Just an other long, very long night

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 Just an other long, very long night

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Humaine Innocente
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Carla A. S. Lowett
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Humaine Innocente
MessageSujet: Just an other long, very long night   Just an other long, very long night EmptyJeu 29 Oct 2020 - 16:57

Les écouteurs fermement vissés à ses oreilles, la jeune femme termina une dissertation avant de fermer son ordinateur. Elle la relirait plus tard, lorsque son cerveau aura pu un peu respirer. De toute façon, elle avait encore une bonne semaine avec de devoir la rendre à sa professeure.
Elle rangea ses affaires dans son sac, fit un geste de la main en direction de deux de ses amis qui travaillaient en face d'elle et semblait se morfondre devant leur propre dissertation, et traversa le couloir pour rejoindre la sortie de la bibliothèque. En chemin elle croisa Oliver, un grand brun de sa promotion avec qui elle avait rapidement sympathisé. Et surtout mignon. Très, très mignon.

– Pause clope, Carla ?
– Non, j'ai terminé ! Je rentre.
– Chanceuse.

Il ponctua sa phrase d'un clin d'œil et Carla continua son chemin. Dans une autre vie, elle aurait dit oui pour la pause clope, pour plus que la pause clope, pour bien plus que la pause clope. Mais c'était une autre vie. Presque une autre Carla.
Ça lui paraissait tellement loin cette époque, au tout début de ses études de vétérinaire. Avant Louis, avant le viol, avant d'apprendre qu'il existait tout un monde invisible autour d'eux. Et voilà qu'elle recommençait maintenant. C'était intense : le weekend elle continuait à travailler à la boulangerie, le jour c'était les cours, la nuit c'était les devoirs. Et recommencer, encore et encore. Même pendant les vacances de Noël, elle savait qu'elle ne pourrait prendre aucun repos : elle avait trouvé un emploi dans une librairie pour arrondir ses fins de mois.
Mais elle tenait bon.
Louis lui avait mille fois assuré qu'elle avait pas besoin de faire tout ça, que ça le dérangeait pas de payer pour deux. Elle avait toujours refusé. Une question de fierté. D'indépendance aussi. Elle ne voulait pas devenir comme sa mère si un jour les choses tournaient mal.
Mais comment cela aurait-il pu être possible ? Louis était si attentionné, si doux. Si différent des comportement de son père. Si facile.

Elle sortir de la bibliothèque, l'air frais la saisissant immédiatement. Clope au bec, briquet au bout et fumée dans la nuit. Coup d'œil à la montre : 22h. Louis lui avait laissé un mot le matin-même avant son réveil pour lui dire qu'il serait absent. Carla fantasma donc en imaginant l'énorme pizza qu'elle allait commander et la soirée sur le canapé devant Netflix à s'endormir devant l'écran pendant les quelques petites heures qui la séparait de son réveil du lendemain.
Elle descendit les escaliers, arriva à son vélo qu'elle décadenassa. Tira encore un peu sur sa cigarette avant de la déposer dans une poubelle et d'enfourcher sa selle. L'hiver s'installait doucement en Ecosse et bientôt elle devrait se résigner à prendre le bus. Mais elle souhaitait encore profiter un peu de cette occasion pour laisser le vent jouer avec ses cheveux.
Doux, tout doux le vent.

Une dizaine de minutes plus tard elle était en bas de l'immeuble dans lequel elle vivait avec Louis. Elle attacha son vélo à un poteau, chercha ses clés d'une main tout en vérifiant son portable de l'autre.
Rien à signaler.
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Ian Coley
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MessageSujet: Re: Just an other long, very long night   Just an other long, very long night EmptyJeu 29 Oct 2020 - 17:13

Et voilà qu’Orpheo m’envoie en vacances. J’appelle ça une mise à pied avec conservation de salaire, mais clairement, on me dit gentiment va prendre l’air, Ian, va voir des gens, va danser, va t’amuser, sois jeune un peu !
Niquez vous.
Voilà.

Et comme Autumn croule encore sous le travail et que j’ai pas envie de la bassiner avec des histoires de relations et de bitchage et de frustrations, retour à la maison : Écosse.
Non, mensonges là.
Parce que Carla me manque et que j’ai envie de vivre mon meilleur chill dans son canap, direction l’Écosse.

Un rapide détour par le Mystery m’apprend qu’il n’a pas été réhabilité. Je comprends la réticence des autres sur le sujet, mais j’adorerais tout reprendre, même si j’ai l’impression qu’on m’a volé mon passé. Je sais que des tas de gens ne peuvent pas refouler les maisons où ils ont vécus, mais moi ça me manque. Je me rappelle avoir trop mal vécu que quelqu’un d’autre me prenne ma chambre déjà…. et d’écouter mes potes emménager pour la plupart chez leur tuteur, avoir une vraie chambre à eux, des fois dans des apparts stylés, dans des villes stylés, et pas moi. Une mentor tuée, l’autre qui laisse tomber, qui disparaît, qui clairement n’a pas envie de m’avoir là. Alors bon, nulle part où aller si ce n’est la forêt où Sakura et moi on faisait des courses. Maintenant qu’elle est de retour parmi nous, les souvenirs ont à nouveau fleuris et ont été lavés des teintes de manque.

Presque tous.

Je débarque à l’adresse de Carla un peu sans prévenir. J’adorerais dire que j’espère que Louis ne sera pas là, mais je le sais : j’ai vu passer sa missive de mission parce que c’était supposé être la mienne. Mais après l’épisode Bleuann Soul…

Bref.

J’arrive en civil, même si je sais que je n’ai plus besoin de me cacher avec elle. Pas de bandes de métamorphe, même pas d’armes — incroyable hein ! Un jean, des converses, un hoodie. Je me sens nu, mais on m’a suffisamment répéter que mon corps était une arme pour … bref, la guerre est terminée de toute façon. J’adorerai recapter Cyan à l’occasion. Lui faire renifler sa défaite.

J’arrive derrière elle, la remarque de loin avec son vélo. Je connais mal la capitale et j’m’y sens vraiment pas chez moi, mais mes murailles fondent à l’approche de ma pote : Carla, c’est un peu la maison, m’voyez ?

— Hey yo !

L’air glacé transforme mes mots en une buée humide alors que je m’approche pour la prendre dans mes bras. J’espère qu’elle a vraiment rien de prévu, parce que je m’incruste totalement genre, et c’est moi coucou. J'pourrais dire que de toute façon j'ai un plan B, mais ce serait mentir, j'ai pas pris de bagages parce que je compte pas reste mais, le seul point de chute que je veux vraiment c'est Carla, Carla, Carla. Deux syllabes, une décennie d'amitié, et vraiment les souvenirs les plus fucked up que j'ai.

Enfin presque.
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Humaine Innocente
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MessageSujet: Re: Just an other long, very long night   Just an other long, very long night EmptyJeu 29 Oct 2020 - 21:29

Pendant qu'elle était sur son portable, Carla en profita pour taper l'adresse du site de la pizzeria pas loin de chez elle et qui avait la grande qualité de livrer les pizzas juste devant sa porte en un temps record. Et jusque tard dans la nuit ce qui, pour une étudiante qui faisait parfois la fermeture de la bibliothèque, était une sacrée aubaine.
Avançant en mode pilote automatique jusqu'à la porte de l'immeuble, elle ne vit pas s'approcher une ombre jusqu'à ce que deux mots percent la nuit.

– Hey yo !

