Prêt à tenter l'impossible

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 Prêt à tenter l'impossible

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Allen Kristiansen
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MessageSujet: Prêt à tenter l'impossible    Prêt à tenter l'impossible  EmptyDim 24 Sep 2023 - 19:13

Maybe this was a mistake.

Surely this was a mistake. Mais à partir de quand cela a-t-il commencé à en être, une erreur, cela reste à définir. Au moment où ma main s’est innocemment posée sur cette saleté de lame maudite ? Au moment où j’ai commencé à ignorer les symptômes pourtant évident d’une perte de contrôle totale ? Ou lorsque j’ai commencé à clamer haut et fort que tout allait bien ?
Ou bien tout simplement en ce moment précis ?

Je ne peux m’empêcher de songer à ce qui m’amène ici. Perdu sur la côte australienne, du côté ouest, sauvage, presque aussi mortel qu’est en train de devenir ma maladie. Ce n’est pas un endroit dans lequel on s’aventure sans une raison valable et impérieuse. Les animaux, le sol et même les plantes vous rejettent et vous menacent de mort à chaque pas. La température y est écrasante. Mais ça ne m’arrête pas. Ça ne m’a jamais fait peur, encore moins maintenant.
Je regarde de ma place lointaine, debout, le pied sur le bas de caisse de la jeep, le complexe de préfabriqués environ cinq kilomètres plus loin. La topographie joue en ma faveur et il m’est assez facile d’observer avec mes jumelles les déplacements des humains en contrebas. Il y a des barbelés et des tours de garde emplis d’humains non armés. Pas de doute, la magie fait bel et bien son œuvre dans ce lieu. Quelque part, c’est une certitude supplémentaire pour moi : je suis plus ou moins certain d’y trouver la personne que je cherche.

Les informations en ma possession restent somme toutes minimes. Pour ne pas dire complètement opaques. Je me suis éclipsé de mon travail en toute discrétion, officialisant ma présence autre part, à Sydney, pour quelque raison que ce soit. Sans gardes, sans rien. Des vacances improvisées pourrait-on dire. Phil n’y a évidemment pas cru mais n’a pipé mot pour autant. Il sait que ma situation dégénère à mesure que le temps passe mais je continue de refuser catégoriquement chaque visite médicale. À quoi bon, vraiment, lorsque les symptômes sont si prégnants. Par ailleurs, l'avancement sur mon état de santé est mené ailleurs, au Japon, afin d’endiguer avec plus de succès le mal qui me ronge.

Je soupire en tâchant de réguler mes battements de cœur inquiets. S’il y a bel et bien une manière d’adoucir ce mal, c’est en limitant les fortes émotions. Ou les émotions, tout court. Autant dire que la conversation à venir s’annonce particulièrement tendue.
Je jette un nouveau coup dans mes jumelles. Voilà bien un bon quart d’heure que je patiente sous ce soleil de plomb, à peser le pour et le contre. À espérer, ou non, voir émerger cette tête parmi toutes celles inconnues dans mon champ de vision. Pourquoi est-il là ? Qui sont ces personnes perdues au milieu de nulle part ? Je l’ignore. Depuis la fin de la guerre, tout est devenu calme, trop calme peut-être. La paix, enfin ? Je n’y crois guère. Mon regard tourne brusquement vers une tête brune, des cheveux en bataille, des yeux que je devine toujours aussi perçants. Il a changé sans changer et ma respiration se coupe.
Les jumelles se retrouvent gelées en un instant, d’une brusquerie si forte et si froide qu’elles m'échappent des mains. La paire tombe en sol et se brise en deux.

C’est bel et bien une très mauvaise idée.

Nous nous sommes quittés sur un « salut », un salut que je n’oublierai probablement jamais et qui veut dire adieu dans son langage. Un « je t’aime » et un « mais c’est pas réciproque » et moi et mon manque de réponse. Je pensais l’avoir oublié mais tout me revient là, en pleine face et j’espère secrètement qu’il a tout oublié, qu’il a fait sortir tout ça de sa tête et que les années ont fait couler beaucoup d’eau sous les ponts. Parce que j’ai besoin de lui maintenant. Non pas pour s’amuser, pour se changer les idées ou juste reprendre contact. Non. C’est une question de vie ou de mort, peut-être même au-delà. Ça peut dépasser nos vies, ça peut chambouler le monde magique si ce que je recherche tel un savant fou s’avère réalisable. Perdre ses pouvoirs.
S’en séparer, délibérément. Pour toujours.
Parce que c’est là la seule conclusion de mes chercheurs. L’arme runée est une chasseuse, une tueuse de doués, sans aucune échappatoire possible. On se fait longuement ronger par ce que l’on considère comme sa force, son pouvoir, le prolongement de soi, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien. On me l’a annoncé de but en blanc, que tôt ou tard, je me transformerai en statue de glace. Telle une princesse Disney. Ou... il y avait l’option de devenir fou, attaqué psychiquement par les pensées des autres. L’emballement le plus complet de mon don.
Charmant.

Je refuse de voir ce genre de prophétie se réaliser, quitte à perdre l’essence même de ce qui me caractérise. Quitte à me dresser contre le monde magique tout entier. Jusque là, nombreux ont été les personnes prêtes à me suivre, les personnes dignes de confiance mais abreuvées de demi-vérités. Mais pour lui, pour Simje, c’est une autre affaire. C’est un électron libre après tout. Rien ne lui empêche de me dire non, de me dénoncer. De s’en foutre, tout simplement.

Sans les précieuses jumelles, il m’est impossible de juger de la position du spécialiste en runes. Tant pis. Ouais, tant pis. Sans doute faut-il y aller au bluff. Comme toujours. Ou pas. L’indécision me ronge mais je n’ai pas le choix. Je ne peux pas me permettre de faire des vagues dans un environnement que je ne connais pas. Alors quoi, sans doute n’y a-t-il plus qu’à espérer que le destin fasse se rencontrer nos chemins.
Avec un léger coup de pouce.
Je sors mon téléphone et recherche son numéro dans l’annuaire. M’apprête à l’appeler. Raccroche au moment d’entendre la sonnerie. Bordel. Il a vraiment pas changé de numéro ? Cela pourrait aussi bien être une autre personne. J’hésite. Il me faut prendre mon courage à deux mains. Je lui écris :

« Cinq kilomètres à l’est, la grande montagne que tu vois. Au pied du relais radio. J’aimerais te parler. »
J’envoie. Puis j’ajoute.
« C’est flippant à souhait je sais. »
J’envoie. Et enfin j’ajoute.
« Désolé, c’est vraiment important. J’y resterai tant que tu viendras pas. Même si ça prend des jours. »
Et j’envoie.

Si ce numéro appartenait à quelqu’un d’autre, nulle doute que je me retrouverai avec la police aux trousses pour stalking.

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Simje Voniestosiwjski
Simje Voniestosiwjski
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MessageSujet: Re: Prêt à tenter l'impossible    Prêt à tenter l'impossible  EmptyLun 25 Sep 2023 - 9:38

Simje a beaucoup fait ce qu’il croyait devoir faire. Quelque chose hérité de l’enfance qu’aucun psychologue n’aurait pu déloger, plus comme un gène que comme un pan de son éducation : faire ce qu’il faut. Le nécessaire. L’évident.
Comment les autres font-ils pour faire d’autres choix que le bon ?
Hannah disait souvent que y’aurait personne pour lui remettre une médaille, personne au bout de la piste pour lui dire qu’il avait bien fait, bravo, bien joué, tu es toujours à l’heure, tu dis merci aux voitures quand tu traverses, tu laisses ta place dans la bus et tu recycles. Quel bon humain.

Quel
bon
humain.

Bravo.

Je lisse ma chemise alors que mon téléphone sonne. Il n’a jamais supprimé le numéro, n’en a jamais eu l’utilité. Il s’agit de rester pragmatique ici, de trouver des raisons à tout, des causes à toutes les conséquences et à mettre dans des boites le vivant. Pousser dans le moule les autres et puis soi-même.

Simje est éjecté de son moule avec une violence qui le laisse immobile, résolument stupéfait. Ses avant-bras bourdonnent d’un coup, ses doigts deviennent gourd alors que son coeur chute, chute, chute encore.
Son cerveau mouline des explications : Une erreur. Un message automatique. Un message pré-envoyé il y a des années. Une mauvaise blague. Une chaine de mails.

« Cinq kilomètres à l’est, la grande montagne que tu vois. Au pied du relais radio. J’aimerais te parler. »

Bing ! dit le téléphone.

« C’est flippant à souhait je sais. »

Bing ! redit le téléphone.

« Désolé, c’est vraiment important. J’y resterai tant que tu viendras pas. Même si ça prend des jours. »

Il essaie de déglutir, mais sa bouche est devenue plus poussiéreuse qu’une scierie. Il faut dire qu’il a fait des efforts sur ces derniers années pour se remettre lui-même à sa juste place : nulle part. Un tout petit humain au milieu d’un monde infiniment complexe où les gens vivent et meurent, où je ne porte rien de tout ça sur mes épaules, où les responsabilités sont inventées par une société qui aime se donner de l’importance, qui ne supporte pas les émotions négatives des autres, entoure tout de barbe à papa.
Tout petit. Partir du principe que les besoins humains sont comme ceux d’un robot : des amitiés, un sentiment d’appartenance, de la nourriture, de l’hygiène, des routines, une adéquation avec ses valeurs et puis, du repos.

Il sourit à son téléphone, se dit Non. Non, juste, non. Non, non, non. Aucune chance que je reprenne de l’importance dans quoi que ce soit. Où que ce soit, pour qui que ce soit. Mais c’est une émotion plus grosse que lui qui l’avale subitement : la colère. Il est si peu habitué à la ressortir qu’il gronde sourdement, grince des dents.

Lisse sa chemise.

Les relents de vulgarité et de rage ressentis il y a des années à Detroit ont été annihilés par la guerre, les trop pleins, les mauvais choix, la petitesse de sa personne et l’importance réelle qu’il possède dans le monde.

Il avait enterré ses responsabilités parce que tout le monde était mort et que c’était ainsi, il n’aurait rien d’autre. La vie ne changerait pas. Allen ne l’aimait pas, Hannah ne s’en sortirait pas, les chiens ne se remplaçaient pas, être conférencier en runes ne le comblait pas. Il n’aurait rien d’autre, il fallait arrêter d’en attendre plus, arrêter de tendre la main vers celui qui nous nourrit en espérant autre chose qu’un morceau de pain. Ma propre prison.

Il a envie de dire non, je vais dire non, il a appris depuis, à imposer ses limites, à arrêter de donner alors qu’il ne possède pas, je vais dire non, il aurait pu donner sa peau pour entourer quelqu’un d’autre mais ça c’est terminé, il ne fait plus de crédit à personne, qu’il sait qu’il devra rembourser plus tard, je dois dire non, il se sent désolé.
Encore une fois, Allen fait des kilomètres pour le voir, donnant ainsi une sorte de place centrale à Simje Voniestoswjski, une importance mise elle-même sur un piédestal. Traine-t-il dans ma tête ? Allen qui essaie de me faire rester, puis Allen qui ne veut pas s’engager, Allen qui veut que je revienne, que je reste, que je rentre. Allen qui veut, qui veut toujours des choses de moi, et moi qui m’en vais, parce que rester m’est insupportable. Est-il réellement en train de me chasser d’un nouveau continent ? La dernière fois qu’ils se sont vus, Allen avait demandé s’il pouvait faire quelque chose pour lui. Et Simje sent que cette fois-ci, on lui demandera quelque chose. On tirera sur son empathie, sur leur histoire commune pour céder, accorder.
J’ai besoin de dire non.

