La brume donnait au port une toute autre dimension. Comme si les formes au loin étaient déformées, la surface de l'eau courbée. J'avais croisé des gens sur ma route, aux agitations presque fantastiques. La nuit n’allait pas tarder à arriver et le froid avec. Au port, une seule petite lanterne éclairait la minuscule allée qui menait droit à mon but. J’allai jusqu’au bout de l’esplanade et m’arrêtai face à la mer. Mes yeux se perdirent dans l’étendue bleu grise qui s’offrait à moi. Mon élément, ma deuxième moitié. L’eau. Je ressentais ce pouvoir, ce contrôle sur elle, je savais que quoi qu’il arrive, elle serait là pour m’aider. Quelques ondes se propageaient tranquillement à la surface, surement provoquées par les poissons qui grouillaient là dedans. Les mains dans mes poches je fixais l’horizon, m’en remettant seulement à mes pensées, à moi-même. Je n’avais que très rarement l’occasion de penser par moi-même sur mes faits et gestes, de donner et d’appliquer mon point de vue. En fait, ce n’est pas rarement, c’est plutôt jamais. La vaste étendue me faisait réfléchir sur la vie que je menais. Une vie pas drôle, pas facile, pas enrichissante. Une vie d’esclave en fait. Il ne se passait pas un jour sans que je pense à eux… Leurs visages me revenaient souvent dans la tête. Ce sourire gravé en eux à leur départ, ces paroles prononcées avec une telle nonchalance qu’il nous semblait impossible plusieurs semaines plus tard qu’ils ne reviendraient plus jamais. Nous avions grandi avec les jumeaux. Ils nous avaient énormément aidés… Ils avaient vécu la même chose que nous et nous nous comprenions. D’accord il y a le reste de notre petite famille mais sans eux ça n’a jamais plus été pareil.

Au rythme de mon souffle, une brume blanche s’échappait d’entre mes lèvres pour se mêler au brouillard nocturne s’abattant sur le port. Ma respiration accélérait peu à peu, connaissant l’issue de ces prochaines vingt minutes. Il faisait de plus en plus froid et mes mains commençaient à geler. Mais j’en avais l’habitude… Un esclave ne porte que ce que l’on lui donne, il ne se plaint pas en présence de son maître. Ils n’avaient pas fait d’exception pour moi, et me firent porter dès mon plus jeune âge un jean usé, un T shirt et un simple sweat à capuche. Je serrai mes poings dans mes poches, crispé par le froid. Il était temps que j’y aille. Voir Quentin Cross. Il avait demandé à me voir. Je m’étais rendu au port en avance pour ne pas me retrouver une fois de plus en retard. Une fois m’avait suffi… Je me retournai et fis face à la petite maison sur ma droite. Je passai à côté de la lanterne et empruntai la toute petite allée qui menait à cette cabane. Je ne marchais pas vite. Le froid me glaçait les os. La porte se rapprochait au fur et à mesure que j’avançais. Nous y voilà… J’étais devant la porte. J’ôtai la main droite de ma poche à contrecœur pour lui faire affronter le froid, et frappai trois coups distincts sur le bois sec.