À peine le temps de relever la tête que deux bras l'engloutirent. Une voix, une odeur qui ne s'égaraient pas et qu'elle aurait reconnu entre mille autres odeurs. Une petite voix de culpabilité aussi au fond, quelque part, dans le creux de l'estomac. Mais la jeune femme repoussa les murmures et se laissa aller dans l'étreinte, les yeux clos contre le torse toujours plus musclé de son ami d'enfance.

– Salut toi.

Elle profita quelques secondes de plus – quelques secondes de trop ? – de ce câlin surprise avant de se détacher du corps de Ian et de laisser courir ses yeux sur son visage. C'était fou l'effet que ça pouvait lui faire. Fou qu'après tout ça elle puisse encore ressentir un craquement d'allumette dans le bide. Fou de le voir débarquer ainsi, détendu, tellement lui, comme si rien ne c'était passé. Comme s'ils n'avaient pas couché ensemble, comme si leur dernière conversation n'avait pas créé une montagne d'étincelles.

L'étudiante tendit son téléphone et demanda :

– J'allais me commander une pizza. T'as déjà mangé ?

Elle lui laissa le téléphone dans les mains et, les deux mains enfin libre, finit par récupérer ses clés tout au fond de son sac. Évidemment, il fallait toujours qu'elles aillent se loger tout au fond, sous les crayons, l'ordinateur, les feuilles volantes, sa gourde, un tupperware, un paquet de mouchoir et une paire de chaussette qui n'avait rien à faire là. Carla n'était pas exactement un modèle d'organisation et de rangement. Elle se demandait d'ailleurs parfois comme elle faisait pour s'en sortir et ne pas placer deux rendez-vous en même temps. Il n'y avait qu'à regarder son agenda : sans queue ni tête, avec des flèches partout, environ cinquante couleurs différentes qui s'étalaient sur le papier.
C'était Luka qui le lui avait offert. Un agenda ultra kitch avec des chats emballé dans des gros noeuds roses. Le tout en version pailletée. Le summum du ridicule version Dolores Ombrage. D'un autre côté, c'était bien le genre de ses potes de lui offrir des cadeaux bien ridicules pour être sûrs que sa promo se fichent bien de sa tête. Carla avait rit en le déballant, puis glissé dans son sac. Et quand, en cours, son voisin lui avait adressé un regard surpris, elle lui avait renvoyé une regard noir.
Il n'avait jamais osé faire le moindre commentaire.

Les clés glissèrent dans la serrure et la porte s'ouvrit enfin sur la cage d'escalier.
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MessageSujet: Re: Just an other long, very long night   Just an other long, very long night EmptyVen 30 Oct 2020 - 11:27

Elle me rend mon étreinte. Son odeur est un mélange de clope et d’un je ne sais quoi de poussière ou de renfermé, sûrement un musée ou des archives, quelque chose du genre. Elle sent les papiers bois buvard et les plastiques chauffés au soleil. Mmmmmh.

— Salut toi.

La capitale continue de rouler autour de nous, les passants aussi, indifférents et, pendant quelques secondes je me sens reconnaissant d’avoir un point d’ancrage. Dans l’océan qu’est désormais le monde où je peux aller de partout, vivre de partout, être payé de partout, être presque désormais en sécurité de partout, il est bon d’avoir quelqu’un auquel revenir, toujours.

Elle me tend son téléphone et je lève le regard vers ses yeux clairs. Elle est trop belle, et elle à l’air d’aller bien, malgré la fatigue que le manque de sommeil a laissé sur son visage. Une bouffée d’espoir me chatouille le ventre ; le monde à l’air d’aller mieux.
Nous aussi.

– J'allais me commander une pizza. T'as déjà mangé ?

Je secoue la tête et mes cheveux glissent sur mes yeux. Je regrette presque les quelques mois pendant la guerre où je m’étais rasé le crâne, c’était plus simple et moins chiant. Aloooors… Je commande pour moi, rajoute deux bières, paye et lui rend l’appareil alors qu’elle trifouille dans son sac d’humaine normale. Pas de flingue, pas de lame, pas de marqueur noir pour tracer des runes et cette révélation me satisfait fort fort fort fort fort.
Jusqu’à cet agenda.

— Oh mon dieu, Carla, qu’est-ce que c’est que ça.

J’incline la tête sur le côté, m'en empare.

— Des chats en plus, encore un coup de Luka, ça, au moins.

Ça me pince le ventre fffort. Pendant un moment c’était Luka qui a disparu, alors Ange est parti, est devenu Hannelore, et puis ça a été les autres, et puis Hayley a moins donné de nouvelles, et puis Ange est allé sauver Myaw, mais pas avant d’avoir couché et aimé Rosenrot, tout comme Rhyan, et Simje qui s’est complètement volatilisé. C’est comme si maintenant qu’on avait gagné la guerre, y’avait tout de même des perdants de notre côté. Comment aimer ceux qui torturent et violent et enferment et séquestrent et remettent au goût du jour le concept même d’esclave ?

Pourquoi est-ce que les valeurs ne valent vraiment rien pour des orphelins qui sont juste en quête d’amour et d’appartenance ? Parce qu’il s’agit de ça, n’est-ce pas ?

Bref.

On entre et je la suis dans son immeuble, avec qu’une hâte : m’étaler sur le canapé, me roule un joint, manger des pizzas, parler, boire une bière, parler encore un peu et dormir toute ma vie dans une couette moelleuse avec le bruit de la pluie. Touuuuute la vie. Se réveiller vers trois quatre heures du mat, se dire oh yes j’ai encore tellement à dormir, tellement longtemps. J’en ronronnerai presque.
J’ose même pas demander des nouvelles de Louis, un odieux chit chat, un small talk pour donner le change alors que maintenant on est collègues avec son gars alors, forcément que j’ai des nouvelles. Bien sûr que si elle veut raconter des choses je l’écouterais avec plaisir, mais de là à aller gratter leur vie à deux, pas certain d’avoir envie d’amorcer ça.
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Humaine Innocente
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MessageSujet: Re: Just an other long, very long night   Just an other long, very long night EmptySam 31 Oct 2020 - 11:09

Alors qu'elle poussait la porte d'entrée pour s'engouffrer dans la chaleur du hall, il fallut que les yeux de Ian tombe sur l'agenda plein de paillettes et de rose.

– Oh mon dieu Carla, qu'est-ce que c'est que ça ?

Elle n'eut pas le temps de faire un mouvement que déjà il s'en saisissait pour l'examiner. Et aucune chance que le regard "tu as pas intérêt à faire une réflexion" marche sur lui. Il en fallait plus que ça pour effrayer Ian. En même temps, Carla ne pouvait qu'imaginer toutes les horreurs qu'il devait voir chaque jour, comme le reste de ses amis. Louis lui avait expliqué la guerre, sans rentrer dans les détails, mais elle-même en avais eu un aperçu, des années auparavant, lors de la prise du Mystery. Ce qui avait été le pire jour de sa vie était, pour eux, leur quotidien.
Et désormais qu'elle savait tout, il lui fallait encore réussir à juguler sa peur. La peur que Louis ne rentre plus. De recevoir un coup de téléphone lui apprenant la mort de Luka, Ange, Hayley ou Ian. La peur de ne pas savoir gérer la tristesse qu'elle lisait parfois dans les yeux de son compagnon, lorsqu'il rentrait le soir. Et, pour toutes ces raisons, elle était heureuse d'avoir recommencer les cours. Pouvoir s'extraire quelques heures de ses peurs pour n'avoir en face d'elle que des personnes qui n'avaient aucune idée de l'existence de la magie et des soucis radicalement différents des siens.