La dernière fois qu’ils se sont vus, Simje avait promis la vengeance, du sang, des morts, de la souffrance pour Orpheo. Il n’a rien fait. Il n’a rien fait parce qu’il n’en a jamais eu les moyens, parce qu’il n’a ni les contacts ni le charisme de ceux qui sont font justice eux-même. Il a eu peur, souvent et il n’est pas allé au bout. Les méchants étaient morts, les gentils étaient morts, les émotions qu’il possédait qui finalement étaient ressorties étaient retournées en lui, ses caractéristiques autistiques avaient refait surfait pour le remettre dans une bulle post-trauma.

Son onde de choc n’a jamais été muselée et secoue de temps à autre son appartement, des forêts entières, fait grincer des musées face à des tableaux abstraits ou projette des vagues sur les plages des lacs canadien. Il sent la tension de l’une d’elle s’accumuler dans son crâne et répond du bout des doigts « Important pour qui ? »

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Spoiler:
- Est-ce que tu as déjà tué quelqu’un ?
- Oui mais c’était des méchants !


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Allen Kristiansen
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MessageSujet: Re: Prêt à tenter l'impossible    Prêt à tenter l'impossible  EmptyLun 25 Sep 2023 - 18:57

« Bonjour »

À mesure que les secondes s’égrènent, je songe à ce bonjour qui ne s’est jamais manifesté. Pas de « salut comment ça va » ou quelque autre phrase de politesse. J’aimerais dire qu’il s’agit d’une déformation professionnelle, que mon boulot de directeur m’oblige bien souvent à aller à l’essentiel, mais ce serait mentir. Au contraire, on brosse dans le sens du poil et on ne lésine pas sur la courtoisie lorsqu’il s’agit de demander des faveurs auprès des autres.
Je pense que je me suis tout simplement laissé aller. J’ai trop réfléchi à cette situation, à ce qu’il adviendrait lorsque ces yeux couleur glace croiseraient les miens. À ce qu’il dirait, aux remarques qui pourraient en découler. J’ai prévu mille scénario tout en sachant qu’aucun d’entre eux ne se réaliserait. On parlait après tout du gars qui avait brûlé mon QG.

Mais c’est plus fort que moi, il me faut retourner encore et encore les situations parce que chaque seconde devient un peu plus fatale. S’il avait effacé mon numéro ? Ou changé de téléphone, tout simplement ? Je pouvais bien attendre longtemps comme ça. Mais ce n’est pas lui, ça, si ? Du genre à changer totalement de vie pour une personne.

Je pose le téléphone, bien décidé à ne pas laisser la mésaventure des jumelles se reproduire avec ce précieux. Mais daignera-t-il seulement faire quelque chose ? Bouger ? Ou répondre ? Ou…
Le téléphone vibre. Une tonalité, un message. Je déverrouille l’écran de l’index et inspire un grand coup. Stressé pour un simple message. Ah, c’en deviendrait presque poétique franchement.

« Important pour qui ? »

Ah. Ahah. Yes. Right. Il a toujours les mots pour frapper bien là où il faut. À me laisser là en face sans répondre. À me faire me rendre compte qu’il y a parfois qu’un petit gosse qui cherche à se défendre dans mon corps d’adulte. J’expulse l’air dans un rire étouffé. Je commence à taper, sans réfléchir, à me dire que c’est vraiment lui à l’autre bout. Qu’à cet instant précis, y’a une connexion qui s’établit avec des gens qui se sont quittés dans la poussière y’a deux ans. Trois ans ? Plus ? Je ne me risquerais pas à compter.
Je tente quelque chose comme un très sincère « important pour moi » puis me ravise. Parfois, l’honnêteté ça peut tuer. Alors je me ravise, les mots disparaissent et l’encart reprend sa couleur vierge. Je prie pour qu’il soit suffisamment occupé et ne détecte pas ces « typing » suivit du rien.
Comme cette relation, finalement.
C’est peut-être ça, l’objectif. Faire comme si de rien n’était.
Sauf que s’il n’y avait rien eu, je n’aurais jamais fait autant de kilomètres pour demander un face à face avec lui. J’aurais demandé l’aide d’une autre personne, certainement pas aussi doué que lui dans son domaine, mais quelqu’un de compétent malgré tout. Alors pourquoi est-ce que je me trouve là ? Pour trouver une justification à notre rencontre ? Pour lui dire, j’ai absolument besoin de toi, est-ce que tu peux faire abstraction du passé, est-ce qu’on peut refaire des mandalas. Ouais, c’est important pour moi et il s’en passerait certainement. Je suis tout bonnement égoïste à vouloir des trucs qu’on me donne pas.
Oui, ça m’empêchera pas d’essayer, quitte à passer par d’autres chemins.

Je tape de nouveau :
« Ça peut l’être pour toi. C’est un travail, tu peux demander à peu près ce que tu veux niveau salaire. N’importe quoi, vraiment. »

« J’ai besoin de personnes de confiance. » Je retire cette phrase et envoie. Est-ce qu’il y croirait seulement. Je sens mon pouvoir osciller entre mes phalanges et le bout de mes doigts. Un simple message. Il s’agit, simplement, d’un message. Je me triture les méninges et parvient à une suite :

« Je ne peux pas parler du contenu à l’écrit. C’est… disons hautement confidentiel »

Hautement confidentiel hein. Pas qu’un peu. Je finis par un :

« Et oui, c’est important pour moi. Mais ça, tu peux l’occulter si ça te dérange. »

« Prends ça comme une opportunité. » Je m’apprête à ajouter mais reviens sur mes mots. Il est assez grand pour se faire une idée de la chose lui-même et je ne me risquerais pas à lui envoyer ce genre de ton presque condescendant. J’ai conscience de mes chances quasi nulles de sortir victorieux de cet échange, alors autant limiter les frais et calmer mes bavardages parfois problématiques.

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Simje Voniestosiwjski
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MessageSujet: Re: Prêt à tenter l'impossible    Prêt à tenter l'impossible  EmptyLun 25 Sep 2023 - 19:29

Simje cligne des yeux et regarde longuement les trois messages qui sont apparus sur son cellulaire avec la désagréable sensation de ne pas connaitre la personne qui les envoie. Sept ans pourtant avant que toutes les cellules se soient régénérées, au bout de sept ans sans parler à quelqu’un tu n’as affaire qu’à une étrange mémoire des tissus, que des cellules toutes neuves qui n’ont jamais connu le son de ta voix ni le toucher de ta main et si la logique reste logique alors je devrais encore connaître Allen et Allen devrait encore me connaître.

Ce n’est pas le cas, visiblement.

« Ça peut l’être pour toi. C’est un travail, tu peux demander à peu près ce que tu veux niveau salaire. N’importe quoi, vraiment. »

Suivi d’un :

« Je ne peux pas parler du contenu à l’écrit. C’est… disons hautement confidentiel »

Et rajouté d’un :

« Et oui, c’est important pour moi. Mais ça, tu peux l’occulter si ça te dérange. »

La cerise sur le gâteau sur l’immeuble. De l’argent, il me propose de l’argent de l’occulter ; n’est-ce pas absolument l’inverse de ce que j’ai toujours fait et choisi ? Il se rend compte qu’il se dit qu’il a envie de hurler mais que la sensation correspondante n’habite pas son corps. Il a envie de performer l’émotion, pour voir ce que ça fait , ils ressemblent à quoi les gens qui hurlent dans la vraie vie, qui osent, qui montent sur les tables et se déchirent les cordes vocales pour exprimer au monde quelque chose qu’ils pourraient pas dire autrement, qu’ils pourraient pas faire comprendre, ce petit quelque chose qu’ils se forcent jour après jour de réenterrer, patiemment.

Les mêmes corbeaux qui soulèvent les mêmes semis pour trouver des vers et moi, patient, qui les remblaie jour après jour en espérant que ça pousse.
Mais qui pousse, déraciné ainsi ?

Pas moi.

Certainement pas en Australie.


Il pense à l’onde de choc qu’il peut maintenant utiliser pour qu’elle passe par dessus les runes. Un vent de violence inouïe, qui ne s’excuse de rien mais rase. La bombe nucléaire a claqué a des centaines de kilomètres des bâtiments qu’elle s’est permise de détruire et elle n’a jamais dit pardon. Il se lèche les lèvres puis passe sa langue sur ses gencives, où un goût de fer lui fait savoir qu’il a complètement perdu pied avec ses émotions.
Il faudra se contenter de les simuler.

Il ne simulera cependant pas ses pensées.

Il ne m’a pas dit quelque chose de rare, d’innovant, quelque chose d’inédit, quelque chose qui sauve des vies, un pouvoir spécial, une rune jamais vue, une pommade à cicatrices qui s’utilise directement sur le coeur où, vous voyez mesdames et messieurs, voici des cicatrices récentes, ces labourrations sont le résultats d’une douleur très intense au niveau thoracique, débilitant ainsi parfois l’individu qui fait battre ce coeur, poum après poum après poum.

Il hausse les sourcils, ahuri de la situation : pourquoi ici ? Pourquoi venir le chercher ? Pourquoi physiquement ?
Il se pense que logiquement si Allen ne me connait plus alors je ne le connais plus alors il est différent alors je ne le trouverais pas beau alors je pourrais lui dire non, occulter ce privilège de l’attraction. À moins qu’il prétendre ne plus me connaître, qu’il ne me veuille pas vraiment on board. À moins qu’il essaie de se saboter lui même, mais bon, pas le genre, mais bon à nouveau. C’était pas le genre y’a quelques années.

J’étais pas le genre à abattre mon chien dans la rue non plus, avant.


La pensée fait souffler une onde de choc sur la plaine déserte, un rouleau de vent inoffensif qui caresse les chevilles amies et inconnues sur des kilomètres, laissant Simje tituber un instant.

« Un travail, où ? À la solde de qui ? »

Il redoute évidemment d’être son employé. Les directeurs d’Orpheo ont pris des décisions pour le bien commun et Simje n’a jamais vécu du côté du bien commun.

« Qu’est-ce que tu fuies, au Canada ? Pourquoi venir en personne ? »

Pour essayer de me convaincre en face à face ? Est-ce que je serai venu au Canada si on m’avait dit qu’Allen avait besoin de moi ?
Avec des stats, peut-être. Peut-être qu’on aurait pu colliger mon projet et le sien, quelque chose qui fait du sens, autant de sens que possible. Peut-être qu’il aurait pu envoyer Phil et toute son empathie et j’aurais dit oui, mais non, il est venu là, comme un traqueur dans les terres du bout du monde, instable et arrogant, inimitable surtout à prendre et à ne pas laisser partir.

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MessageSujet: Re: Prêt à tenter l'impossible    Prêt à tenter l'impossible  EmptyLun 25 Sep 2023 - 20:23

« N’a jamais su quoi dire, quoi penser »

Jamais, jamais. Parler pour dire ce qu’on pense vraiment ? Oh ça non. Oh ça il faudra l’extraire d’une bouche qui n’a plus rien à dire, d’un corps qui se retrouve face au mur. On se contentera d’abord des formalités, du contexte, des choses froides et sans saveur parce que c’est comme ça que j’ai toujours fait.

Mais comme toujours, j’ai la sensation que rien n’est écrit comme il le faut. Qu’il y a des erreurs à chaque mot, que leur succession me fait dire l’inverse de ce que je pense. Alors quoi, me faut-il annoncer de but en blanc que gars, je meurs. Je vais clamser entre maintenant et bientôt et j’ai absolument aucune idée de quand ça va péter mais ça arrivera. Et là, là j’ai besoin d’une personne, une seule, qui a tes compétences pour que ce que je souhaite faire avance. Que j’ai peur, extrêmement peur de mourir et que je suis prêt à tout pour m’éviter ça. Que ça me fait tellement flipper qu’avoir ton visage à toi et à personne d’autre c’est le seul truc bancal que j’ai trouvé pour me rassurer. Qu’il y a jamais eu qu’un seul expert en putain de runes dans tout ce monde.

Ah !

Il continue à taper.

« Un travail, où ? À la solde de qui ? »

C’était à prévoir. Au moins, il n’insiste pas pour creuser sur le sujet. C’est déjà ça. Maiiiis c’est pas pour autant gagné.

« Qu’est-ce que tu fuies, au Canada ? Pourquoi venir en personne ? »

Ça n’a jamais été aussi dur de rester évasif. Pourtant, je l’ai fait des dizaines de fois, ce blablatage, ces tentatives de négociations. Il y en avait pour tous les goûts, pour toutes les origines. Ces expériences étaient aussi variées que le nombre de chercheurs à travailler dessus et ça fonctionnait plutôt bien. Mais je lutais cette fois-ci, même à cinq kilomètres de distance, pour oser lui mentir. Parce qu’il percerait sans doute ma carapace de mensonge.
Peut-être qu’il s’en fichait aussi, répondait hasardeusement avec un mouibof sur le bord des lèvres. Avec ces yeux qui ne cillent pas lorsqu’ils sont concentrés. Je passe une main dans ma barbe et reprend :

« Je ne peux pas te donner la localisation précise, mais c’est en Asie. Et… je suis désolé, tes questions sont trop sensibles. Pas à l’écrit. »

À la réflexion, je préférais largement nos échanges à semi-distance. C’était une sécurité de plus, une certitude que les choses ne pourront pas plus mal tourner qu’elles ne l’étaient déjà. Je ne sais pas si je suis prêt à le fixer, là, mais alors à quoi bon s’être déplacé, hein ? À quoi bon avoir monté tout ce cirque pour ne pas le voir en chair et en os ? Il est des choses qui ne peuvent être écrites, dans ma situation.
Je m’apprête à trahir le monde magique dans sa globalité, après tout.
Alors bon, un camp isolé au milieu d’un désert, c’est le cadet de mes soucis. Mourir maintenant ou dans quinze jours, ça ne fait vraiment pas une grande différence. Je démarre le moteur de la jeep et fait demi-tour. En quelques secondes, mes doigts se posent sur le téléphone et j’écris :

« Je vais encore m’imposer dans ta vie, Simje, pour quelques minutes seulement. Je descends jusqu’au camp. »

Ça ne peut pas durer comme ça. J’ai laissé mon téléphone de travail à l’hôtel mais je ne doute pas que certains exorcistes ont dû tracer mon téléphone personnel également. C’est pas le moment de réfléchir deux fois. Soit comme Phil, fonce dans le tas pour une fois. Alors, la jeep dévale le sentier à peine balisé et rejoins la route en contrebas. Les cinq kilomètres qui nous séparent me paraissent durer une éternité. Avec un camp à ce point isolé, peu de chances pour qu’on me laisse entrer les bras grands ouverts et qu’on me serve le thé. Espérons seulement que mon visage leur soit inconnu ou qu’il ne s’agisse pas d’humains ou de sorciers noirs. Qui sait, Simje me paraissait à un moment prêt à tenter n’importe quoi avec n’importe qui.
Grand bien lui fasse, je pourrais tout à fait lui offrir ça.

La route s’élargit un peu et je perçois enfin les préfabriqués entassés plus loin. Avec ce barbelé et tout le reste. Je regrette mon geste mais poursuit. Quand les choses à perdre diminuent à vue d’œil, on s’accroche à tout ce qui reste avec une fervente obstination.

La grande porte en fer me barre bien vite l’accès à l’homme que je recherche et je décide de stopper ma folie. Les hommes et femmes froncent les sourcils et je sens que ma présence ne les arrange clairement pas. Alors, Orpheo ou les restes de sorciers noirs ? Difficile à dire, avec leurs airs graves, ils ont tous l’air d’ennemis. Je sors de la voiture, les mains en l’air avant d’ajouter :

« Je viens voir M. Voniestosiwjski. C’est important. S’il vous plait. »

Parvenir à prononcer son nom sans faute m’aurait tiré un sourire dans un autre contexte. Pour l’heure il pouvait tout au plus justifier notre proximité et justifier pour de bon ma présence. Restait à voir ce qu’il adviendrait de moi dorénavant.

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MessageSujet: Re: Prêt à tenter l'impossible    Prêt à tenter l'impossible  EmptyMar 26 Sep 2023 - 9:10

Toujours debout, toujours immobile, ses cheveux embêtés par le vent et ses émotions encombrées par une lourde dissociation. Il a bien appris le mécanisme ; la science et lui ça fonctionne. Pour éviter une overdose d’adrénaline et de cortisol dans le corps, l’amygdale est noyée de kétamine, notamment. Et on dissocie.

Pour pas mourir.

Pourquoi l’arrivée d’Allen lui fait craindre la mort ?

« Je ne peux pas te donner la localisation précise, mais c’est en Asie. Et… je suis désolé, tes questions sont trop sensibles. Pas à l’écrit. »

Il sait qu’il va se ramener, forcer les passages, trouver des explications. Utiliser son charisme évident de porteur de projet, porteur de valeurs, porteur de choses plus grandes que lui et on lui ouvrira les portes. Il ne craint rien, il a tout vécu, tout décidé déjà, il ira jusqu’au bout tel l’homme monotâche que je connais, celui qui va droit au but, quoi qu’il en soit et surtout, quoi qu’il en coûte. Pour lui ou les autres.

« Je vais encore m’imposer dans ta vie, Simje, pour quelques minutes seulement. Je descends jusqu’au camp. »

Allen ne s’excuse pas, il annonce.
Un soupir vieux comme le monde soulève la poitrine du polonais, qui se ramène sur les plages glacées de son pays, là où il se sentait à la maison, il perçoit même les vagues rouler sur les plages de galet, ce son d’entrechoc au goût de sel. Le garçon se force à reprendre contact avec ses émotions, avec ce qu’il sait être.
Il souffle à nouveau et s’avance sur la route principale du camp et, sans aucune surprise, la jeep du canadien arrive au pas ; ils l’ont laissé passé, bien sûr. C’était à prévoir.

— Ce n’est pas un territoire conquis, ici, Kristiansen.

Ce qu’il ne faut pas faire pour s’extirper d’Orpheo, tout de même, et ses immenses branches tentaculaires. J’ai du mal encore à envisager comment une seule organisation peut se dire planétaire, peut convenir à tous les continents du monde, peut convenir à toutes les valeurs qui soient. Le gentil, le bien.

On fait ça en apprenant à un groupe d’orphelins à parler plusieurs langues et à se battre, au cas où, c’est pour eux, pour les protéger bien sûr, on n’en fait pas des armes plus tard, des machines de guerre qui sourient quand il y a eu contact, dans la mission. « J’avais jamais tiré ! » avait dit Ian, tout sourire. Bien évidemment, quand on vous forme toute votre vie à abattre les grands méchants, on a envie de prouver qu’on peut le faire.

Pas ici.
Ici, personne n’a rien à prouver parce qu’on a tous perdu notre foi quelque part dans les années précédentes.


— Remonte dans ta jeep, on s’en va.

Il jugule la tristesse qu’il ressent à avoir accès à nouveau à son rythme cardiaque, au bruit de ses doigts qui se frottent entre eux, à sa main dans sa barbe. Quelque chose qui lui avait manqué sans qu’il le sache.
Une tristesse infinie à se rendre compte qu’on ne s’est pas très bien traités, qu’il ne m’a pas bien traité et qu’il continue à le faire, qu’il continue à agir de la même façon parce que sans m’en rendre compte j’ai dit on, j’ai pas dit tu t’en vas, j’ai dit on s’en va alors bon. Que faire maintenant ? Il m’use parce qu’il le peut, pas parce qu’il est vicieux mais parce que je dispose là, prêt à en avoir quelque chose à foutre. Le chien loyal qui revient toujours, parce qu’il a été câblé pour agir ainsi, revenir, revenir, revenir.

Simje fait un signe à une femme dans la camp, qui lui signe une question. Elle a eu les tympans éclatés par une onde de choc alors, c’est la seule qui a bien voulu l’aider à s’entrainer parce qu’au pire, au pire elle n’avait plus rien à abimer. Il lui dit qu’il part.
Elle ne demande pas où, pas pour combien de temps, ils sont tous ici des poulpes à qui on a été coupé les tentacules. Incapable de créer des liens entre eux à nouveau et puis, cette femme, elle s’appelle Anna.

Alors bon.

Il attache sa ceinture, essuie ses paumes sur son jean et demande nonchalamment :

— Alors, qui a besoin d’être sauvé, cette fois ?

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- Oui mais c’était des méchants !


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MessageSujet: Re: Prêt à tenter l'impossible    Prêt à tenter l'impossible  EmptyMar 26 Sep 2023 - 18:42

« Et tant qu’y’a de l’espoir »

Tant qu’il y a de l’espoir, il y a de la vie. C’est une phrase que j’ai souvent entendu dire de la bouche de mes parents. Chaque gamelle, chaque difficulté rencontrée et cette adage refaisait surface telle une boîte à musique trop bien huilée. Je ne comprenais pas tant, à l’époque, cette obstination pour l’espoir, ni même sa définition à vrai dire. Pourtant, elle me paraît aujourd’hui si vraie, cette expression. L’espoir pouvait faire gravir n’importe quelle montagne, passer au-delà de bien des mers. Pour peu qu’il y ait cet espoir là, omniprésent et constant.

Les sourcils des hommes et des femmes se défroncent, on discute à voix basse. Les pensées sont bloquées pour quelques-uns, pour d’autres non. Et ces mêmes pensées oscillent entre méfiance et une certaine lassitude qui me surprend. Pour la première fois, la curiosité prend le pas : qui sont ces gens, au juste ? Ils sont juste assez groupés pour être ensemble, juste assez dispersés pour manquer d’encadrement. Un entre-deux qui rappelle si bien la fin de la guerre, les morts et surtout les autres. Sans faction, sans drapeau sous lequel se rassembler, de slogan à scander et de valeurs à partager.
Est-ce là ton présent actuel, Simje ?

Les couleurs de leurs pensées changent et je devine que ma seule phrase a suffit à les convaincre, ou tout du moins à abaisser leurs maigres défenses. La porte s’ouvre et je remets le moteur pour faire quelques dizaines de mètres de plus.
Et puis, il est là.
Sur le côté de la route mi-sableuse mi-terreuse. Définitivement sèche. J’inspire profondément. Il est comme dans mes jumelles cinq kilomètres plus loin et même si cela coule de sens, je reste surpris. Il n’a absolument pas changé, toutes ces années. Un clignement d’yeux et l'on aurait pu croire à un mirage. Cependant, bien loin de moi l’envie d’y croire, à ce temps qui ne se serait pas écoulé. Il ne regarde pas de la même façon, il y a cette même lassitude que je ressens chez les autres. La guerre a fait des ravages, mais peut-être ce regard là est-il dû à moi, à cette façon toute personnelle de m’imposer dans la vie des gens et de repartir dans l’instant. Peut-être aurais-je agi de la sorte, après tout, si les rôles s’étaient inversés. Ou lui aurais-je dit « Non, rentre chez toi. » Tout simplement.

— Ce n’est pas un territoire conquis, ici, Kristiansen.

C’est à mon tour de froncer les sourcils. Je ne comprends pas la pique, contrairement à ce passif agressif. Le contexte nous manque à tous les deux alors je ne réponds pas. Est-ce vraiment l’image que je renvoie ? Je ne fais qu’aller droit au but, parce que le temps manque, que cet échange à l’écrit était destiné à se finir tôt ou tard et qu’en l’absence de déplacement de sa part, je me devais d’aller à sa rencontre.
Je m’apprête à descendre, ne serait-ce que pour le saluer, mais il me stoppe d’une parole :

— Remonte dans ta jeep, on s’en va.

Il s’approche, il monte et je me mets à compter dans ma tête. Froidement, calmement. On s’en va, oui on s’en va. Pas bien loin, juste assez pour être hors de portée des oreilles indiscrètes. Comme je l’ai dit, je ne compte m’imposer que pour quelques minutes. Il pourra reprendre sa vie, ensuite, comme il l’entend. S’il refuse, bien entendu. Et ce sera probablement notre dernière réunion.

Il fait signe à une femme et les pneus crissent sur mon demi-tour. Il est là, juste à côté et ça me paraît totalement impossible. Il n’a rien évoqué, pas dit non, pas dit oui, il a juste dit « on s’en va » et c’est ce que je fais, nous en aller. La porte restée ouverte salue presque notre départ et j’entends Simje s’exprimer de nouveau.

— Alors, qui a besoin d’être sauvé, cette fois ?

Mes phalanges se referment fermement sur le volant. Cent quarante-huit. Cent quarante-neuf. Qui a besoin d’être sauvé, hein ? J’appuie un peu plus sur l’accélérateur et nous dépose finalement à proximité d’un haut rocher, suffisant pour nous protéger de son ombre bienvenue. La voiture garée, le regard vers le bas et les bras toujours fermement tendues vers le volant, j’articule :

« Désolé. Sincèrement, désolé. D’être comme ça et d’apparaître et disparaître constamment. »

Pas qu’il n’ait aussi daigné prendre de mes nouvelles mais passons. Le contexte, ce fameux contexte justifie tout, n’est-ce pas ? Je n’ai pas tant envie de le regarder. La vérité effleure déjà le bout de mes lèvres mais je ne dois pas tout lâcher maintenant. Qu’est-ce que ça changerait, de toute manière. Au mieux, il s’inquiéterait. Au pire, il y serait complètement hermétique. Et croyez-moi, quand on compte ses jours à un âge aussi jeune, à moins d’être mère Thérésa ou quelqu’un de profondément bienveillant, ce que je ne suis pas, la dernière chose que l’on souhaite c’est être oublié ou ignoré. Alors évitons-nous des déceptions ou des inquiétudes stériles pour le moment.

Je soupire et relève enfin la tête pour fixer Simje et ses yeux si clairs. Cela fait si longtemps. Si. Longtemps. J’aurais aimé lui proposer une nouvelle sortie à Las Vegas, mais c’est fini tout ça. Fini pour de bon. Peut-être bien qu’aucun de nous ne sourira plus jamais face à l’autre. Certainement pas aujourd’hui, en tout cas.
Le moteur éteint, je déclenche une rune d’insonorisation sur le toit de la voiture et éteint mon téléphone. J’ajoute :

« Éteints ton cellulaire, s’il te plaît. »

Je n’aime pas tant paraître à ce point alarmiste mais chaque risque évité est un chemin de plus vers le succès. Je prends enfin le temps de répondre à ses questions, en occultant volontairement celle prononcée à l’oral.

« Il s’agit d’une mission au Japon, je tairai la ville pour le moment. Lobjectif est de créer une rune catalyseur et un « moteur » suffisamment puissant pour pouvoir fonctionner par lui-même. Pour l’exprimer simplement, une rune capable de fonctionner sans magie et de manière permanente. C’est… Ça peut paraître assez fou, mais les sujets de recherches sont assez avancés. Il nous manque… toi, ton expertise et tes facultés à créer. »

Parler de choses sérieuses, orienter mon discours vers les points clés, c’est une belle méthode pour garder un contrôle de moi quasi parfait. Et c’est efficace, mes mains se desserrent du volant et je prends enfin la peine de sortir de la jeep. Je poursuis, tout en passant mes mains dans mes poches.

« Aucune organisation ne mène ces expériences. Ni Orpheo, ni les humains ou sorciers noirs. Ni même les innocents. »

Le « c’est pour moi » reste coincé dans ma gorge, sans aucune possibilité d’échappatoire. C’est effrayant, toujours aussi effrayant d’y penser. À tout ce que j’ai lancé pour moi, à toute cette succession de chances qui m’ont fait rencontrer les bonnes personnes très rapidement.

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MessageSujet: Re: Prêt à tenter l'impossible    Prêt à tenter l'impossible  EmptyMar 26 Sep 2023 - 20:31

Quand on était dans la voiture, Ian m’a dit : ouais, la dernière fois mon père m’a dit que la peur c’était vraiment quelque chose dont les autres n’en avaient rien à foutre. Moi, il écrivait sa peur sur un papier qu’il pliait en plein de petits petits petits morceaux et après il le mettait sur sa langue et il l’avalait quand ça avait fondu.
Il m’a dit ça genre tu peux te la carrer dans le cul ta peur, avec ses yeux de clebs qu’il lance sur le côté, là. J’avais plus besoin d’un discours de coach, un pep talk, genre, do it scared ! Day one, or ONE DAY?!

Puis parce qu’il me regardait avec un sourire grandissant, j’ai laissé mon cerveau explorer ce qu’il venait de dire, en quoi ça pouvait être drôle, alors j’ai dit : mais t’es pas orphelin toi ?

il m’a répondu : si, haha, et puis mon père je l’ai tué.

Je ne sais pas pourquoi je pense à ça, là maintenant, mais j’ai peur, et je n’ai pas de petit papier pour écrire exactement une dissertation sur toutes les façons dont ça peut très mal se passer.

Mais je le sais, on le sait tous les deux, ça peut, très mal, se passer.
Je pourrais même m’inventer un pouvoir prophétique : ça va très mal se passer.

« Désolé. Sincèrement, désolé. D’être comme ça et d’apparaître et disparaître constamment. »

Ah, voilà ! Voilà je suis prophète. C’est pour ça que je repensais à cette histoire. C’est pas mes peurs que je devrais écrire sur un petit papier, c’est ces excuses sincères.

Tu peux te les carrer dans le cul tes excuses, Allen.


« Éteints ton cellulaire, s’il te plaît. »

Il obtempère, enlève la batterie de l’appareil en se disant qu’avec la magie, plein de précautions semblent vraiment stupides. C’est ça qu’ils essaient de faire, dans ce coin du désert. Nouer la technologie et la magie.

Repousser les limites.

Comme Oppenheimer et la bombe nucléaire.`

Une réussite, assurément.

« Il s’agit d’une mission au Japon, je tairai la ville pour le moment. Lobjectif est de créer une rune catalyseur et un « moteur » suffisamment puissant pour pouvoir fonctionner par lui-même. Pour l’exprimer simplement, une rune capable de fonctionner sans magie et de manière permanente. C’est… Ça peut paraître assez fou, mais les sujets de recherches sont assez avancés. Il nous manque… toi, ton expertise et tes facultés à créer. »

Il déglutit. Il déglutit mais la boule qu’il aurait voulu avaler ne passe pas alors il recommence, essuie ses mains sur son jean alors qu’un long frisson lui parcourt le corps. La bombe atomique, ugh ?

« Aucune organisation ne mène ces expériences. Ni Orpheo, ni les humains ou sorciers noirs. Ni même les innocents. »

Simje dévisage pleinement Allen. Il vient de se rendre contre qu’il était débout, qu’il fixait le canadien avec un air absolument hébété.

— Mais qui voudrait créer ça, Allen ? T’imagines les répercussions ?

Son cerveau s’emballe et il se dit, fuck it si t’es dans ma tête à ce moment là mon gars alors accroche toi parce qu’imagine si les runes sur Declan n’avaient pas eu besoin d’énergie si on pouvait créer des bobby trap qui n’aient besoin de puiser dans rien ça serait comme les mayas et les incas selon Indiana Jones avec des pièges ancestraux qui n’ont plus besoin de détonateur ça serait les bombes enterrées de la première guerre mondiale humaine ça serait pouvoir drainer la magie de quelqu’un d’autre, sans fournir le moindre effort, comme on fait suinter le pancréas des ours dans les fermes ça serait la voiture à eau, non mieux, la voiture à rien du tout.

— Il y a toujours un prix à payer. L’électricité. L’énergie. Une fois que tu as consommé de l’énergie, tu dois manger des aliments qui eux même ont consommé quelque chose.

Il réfléchit à haute voix.

— Tu demandes la fusion de l’atome plutôt que la fission, sans prix à payer ? Quelque chose de gratuit qui se maintiendrait seul c’est…

Bah contre nature hein très clairement.

— Peu souhaitable. Est-ce seulement envisageable ? Une magie permanente ? Si on chargeait suffisamment des, je sais pas, des pierres, admettons un peu de spiritualité dans le débat, t’as lu Eragon ?

Il se reprend, conscient d’avoir laissé l’arborescence de son cerveau lui échapper complètement.

— Comme un jouet à qui on remonte le ressort, ça serait possible. Mais un jouet sans ressort qui s’animerait de lui-même, Allen, ça serait Annabelle. Pourquoi est-ce que tu souhaites créer un démon ?

Parce que le sous texte est évident : Allen n’a jamais été à la botte de qui que ce soit.
Moi, oui.
Regardez-moi lui lécher les siennes et remuer la queue pendant que je mets mon cerveau à son service.

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MessageSujet: Re: Prêt à tenter l'impossible    Prêt à tenter l'impossible  EmptyMar 26 Sep 2023 - 22:46

« Toujours des questions. »

Moi-même, je continue à m’en poser des dizaines, peut-être même des centaines par jour. Est-ce qu’on va dans le bon sens, est-ce qu’on trouvera quelque chose au bout du tunnel ? Est-ce qu’on prend la bonne sortie ou finira-t-on par se prendre le mur… Lorsque mes explications fusent pourtant je ne réfléchis pas. Les chercheurs les plus aux faits de mon état se sont concertés et parmi l’une des solutions, celle-ci est ressortie. Une rune anti-magie d’une part, une autre qui puisse catalyser son effet et une autre qui pérennise son effet. Enfin, une puissance suffisante pour graver les chairs si fort qu’il finit par intégrer le corps tout entier. Ou quelque chose du genre. Dans tous les cas, même en prenant une autre des idées proposées, l’issue est toujours la même : il faudra une rune et un catalyseur extrêmement résistants. Des magies diverses et variées, de la chimie et peut-être bien des objets d’humains innocents, puisque c’est l’issue qui m’attend dans le meilleur des cas.

Mais Simje n’a pas l’air d’apprécier. Et à raison.

— Mais qui voudrait créer ça, Allen ? T’imagines les répercussions ?

Oh que oui. C’est la porte ouverte à toutes les dérives du monde magique et peut-être même au monde non magique si cela venait à s’ébruiter. Pourquoi donc prenais-je toutes ces précautions, à son humble avis ? Je secoue la tête. Si les personnes mises au courant de la base de mes recherches se comptaient sur les doigts d’une main, ce n’était pas un hasard, car si l’absence de magie dans une rune c’était certes quelque chose, retirer les pouvoirs à un doué en était encore une autre.
Quelque chose au fond de moi commença à douter. Le risque était gros d’en dire davantage. Très gros. Pourrait-il garder un secret aussi lourd pour lui-même ? Pour moins que ça, des dizaines d’employés d’Orpheo avaient été radiés des listes. D’un côté, ça ne me faisait pas grand-chose. À part pour ceux que je laissais délibérément derrière moi, sans doute.

— Il y a toujours un prix à payer. L’électricité. L’énergie. Une fois que tu as consommé de l’énergie, tu dois manger des aliments qui eux même ont consommé quelque chose.

Et il poursuit. Il parle comme je l’ai rarement entendu parler. Ça le passionne autant que ça l’effraye et cette question du qui s’est déjà précisé dans sa tête. Pourquoi est-ce que je souhaite créer un démon. Je n’ai jamais cette idée comme un démon. Pour moi dans cette histoire, c’est du binaire. Noir ou blanc. Zéro je vis, Un je meurs. J’ai l’insolente chance d’avoir un carnet d’adresse gigantesque et des soutiens prêts à payer très, très cher pour m’aider. J’arrive pas à me résoudre à crever pour une erreur, UNE SEULE, d’avoir touché le mauvais objet au mauvais moment alors que tout le monde me suppliait d’y aller. De tenter. J’ai pas cette décence en moi. Pas quand les solutions me tendent les bras.
Pas sans avoir au moins essayé.
Et si cela fonctionne, alors je dédierai toute ma putain de vie restante à détruire ces recherches et faire que rien ni personne n’y accède plus jamais. Reste à savoir ce qu’un humain sans pouvoir et destitué de ses responsabilités serait capable de faire.
Est-ce que j’ai encore le luxe de pouvoir penser à tout ça. Je devrais, et sans doute Simje va-t-il m’y contraindre à sa façon.
Je secoue une nouvelle fois la tête. Il y a tout de même une réponse à clarifier :

« Je me suis sans doute mal exprimé. Je ne te parle pas de créer à partir de rien. Je te parle de ne pas utiliser de magie. Peu importe ce que la ressource demande, à condition qu’il ne s’agisse pas de magie. Mais à la rigueur, oublie cette partie et tiens-t-en à la rune et au catalyseur. Le reste on finira bien par trouver, quitte à passer par d’autres moyens. »

Je n’ai clairement aucune peur quand à devoir utiliser ce que le jargon appelle l’énergie vitale pour arriver à mes fins. La mienne, s’entend, celle du marqué. Après tout, je suis né sorcier et ma durée de vie est bien supérieure à celle d’un humain lambda. Ce ne sera qu’un digne retour aux sources.
Croyez-moi, j’aurais adoré m’éviter tout ça. Mon travail me plaît, j’aime profondément mes amis et ma famille, mes pouvoirs me sont d’une utilité extrême et tout rayonne sincèrement. Les chercheurs ont tout essayé, de reprendre la lame qui m’a touché pour inverser le processus mais rien n’y fait. Les runes sont très puissantes et peut-être Simje devrait-il commencer par y jeter un coup d’œil. Sans se blesser. Surtout, sans se blesser. Tout le monde l’a en horreur, cette lame, depuis qu’on sait ce qu’elle produit.

Je masse l’arête de mon nez entre mon pouce et mon index, désireux malgré moi de revenir sur ses derniers mots. Je sais que je deviens taré, qu’un seul mot mal placé pourrait me mettre dans la ligne de tir d’Orpheo. Qu’ils n’hésiteraient pas une seule seconde à appuyer sur la détente. Mais une vie reste une vie, surtout lorsque c’est la sienne. La grande majorité des inventions désastreuses étaient en réalité, à l’origine, des outils censés sauver des vies. J’ajoutais simplement une très forte notion d’égoïsme.

« Et… ce n’est pas un démon. Ça n’alimentera pas d’engins de guerre ou que sais-je. Je ne prends pas toutes ces précautions à rester évasif pour simplement faire grimper ta curiosité. L’issue doit rester confidentielle, aussi longtemps que possible. »

Je me retournais très franchement, mi-vexé mi-embarrassé par cette question toujours dans ma tête.

« Tu me crois vraiment capable d’attenter volontairement à la vie des gens ? »

Et dans cette phrase à l’oral, je repense presque instinctivement à toutes ces personnes qu’il a fallu envoyer d’une main ferme à l’abbattoir, du temps où la guerre faisait rage. De ces gens qu’il me fallait choisir parfois au hasard, en fonction du nombre de membres familiaux qu’ils laisseraient derrière eux ou de leur degré d’importance au sein d’Orpheo. Combien de lettres avais-je écrit sans y penser un seul instant. Oui, j’étais capable d’attenter volontairement à la vie des gens, parce que mon travail de directeur me l’avait appris et qu’on finit par s’y habituer bien trop vite quand la guerre et la mort sont partout. Je n’étais rien d’autre qu’un papier pour Orpheo qu’ils se contenteraient de rayer si cela va à l’encontre de leurs valeurs. Sans relever les yeux vers lui, je tendis la main et coupa toute tentative :

« Tout bien réfléchi, je me passerai de commentaires. Toute cette histoire est déjà assez lourde à porter comme ça. »

Trop lourde pour l’entendre dire que j’étais effectivement un meurtrier conscient et multi-récidiviste.

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MessageSujet: Re: Prêt à tenter l'impossible    Prêt à tenter l'impossible  EmptyMer 27 Sep 2023 - 13:09

« Je me suis sans doute mal exprimé. Je ne te parle pas de créer à partir de rien. Je te parle de ne pas utiliser de magie. Peu importe ce que la ressource demande, à condition qu’il ne s’agisse pas de magie. Mais à la rigueur, oublie cette partie et tiens-t-en à la rune et au catalyseur. Le reste on finira bien par trouver, quitte à passer par d’autres moyens. »

Incapable de rester en place, Simje se met à faire les cent pas. La chaleur lui brûle sa peau blanche, le soleil lui fait plisser ses yeux glacés. Il met une paire de lunettes de soleil, continue son manège. À partir de matière qui n’est pas magique, à partir d’un fuel, finalement, qui brûlerait.

« Et… ce n’est pas un démon. Ça n’alimentera pas d’engins de guerre ou que sais-je. Je ne prends pas toutes ces précautions à rester évasif pour simplement faire grimper ta curiosité. L’issue doit rester confidentielle, aussi longtemps que possible. »

Allen semble agacé, à fleur de peau, pas vraiment en mesure de ramener Simje dans son camp. Totalement absorbé par les conséquences s’il rate, les conséquences si rien n’est fait.

« Tu me crois vraiment capable d’attenter volontairement à la vie des gens ? »

Il s’humecte les lèvres.

« Tout bien réfléchi, je me passerai de commentaires. Toute cette histoire est déjà assez lourde à porter comme ça. »

Mais comment s’engager dans une aventure alors que le principal participant n’a visiblement plus les épaules pour tout porter ? Visiblement plus de volonté immaculé qui permet de traverser des pays et soulever des mers.

Qui permet de faire rester quelqu’un quelques heures de plus dans une chambre d’hôtel.

Simje s’empêche de répondre que c’est pour ça qu’il est venu le voir, à vrai dire, pour ses commentaires, et soupire.

— C’est inconscient. Mais d’accord.

Les notions de futur se sont évanouies il y a un moment déjà, celle des générations qui suivront, tout pareil. Ne se doute-t-il pas que ça va se savoir ? Que les humains sans pouvoir pourront récupérer l’invention ? Que les humains sans pouvoirs découvrirons probablement le secret, que toutes les guerres pourront être nourries avec des betteraves, comme les voitures.

Ça veut dire runer des engins de guerre, des chars, des avions, même. Tout dépend de la rune bien évidemment, mais si…


Il soupire à nouveau, se pince l’arrêt du nez.

— Je suppose que tu réfléchis à tout ça depuis des mois et que tu as pris ta décision quoi qu’il en soit. Je suppose également que tu seras prêt à assumer les conséquences, et que ce qui doit être sauvé en vaut la peine.

[ï]Parce que ça les mauvaises mains attraperont cette sale, très très sale invention, alors il faudra assumer que volontairement, pour lui, il a décidé que ça en valait la peine. Que pour sauver ce qui fait du sens pour lui, alors mettre en danger la planète, ça en vaut la peine.

Je remonte dans la jeep sans en parler plus longtemps. [/i]Il n’est pas sûr de pourquoi il dit oui. Il ne se sent pas curieux, il ne se sent pas enthousiaste, il ne se sent pas enjoué. Il a l’impression que l’ensemble de ces derniers mois l’ont menés exactement là, à côté d’Allen à nouveau, et qu’il n’y a rien qu’il puisse faire contre ça. Emporté par le flot d’un courant trop puissant, il n’essaie pas de résister et attache sa ceinture.

— Allons-y, déclare-t-il simplement.

Il se rend bien compte que si Allen peut l’arracher à sa vie en une demi-seconde, c’est bien que sa vie est ridicule, et qu’elle n’est qu’une imitation très pâle de ce qu’il a pu avoir avant.
Tant pis.

— Qui d’autre est-ce que y’a sur le projet ? Des gens que je connais ?

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MessageSujet: Re: Prêt à tenter l'impossible    Prêt à tenter l'impossible  EmptyMer 27 Sep 2023 - 18:14

« P’t’être bien qu’non »

Ou p’t’être bien qu’oui. Aussi décidé que je sois à bousculer l’ordre établi pour sauver ma peau, je ne trouve pourtant pas l’aplomb nécessaire face à lui. Peut-être que j’ai honte, même, quelque part, de profiter de toutes ces relations parce que je suis né au bon endroit, au bon moment, dans un environnement qui fasse grandir ma confiance en moi en un temps éclair. Confiance ébranlée dans le cas présent, si l’on en juge par les poings se formant dans mes poches pour se détendre ensuite, le tout à intervalles plus ou moins réguliers.

Autant dire que la fin de mon discours mène à deux phrases de sa part.

— C’est inconscient. Mais d’accord.

Deux émotions se bousculent et s’entrechoquent comme deux rochers lancés à vive allure. La joie et le désespoir. Il paraît difficile de les associer en une émotion mais c’est pour autant celles qui me viennent. Inconscient. Je n’aimais pas ce mot. À vrai dire, de toutes les insultes qu’on pouvait proférer à mon encontre, celle-ci demeurait l’une des pires. Je prenais parfois des avis sur des coups de tête, mais très peu, voire jamais, de manière inconsciente. Mais ce qui faisait le plus mal, c’était la vérité dans ces mots. Bien sûr, c’était inconscient. À situation désespérée, mesure désespérée. Ça avait toujours été comme ça.
Et ce « d’accord ». D’accord pour quoi ? Pour aider ? Je ne sentais dans cet accord rien de particulier. C’était une réponse comme une autre. Tu veux du chocolat ? D’accord. Une glace à la vanille ? D’accord. Prêt à détruire le monde ? D’accord. Je lui en voudrais presque d’être à ce point détaché de la situation. De me sentir face à un robot sans émotions, juste là pour acquiescer. Mais c’était facile hein, malgré mon visage décrépi et la sueur de la peur sur mes tempes, c’était facile. Il a dit d’accord et je reste là, presque hébété.
Mais il soupire et reprend :

— Je suppose que tu réfléchis à tout ça depuis des mois et que tu as pris ta décision quoi qu’il en soit. Je suppose également que tu seras prêt à assumer les conséquences, et que ce qui doit être sauvé en vaut la peine.

Garder le secret. Garder le fond de la mission pour trois ou quatre personne et l’occulter au reste. À tout le monde. N’admettre que des demi-vérités aux autres, dont Simje est censé faire parti. Je ne m’attends pas à ce que ces mots me fassent aussi mal que s’il s’était agi de Phil au lieu de lui. Est-ce que ma vie vaut une guerre ? Est-ce que la guerre n’est de toute manière, par essence, pas destinée à se reproduire ? La paix n’existe après tout que pour elle.
Il remonte et je le garde, moi toujours debout, moi prêt à faire les cent pas, peut-être même à marcher à côté de lui qui roule. Je ne doute pas. Je ne doute pas d’une seule chose : Je ne mourrais pas maintenant et j’utiliserai tout ce qui me passe à portée de main pour empêcher l’inévitable de se produire. Après tout, les miracles naissent souvent d’un très grand espoir.

— Allons-y.

Je phase une seconde fois. Maintenant ? Les gens avec qui tu faisais des trucs, tu ne leur dis rien ? Tu ne retournes pas les voir ? A quel endroit vis-tu ? Les questions se superposent comme une tour, bientôt si haute qu’elle ne tardera pas à tomber. Pourvu qu’elle ne déclenche pas de ras de marée.

— Qui d’autre est-ce que y’a sur le projet ? Des gens que je connais ?

Et je me rends bien compte que cette mission n’est qu’une parmi d’autres, qu’il ignore les tenants et les aboutissants que je lui ai caché et ne cherchera pas à en savoir plus. Est-ce un mal de vouloir tout balancer ? Est-ce que j’attends une réaction ? Est-ce qu’après avoir obtenu son approbation claire, ne serait-ce pas terrible de lui soumettre en supplément mon état de santé ?
Je me triture les méninges et rejoins Simje dans la jeep. Pas maintenant. Pas. Maintenant. Et dans le meilleur des cas, jamais. Phil ne le sait toujours pas, bien qu’il se doute de quelque chose, alors pourquoi en serait-ce autrement avec le polonais ?

« Non, je ne pense pas. Pas dans cette phase du projet, en tout cas. »

Je démarre le moteur et commence à rouler quelques centaines de mètres. Tu es sûr ? Pourquoi est-ce que tu as accepté aussi facilement ? Tu n’as pas d’affaires à récupérer au camp ? Qui étaient ces personnes ? Compter ne me sert plus à rien. J’ai le cerveau en surchauffe et je sens que mon don lui-même commence à se manifester sans raison. Ça me déclenche un mal de tête très puissant et surtout immédiat. J’entends les têtes des gens du camp malgré la distance et celle de Simje plus près mais c’est un brouhaha absurde et cacophonique. Je préfère piler plutôt que risquer de sortir de la route et pose ma paume de main sur mon front en grinçant des dents, pour peu que cela serve à quelque chose. Ce ne sont que quelques secondes mais le bruit est si fort qu’il me vrille les tympans. Et nous sommes perdus au milieu du désert, avec vingt pauvres isolés disponibles. Imaginons seulement ce genre de crise en plein cœur d’Ottawa. Sans aucune doute, je préfère mourir gelé plutôt que de subir ça en continu.
J’en peux plus. Le secret, tout ça.

« C’est moi. »

J’arrive pas à lui cacher ça même si c’est pour le mieux, même si ça a pas d’intérêt pour lui. J’agis comme je l’ai toujours fait avec Simje. Je parle, puis je réfléchis. Inconscient, donc. Sans doute.
La crise se calme et je souffle calmement pour réguler les battements effrénés de mon cœur.

« C’est moi « ce qui doit être sauvé ». Mes pouvoirs deviennent incontrôlables et la seule solution, la seule, elle est pire que la bombe atomique. »

Elle menace tout le monde. Les amis et les ennemis. Je regarde ma main se refermer sur le vide.

« Je vais exterminer ma condition de doué. Supprimer mes pouvoirs, définitivement. »

Et je le fais pas par bonté d’âme.

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MessageSujet: Re: Prêt à tenter l'impossible    Prêt à tenter l'impossible  EmptyMer 27 Sep 2023 - 21:35

Les émotions sont tellement tendues qu’elles sont réduites à des cordes entre les deux hommes qui se toisent, se perdent, tirent chacun de leur côté. Ma colère à moi, ma rancoeur à moi ! Mes problèmes. Mon vide. Mes douleurs et ma souffrance ; ouais et bien ma tristesse et ma terreur. Je me demande si c’est pas par rapport à Kely ; quelque chose cloche peut-être chez le gamin, un truc sombre, noué dans son passé, j’en sais rien. Ou son frère. Pour que Kristiansen y mette autant d’affect…

« Non, je ne pense pas. Pas dans cette phase du projet, en tout cas. »

Et là.
Et là. J’entends son rythme cardiaque complètement décoller et je perçois à quel point la machine Allen va mal.
Ce n’est pas Kely qui est grippé, il fait tout ça, absolument tout ça pour…

« C’est moi. »

Évidemment. D’un côté, comment ai-je pu être aussi naïf au point de penser que ça pouvait concerner quelqu’un d’autre que sa merveilleuse personne ?
D’un autre côté ; comment ça, il faut sauver Allen ?
Encore sauver Allen, oserai-je dire ?


« C’est moi « ce qui doit être sauvé ». Mes pouvoirs deviennent incontrôlables et la seule solution, la seule, elle est pire que la bombe atomique. »

À l’arrêt au beau milieu de nul part, Simje aimerait s’enfoncer dans son siège et disparaître. Être avalé vaudrait mieux que le champ des possibles qui s’ouvre devant lui, qui s’effondre à ses pieds même, en une cavité étourdissante.

« Je vais exterminer ma condition de doué. Supprimer mes pouvoirs, définitivement. »

Il hoche lentement la tête. Le véhicule n’est pas reparti. Il est mal à l’aise ; il ressent toutes les émotions en même temps après les avoir oblitérées pendant des années. Non seulement il n’a plus l’habitude, mais le réceptacle Simje est trop petit pour le contenu, le contenant ne peut pas s’étirer à l’infini sans briser alors il s’entend répondre, noyé :

— Cool.

Voilà, c’est tout.
Tourne dans un coin de sa tête que son identité s’est envolée couche par couche au fil des années. Avant, il était polonais (il est expatrié) il avait un chien (mort) des collègues (mort) un travail (disparu, puisque l’unité entière a été décimée), une famille (à qui il ne parle plus, tout le monde s’est perdu de vue, paraît que c’est la faute à tout le monde et au prix des aller-retour Australie-Pologne pour Noël), il allait courir (il ne sait même plus pourquoi il s’imposait ça en premier lieu).

Lui reste les runes, lambeau d’identité survivant par lequel l’attrape Allen. Même aux yeux d’Allen, il n’est plus que ça.

Et puis subitement, sa carapace se fendille, craquèle un peu et il prend la mesure de l’amputation que veut réaliser l’autre.
Son propre mot résonne encore à son oreille.

— Si tu m'avais simplement dis ça, je serai venu, Allen.

Ou comment comprendre « je suis là pour toi » en langage Voniestosiwjskien. Il y aura une bataille plus tard entre le cerveau, le coeur et les tripes à ce sujet : pourquoi vouloir sauver Allen à tout prix ? Pour une histoire de rédemption ? Pour tous les autres qu'on n'a pas pu sauver ? Pour retrouver un sens, une utilité à une vie qui tourne en rond ? Par empathie ? Par amitié ?
Par amitié ?! Ha, ha.
Moment d’ouverture qui ne dure pas longtemps puisqu’il ajoute, le cerveau à mille à l’heure :

— Ça dure depuis quand, les crises ? La perte de contrôle ? C’est dû à quoi ?

J’ajouterai bien : t’as songé à aller voir un psy ?
Mais je me tais, évidemment, chez les magiques on fait pas ça, chez les magiques on se rune l’intégralité du dos à même la peau et quand les chairs à vif commencent à gratter, alors seulement on songe que c’était peut être pas une si bonne idée.

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MessageSujet: Re: Prêt à tenter l'impossible    Prêt à tenter l'impossible  EmptyMer 27 Sep 2023 - 23:07

« À tout déballer »

On en ressort plus libre. Comme si l’enclume sur nos épaules disparaissait brusquement. À quel prix ? Seul l’avenir le dira. Je pourrais les voir, les morceaux de vérité tout éparpillés autour de moi comme du verre brisé. Un verre qui me coupe à chaque fois que j’essaye de m’en saisir. Que je ne cesse de prêcher que « parfois l’ignorance est la meilleure des protections » n’est pas anodin.
J’ai tout dit. Je suis allé à l’essentiel, sans m’arrêter, sans laisser le temps de digérer. Les mots sont tombés lourdement et moi avec. Ma tête s’est laissée tomber sur le volant, anéantie, ma langue battue à son propre jeu du silence. Simje a toujours été doué pour me faire parler sans même le vouloir. Sans doute son silence est-il plus puissant que le mien. Ou est-ce simplement parce qu’il n’émet aucune curiosité en ce moment.

J’attends que le glas arrive mais ce qu’il me sort est à des années lumières de tout ce que j’aurais pu imaginer. Un mot, un seul, pour briser la tension.

— Cool.

Je n’y peux rien, c’est vraiment plus fort que moi, je laisse échapper un petit rire. Juste deux petits « Haha » dans une expiration un peu brusque. Un cool sortit d’on ne sais où, qui ne veut dire on ne sait quoi. On en revient à cette glace à la vanille et cette senteur chocolat. C’est bon le chocolat ! Cool.
Se pourrait-il qu’il soit cassé, ce bel individu ? Je ne poserai pas la question. Sans doute que oui, un peu comme nous. Orpheo se bat déjà contre elle-même donc difficile de se poser et réfléchir au sens de son existence, contrairement aux sorciers et humains noirs ou aux solitaires. Tant qu’il y a un objectif, il n’y a pas ou peu d’ennui possible. Encore moins de temps pour remettre sa vie en question.

— Si tu m'avais simplement dis ça, je serai venu, Allen.

Je relève les yeux vers lui, avec cet air honnêtement surpris. Je n’aimerais pas faire plier quelqu’un en jouant sur la corde sensible d’entrée de jeu. À la longue peut-être, mais pas au commencement. Plus maintenant. Curieusement, plus la chose est grave et plus je m’accroche à son secret comme un poulpe à son caillou.
Je ne sais pas si je dois le remercier, ne rien dire, ne pas le croire alors que c’est sans doute la vérité. Et puis il y a le fait qu’il m’ait appelé par mon prénom. C’est drôle. Enfin… c’est drôle que ça me touche alors que cela devrait être bénin. Il serait venu, donc, en sachant simplement que j’allais mal. Après toutes ces années sans se voir, sans se fréquenter, après s’être quittés salut j’m’en vais viens on se revoit pas.
Je dois avouer que je suis vraiment touché.

Je reprends la route. L’avantage, c’est que les crises sont encore largement espacées. Elles sont douloureuses mais vivables et je sais qu’elles ne se manifesteront pas à la chaîne sans véritable raison. La raison présente étant Simje, il me semble avoir plus ou moins accepté notre proximité. Plus de risques, donc. À moyen terme.

— Ça dure depuis quand, les crises ? La perte de contrôle ? C’est dû à quoi ?

Je songe à cette lame, à ces longs, très longs mois passés à ne pas se préoccuper de la fraîcheur anormale de ma tasse de café, à trouver les gens subitement bien bruyants. Ça a longtemps été quelque chose de diffus, d’à peine perceptible. Comme se réveiller avec la couette au sol alors que les habitudes de sommeil sont normalement très calmes. Pas de quoi s’inquiéter. Surtout quand l’on est si peu hypocondriaque comme moi.
Je rassemble mes souvenirs et commence par poser une tout autre question :

« Avant ça tu es sûr de ne pas vouloir récupérer des objets à ton camp ? Je ne compte pas repasser par ici de sitôt. »

Dans son précédent allons-y, j’ai compris nous partons. J’ai compris ok on part pou le Japon, où je ne pourrais probablement pas rester très longtemps à cause de mon travail devenu simple couverture pour ne pas trop éveiller les soupçons d’Orpheo. Les vacances ont déjà fondues sur les dernières années.
Je reprends :

« Pour en revenir au commencement, c’est dû à une faute de ma part. Une inattention pure et simple de quelques secondes si l’on en croit le rapport. J’ai touché quelque chose que je n’aurais pas dû toucher et paf. »

Paf la mort.

« Il se trouve que la lame appartenait à un ancien doué. Enfin par ancien je veux dire vieux, très très vieux, du temps des mayas presque. Et il se servait de sa lame pour, au choix abattre ses ennemis doués ou faire participer des malheureux aux rites sacrificiels. D’après mes chercheurs, c’est une tueuse de doués. Probablement l’une des premières du genre et donc toute sauf bridée. Personne n’arrive bien à en déterminer le fonctionnement mais la lame est soigneusement runée et devait à l’époque provoquer une sorte de surcharge magique chez l’être touché. Quelques minutes d’agonie et la mort. »

La passion avec laquelle je raconte cette histoire me dépasse. Elle a beau être la cause de tout mon malheur, je ne parviens au fond de moi pas à la détester. C’est en elle-même un objet d’une valeur inestimable, peut-être aussi dangereuse que ce que je m’apprête à faire, après tout. Personne n’osait la réhabiliter, finir la rune que j’avais tracé selon les dires du fantôme qui l’habitait. Tous craignaient cet objet et ce qu’il était en capacité de provoquer.

« Je ne l’ai touché que quelques secondes mais ça a suffit pour faire son effet, même à moitié brisé. »

Voilà pour l’explication du « c’est dû à quoi ». Le pourquoi avoir fait ça attendra. L’origine de la lame restera aussi profondément enfermé dans les limbes de l’ignorance. Il est des choses qui auraient dû rester sous ce gros caillou. Quand au reste de ses questions :

« Ça a commencé il y a un peu plus de deux ans, mais les crises douloureuses ont réellement commencé à apparaître cette année. Elles pouvaient être espacées d’une semaine ou deux. En six mois, j’en arrive à une tous les deux ou trois jours. Si je me retrouve en situation stressante, ça peut me taper à n’importe quel moment, avec mon don ou mon pouvoir. Deux, trois, jusqu’à cinq fois tant que la situation perdure. »

À y penser, il est vrai que la situation dégénère à vue d’œil. Combien de temps cela me reste-t-il ? Six autres mois, grand max ? Une bien mince deadline pour inventer un nouveau pan de la science magique.

« J’aurais vraiment aimé trouver une autre solution, je t’assure. J’écouterai même n’importe quel charlatant pour m’éviter tout ça mais je dois me rendre à l’évidence. Il n’y a qu’en supprimant mes pouvoirs que je m’en sortirai. C’est eux ou moi. »

Eux et toute la vie qui va avec.
Au moins, j’aurais le temps de me poser dans un canapé et réfléchir au sens de ma vie, pour la première fois depuis toujours.

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MessageSujet: Re: Prêt à tenter l'impossible    Prêt à tenter l'impossible  EmptyJeu 28 Sep 2023 - 12:11

Véritable match de ping pong, chacun se renvoie la balle avec le plus de puissance possible, pour autant extrêmement précautionneux de ne pas dépasser la table. Jouer est plus important que frapper alors, autant prendre des pincettes, smasher mais avec une toute petite raquette sur une toute petite table qui fait un bruit très très chiant, sur une balle extrêmement légère qui au pire, fera un tout petit bleu.
Et puis qui fera faute, au pire.

Qui fera faute, du coup ? Allen ? Moi ?

J’ai déjà dit oui, de toute façon, et il n’y a qu’un chemin devant moi.

J’ai quand même envie de frapper très fort, et pas avec une petite raquette molletonnée.


« Avant ça tu es sûr de ne pas vouloir récupérer des objets à ton camp ? Je ne compte pas repasser par ici de sitôt. »

Simje lui retourne un side eye extrêmement froid, plus polaire encore que la glace qui menace d’avaler le canadien. Mêlons-nous de tes problèmes, si tu veux bien le karibou, plutôt que des miens. Comme si ça te regardait, premièrement, comme si j’avais un jour été connu pour oublier des choses ou ne pas anticiper, deuxièmement, et troisièmement, fuck you.
Il se lèche les lèvres, y trouve un vague goût de sang. Comment les Australiens font-ils pour ne pas avoir des crevasses à la place d’une bouche au milieu du désert ?

Il entame donc son monologue sur le pourquoi du comment, et ainsi, globalement, de comment il a touché une lame cheloue. C’est vrai qu’il ne dit pas pourquoi, je me suis mal exprimé. Une tueuse de doués, maya, un truc horrible — je n’avais pas tord quand je parlais des pièges d’Indiana Jones finalement. Quelque chose capable de traverser les époques, mais du coup, avec quelle énergie ? C’est pour ça que je parlais d’Eragon, dans le bouquin, le garçonnet il met de l’énergie dans les pierres, il se draine intégralement puis va dormir, mange, et recommence encore et encore pour charger des joyaux pour plus tard. Il trompe le temps ainsi.

Comment la lame peut-être impacter Allen, si longtemps après ?


« J’aurais vraiment aimé trouver une autre solution, je t’assure. J’écouterai même n’importe quel charlatant pour m’éviter tout ça mais je dois me rendre à l’évidence. Il n’y a qu’en supprimant mes pouvoirs que je m’en sortirai. C’est eux ou moi. »

Roule, répond simplement le polonais. Il a déjà envie d’être sur les lieux, d’être dans l’ébullition des recherches. Il aimerait avoir accès à des dossiers, à des papiers qui laissent des traces de ce qu’Allen a essayé, avant de tenter de s’amputer. Tu perdrais tout, pense-t-il à voix haute, ton job, ta longévité, ton endurance, ta résistance. Et peut-être même d’autres choses dont on n’a pas conscience et qui sont peut-être rétroactives. Il serait affecté par les runes posées par le gouvernement pour les non doués, il pourrait se retrouver amnésique en passant dans la mauvaise rue, pourrait mourir de chocs ou d’impacts qui ne l’auraient pas inquiétés avant. Tu pourrais être complètement isolé de toute magie et ne plus pouvoir avoir recours aux guérisseurs. Le cerveau en roue libre, le polonais s’entend proférer ses propres probabilités à voix hautes (pas des inquiétudes, ce ne sont pas des inquiétudes), et il sait qu’Allen a peut-être pensé à tout ça, mais quid si ce n’est pas le cas ? Est-ce que t’as des traces de toutes les possibilités, une arborescence des risques, des pistes explorées ?

À quel point la personnalité de quelqu’un est-elle dissociable de sa magie ? Ian mourrait-il sans être empathe ? Qu'est-ce qui a fait qu'il peut être empathe ?

— On ne sait même pas comment naissent les pouvoirs des doués. S’il s’agit d’une lotterie, de quelque chose dans nos gênes, d’héréditaire. On n’enlève pas le troisième chromosome d’un trisomique, par exemple.

Il est bien évidemment incapable d’endiguer toutes les pensées qui lui viennent à présent, chaque niveau de pensée lui hurle une autre idée, une autre conséquence, un risque. Il se force à respirer un coup, essuie ses paumes sur son pantalon et se tourne finalement vers Allen avec une idée, mais alors une idée évidente, quelque chose qu’il va détester.

Mon sourire s’agrandit de plus en plus alors que je détaille le visage du canadien.

— Je veux Sloane Carver sur le coup.

Et bien sur je rajoute, parce que comme je vous le disais, j’avais très envie de frapper un très grand coup, très fort, de lâcher l’élastique pour qu’il lui revienne dans la gueule (monsieur je veux créer une arme extrêmement puissante qui ravagera peut-être un jour la planète pour moi, je dépense tout mon fric pour moi, je viens t’arracher à ta vie pour moi, je te juge pour des idées des vengeances, niania tu fais le mauvais choix Simje, niania je t’embrasse et après je n’assume plus rien).

— Non négociable.

Le sourire du chat de Cheshire s’efface lentement alors qu’il retrouve peu à peu son sérieux, rivant son regard pâle sur l’horizon.

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MessageSujet: Re: Prêt à tenter l'impossible    Prêt à tenter l'impossible  EmptyVen 29 Sep 2023 - 19:41

« On était sur la route toute la sainte journée. »

Mais il a vu le doute en moi s’immiscer. Un doute que je pensais avoir éliminé, persuadé dans ma croisade de n’avoir aucun autre choix. Des morts ? Des dommages collatéraux. On y pensera plus tard, lorsqu’au pied du mur on prendra finalement le temps de se retourner. Et de voir les gens brûlés ou brûler.

À force de connaître cette histoire de suppression de pouvoirs par cœur, je dois avouer qu’y trouver un nouveau dénouement m’intéresse au plus haut point. Et s’il y avait une autre solution, au juste ? Mais alors quoi, faudrait-il abandonner tout ce qui s’est construit sur des mois entiers, a soulevé bien plus d’argent que nécessaire, avec des résultats encourageants ? Tout au fond de moi, je sais que le recul n’est plus envisageable. C’est le boulot des têtes de file de ne jamais regarder en arrière, de maintenir le cap peu importe les vents et marées. Le mât tient parce que son capitaine déploit toute sa force à le maintenir droit. Bien, bien droit. Les politiques en sont de parfaits exemples, de capitaines.

Je finis ma tirade. Justifie par un plus deux que mon choix est le meilleur, qu’il n’y a pas d’alternative, que tout est plus ou moins sous contrôle, qu’on y arrivera. Parce qu’il faut y arriver. Parce qu’il n’y a pas le choix. Tu comprends Simje. Pas, le, choix.
Mais il enchaîne sur un :

— Roule.

