La colère boue dans ses veines, véritable volcan qui ne demande qu’à déverser sa lave sur l’imprudent qui a voulu jouer avec elle. Harry avait voulu jouer et ça la mettait hors d’elle. Probablement qu’il y avait mille solutions plus intelligentes que celle qui li avait immédiatement sauté en tête lorsqu’elle avait reçu le message de Ian. Rien que de demander de l’aide à Louis ou à Sylvester en faisait partie. Mais Carla était bien trop effrontée, bien trop en colère pour réfléchir à ce stade là.
L’attente en bas de l’immeuble n’a pas été bien longue. Profitant de ce que l’un des voisins de Harry sorte, Carla se glisse dans la cage d’ascenseur avec la même rage qui l’a animée sur tout le trajet et la légère envie de trouver de l’essence pour mettre le feu au bâtiment. Tant pis pour les victimes collatérales. Mais la perspective qu’il puisse s’en sortir et, pire attirer de la sympathie et de la pitié autour de lui, l’a retenue. Autant l’allumer en personne.

– Fils de chien, siffle-t-elle entre ses lèvres.

L’étage trouvé grâce à la rangée de boîte aux lettres, ne reste plus qu’un panneau entre elle et l’ancien sorcier noir contre lequel elle s’applique à frapper avec force. L’envie de défoncer la porte ne lui manque pas, mais Carla doute d’avoir les épaules pour ça. Frapper sur Harry en revanche…

« Miaou »

Harry se retourna pour dévisager le vieux chat, la queue battante, qui grattait le sommet des cartons pour essayer de s’y introduire. Le garçon était triste de quitter son appartement, cette tristesse le rendait fou de rage, puis le relayait à son rang de petit soldat impuissant, comme il l’avait toujours été.

« Mi-aou »

Il fourra ses dernières fringues dans le Félin Désert 80L, absolument ébahi que Orpheo utilise le même matériel que l’armée. Lui qui n’avait toujours bossé qu’en costard et chemise blanche se retrouvait bien malaisé de devoir enfiler le même matériel que Ian, petit, Ian, bulky Ian, les paumes calleuses et le sommeil facile. Allait-il devoir pioncer en lit de camp ? Derrière des moustiquaires ?
Combien de temps avant qu’un ancien collègue ne le reconnaisse et ne lui arrache les dents pour lui faire avouer les adresses des nouveaux amis ?

« Miaou. »

Il soupira.

« Oui, miaou, je sais, miaou. John va venir te récupérer et ils seront ta famille d’accueil pour
— Miaou. »

Il s’apprêtait à répondre quand des pensées furibondes lui rebondirent dans le crâne. Il sut qui il entendait avant même que cela toque à la porte de son appartement. Il scanna le reste des pièces : vides. Les quelques cartons, les trois chaises qu’il n’avait pas vendu et les affaires du chat (l’arbre, les jouets) qui devaient être emmenées.
Carla ne pouvait rien abimer à part lui.

Il ouvrit la porte et recula immédiatement.

« Told ya. », ne put-il s’empêcher de lâcher, l’amertume polluant sa salive. Un bon gros seum bien épais et injuste qui tour à tour, lui donnait envie de fracasser son poing contre les murs, puis de disparaitre une fois de plus. Briser les liens, ne faire partie de rien. Il se souvenait bien qu’il avait été convoqué dans le bureau avec Ian pour qu’on leur explique que leurs pouvoirs étaient complémentaires et qu’ils formeraient un merveilleuse binome pour extraire des secrets.

Torturer des gens quoi.

« Fucking told ya et voilà, conséquences de tes propres actions, Carla. Merci beaucoup. »

Il se pinça l’arrête du nez.

« Miaou. »

L’air sent la poussière des meubles qu’on déménage et des cartons qu’on fait. Ça devrait être une victoire et pourtant ça rebondit partout dans son crâne. Qu’il ose s’en prendre à ceux qu’elle aime. C’est quoi la prochaine étape ? Aller torturer ses collègues ? S’en prendre à Luka et Ange ? Buter Louis ? Tout est possible avec lui, IL RESTE UN PUTAIN DE SORCIER NOIR. Qu’Orpheo puisse lui faire confiance lui paraît être une vaste blague. Sérieusement, ils auraient mieux fait de l’envoyer vivre une vie d’humain innocent que de le garder dans leur rang. Ils n’ont déjà pas assez d’exorcistes ?
Alors, certes, Sylvester lui a expliqué que c’était plus facile de garder un œil sur lui ainsi. [i]Garde tes amis proches, tes ennemis encore plus. Sylvester qui, au téléphone, lui a également dit qu’il ne pouvait rien faire pour Ian. “Je ne suis pas dans les petits papiers de ceux qui contrôlent tout ça.”

– Alors c’est quoi, quoi, QUOI le but de ta vie ? Gâcher la mienne ?

Elle n’écoute même pas son ironie, balaie d’un regard noir les miaulements d’un chat qui rôde dans l’appartement. Depuis quand un rat peut s’entendre avec un félin ? Il tente de faire quoi ? Recréer le théâtre d’un semblant de normalité ? C’est pour mieux attirer des innocents dans son antre et les tordre comme il l’a tordu elle ?

– Tu te pointes dans MA rue, tu traînes avec MES potes, tu entraînes un de MES meilleurs amis dans ton naufrage. Je dois faire quoi pour que tu me lâches ?

Sa main ressemble à une araignée figée, pattes-doigts recroquevillés, griffes hirsutes.

– Tu veux me baiser, hein ? C’est ça qui te fait bander ?

Ses doigts s’accrochent à la veste pour la faire tomber, au pull dans les brins de laine se glisse sous ses ongles, le bouton de son jeans bute un peu avant que son pantalon ne choie à ses pieds, dévoilant au passage la cicatrice de la balle qui a traversé sa cuisse, la jumelle de celle sur son ventre. Ils savent tous les deux à qui elle doit ces trous, comme les dents d’un vampire cherchant à lui voler son sang.

– Vas-y ! Sers-toi !

Ou qu’il lui tire une nouvelle balle. Dans la tête, celle-ci, histoire de ne plus souffrir.