– Des chats en plus, encore un coup de Luka, ça, au moins.

Carla récupéra l'agenda des mains de Ian et le fourra tout au fond de son sac avant de commencer à grimper les six étages qui la séparait de son appartement.

– À ton avis ? Et puis bon, comme ça au moins je pense à toi à chaque fois que je le sors, espèce de chat. Ça t'irait bien d'ailleurs un noeud rose autour du cou, tu devrais y réfléchir.

C'était quand même une sacrée arnaque ces immeubles sans ascenseur. Autant faire du vélo, à plat, pendant dix minutes, ça allait. Mais se taper ces six étages tous les jours… L'idée d'arrêter de fumer l'avait parfois effleurée. Puis énervée. C'était pas des escaliers qui allaient la faire changer, quand même ? Et généralement elle faisait taire toute réflexion avec une cigarette de plus.
Carla ouvrit la porte de son appartement et détailla rapidement le fouillis qui y régnait. La vaisselle qui traînait, une corbeille d'habits qui attendaient d'être pliés dans un coin, quelques livres de cours ouverts sur la table basse… C'était ça la vie, aussi. Et puis c'était Ian, ça servait à rien de lui servir des mensonges sur un appartement bien rangé.
Carla posa son sac par terre, poussa un peu les livres sur la table pour faire de la place pour quand les pizzas arriveraient, et se laissa tomber sur le canapé.

– Fais comme chez toi.

Elle ne réalisa pas la portée de ses mots. Ça aurait pu être chez lui. Dans une autre vie, une vie faite de Ian et Carla ensemble, une vie sans Louis et Autumn.
Mais c'était juste des mots pour elle et, parfois, la portée des mots lui échappait.
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MessageSujet: Re: Just an other long, very long night   Just an other long, very long night EmptySam 31 Oct 2020 - 15:31

Elle m’arrache l’agenda des mains et je fronce le nez. Si madame cherche la bataille… L’objet retourne dans le fin fond de son sac, à l’abri des regards indiscrets immédiatement.

– À ton avis ? Et puis bon, comme ça au moins je pense à toi à chaque fois que je le sors, espèce de chat. Ça t'irait bien d'ailleurs un noeud rose autour du cou, tu devrais y réfléchir.

Je hausse les épaules sans répondre. Je sens qu’elle est très chill sur le sujet mais pas moi, le fait que je sois mi-bête mi-humain sous ses yeux désormais me gêne. Mi-bestial, mi-animal, mi-instinct, tout ça.
Je sais que la loutre peut-être vraiment mignonne mais le loup sait déchiqueter les visages, planter les crocs dans l’orbite juste au dessus de la pommette et labourer la gorge de la mandibule.

On rentre dans son appartement bordélique et je fais sauter mon hoodie. Il fait mille degrés ici. Et c’est cozy, on dirait un vrai endroit qui vit et qui brasse. Elle débarasse rapidement ses bouquins et j’en attrape un au pif. C’est à dire qu’elle pourra bientôt soigner le clebs qui est en moi, le chat, le poney, tout l’monde. Sauf si elle part en bovine.

— Fais comme chez toi, lâche-t-elle en se laissant sur le canap.

Une lame de fond semble la faucher d’une pelote d’émotions vaguement teintée, comme un nostalgie ou un remord brossé par le temps, des regrets piquetés comme sur un vieux miroir. Je la dévisage quelques secondes en essayant de scruter une suite, une explication, mais me résigne à ne pas insister ; ce doit être si dérangeant que quelqu’un puisse lire vos émotions que vous le vouliez ou non que je lâche l’affaire.

Je m’installe sur le canapé, attrape un coussin, roule sur le ventre avec l’objet coincé sous mon menton. Je meurs de faim. J’imagine facilement du fromage, bouillant sur une pâte croustillante à souhait.
J’ai trop faim.

— T’as des nouvelles des autres un peu, sinon ? J’ai l’impression que tout…

Je hausse les épaules.

— .. tout part en couilles, genre.

J’ai du mal à m’exprimer sincèrement, mais c’est ce qui me pèse un peu. Je lui lâche une moue de personne qui veut juste discuter, pas se plaindre, ouvrir un sujet. J’ai envie de me rouler un bédo pour que ça soit plus simple de chit chater, je sais pas dans quelles mesures elle est au courant de quoi. Si Louis lui raconte ou pas.

Est-ce que Louis te parle de la vérité ? Est-ce qu’il s’intéresse à ce que tu fais, est-ce qu’il fait la part belle à ta vie humaine ? Ou est-ce qu'il la nie, range par importance, sourit quand tu lui racontes des problèmes de bibliothèque ? Tes camarades, est-ce que t'as des potes, d'autres amants, d'autres amours, d'autres bras, d'autres tendresses, d'autres langues, d'autres joues, d'autres lèvres, d'autres larmes ?
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MessageSujet: Re: Just an other long, very long night   Just an other long, very long night EmptyLun 2 Nov 2020 - 21:23

Ian s'allongea sur le canapé, un coussin sous le menton et un air grognon sur le visage. Carla pouvait le comprendre : son propre ventre commençait à gronder. Elle avait vaguement fait une pause durant l'après-midi, mais s'était contentée d'une tasse de café dans l'espoir que ça stimule un peu plus ses neurones. Tout comme les cinquante-deux pauses clopes qu'elle avait fait pour "prendre l'air et sentir le vent".
Mais désormais, sa dissertation était écrite et elle n'avait plus besoin de réveiller son cerveau. Elle s'assit entailleur et attrapa une boîte en fer posée sous la table basse. Les bonnes habitudes avaient la dent dure et Carla se doutait que son ami ne refuserait sans doute pas de partager un joint en sa compagnie.

– T'as des nouvelles des autres un peu, sinon ? J'ai l'impression que tout part en couilles, genre.

Elle retint un rire agacé. Dans sa vie, ça faisait des années que ça partait en couilles. Bien, bien avant qu'elle apprenne pour le monde de la magie. Avant même l'attaque pseudo-terroriste du Mystery Orphanage.
Il y avait eu sa famille qui était partie en couilles.
Puis ses amis qui étaient partis tout court.
Pas Ian, évidemment. Mais Ange, Luka, Louis et même Hayley. Ils avaient tournés les talons du jour au lendemain, sans un adieu, sans un petit mot, même pas un texto de deux lignes pour lui annoncer leur départ. Elle s'était fait ghoster par ses meilleurs potes en l'espace de quelques jours.
Et même si, désormais, elle en connaissait les raisons – la magie, le désir de la protéger –, cela ne voulait pas dire qu'elle les comprenait. Ou que ça faisait moins mal.
Elle avait cependant appris à laisser le passé derrière elle et se contente de hausser les épaules en se concentrant sur la feuille qu'elle roulait.

– Je vois Luka de temps en temps…

Elle lécha le papier pour terminer le façonnage du fin cylindre entre ses doigts.
Luka. Luka à qui elle s'était confiée, à qui elle avait fini par tout raconter. Le viol, la si grande tempête dans sa tête, et même les chair qui avaient glissées, quelques mois auparavant, au Canada. Un peu plus d'un an auparavant, s'il fallait être exact. Une éternité, et pourtant c'était hier.
La sonnette de la porte d'entrée retentie, la sortant de sa propre mélancolie.
Elle repoussa les souvenirs des souffles qui se mélangeaient et des frissons qui s'étreignaient, posa le joint sur la table et se leva pour se diriger vers la porte d'entrée où une jeune femme d'à peine vingt ans attendait avec sa commande.

