où le trésor serait la mort, la vrai, pas les limbes d’une souffrance diffuse qui s’étirerait sur le reste du monde.

L. pose une bulle autour des mêlés de la scène, une bulle de protection et pour le reste, H. fait tout exploser. Les immeubles, les fenêtres, les voitures d’en bas. Tout souffler pour reprendre le lien avec la seule chose qu’il leur reste : le moment de leur mort.