Tard dans la soirée, enfin même plutôt la nuit à vrai dire, le début de nuit. Pour ne pas différer des habitudes, je me suis réveillée en sursaut, trempée de sueur et le visage baigné de larmes. Début de nuit et déjà un cauchemar ? Oui... J'étais souvent fatiguée en fin de journée, je m'endormais tôt mais je n'avais pas dormi plus de trois heures d'affilées depuis... presque trois ans à présent. Donc j'étais debout et bien incapable de fermer l'œil pour le moment. J'étais allée jeter un coup d'œil discret dans la chambre de mon fils, m'arrêtant plusieurs minutes pour regarder la jeune poitrine se soulever au rythme d'une respiration paisible. Il avait vraiment l'air d'un ange...

J'avais eu du mal à m'arracher à sa contemplation mais je craignais de le réveiller. Je m'en serai voulu de troubler son sommeil si doux. J'étais retournée à ma chambre pour enfiler un jogging, je n'allais pas sortir me promener en nuisette tout de même. Mais j'avais à peine posé le pied dehors que l'averse écossaise me tomba dessus comme la misère sur le monde. Je dû faire un bond en arrière pour m'abriter et contempla le rideau de pluie qui s'écoulait sans discontinuer d'un regard morne. Au temps pour la promenade dehors pour se changer les idées.

Je poussais un long soupir, qu'allais-je faire ? Il ne me restait plus grande option... L'entraînement... Un petit peu de sport m'aiderai peut-être à m'endormir. Je descendis au sous-sol, m'apprêtant à un exercice à l'arme blanche, long et éprouvant. Je pousse donc la porte et me retrouve face à Ian, un de mes élèves, empathe qui plus est. Il est torse-nu et semble épuisé. Je hausse un sourcil en l'observant.

"Bonsoir, Ian. Excuse-moi, je ne pensais pas trouver quelqu'un ici à cette heure-ci. Tu sais que tu devrais peut-être songer à te reposer ?"

La colère monte, l'air s'emplit de vibrations rougeoyantes. J'ignore ce qui le met dans un tel état mais visiblement quelque chose le contrarie fortement. Je suis rapidement son regard. Un entraînement au sabre hein ? Mes yeux de glace se posent sur la lame noire et mate, dénuée de reflet. Une arme d'assassin, je me demande où il a bien pu trouver une telle épée... Un héritage de famille ? Je pénètre entièrement dans la salle, je le détaille de haut en bas, il faut qu'il apprenne à contrôler ses émotions. Oui, je suis mal placée pour dire ça mais en fait, il se trouve que, justement, je suis probablement la mieux placée finalement.

Je me baisse lestement et je ramasse l'arme. Je la retourne d'un mouvement soupe du poignet et lui tend la garde sombre. Je secoue légèrement la tête à la question, indiscrète s'il en est même si je sens bien que ça part d'un bon sentiment. Il ne tremble pas mais je vois qu'il se rafraichit. Sa peau se hérisse, on appelle ça la chair de poule. Pas très flatteur mais plutôt explicite. Il me fait de la peine ce gamin, je sais qu'il est paumé... J'espère qu'il pendra les bonnes décisions, c'est à nous de l'aiguiller en ce sens bien sûr, mais ce n'est pas toujours aussi évident qu'il n'y paraît.

"Des insomnies Ian, rien de bien important. Je te propose de prolonger ton entraînement, tu m'as l'air trop énervé pour réussir à dormir pour le moment."

Et en plus ça te tiendra chaud, on a pas idée de venir s'entraîner à ce point sans prévoir un change. Je file dans les placards de la réserve, il doit bien y avoir un haut de survêtement qui traîne, même s'il n'est pas exactement à sa taille. J'en attrape un qui me semble assez grand, gris clair, il a connu des jours meilleurs mais ça fera l'affaire. Je lui lance, tout en lâchant d'une voix un peu trop froide.

"Et enfile ça ! C'est pas un temps à rester torse nu, tu vas attraper la mort."

Oui, je sais. Je ne suis pas aussi aimable avec eux que la plupart de mes collègues. Mais je ne suis pas là pour qu'ils m'aiment, ni pour être leur amie. La seule chose qui m'importent c'est qu'ils retiennent et qu'ils survivent.

Je le regarde un instant au fond des yeux, prunelles claires contre prunelles sombres. Il y a chez cet enfant, comme chez ceux d'une bonne majorité ici, un voile de douleur, proche de celui qui habite mon propre regard. Hanté... même si chez nous cet adjectif prend une signification particulière, il n'en est pas moins le plus approprié, les fantômes de notre passé nous poursuivent plus sûrement encore que les poltergeists. Les êtres humains ne sont pas faits pour voir les fantômes, il y a quelque chose qui cloche chez nous. Un quelque chose qui nous rend capable de protéger ceux qui en ont besoin, mais qui nous rend aussi vulnérable et potentiellement dangereux. Je sais de quoi je parle. Cette expression... j'espère que jamais je ne la verrais sur les traits d'Elyan. Ma vie, mon âme, mon tout-petit... Je me surprends à espérer qu'il n'ait pas de pouvoir et que tout cela puisse lui être épargné. Qu'il vive comme tous ces humains innocents, bienheureux d'être ignorants de ce qui les entoure.

Les remerciements qui s'échappent de la bouche de l'adolescent sont presque aussi froids que mes propres mots. C'est bien petit, les émotions sont dangereuses, elles font prendre de mauvaises décisions. Je baisse les yeux sur mon poignet, enserré d'un mince ruban blanc. Un cadeau, de lui... Ça ne fait que quelques années mais j'ai l'impression que c'était il y a une éternité. La seule chose qu'il me reste de lui, mon fils mis à part. Je le détache d'un mouvement sec et m'en sers pour attacher ma longue chevelure et une queue de cheval grossière. Le résultat n'est probablement pas des plus soigné mais quelle importance ?

J'ouvre un petit placard où sont rangés les armes d'entraînement. J'en choisis une en bois, bien solide, pour pouvoir supporter les coups de l'épée à lame noire. Elle ne tiendra pas longtemps s'il frappe trop fort mais je préfère cela à avoir une arme bien tranchante dans les mains pour un combat amical. Je ne suis pas maître d'arme et je ne veux pas risquer de blesser un élève avec une attaque mal ajustée. Dans le pire des cas, si je ne peux pas parer, j'esquiverai, tout simplement.

Je me place devant lui, boken à la main. Il ne semble pas très à l'aise, il tient sa lame étrangement comme si elle était trop lourde pour lui. Il n'est pourtant pas si frêle et l'arme m'avait parue correctement équilibrée. Bon, le seul moyen de s'en assurer, c'était de commencer. Je me lance en avant, une attaque prévisible, de face, très facile à anticiper. Je veux juste tester ses réflexes, théoriquement, il devrait parer sans difficulté, je me décale d'un pas et m'apprête à parer une éventuelle riposte.

[Tout d'abord, je voulais m'excuser pour cette longue attente, je suis un peu débordée en ce moment, et à chaque fois que je commence ce poste, un petit monstre passe par là et tripote l'ordinateur, effaçant tout ce que j'ai écris...]

Ian esquive sans difficulté l'attaque que je viens de lancer. Bon c'est relativement normal cela dit, puisque le but n'était pas de le toucher mais plutôt de s'échauffer tranquillement. Enfin de m'échauffer, moi, en réalité puisque l'adolescent lui, n'en a pas besoin... En même temps, il semble s'entraîner depuis un moment donc forcément... C'est intriguant, j'ai l'impression qu'il n'aime pas beaucoup cette lame... Je peux me tromper bien sûr, l'empathie permet de sentir les émotions mais pas toujours de savoir vers qui ou quoi elle est dirigée... Cela étant, mon intuition et mon empathie sont rarement prises en défaut... trop rarement d'ailleurs, je me demande si ce n'est pas ce qui a déclenché... non ! Inutile de chercher à reporter la responsabilité sur autre chose, c'est moi et moi seule qui ait engendré tout ça... Moi seule.

Il se fend pour porter un coup à l'abdomen, je ne suis pas maître d'arme mais tout de même, même moi, je suis capable de voir qu'il se retient. Bon, je ne peux pas lui en vouloir, il faut bien reconnaître que j'ai l'air plutôt chétive désormais... Cela étant, ça ne v eut pas dire grand chose... Regardez Bastet, elle est bien professeur d'arme blanche et pourtant on a l'impression qu'elle va s'envoler au moindre coup de vent. J'suis certaine qu'elle peut étaler un malabar dénué de pouvoir en trois secondes sept. Faut pas se fier aux apparences, surtout dans notre profession, exorciste je veux dire hein... pas prof... Enfin prof aussi... C'est pas parce que certains élèves peuvent avoir l'air durs, qu'ils sont des cas désespérés par exemple, c'est juste qu'ils cherchent un moyen d'exprimer leur douleur. Cela dit, il faut qu'ils comprennent qu'ils ne sont pas seuls, et vite...

Bref, j'en étais où ? Ah oui, j'avais l'air plutôt chétive, voire même maladive sans mon fond de teint. Euh... d'ailleurs.... ça me fait penser que... je me suis relevée en pleine nuit alors que j'étais partie pour dormir et bien sûr, je ne m'attendais pas à croiser qui que ce soit et évidemment comme j'ai une sainte horreur des miroirs, je n'ai pas pris la peine de vérifier mon apparence. D'ordinaire, je le fais, ne serait-ce que pour être présentable, je m'occupe d'enfants après tout, il ne faut pas que je fasse quoi que ce soit qui puisse les perturber. Cela étant, je sais à quoi je dois ressembler maintenant, et ça ne doit pas être brillant. Je suppose que j'ai la peau pâle, limite blafarde, des cernes mauves sous les yeux et je dois avoir les cheveux en bataille. Je ne participe pas à un défilé de mode mais bon y a des limites.

Enfin, faudra faire avec, on se concentre Aileen ! Je fais un bond de coté pour éviter l'attaque, autant ne pas fracasser mon sabre en bois dès le premier échange n'est-ce pas ? Bon, cela étant, il n'a pas l'air extrêmement dans le combat, lui non plus. Peut-être que c'était à cause de l'heure tardive que nos esprits s'évaporaient aussi facilement ? Possible, je bondis souplement pour me placer sur son coté droit et feinte un coup de haut en bas pour dévier sur une attaque de taille en direction du flanc.

L'arme de bois frappe l'adolescent avec un petit bruit sec. Quoi ? Non, je ne retiens pas mes coups... Qu'est-ce qu'il pourrait apprendre s'il sait que de toute façon, il ne risque rien. C'est pas comme si je possédais une force herculéenne non plus. Déjà que je n'utilise pas d'arme véritable, de fait, il est moins concentré, c'est tout naturel. L'adrénaline aiguise les sens, quand on est en danger et qu'on le sait, on fait instinctivement plus attention... Probablement la part animale contenue en chacun de nous qui prend le pas, parce qu'elle est plus à même de nous tirer d'affaire dans ce genre de situation. Bref, je le touche, il proteste et s'énerve... je sens la colère monter en lui tel le mercure d'un thermomètre.

Il abandonne son arme et lui préfère une lame courbe, courte, d'un blanc presque immaculé... Le contraste est impressionnant, cette petite arme rapide est exactement l'opposée de celle qu'il tenait quelques instants auparavant. Mais on ne gagne rien à laisser les problèmes de coté, il faut les affronter avant qu'ils ne nous bouffent. Mieux comme ça hein gamin ? Il me sourit, je reste de marbre, concentrée, tant sur ses mouvements que sur ses émotions.

"Tu fuis, Ian." remarquai-je sur le même ton que si je lui donnais l'heure.

"Fuir n'est jamais la solution, tu n'auras pas toujours le choix des armes. D'autre part, certaines choses, bien que familières, peuvent s'avérer un handicap."

Et je comptais bien le lui montrer. Son arme était trop courte, trop par rapport au boken en ma possession. Si je le souhaitais, il ne pourrait pas porter un seul coup, il suffisait que je joue sur la portée de ma propre en lame en bois.J'étais rapide... après tout à l'école, je m'étais entraînée avec près de trente-cinq kilos supplémentaires et je m'en sortais. Mon mimétisme me permettait d'apprendre les manoeuvres juste en les observant (sharingan powaaaah). Et maintenant que j'étais libérée de cette masse pondérale superflue, j'étais beaucoup plus vive et agile. Même si je n'avaits certes pas le tonus musculaire que je devrais. Je ne quittais pas les prunelles de mon élève alors que je maintenais toujours hors de portée de sa lame courbe, me fendant pour attaquer de ma longue épée.