– Merci Ellen.

Carla connaissait le prénom de sa livreuse de pizza, ce qui était sans doute un bon indicateur du fait qu'elle commandait beaucoup trop de pizza. Il faut dire qu'elle était mignonne, ladite Ellen. Et que Carla avait un peu les hormones en feu.

– C'est pas la commande habituelle. Louis a changé de pizza préférée ?

Et Ellen, elle, avait clairement un crush sur Louis.

– Hein ? Heu… non, il n'est pas là. C'est pour un pote, on… on bosse sur un projet pour les cours.

Elle eut l'impression d'être ridicule à se sentir obligée de mentir ainsi. Elle aurait pu juste dire "c'est pour un pote", mais non, il avait fallu justifier.
Avant que le rouge ne lui monte aux joues, elle attrapa les pizzas et referma la porte. Elle en avait définitivement bien besoin, de ce joint.
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MessageSujet: Re: Just an other long, very long night   Just an other long, very long night EmptyLun 2 Nov 2020 - 22:24

Carla sort une boîte en fer — à croire qu’on a tous la même. La petite pochette sacrée, celle à sortir quand il fait vraiment archi froid dehors, quand il pleut beaucoup aussi, ou les jour où le soleil brûlant des premiers jours de printemps réchauffe les visages.

Après le sexe aussi, après les maux de coeur, après les peines immenses et les pères qu’on assassine. Sah ! Quelle douce période.

Je la regarde rouler avec habitude. Je me demande si elle se ruine le cerveau souvent ou avec une régularité douloureuse : les jours où on a le droit, les jours où on ne peut pas.

– Je vois Luka de temps en temps…

Sa langue vient contre le papier. Je ne peux que regarder, un peu impuissant.
Bon.

Les pizzas sont annoncées — enfin — sans que je n’ai pu vraiment répondre. Voir Luka, qu’est-ce que ça veut dire, ça. Que c’est la seule qui reste dans le coin ? Qui supporte encore l’Écosse ?
Parce que y’en a pas beaucoup, des comme ça.

– Merci Ellen.
– C'est pas la commande habituelle. Louis a changé de pizza préférée ?
– Hein ? Heu… non, il n'est pas là. C'est pour un pote, on… on bosse sur un projet pour les cours.

J’adorerais faire mine de ne rien. Comme si j’avais pas entendu. Je ne sais pas ce qu’elle a exactement retenu des pouvoirs, mais sûrement elle sait que j’entends tout.
Je me lèche les lèvres que je ferais pour lécher de vieilles plaies infectées. Et oui. Je ne suis pas Louis, je ne suis pas chez moi, Carla n’est pas ma meuf, ce n’est même pas la bonne pizza préférée. J’ai même mal choisi jusqu’à la pizza.

C’est dire !

Je renifle. Si Carla avait pu avoir un pouvoir j’aurais voulu qu’elle influe sur les émotions des autres et qu’elle torde les miennes, qu’elle les casse en deux pour cesser de les laisser s’évader, gambader tranquillement sous mes paupières.




Sous ma ceinture.




J’attrape directement un morceau de pizza.

— Ouais. Elle vient bien, Luka ?

Okkkkk elles sont délicieuses la vie est absolument incroyable.

— Parce que (j’avale un morceau) Rhyan vit sa meilleure vie chez les méchants, clairement, c’est amoureux et tout.

Je soupire en déchargeant le poids qui me scie et me découpe.

— Simje s’est barré d’Orpheo, Ange baise avec l’ennemi aussi, Hayley a totalement disparue des radars.

Je m’enfonce, m’englue dans le canapé. Est-ce qu’elle est au courant que j’ai sorti Sakura de l’enfer ? Est-ce qu’elle est pote avec Sakura, au moins ?
Laure ?

Putain.

— Sakura a trois putain de mômes et pleure sur le quatrième qui était pas à elle, mais qu’on avait posé devant sa porte pour quelques années. Elle a des enfants putain.

Nés du viol genre. Du mariage forcé, genre.
Wesh.


Je ne devrais pas, alors je mâche mes mots, je voudrais dire, j’espère que Louis n’ira pas un jour fricotter de l’autre côté, mais peut être que je le souhaite un peu, au fond, loin, un souhait qui ne ferait pas de mal à Carla mais qui éloignerait Louis putain, loin. Mais sans conséquences, vous voyez ?

Mais c’est pas vraiment ça ce que je veux.
Ce que je veux, c’est une machine à remonter le temps, le moment où j’me sentais petit mais entouré.
Maintenant, je me sens invincible mais mon monde est dépeuplé et puis, je sais bien que je suis bientôt que sommet de la montagne de stupidité. Vous savez, celle qu’on gravit et que, une fois au sommet, on se rend compte de toutes les autres montagnes et qu’on ne sait rien ? Que je ne suis pas invincible, juste extrêmement bien entraîné ?
Je pense à toute la matière grasse dans la pizza et comment le joint salira mes poumons. Mais j’ai battu Bleuann Soul et j’aurais pu la tuer.

Ça se fête, non ?
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Humaine Innocente
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MessageSujet: Re: Just an other long, very long night   Just an other long, very long night EmptyMar 3 Nov 2020 - 10:25

Ian avait forcément entendu la conversation entre Carla et la livreuse. Louis et elle avaient rapidement parlé des pouvoirs du jeune homme – elle avait essayé d'abord ce sujet avec détachement, comme elle l'avait fait pour ses autres amis, un petit "ah et par curiosité, c'est quoi les pouvoirs de Ian ?" pour cacher la montagne de remords enfouie en elle –, mais elle en avait appris assez pour savoir qu'il n'aurait rien loupé d'une conversation tenue depuis la porte d'entrée de l'appartement.
Elle soupira, puis retourna dans le salon pour poser les pizzas et Ian se jeta sur la sienne immédiatement. Elle saisit le joint qu'elle alluma pour que l'odeur vienne mieux imprégner ses poumons. Une gorgée de fumée, une taf de bière. Il valait mieux faire semblant que personne n'avait rien entendu dans ces cas là ; Ian et Carla étaient très forts pour faire semblant de rien.

– Ouais, elle va bien Luka ?

Carla hocha la tête. Luka allait bien. Parfois. Mais c'était plus complexe que juste aller bien ou mal et elle n'avait aucune envie de s'enfoncer dans des explications brouillon, parce qu'elle-même ne comprenait pas tellement où en était son amie.

– Parce que Rhyan vit sa meilleure vie chez les méchants, clairement, c'est amoureux et tout.

L'image de Rhyan s'infiltra dans son esprit. Rhyan avec un méchant ? Un de ces gars dont lui avait parlé Louis, de la Croix ou de Rosenrot ? Ou un humain noir ? Il y avait ça aussi, des races, des espèces, quand Louis avait essayé de lui expliquer tout ça, ça lui avait paru encore plus complexe qu'un cours d'anatomie sur les chiens.

– Simje s'est barré d'Orpheo, Ange baise avec l'ennemi aussi, Hayley a totalement disparue des radars.

Elle n'avait aucune idée de qui était ce "Simje" qui s'était enfuit d'Orpheo – une sorte de FBI du monde magique, de ce qu'elle en avait compris –, mais ça lui donnait presque la nausée d'entendre parler de ses amis d'enfance.
Elle tira un peu plus fort sur la fumée, qu'elle fit passer avec un peu de bière.

– Sakura a trois putain de mômes et pleure sur le quatrième qui était pas à elle, mais qu'on avait posé devant sa porte pour quelques années. Elle a des enfants putain.

L'étudiante accusa le coup sans broncher, son regard perdu dans le mur en face d'elle. C'était pas si rare les gens de son âge qui avait des enfants ; sur Facebook elle voyait fleurir les bébés et les robes de mariée, un état d'esprit dont elle se sentait à des milliers de kilomètres.
Et pourtant tellement plus proche de tout ce que lui racontait Ian.
La mort, les viols, les histoires à la Roméo et Juliette mais sanglantes, tout ça ne vivait pour elle que dans ses cauchemars, alors qu'eux, c'était leur quotidien.

Elle n'avait jamais osé demander à Louis s'il avait déjà tué. Combien il avait déjà tué. Comme si ignorer cela pouvait empêcher son amant d'avoir du sang sur les mains. Toujours nier, toujours faire semblant.

– Je sais honnêtement pas comment vous faites pour survivre à tout ça.

Elle tendit le joint à Ian, puis attrapa une part de sa propre pizza, le gras lui collant immédiatement aux doigts.

– Pourquoi vous claquez pas la porte et vous réfugiez pas sous une couette. Je pourrais pas, à votre place.

Elle gardait encore le goût amer de la violence entre ses cuisses et des mois passé à attendre Louis, à vouloir abandonner, se suicider. Et pourtant, ça lui semblait tellement rien à côté de ce qu’ils avaient tous vécu.
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MessageSujet: Re: Just an other long, very long night   Just an other long, very long night EmptyMar 3 Nov 2020 - 14:06

sometimes all i think is you
late nights in the middle of june
heat waves’ been freaking me out
can’t make you happier now



Elle tire sur le joint qui crépite à quelques centimètres de ses lèvres. J’imagine sans peine la fumée dans ses poumons, lourde, se collant aux alvéoles, prête à se mêler à l’oxygène. La libération se faufilant sans peine dans le sang, jusqu’au cerveau. Psychotropes révélateurs de la condition humaine.

– Je sais honnêtement pas comment vous faites pour survivre à tout ça.

Je frôle ses doigts pour attraper le bâton et délaisse ma pizza. La faim s’est un peu tassée, ne reste qu’un nuage de seum et et de fatigue posés à mes côtés. Un frisson soulève mon échine et je m’enfonce plus profondément dans le moelleux du canapé, tirant pour la première fois sur le joint.

Comment on fait pour survivre à tout ça ?
Comme tout le monde. Comme les humains sans pouvoirs. On courbe le dos et on attend que l’orage passe. Notre normalité est juste un pied à côté, en décalé. Mais les échelles de la gravité n’existent pas je crois, et sûrement qu’on peut voir le bonheur s’en aller pour de bon pour des tas de raisons. Comme il est ironique que j’ai si peu cauchemardé de mon père après l’avoir tué moi même, comme quelque chose de sain : en finir avec la toxicité et la peur. Je me souviens avoir atterrit, ahuri, dans la chambre d’Autumn. Ses grands yeux saturés de ce bleu si coloré détaillant mon visage encore éclaboussé du sang d’inconnu.

Je tire une nouvelle latte, attrape la bière d’une main absente.

– Pourquoi vous claquez pas la porte et vous réfugiez pas sous une couette. Je pourrais pas, à votre place.

Je me redresse en haussant un sourcil.

— Tu plaisantes ?

Nouvelle taf, ma voix s’encombre de fumée.

— T’as survécu à ça toi aussi, comme tout le monde.

Elle sait très bien de quoi je parle.
J'pense pas que ça la gêne de remettre ça sur le tapis, je pense que la fatigue fait sûrement ça très bien pour elle.
Comme tous les survivants traumatisés. C'est vrai, ça, dans le groupe on s'en sort pas si mal. Vivants.
Ou presque.
Le prénom qui voudrait passer mes lèvres s’englue dans mes joues et je la boucle. C’est pas important de toute façon, c’est pas important du tout. On survit tous, résiliants. De bonnes pâtes à mastiquer, trimballés par le destin et des choix en carton de partout dans le monde. Il y a si peu de choix à faire dans le monde magique. De vrais choix, je veux dire. Ni ses pouvoirs, ni ses mentors, ni son poste à la vérité, puis pas ses missions, pas ses évolutions.

Souvent pas vraiment les gens avec qui on couche. A bunch of unhappy people. La pluie s’abat sur les vitres de l’appartement alors que je rends le joint à la concernée.

— Je sais pas comment tu fais pour rentrer tous ces mots, ces anatomies dans ton crâne. Ces cellules, ces échanges dans les reins, ces.. ces leçons.

Je lui offre un sourire crâneur.
Mais j’en mène pas large.
Mi-humain mi-bête.
Mi-humain mi-stupide ?

— Par chez moi on a une méthode très simple pour les animaux blessés ou malades.

On, les, boulotte. N’est-ce pas le loup ? Je suis presque certain que si ma mutation jumelle avait été un poney, j’aurais eu du mal à tuer et dévorer. Mais Ian, mi-loup mi-cheval n’a aucun mal à gober quoi que ce soit, même si mon loup est stupide plus piscivore que le reste, même si les petits escargots de mer ça reste mon pied, qui serais-je pour refuser un lapin ou un chat un peu trop loin de chez lui ?
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Humaine Innocente
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MessageSujet: Re: Just an other long, very long night   Just an other long, very long night EmptyMar 3 Nov 2020 - 22:15

Elle se rappelait les cicatrices sur le corps de Louis. Des cicatrices qu'elle connaissait désormais par coeur, qu'elle aurait su redessiner les yeux fermés. Elle savait aussi celles sur le corps d'Ian. C'était plus fragile comme souvenir, presque effacé, mais encore flottant, comme la fumée qui envahissait désormais son esprit.

– Tu plaisantes ?

Il s'était redressé, mais Carla ne voyait qu'un nuage de fumée.

– T'as survécu à ça toi aussi, comme tout le monde.

Elle ne rigola pas alors qu'elle aurait pu être tentée de le faire. L'étudiante n'avait survécu à rien. Elle avait voulut mourir jusqu'à ce que Sylvester débarque. Puis elle avait voulut disparaître. Et encore maintenant, ce n'était pas si facile. C'était la drogue qui venait flouter ses pensées quand elles étaient trop lourdes. Les cours pour envahir son esprit d'autre chose. Les crises encore, parfois, dans le noir, dans les bras de Louis. Louis qui ne savait rien du viol, Louis qui ne connaissait que l'attente.
Elle avait survécu à rien du tout. Juste enfoui sous toute la merde, comme tout le reste.

Mais au lieu de répondre, elle reprit une tranche de pizza qu'elle enfourna dans sa bouche, presque en la forçant à rentrer en entier, pour empêcher sa langue de se prononcer.

– Je sais pas comment tu fais pour rentrer tous ces mots, ces anatomies dans ton crâne. Ces cellules, ces échanges dans les reins, ces.. ces leçons.

Avaler, déglutir. Manger c'était jamais facile, même après tout ce temps.

– J'me dis juste que si je mets tout ça dans ma tête, j'oublierai tout le reste.

Comme si on pouvait avoir une mémoire limitée pour les choses. Comme s'il était possible d'oublier la douleur.

– Par chez moi on a une méthode très simple pour les animaux blessés ou malades.

La jeune femme frotta ses mains pour ôter la farine qui collait au bout de ses doigts, avant de s'allonger sur le canapé, laissant glisser sa tête contre l'épaule de son ami.

– Heureusement qu'ils l'appliquent pas sur les humains alors, ou on aurait pas survécu longtemps.

Elle ne plaisantait qu'à moitié. Ils avaient été deux adolescents cassés par leur famille respective. Puis deux adultes brisés par les méchants.
Les méchants. On se serait cru dans un mauvais Disney, mais ils étaient bien plus cruels que ça. Les méchants tuaient, violaient, kidnappaient. Mais les méchants aimaient, faisaient des gosses, respiraient également. Comment les détester entièrement ? Comment ne pas voir une part d'humanité dans leur comportement ? Rhyan était tombé amoureuse. Ange aussi. C'était peut-être ça leur problème à eux, au fond ; ils étaient trop gentils, trop patients. C'était bel et bien le seul avantage d'être des connards narcissiques comme Ian et elle : aucun risque d'aimer un sorcier noir.

– Et au moins avec tous ces mots, cellules et reins comme tu dis, je pourrais recoudre tes bêtises.

Planter l'aiguille dans la chair et serrer les fils sur la peau à défaut de pouvoir recoudre les coeurs.
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MessageSujet: Re: Just an other long, very long night   Just an other long, very long night EmptyMar 3 Nov 2020 - 22:46

Je bois la tête renversée en arrière, étalé. Le joint a ce dont pour faire fondre les humains, c’est terrifiant. On voudrait volontiers devenir mi-nous, mi-canapé et terminer notre vie comme ça, incapables de trop bouger.

Incapables de trop penser.

Je l’écoute mastiquer sa pizza, et je sais que chaque geste est conscient, calculé, comme si elle se répétait à elle même de mâcher, avaler, répéter. Je me souviens de son corps osseux, pâle, dénutri, congelé à l’année et je me trouve odieux de l’avoir trouvé beau. Sexuel. Attirant. Peut-être que je n’aurais pas dû. Peut-être était-ce encourager une certitude : moins de toi c’est mieux, Carla.
Pas que je puisse y faire quelque chose à l’époque.
Pas que je puisse y faire quelque chose maintenant non plus.

– J'me dis juste que si je mets tout ça dans ma tête, j'oublierai tout le reste.

Mais ce serait trop facile, n’est-ce pas ? Mettre sous le tapis ce qu’on souhaite voir disparaître, et ne pas avoir à regarder en dessous à nouveau. Plus jamais. Mais le corps ressort toujours d’une manière ou d’une autre les émotions. La vie aussi. Alors bon, personne ne triche, tout le monde encaisse, compense, boîte, prétend. Ah ça ! Pour prétendre ! On est beaux, hein.

Sa tête vient contre moi, et je sors une clope de mon sac. Hors de question d’arrêter de fumer, hors de question de me défoncer plus que ça — on sait comment ça finit. Je termine ma bière renversé comme ça, entre deux eaux, entre deux vies.

– Heureusement qu'ils l'appliquent pas sur les humains alors, ou on aurait pas survécu longtemps.

Et elle a sûrement raison.

– Et au moins avec tous ces mots, cellules et reins comme tu dis, je pourrais recoudre tes bêtises.

Je renifle. Peut-être que dans une autre vie, dans un monde parallèle, Carla et Ian sont ensemble. Une autre Carla et un autre Ian, se défoncent comme une soirée normale, gros de leurs pizzas délicieuses, éclatés de fatigue, écrasés par une vie semi-choisie.

— Occupe-toi de Louis, déjà.

C’est jaloux, mais pas méchant ni vicieux, et c’est totalement assumé. C’est totalement injuste, mais tout proche d’elle, j’en ai plus rien à foutre parce que c’est la vérité. Et qu’elle le sait. Mais que lui raconter d’autre ? Que je dors d’hôtel en hôtel, d’appart en appart, que chez moi régulièrement Autumn n’y est pas ? Et que quand elle y est, elle se couche au milieu de la nuit, se lève parfois avant même les premières lumières. Qu’elle voudrait tout changer, elle et ses ambitions éclatantes, jolies, elle et sa lumière même dans ses yeux éreintés de l’aube ?

À quel point la solitude me tend, m’agresse, à quel point mon corps délaissé ressent la peine après ces quoi, presque dix ans de relation ?
Je ne sais plus que je suis sans elle à vrai dire, Ian et Autumn, Autumn et Ian. Mais que reste-t-il ?
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Humaine Innocente
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MessageSujet: Re: Just an other long, very long night   Just an other long, very long night EmptyMer 4 Nov 2020 - 13:30

Elle regarda les ronds de fumée s'échapper vers le plafond et venir lentement combler le ciel de sa tête de nuages. Frapper contre le Soleil qui tapait trop durement, trop chaudement. Laisser l'esprit s'enterrer un moment pour ne plus penser.

– Occupe-toi de Louis, déjà.

Le mot tomba, presque fatalement. Mais que pouvait-elle répondre à ça ? Que Louis n'avait pas besoin d'être réparé ? Ne voulait pas être réparé ? Que tous les deux faisaient comme si tout allait bien, qu'ils avaient construit une petite vie parfaite, très occupée certes, mais parfaite. Une vie où ils se levaient le matin et prenaient un café dans l'aube, baisaient parfois s'ils avaient le temps. Une vie où ils allaient au restaurant, invitaient un couple d'amis à manger, glissaient parfois une surprise sous l'oreiller de l'autre. Une vie à rire, à construire et à imaginer un futur à deux.
Et pourtant, et tous les deux le savaient, tout ça était fondé sur des non-dits. Elle n'avait jamais parlé à Louis du viol, de la peur du vide ou de la peau de Ian contre la sienne. Lui ne lui avait jamais raconté les années de souffrance loin d'elle. Carla ne savait pas ce qu'il avait fait, ce qu'il avait perdu, contre qui il s'était battu. Il parlait tout juste d'Orpheo, des sorciers noirs, du Mystery Orphanage d'une manière très factuelle, un peu comme un cours d'histoire. Elle n'aimait pas la manière dont il en parlait. Mais elle ne le disait pas.
Il y avait une faille et ils en étaient tous les deux conscients, sans pour autant qu'un des deux soit capable de la combler. Elle avait bien essayé de le faire réagir une fois, en fumant un joint dans le salon, juste avant qu'il ne rentre, et sachant pertinemment que Louis avait horreur de la drogue et de tout ce qui allait avec. Mais il s'était contenté de se poser sur le canapé avec elle et de le lui prendre des mains pour le fumer à son tour.
Ni l'un, ni l'autre n'avait la force d'appeler à l'aide.

– Je suis déjà pas capable de m'occuper de moi-même.

Elle s'enfonça un peu plus dans le canapé, la tête toujours posée sur l'épaule de son ami. La jeune femme avait envie de se faire engloutir, de disparaître dans le moelleux du meuble, de se transformer en tissu pour se plaquer, se fondre dans le décor, et se faire oublier.
Son regard s'égara sur sa pizza à peine entamée et qui pourtant lui filait déjà la nausée. Puis il monta le long des murs blancs qu'ils avaient repeints avec Louis, alla se darder un instant sur les rideaux lourds au fenêtre, puis descendit jusqu'au tapis beige qui envahissait la plupart de la pièce. Un cocon pour deux, mais tellement éloigné des tempêtes qui naissaient dans la tête de Carla.
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MessageSujet: Re: Just an other long, very long night   Just an other long, very long night EmptyMer 4 Nov 2020 - 23:39

Deux loques sur un canap. Rien de productif, rien d’utile. Du temps de non-qualité. Du temps, quoi. Je crois que ça m’a toujours saoulé que les gens disent qu’il est important de passer du temps de qualité. Comme si ça voulait dire quelque chose, comme si il était important de juger le temps qu’on passe avec les gens. S’entraîner est-il de qualité ? Parler autour d’un café ? Voyager ? Vivre des aventures sinon rien ?

Les bédos canap sont aussi une aventure à part, notre no man’s land de l’humanité rien qu’à nous, ce moment où on humaine pas très bien. Où je Ian très très mal, et où c’est pas si grave. On a même pas vraiment mangé. J’aspire un peu de fumée grise. Sûrement qu’à l’entraînement je paierai le relâchement mais, honnêtement, les périodes de flottement font du bien aussi. Rien glander, jouer à la PS4, faire à bouffer des trucs cool pour quand Autumn rentre, mater toutes ces séries et tous ces films que j’ai pas le temps de voir, prendre le temps de voir quelques potes.

Ah.

Bref.

– Je suis déjà pas capable de m'occuper de moi-même.

Je roule à nouveau sur le ventre, virant sa tête de contre moi. Je détaille quelques secondes son visage avant de papillonner des yeux et me reculer un peu. Je sais qu’on peut déraper. Je crois que si à chaque fois qu’on se croisait, l’un de nous prenait l’initiative, ça pourrait déraper à chaque fois. Et je ne suis pas certain que ça soit sain.

Surtout si elle dit qu’elle est pas capable de s’occuper d’elle-même.
Cte blague.

— Oh come on !

J’enfouis la moitié de mon visage dans mes bras. Il fait un peu chaud, subitement, alors que j’avais si froid quelques minutes auparavant. Je laisse mes cheveux glisser devant mes yeux sans faire l'effort de les enlever.

— Tu gères tout de front et ça passe, alors que tu, tu tu te nourris de clopes et de pizzas et que tu dors autant à l’année que certaines personnes par nuit. Come on.

J’ai jamais autant chillé en faisant rien dans l’espoir de faire rien de toute ma vie. C’était pas trop possible à l’orphelinat, c’était pas rentable, c’était pas utile, c’était pas préparer notre futur et on nous disait que ça allait nous retomber dessus.
Et ça nous est retombé dessus d’une certaine manière, parce qu’on croyait qu’on allait avoir toute la vie pour apprendre et c’était pas très vrai. Pas comme si on apprenait pas toute notre vie, plutôt comme si on avait pas compris qu’il faut s’accrocher ffffort dans notre monde pour pas déraper. Et je ne parle pas de retenir les choses qu’on veut ou les gens qu’on aime ; à trop les serrer on pourrait les broyer. J’parle de nous. Si on s’accroche pas fort on est balayés de la surface. D’un coup net, là, pouf, plus là.
Balayés.

Alors je serre les doigts, et je me retrouve ici.
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MessageSujet: Re: Just an other long, very long night   Just an other long, very long night EmptyJeu 5 Nov 2020 - 0:19

Ian roula sur le ventre et la tête de Carla retomba dans le vide. Dans un grognement, elle tira sur ses abdos pour se redresser un peu et ne pas s’écrouler totalement sur le canapé. Elle se recala ensuite, un coude enfoncée dans les coussins et sa main contre sa joue pour l’empêchée de tomber de son cou. Sa tête lui parut soudainement tellement lourde…

– Oh come on !

Elle jeta un coup d’oeil à la chose qui avait presque entièrement disparue dans son canapé et qui, pourtant, semblait toujours capable de parler. Ses cheveux étaient tombés devant ses yeux et elle le trouva, ainsi, particulièrement séduisant. Simple, mais particulièrement séduisant. D’un autre côté, c’était biaisé, Carla avait toujours trouvé Ian très séduisant. C’était d’ailleurs un peu tout le problème de leur relation.

– Tu gères tout de front et ça passe, alors que tu, tu tu te nourris de clopes et de pizzas et que tu dors autant à l’année que certaines personnes par nuit. Come on.

Ah bah oui, c’était une héroïne, à tous les coups. Elle allait en cours et au travail, survivait grâce au café qu’elle rêvait parfois de pouvoir s’injecter directement dans les veines dans l’espoir que l’effet soit plus fulgurant. Comme environ… la moitié des étudiants qu’elle connaissait et qui galéraient tout autant à gérer leurs études et l’argent pour financer tout ça. Et en plus eux, en général, ils avaient encore leur vie sentimentale qui partait dans tous les sens, faite de coup d’un soir, de drame s’étalant sur des mois, d’amourette de jeunesse. Alors que elle avait quoi ? Un copain qui l’accueillait chaque soir dans ses bras et, de temps en temps, un ancien amant qui passait à la maison et elle devait alors se retenir de ne pas lui sauter dessus ?
On faisait pire dans la vie.
Comme par exemple absolument tous ses amis d’enfance. Qui passaient leur temps à risquer leur vie, courir après des sorciers noirs, tuer des gens. Tuer des gens. Bonjour la charge mentale de tout ça. C’est pour cela qu’elle ne disait rien quand Louis laissait traîner ses chaussettes ou oubliait de faire la vaisselle. Son esprit devait être occupé par tout autre chose…

– Ah c’est sûr. Alors que toi tu passes ta vie à dormir et à chiller. Il y a qu’à voir tes muscles pour s’en douter. Scandaleux d’ailleurs, d’avoir un corps aussi parfait en n’en foutant pas une.

Et, pour faire bonne figure et parce que la drogue commençait doucement à envahir son cerveau, elle laissa glisser son regard sur le corps de son ami. Ainsi couché, elle ne pouvait qu’imaginer ses abdos, mais elle pouvait en revanche observer à loisir ses épaules développées et la fermeté de ses fesses.
Pas si étonnant qu’elle ait craquée au Canada finalement.
Et comment ne pas craquer maintenant ?
Elle se força à arrêter de regarder et se redresse pour s’asseoir, un peu plus loin sur le canapé, s’étirant pour la forme puis attrapant une nouvelle part de pizza dans laquelle elle croqua à peine afin de justifier son geste.
Pourquoi sa tête finissait-elle toujours pas déraper lorsque Ian était à ses côtés ?
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MessageSujet: Re: Just an other long, very long night   Just an other long, very long night EmptyJeu 5 Nov 2020 - 13:02

Je sais bien qu’elle rumine ses idées noires. Mon don d’empathe surfe sous sa peau, se glisse jusqu’à ses émotions logées comme de vieux bleus. Sait-elle que les empathes vraiment avancés savent reconnaître des traumas de part des tâches laissées sur le corps ? Qu’ils peuvent aider à faire partir ? Comme une émotion coincée qu’on referait circuler pour pouvoir l’éliminer, petit à petit. Je suis sûre qu’elle en serait constellée, véritable voie lactée en sourdine qui pomperait sur son énergie tous les jours.

J’aimerais parfois que Louis il s’y attarde, qu’il lui demande de raconter, qu’il détourne ses cercles de défense pour savoir, lui aussi. Je sais qu’il ne sait pas. Leur histoire ne m’appartient pas, de toute façon, et je m’efforce à me remettre à ma place. Ian, pas Louis. Louis, pas Ian.
Enfin.

– Ah c’est sûr. Alors que toi tu passes ta vie à dormir et à chiller. Il y a qu’à voir tes muscles pour s’en douter. Scandaleux d’ailleurs, d’avoir un corps aussi parfait en n’en foutant pas une.

Je sais très bien à quel jeu elle est en train de jouer en flirtant avec la surface, les paumes posées sur le verre qui maintient la frontière. Un corps aussi parfait ! C’est drôle parce que, par chez nous, les sorciers de terrain se ressemblent absolument tous. Souples, toniques, secs, musclés. Le même entraînement, les mêmes routines imposées pour faire filer les émotions des cerveaux embrouillés. Sur cent soldats, cent fois les mêmes réflexes, les mêmes arts martiaux.

Mais pas les mêmes cicatrices, pas les mêmes compensations, pas les mêmes douleurs qui vous réveillent la nuit. Je me sais désaxé, mon deuxième mentor me le disait toujours, arrête de compenser cette épaule défectueuse Ian. Travaille-la au lieu d’essayer de trouver d’autres moyens. Force toi à t’aligner du haut. Travaille, bon sang !
Mon corps n’est pas parfait, mais par rapport aux corps qu’elle côtoie, sûrement que je ne ressemble pas aux sédentaires humains, démusclés, patauds, coincés. Certes. Mais je sais que Louis est gaulé à quelque chose prêt comme moi.

J’aimerais tellement que mon cerveau la mette en veilleuse, cinq secondes, que ça ne soit pas à propos de ce que je n’ai pas, qu’il la ferme sur Louis, qu’il m’aide à le reconsidérer comme un pote, qu’on brise les chiens de faïence sur la cheminée qui se défient pour la fille.

La, fille.

Et qu’elle fille !

Le sang lourd de la drogue, je rentre volontiers dans son jeu, les paumes pressées contre le même verre que le sien. Je fais sauter le t-shirt, les yeux brillants. Elle m'a vu grandir, elle connait ce tatouage débile qu'on a fait ensemble, elle sait la démarcation plus claire à partir de mon caleçon, elle sait que rien n'est sérieux quand on y fait bien attention.

— Quoi, ce corps-ci ?

Je passe un pouce paresseux sur ma clavicule gauche, jouant le jeu, regarde ailleurs, une moue sur le visage, contracte mes abdos, passe mes doigts sur mes lèvres. La chair de poule d'être subitement exposé me soulève l'échine. L’heure s’est étirée et la fatigue s’est glissée autour de mes os. Je lui tends la main.

— Allez viens, on va dormir.

Je ne doute pas une seconde de ne pas atterrir sur le canapé, hors de question, hors de question, la chaleur de sa peau et son odeur du matin, le soleil qui se lève et qu’il faut réussir à attraper. Je sais que je lui en demande sûrement trop, que je ne devrais sûrement pas prendre à chaque fois ce qui lui demande autant. Mais j’en suis incapable, et essayant de rester loyal mais fidèle, je lui propose juste d’aller dormir,
dans ces draps,
qui ne
m’appartiennent pas,
comme cette fille
que j’entraîne du bout des doigts.
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Humaine Innocente
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MessageSujet: Re: Just an other long, very long night   Just an other long, very long night EmptyJeu 5 Nov 2020 - 17:00

Provocation quand tu nous tiens…

C'était jouer avec le feu. Prendre un briquet, mettre ses doigts dans les flammes et attendre que ça brûle. Car ça allait forcément brûler. D'une chaleur rougeoyante qui allait laisser ses traces, bouffer la peau avant de se retirer sur une cicatrice purulente, une de plus qu'il faudrait dissimuler aux regards, entourer de bandages, faire comme si de rien n'était, comme si la culpabilité laissée là n'avait jamais existé.
Ian ôta son T-shirt d'un geste souple, dévoilant ses muscles et ses cicatrices. Elle suivit des yeux le jeu de la peau sur les abdo, les biceps, son cerveau de vétérinaire accordant automatiquement un nom aux différentes parties de son corps. Elle imagina le bout de ses doigts venir tracer des dessins sur la nudité de ce torse, l'électricité née de ce simple contact.

– Quoi, ce corps-ci ?

Il en faisait trop, contractait son corps, les yeux dans le vague, le pouce qui passait délicatement sur ses lèvres. Carla sentit une chaleur exalter dans son corps, partant du creux de son ventre et descendant entre ses cuisses, une humidité naissante qu'elle ne parvenait pas vraiment à contrôler.
Et, plus fort que tout, que la perfection du corps devant elle, que les traits fin de Ian, l'interdit renforçait le désir. Louis était loin, il ne rentrerait pas avant le lendemain soir, personne d'autre n'avait la clé et ne pouvait débarquer. Qu'est-ce qui l'empêchait de tendre la main vers ce bout de tissu qui semblait tanguer sur les hanches du jeune homme ? Qui saurait pour la chair contre la chair brûlante, si ce n'est tout les deux ? Il l'avait déjà fait une fois après tout, la faute serait-elle vraiment doublée s'ils recommençaient ? Ou n'était-ce simplement pas la continuité de leurs êtres ?
Elle ne parvenait plus à réfléchir correctement, mais ne savait pas bien si c'était à cause de la bière, du joint ou du corps de Ian ainsi exposé.

– Allez viens, on va dormir.

Il tendit la main avec une certitude presque orgueilleuse. Il ne demanda pas s'il pouvait se rouler dans une couverture et squatter son canapé. Il ne parla pas de rentrer à l'hôtel. Il parla simplement de dormir et elle attrapa sa main, le suivant sans hésiter dans la chambre à coucher.
La chambre qu'elle partageait avec Louis.
Elle ôta son jeans, apparaissant simplement en culotte et en T-shirt devant l'homme devant elle. Puis, sans un mot, elle souleva les draps et glissa ses jambes maigres dans la chaleur rassurante du lit.
Le lit qu'elle partageait avec Louis.

L'image de son copain imprégnait tout. Elle le revoyait vibrer dans le noir, s'endormir dans ses bras, chercher son corps à tâtons aux premières lueurs du jour. Elle sentait son parfum qui flottait encore du matin-même, quand il en avait mis juste avant de se pencher pour l'embrasser sur le front. Et son pull qui traînait encore dans un coin, comme s'il allait débarquer en frissonnant.
Il était partout et pourtant elle désirait d'autres bras.

– Éteins la lumière, s'il te plaît.

Pour faire partir le fantôme et oublier les souvenirs qui hantaient chaque recoin de la pièce. Mais même dans le noir, les images ne disparurent pas.
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Ian Coley
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MessageSujet: Re: Just an other long, very long night   Just an other long, very long night EmptyJeu 5 Nov 2020 - 22:32

Elle ne me rejette pas. Ses vêtements tombent les uns après les autres ; je l’ai déjà vue nue.
Je l’ai déjà vue nue et on ne peut pas dire que ça se soit hyper bien terminé. Les souvenirs sont là, brûlants.

Je les chasse.
Ils n’ont plus leur place ici.

Elle se glisse dans les draps rapidement, s’immerge dans l’immense lit. C’est comme si elle disparaissait dans sa vie habituelle. Même lit, même vie, pas même gars qui la prend dans ses bras. