Le calme et l’obscurité régnaient en maître partout dans le dortoir. Les jeunes enfants s’étaient glissés sous les couvertures depuis déjà une demi-heure. Une chose que l’on pouvait dire était que les dix premières minutes suivant le couvre-feu n’avaient pas été de tout repos ! En effet, ton frère et toi qui n’aviez nullement envie de rejoindre Morphée, aviez décidé ( ou plutôt, tu avais convaincu Noah ) de déclencher une bataille d’oreiller. Graduellement, tout les garçons de ton dortoir avaient prit part à la bataille générale en sautant à leur tour sur les lits et en abatant partout autour leur oreiller en plume. Avec tout le tapage et les rires produits par l’activité, la directrice avait tôt fait de se pointer pour te réprimander sur tes initiatives peu acceptables. Finalement, tout le monde était retourné sur leur propre oreiller en fermant les yeux, mais avec un heureux sourire sur les lèvres. Cela avait été une mission accomplie mon Tim !

Toutefois, ces quelques minutes d’agitations s’étaient avérées largement insuffisantes pour brûler tout ton surplus d’énergie. Tu t’étais ainsi donc retrouvé à devoir te retourner de gauche à droite et de droite à gauche dans l’espoir de recevoir rapidement le sommeille qui ne semblait pas vouloir venir frapper à ta porte. Outre la respiration régulière de tes camarades, tu pouvais percevoir, venant de l’extérieur, le doux bruit du vent qui poussait une branche à gratouiller la fenêtre ainsi que le concert de croassements offert par les grosses grenouilles du lac.
Les grosses grenouilles…
Alors que tu jetais au placard toute tentative de sommeille, le souvenir d’un conte qui t’avait été raconté pour t’aider à t’endormir lorsque enfant, te revint en mémoire. Il s’agissait d’un prince condamné à être prisonnier d’un corps de grenouille jusqu’à ce que le baiser d’une femme ne vienne le libérer de sa malédiction.
Une grenouille...
Soudain frappé par un éclair de génie tu te redressas brusquement sur ton lit avec l’image du batracien en tête.
Et pop !
La tiédeur de tes draps fit place à l’atmosphère fraîche de la nuit. La sensation de tes pieds sur l’herbes humides te surpris. Un léger vent acheva de sortir ton esprit des dortoirs. Heureux que ta téléportation fut réussi, tu respiras un bon coup qui sentait la satisfaction et leva les yeux pour admirer les étoiles quelques instants avant de te concentrer à la raison de ta venue au lac : capturer une grenouille.

La chasse s’avéra plus difficile que prévu : les ouaouarons possédaient une ouïe bien aiguisée ainsi que des réflexes rapides en plus d’avoir une peau… glissante ! Après une poursuite folle entre les quenouilles et la bouette, tu parvins enfin à mettre la main sur l’une des bestioles qui protesta fortement en crôa crôa. Indubitable, tu fermas à nouveau les yeux pour cette fois-ci, atterrir dans l’un des placards des filles du troisième étage. Tu tendis l’oreille à l’affut du moindre son en tenant fermement ta proie gluante pour l’empêcher de sonner l’alerte. Pour l’instant, personne en vue mais tu arrivais à percevoir le bruit de chaussons sur le sol. Il te fallait faire vite Tim ! Sinon, tout tomberait à l’eau. De manière aussi rapide que te permettait la discrétion, tu ouvris la porte du placard pour t’installer au bord d’un lit en retenant la pauvre grenouille sur les draps. Pauvre petite, elle semblait totalement dépaysée ! Mais ce n’était pas le temps de faire ton écologiste car un ombre venait d’apparaître sur le sol.

À peine une demi seconde avant qu’Hayley n’entra dans le dortoir, tu disparaissais aux yeux des mortels grâce à ton pouvoir d’invisibilité. Tu espérais simplement parvenir à le tenir durant tout le temps que durerait la blague…

‘‘Psssst… hey toi !’’

Tu tentais de prendre le ton le plus grave possible en faisant d’énorme effort pour contenir du mieux possible ton rire tandis que la jeune femme tournait la tête, visiblement surprise de s’entendre interpelée.

‘‘Oui toi, la fille aux cheveux colorés ! Arrêtes de regarder en tout sens avec des yeux ahuries…c’est bien moi, la grenouille, qui te parle… Ne fais pas cette tête là et écoute moi bien attentivement : autrefois, j’étais un beau prince et j’habitais un grand palais somptueux. Malheureusement, une méchante sorcière jalouse de ma beauté et de ma richesse m’a emprisonné dans ce corps. Seul le baiser d’une tendre jeune fille comme toi pourra me libérer de cette prison infernale. Si tu acceptes de m’aider à rompre le sortilège, je te promets que tu ne le regretteras pas ! Jamais tu n’auras revêtis d’aussi magnifiques habits ni gouté d’aussi délicieux festin ou admiré d’aussi merveilleuse fleurs… alors acceptes-tu toutes mes richesses ainsi que mon amour éternelle pour un ultime baiser ?

Tu éclates presque de rire quand Harley regarde bouche-bé le batracien sur ses couvertures. Une expression de folie semble traverser ses traits. Sans doute la fatigue joue-t-elle un peu sur son esprit. Tant mieux ! Il est toujours plus marrant de rigoler lorsque son interlocuteur est fatiguée. Rendu à un certain stade, tout est drôle. Tu pinces les lèvres lorsqu’elle regarde en tout sens à la recherche d’explication plausible aux évènements. Tu remercies le ciel du don qu’il t’a octroyé. L’invisibilité. Tout un atout lorsqu’on est un fier farceur.

