Le train était sur le départ. Sur le quai, on entendait les embrassades de chacun, dans plusieurs langues, les annonces de la gare, un charriot qui passait avec les bagages.

-Lauranna?

La jeune femme sursauta, et se tourna vers sa compagne de voyage.

-Nous allons bientôt partir. Etes vous sure de votre décision?

La jeune femme émit un rire sans joie, les yeux tournés vers le plafond. Ce n'est pas comme si ils avaient une meilleure idée. Rester en France était trop dangereux, pour l'une comme pour l'autre, et encore plus pour le bébé endormi dans les bras de sa mère. L'adolescente du comprendre le message, puisqu'elle se rassit face à Lauranna. Aucun mot ne fut prononcé lorsque le train partit, puis pris de la vitesse en direction de l'ouest. Même si Lauranna évitait le regard de la jeune fille, elle sentait les questions informulées. Après un certain temps, et ayant elle même besoin de discuter, elle finit par céder. Après tout, Si son compagnon avait choisi l'adolescente pour la protéger, malgré son très jeune âge, c'est bien qu'il lui faisait confiance! Fermant le verrou du compartiment d'un signe de la main, la jeune femme lança la perche.

"Vas y. Pose ta question."

-Est-ce que... Est-il vrai que vous connaissiez le chef avant? finit par demander la demoiselle avec hésitation

"C'est vrai, acquiesça Lauranna. Nous nous connaissons depuis ma naissance. Lorsque je suis née, ma mère a pris un congé pour m'élever. Les parents d'Asynh étaient assez riche pour se payer une nounou, leur famille était puissante, je crois, mais ils ont préféré demander à ma mère de veiller sur leur fils durant la journée. Tu sais comment, même à notre époque se règlent certaines successions... Et l'unique héritier, puisque sa mère ne pourrait jamais en avoir d'autre, de la branche principale risquait d'inspirer de mauvaises idées, surtout à un âge aussi jeune... Je pense aussi qu'une petite maison était plus facile à protéger qu'un grand manoir, mais ça... Tu dois savoir mieux que moi...

L'adolescente hoche la tête, avant de poursuivre la conversation, l'air de rien.

-Donc vous avez grandi ensemble?

Lauranna hocha la tête, tout en déplaçant son fils afin de trouver une position plus confortable.

"Jusqu'à nos sept ans."

Les souvenirs de cette période heureuse reviennent brièvement. Les cours, les jeux, le piano, et Melody qui trouvait toujours amusant de taper sur les touches quand Asynh jouait. Les glaces, la bagarre quand un garçon s'était moqué de Lauranna, leur amour d'enfant, si mignon qu'il faisaient sourire leurs parents... Les cadeaux échangés avant le déménagement de Lauranna, et Melody qui essayait de machouiller celui que sa soeur avait fait à son "namoureu"... Des souvenirs bien différent du jeune homme dur et sans pitié, seul survivant de sa famille qu'elle avait retrouvé...

-Et vous vous êtes à nouveau aimés dix ans après. Suffisemment pour donner naissance au marmot... Une histoire digne des grands romans à l'eau de rose...

Le ton était moqueur, et Lauranna y répondit de la même manière.

"Parce que tu en lis, des romans d'amour?"

-Non. Mais une... amie en lisait...

Lauranna ne releva pas, devinant que la jeune enfant soldat pensait à un de ses compagnons. Les guerres de clans prenaient leurs parts de vies, que ce soit chez les "mages" ou les humains... Après quelques secondes, Angie changea de sujet par une question.

-Et pendant ces dix ans, beaucoup de choses avaient changées pour vous?

"Plutôt pas mal, oui... Voyons... J'ai perdu ma mère, ma soeur, la vue, découvert que j'avais un pouvoir et... ah, oui, je suis entrée dans la police... Pratique, tiens, je te jure..."

-J'avoue ne pas très bien avoir compris ce que vous y faisiez...

"De la paperasse, et le café... Tu me vois sur le terrain, toi? Mais le comissariat avait besoin d'une secrétaire, j'avais quitté le lycée, j'avais besoin d'argent... C'était un truc tranquille à ce moment..."

Angie eut un léger rire, auquel répondit brusquement un gémissement de Liryel. L'enfant avait faim... Tandis que Lauranna relève son T-shirt, Angie poursuit son interrogatoire. Lauranna, Angie le sait connait les grandes lignes de celles de l'adolescente... Sang mêlée, orpheline, enlevée par un mafiosi ingénieux, éduquée en future assassin... Et aujourd'hui garde du corps de la femme de son chef... Demain, assassin en fuite, puisqu'elle n'a pas l'intention de rentrer. Angie connait de Lauranna ce qu'on lui a indiqué, que Lauranna est la compagne du chef, Liryel son fils. Qu'ils quittent le pays pour leur sécurité. Qu'elle a pour mission de les protéger.

-...dent?

"Pardon? Sursaute à nouveau la jeune mère (ce qui ne fut pas apprécié du petit glouton posé sur son sein)"

-Je disais: Comment vous avez perdu la vue? Dans le même accident que votre mère?

Oh... Bien sur, la question devait tomber...

"Oui. Le voisin était un sorcier, pas sa femme. Des membres de sa famille sont venus s'en prendre à lui. Mon père à voulu intervenir, comme tout bon militaire "défenseur des opprimés" qu'il était... Ils ont trouvé marrant de faire de lui une marionnette et de le renvoyer tuer ma mère. Ma soeur et moi avions voulu fuir notre père, ne sachant pas ce qu'il lui prenait, mais nous nous sommes retrouvé contre le mur qui nous séparait des voisins... Et on l'a pris sur la tête... Melody en est morte, moi j'ai perdu la vue..."

-Je croyais que votre soeur n'était décédée que récemment?

"Pas tout à fait. Melo n'est pas allée au "paradis" après sa mort... C'était le soir de mes dix ans, elle voulait absolument me montrer son cadeau, donc elle est restée sur terre... J'ignore pourquoi, mais personne ne l'a aidée à repartir avant que je ne prenne moi même conscience plutôt violemment de sa présence quatre ans après... Il parait que depuis j'ai les cheveux blancs..."

-En effet. Ils sont très jolis.

"Merci. Toujours est-il que Melo est repartie il y a un mois de cela."

Liryel a fini de téter. Quelques tapes sur le dos plus tard, un satisfaisant rot sonore précède un gazouilli, avant que Lauranna ne repose l'enfant dans son couffin pour se rhabiller, puis de jouer avec l'enfant, machinalement, en songeant qu'elle n'entendra plus les remarques sarcastiques de sa petite soeur... Mais sa place n'était plus en temps que béquille. Elle avait sa propre "vie" à mener...

"Sommes nous loin du tunnel?"

-On devrait bientôt y arriver. Pensez vous qu'ils accepterons de vous aider?

"D'après les lettres que nous avons retrouvé chez Asynh, ils viennent en aide aux enfants de tous les ages. Ils proposaient leur aide pour le père, on verra si ça vaut pour le fils... Et vu que je n'ai pas de meilleure idée... Liryel est bien trop jeune pour contrôler un tel pouvoir, je crains vraiment qu'il ne se blesse..."

Comme pour confirmer les craintes de Lauranna, la main de l'enfant se métamorphose. C'est une patte de chat qui tente maintenant d'attrapper l'ourson qui flotte au dessus de lui.

"Oh non..."

La plupart des fois, Liryel a pu se retransformer seul, plusieurs heures après. Sauf une. Celle ou il a, par mégarde, transformé sa cage thoracique en celle d'un chat. Et failli mourir parce qu'il n'arrivait plus à respirer assez pour fournir son corps en énergie. Si Lauranna quitte la ville, ce n'est pas seulement parce que sa vie, en temps que compagne non officielle d'un revendeur de drogue relativement puissant dans le milieu, sorcier de surcroit, était menacée. Ca, elle pouvait se défendre. Elle avait un don, après tout. Non, c'est parce que Liryel, le fruit de leurs retrouvailles était incapable de contrôler le pouvoir qu'il possédait. Etait-ce à cause de la manie de Lauranna de toujours utiliser son pouvoir, alors même qu'elle était enceinte? Les runes qu'avait utilisé son compagnon pour protéger sa demeure? Le résultat était là, en tout cas... Dans un eurostar qui roulait en direction de Londres...

-Je reste cependant inquiète pour vous. Reprit Angie après un long silence. Vous serez totalement isolée, vous ne pourrez compter sur aucun de vos contacts...

Lauranna eut un léger rire en entendant l'adolescente.

"Dis moi, Angie? Qu'est-ce que tu vois, quand tu me regarde?"

L'enfant prit le temps de la réfexion, avant qu'une inspiration n'annonce sa réponse.

-Vous êtes une jeune femme plutôt moyenne de taille, je dirai un mètre soixante cinq, environ. Bien que votre visage soit plus jeune que votre âge, principalement à cause de sa forme en coeur, on a facilement tendance à vous penser plus âgée que vous n'êtes, notamment de dos, à cause de vos cheveux blanc gris. Vos yeux sont marrons, mais les traitements que vous devez prendre ont recouvert la pupille d'une fine pellicule blanchâtre, ce qui fausse leur couleur. Heureusement que vous ne portez plus de noir, car ça avait tendance à vous faire paraitre..."

"Lolly goth?"

-J'aurais dit sinistre... Je n'approuve pas vraiment le choix de vos vêtements, puisqu'ils ne vous permettent pas de vous mouvoir aussi vite que vous en auriez besoin. Sans parler des couleurs qui, si elles vous vont mieux que vos robes noires, vous rendent aussi difficile à rater.

"C'est vrai. Mais j'espère ne plus me battre. Quand aux mouvements... Je me fournis au même endroit que toi..."

Le ton de l'aveugle était légèrement railleur, ce qui était normal. Après tout, la tenue d'écolière d'Angie, jupe plissée, chemisier, pull et foulard n'était pas non plus très adaptée pour un jeune fille formée depuis sa plus tendre enfance au métier d'assassin. Mais ils lui permettaient largement de se mouvoir, de cacher ses armes, tout en lui fournissant un déguisement crédible, vu son âge. Ceux de Lauranna étaient conçus dans la même optique, elle qui était déjà habituée aux robes longues et aux corsets. Bon, par contre c'est vrai que les "délicates" robes violettes, rose ancien, ou bleues pastel avec le bâton en métal (un alliage de cuivre et d'argent) devaient donner un effet étrange. Mais bon, son bâton était une arme efficace. Secable à son milieu, elle avait vite appris à s'aider de sa "canne d'aveugle" pour utiliser ses pouvoirs, ou simplement se défendre. Même si Angie avait raison, elle n'était pas taillée pour le combat...

"Et mentalement?"

Là, encore, une hésitation. Il était aisé de deviner qu'Angie cherchait à deviner où son aînée voulait en venir... Liryel commençait à être gêné par son bras, et commença à geindre. Sa mère le pris dans les bras pour le bercer.

-Vous êtes fière, une mère poule surprotectrice envers les enfants. Vous savez manipuler votre monde pour vous cacher, ce qui vous à permis de passer plus d'une fois entre les mailles du filet. Cependant, vous n'aurez plus les appuis sur lesquels vous pouviez compter, et je crains que vous ne pêchiez par abus de confiance. Vous avez un contrôle de vous plutôt correct, même si les récents événements ont mis à mal vos capacités. Votre cécité est un handicap que vous aimez mettre en avant pour pousser les gens à vous sous-estimer, et qui vous a plus d'une fois tiré d'un mauvais pas en combat, puisque vous avez appris à faire avec depuis bien longtemps, ce que les hommes ont tendance à sous estimer."

La jeune maman émit un léger rire en entendant le rapport de sa petite garde du corps. Oui, elle aimait tromper son monde, et elle avait appris très tôt qu'il est toujours bon d'être sous estimé. Et même si elle avait sa fierté d'aveugle, qui la poussait à repousser toute tentative d'aide trop appuyée (comme les personnes qui voulaient absolument lui donner le bras pour la guider), elle prenait toujours garde à rester "simple" agente d'accueil. Bon, la petite oubliait tous ses défauts, tels que son amour éperdu pour son fils et son amant, qui la rendait quasi incapable de réfléchir, et totalement incontrolable lorsque l'un d'eux était concerné, sa phobie totale du vide, qui la faisait hurler dès qu'elle n'était plus en contact avec le sol, et une certaine naïveté qui subsitait malgré son travail, mais dans l'ensemble, elle se reconnaissait. Et il faudrait que cela suffise pour ce qui l'attendait.