Et je roule. Je roulais déjà mais je roule encore, me focalise un peu plus sur l’horizon, l’avenir, dans l’espoir d’y trouver ce quelque chose qui lui fasse insister sur ce seul mot.Mais il n’y a que du sable, de la terre craquelée et de rares herbacées. Ce désert est aussi vide que mon esprit en cet instant et je remarque qu’une émotion similaire remonte à bien plus de mois que je ne veux l’admettre. Toujours dans l’hystérie du moment, avec mes chercheurs au Japon, bloqué devant de hauts pans de la recherche non explorée, à craindre pour l’échec, à craindre qu’une taupe ne s’infiltre et ne me tire une balle dans la tête, retourner à Ottawa, agir comme un directeur exemplaire, sourire, mentir à mes amis, osciller la tête d’avant en arrière ou de côté. Froncer les sourcils. Rester droit. Avoir peur de mourir, de nouveau.
Mais pas ici. Ici il n’y a que le désert, une jeep, deux gars un peu perdus qui discutent d’une situation désespérée. Il y a juste Simje et je me sens curieusement en sécurité. En parfaite, sécurité.

— Tu perdrais tout, tu pourrais être complètement isolé de toute magie et ne plus pouvoir avoir recours aux guérisseurs.

La chose me fait tiquer. Non pas pour l’absolue vérité, mais comme si un déclic venait de se faire dans un coin de ma tête. Isolé de toute magie. Toujours concentré sur l’horizon, je fouille dans mes souvenirs. Je me souviens d’un gars. Enfin… Pas du gars en question, mais d’amis de collègues, qui par un savant jeu de bouche à oreille est parvenu jusqu’aux miennes. Un gars capable de bloquer la magie. Pas volontairement mais… par sa magie, justement. Je me demande où en sont ces recherches, s’ils sont parvenus à des conclusions. Peut-être… peut-être y’a-t-il une autre piste, finalement, sur le comment. Qui pourrait même influencer l’après.

— Est-ce que t’as des traces de toutes les possibilités, une arborescence des risques, des pistes explorées ?

Je sens que Simje n’est plus tout à fait avec moi et moi plus tout à fait avec lui. Les deux cerveaux fonctionnent en parallèle avec une impossibilité mécanique à se rejoindre. Je reste bloqué sur cet homme, ce doué, en essayant de me souvenir de son nom, des noms des exorcistes sur le sujet, mais la dernière entrevue remonte à plusieurs années et trop de visages sont passés devant moi entre temps. Mais tout de même.

— On ne sait même pas comment naissent les pouvoirs des doués. S’il s’agit d’une loterie, de quelque chose dans nos gênes, d’héréditaire. On n’enlève pas le troisième chromosome d’un trisomique, par exemple.

À vrai dire, la recherche a fait d’immenses progrès dans ce domaine. La difficulté n’est pas tant de connaître les gènes qui nous différencient des humains lambda, mais de savoir comment elles fonctionnent et surtout si une transplantation est possible.
Ou une extraction, dans mon cas présent. Peu désireux de le voir explorer de nouveaux horizons psychiques, je m’empresse de lui répondre :

« Je sais que je perdrais tout. Peut-être même serait-ce une mise à mort simplement plus lente. Peut-être qu’on m’achèvera d’une balle lorsque la situation percera les murs de l’institut. Je n’ai simplement pas le luxe du choix. Au mieux, celui de choisir de mourir maintenant. Cependant… Tu as raison sur une chose. Peut-être que tous les choix n’ont pas été explorés. Tu viens de me rappeler quelque chose, quelqu’un à vrai dire, de naturellement hermétique à la magie. »

Cette piste-là, aussi folle que cela puisse paraître, n’a jamais été mise à l’honneur. Pire que ça, dans mon extrapolation j’en arrive même à douter des conclusions apportées si hâtivement, dans une situation qui certes le nécessite, mais obstrue possiblement d’autres choix. L’arborescence des risques et des pistes explorées ? Simje est sans doute l’un des premiers à s’enquérir de ça. À s’enquérir… de moi, simplement, et pas des avancées technologiques gigantesques qu’un tel projet suscite. J’espère avoir tort, avoir même terriblement tort mais le doute m’emballe comme du plastique, jusqu’à m’empêcher de respirer. Jusqu’à ce que :

— Je veux Sloane Carver sur le coup.

Mon visage se tourne sur son sourire. Ce sourire étrange qui remonte jusqu’aux oreilles, inimitable, de celui qui a parfaitement conscience de faire une mauvaise blague. Sauf que la blague n’en est pas une et il poursuit :

— Non négociable.

Avant de reprendre son sérieux.
Je grince des dents et recentre les yeux sur la route, faute de mieux. Sloane Carver. Probablement l’une des pires personnes que l’on aurait pu me conseiller. Ou m’imposer, dans le cas présent. À quoi bon lui résister, ce n’est pas comme si une fois de plus mes choix étaient légions. Une conservatrice dans nos rangs. Et pas des moindres, avec un pouvoir flippant à souhait. Je me demande ce qui lui passe par la tête.

« Probablement l’une des demandes les plus insensés que j’ai entendu. Je peux savoir pourquoi ? Tu peux autant m'achever de tes propres mains ici tu sais ? »

Et je râle entre mes dents :

« Original, très original. »

Je ne peux pas m’empêcher de poursuivre :

« Tu as quand même conscience qu’avec une conservatrice, c’est mon arrêt de mort que tu signes ? A moins que ce soit son pouvoir qui t’intéresse ? Et puis, c… comment vous vous êtes rencontrés ? Qu’est-ce que tu vas faire avec eux ? »

En arriver à buter sur des mots, c’est montrer à quel point je tombe des nues. Sloane Carver. La petite de Cormag. Mon ennemi n°1, le fameux, celui qui ne me fera jamais céder, sur quoi que ce soit, même le plat de la cantine, pour peu qu’il ait une pensée différente de la mienne. Je ne suis sans doute pas grand-chose pour lui, mais il est beaucoup pour moi. Alors son ancienne apprentie, plutôt mourir.
Au sens figuré.
Bien entendu.

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MessageSujet: Re: Prêt à tenter l'impossible    Prêt à tenter l'impossible  EmptySam 30 Sep 2023 - 16:54

Simje a l’impression qu’Allen s’est entreprit lui-même comme un grand projet. Comme quelque chose en plusieurs étapes, avec des processus, une équipe, des essais en laboratoire, le nouveau produit : le sauve Allen, ou en l’occurence, l’ampute Allen.
Je ne sais pas à quel point il est allé voir sur les côtés, s’il a testé des trucs chelous, si la lame lui a donné quelque chose qu’il n’arrive pas à rendre. Est-ce qu’il somatise un détail ? Est-ce qu’un traumatisme qui n’est pas sien le pousse à vouloir se couper le bras pour qu’il arrête de le gifler ?
C’est ton, bras, Allen, le tien, il est pas censé se retourner contre toi, pourquoi tes pouvoirs le font ?

« Je sais que je perdrais tout. Peut-être même serait-ce une mise à mort simplement plus lente. Peut-être qu’on m’achèvera d’une balle lorsque la situation percera les murs de l’institut. Je n’ai simplement pas le luxe du choix. Au mieux, celui de choisir de mourir maintenant. Cependant… Tu as raison sur une chose. Peut-être que tous les choix n’ont pas été explorés. Tu viens de me rappeler quelque chose, quelqu’un à vrai dire, de naturellement hermétique à la magie. »

Je fronce les sourcils en enfonçant les fesses dans mon siège et en m’avançant vers l’avant, mes doigts tapotant sur le tableau de bord. tapotipotipotipota.
TapotiPotiPotiPota.
TaPOTiPOtipota.
TAPOTIPOTIPOTA.


— Dans les hôpitaux, il y a des runes anti-magie scriptées avec le sang du patient pour que le guérisseur puisse opérer et faire le nécessaire, tandis que le doué, fou de douleur, de tristesse, ivre, adolescence ou que sais-je ne se transforme pas en renard ni ne se téléporte de la table d’opération.

Ces runes sont très coûteuses, et la plupart des hôpitaux, bien que la pratique ne soit réellement pas encore trop acceptés, embauchent des vaches à lait. Des sorciers ou humains doués qui ne sont là que pour les activer, se faisant drainer entièrement de leur énergie, et c’est tout.

— Qu’est-ce que ça provoque chez toi ? Est-ce que ça te soulage ?

Parce qu’on gonz qui pourrait étendre ses pouvoirs à toi, super, très Twilight mais super, sauf qu’à moins d’un revirement de situation, tu vas pas te marier avec Bella, si ?

« Probablement l’une des demandes les plus insensés que j’ai entendu. Je peux savoir pourquoi ? Tu peux autant m'achever de tes propres mains ici tu sais ? »

Simje lui retourne un regard sans humour ; il s’est fait déterrer de son désert et ce n’est pas pour s’entendre dire qu’il achève Allen. Achever Allen aurait été bien plus simple, et peut-être s’il avait mis en oeuvre sa vengeance, alors il se serait retrouvé contre le canadien, mais ce n’est pas le cas.
Il s’est beaucoup demandé s’il s’agissait là de lâcheté ou de bon sens, mais il en avait conclu qu’une carapace de lichen d’indifférence avait poussé sur sa peau d’albâtre. Et que les mots d’Allen en arrachaient des touffes.
Très désagréable.

« Original, très original. »

Il fronce le nez.

« Tu as quand même conscience qu’avec une conservatrice, c’est mon arrêt de mort que tu signes ? A moins que ce soit son pouvoir qui t’intéresse ? Et puis, c… comment vous vous êtes rencontrés ? Qu’est-ce que tu vas faire avec eux ? »

Simje croise les bras et s’avachit dans le siège : Allen a continué la métaphore filé de la mort, son arrêt de mort même, après avoir parlé de l’achever.
L’humour lui manque, visiblement, et il répond à côté :

— Eux ? Je t’ai juste demandé Carver, pas le reste de la clique.

Enfin, demandé.
Exigé, plutôt.

— Elle a un pouvoir sur la mémoire des gens et des choses. Il se trouve qu’elle est perfectionniste et ambitieuse mais pas franchement travailleuse, et qu’elle sortait à un moment avec un guérisseur qui n’était pas franchement pour ses petites activités conservatrice.

Il renifle.

— Tout ça pour dire qu’elle trichait beaucoup, dans la manipulation de son pouvoir, et qu’elle trichait beaucoup avec des runes. Outre ça, je sais qu’elle efface la mémoire de la plupart des objets qu’elle utilise, les cachets, les fringues, les boissons.

Le polonais n’en a jamais su la raison, et la complexité de la jeune femme ne lui semblait vraiment, vraiment pas un sujet d’intérêt il n’a jamais poussé plus loin. Il s’avère juste que Sloane est opportuniste et qu’en terme de runes et d’emmerdement faible, il est classé le premier dans sa catégorie. La preuve, Allen l’appelle encore.

— Si j’avais voulu t’achever de mes propres mains, Allen, je l’aurais fait à Detroit.

La colère est un plat fort peu digeste, qui parfois se mange des années après.

_________________

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Spoiler:
- Est-ce que tu as déjà tué quelqu’un ?
- Oui mais c’était des méchants !


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