- Tu sais que les grenouilles ne sont pas censées parler?
-Mais je ne suis pas qu’une simple grenouille ! Comment pouvez-vous m’abaisser au borborygme des simples crôa crôa ? Je suis Henri VIII ! Futur imperator des vertes collines d’Angleterre et je n’attendais plus que le doux baiser d’une belle femme comme vous pour

Malheureusement, cet atout semble encore vouloir jouer les lionceaux indépendants. À mesure que tu parles, ta translucidité perd de plus en plus de sa superbe jusqu’à ce qu’il devienne impossible de regarder au travers ton corps. Interrompant en plein milieu le discours du prétendu prince, tu lèves la tête en direction de la jeune femme avec l’expression parfaite de l’ange avec des petites cornes de diables.

-Oh... bonjour Hayley ! Belle soirée n’est-ce pas ?

Plutôt que d’attendre que la neige se mette à tomber, tu t’élances sur le lit, abandonne le crapaud à Harley et commence à courir rapidement d’un lit à l’autre afin d’échapper à ce qui pourrait être un courroux terrible. Heureusement que le dortoir est vide outre ta victime et toi-même car l’écrasement de membres aurait sans aucun doute été inévitable vue la vitesse avec laquelle tu salis le dessus des lits. Des flaques de bouettes de l’étang marque ton passage sur les couvertures mais au moins, le rebond du matelas de donne un effet totalement merveilleux quand tu cours. Plus que deux lits te séparent maintenant de la porte ! Vas-y Tim, tu y es presque !

À courir ainsi d'un lit à l'autre avec les bras en l'air, on dirait presque Jack Sparrow qui se promène d'un mat à l'autre avec sa démarche si particulière. Bien entendu, il aurait été plus facile ( mais moins élégant) de te dissiper dans la nature en criant ‘‘Téléportation’’. Cependant ton petit tour aura brûlé toute les dépenses d’énergie nécessaire au bon fonctionnement de tes pouvoirs.

Tout à coup, ton pied semble retenu par un pan de couverture qui ne veut apparemment pas te permettre de t’en sortir aussi facilement. Pas de chance mon Tim ! Tandis que tu culbutes au sol, ton corps s’entortille d’avantage entre les draps dont tu tentais pourtant de te débarrasser. Maintenant écrasé au sol, tu bouges en tout sens afin de sortir ta tête à l’air libre.

-Au secours ! Je suis coincé…

Les paroles de ton professeur de Téléportation de revienne en tête : ‘‘ Si tu rates ta sortie, tu rates ta blague’’. Tant pis… après tout, on ne peut pas toujours courir les orages sans risque d’être frapper un jour. Sinon, cela serait bien trop moche pour la foudre !

Ta tête émerge enfin à l’air libre lorsqu’une main sauveuse vient te délivrer du méchant drap entourloupeur. Assis au milieu du tas de tissus, tu regardes l’état dans lequel tu as mis le dortoir. Une expression de dépit passe sur ton visage. Tout les lits ayant eut le malheur de se retrouver sur ton passage, de celui de Haylay jusqu’à la porte du dortoir autrement dit, se retrouvent avec les draps tout déplacés de travers. Des grosses traces de bouettes -cadrant étrangement avec la forme de tes souliers- marquent douillettes, oreillers et plancher. Les objets entreposés sur les lits par leur propriétaire se retrouvent maintenant pêle-mêle au sol. Hmm.. cela s’annonce mauvais pour toi mon petit Tim… Surtout avec tout les antécédents impunis de la journée accumulé ensemble.

Tu cherches des yeux la grenouille qui semble s’être complètement éclipsée pendant que tu te débattais comme un diable dans l’eau bénite. Ou peut-elle bien être passée ? Tu espères qu’elle ne se soit pas enfuie trop loin sinon, la chasse à la grenouille risquerait d’être longue. Le territoire à couvrir est grand. Des plans pour qu’elle finisse desséchée dans un coin de garde-robe ou frite dans la poêle pour le déjeuner du lendemain. La pauvre quand même ! Quelle fin atroce ce doit être pour un batracien… Mourir loin des quenouilles et de l’étang à moustique.

‘‘Haylay ?’’

Ta voix se faite toute petite tandis que vers ton interlocutrice tu lèves les yeux repentis du petit farceur qui vient de se faire prendre la main dans le sac.

‘‘Est-ce que tu vas beaucoup me punir ?’’

Avant même qu’elle n’ait eut le temps de répondre, un hurlement terrifié résonne en écho dans tout le couloir.

‘‘Hiiiiii ! Au secours ! Il y a une grosse grenouille juste devant la porte ! ’’

Assurément, il s’agit d’une voix de fille. Et elle vient de la salle de bain qui plus est. Qu’est-ce qu’elles peuvent être poules mouillées parfois ! Pauvres arachnides et reptiles incompris. En plus, les petites bestioles ne mangent pas les grosses, surtout si elles sont seules. Incertain, tu interroges la jeune femme aux cheveux colorés pour savoir si tu as le droit ou non d’aller secourir la pauvre fille grenouille en détresse. Des fois qu’elle ait peur que tu tentes de t’enfuir à nouveau… ce n’est tellement pas ton genre de faire ce genre de tour voyons ! Pas vrai Tim ?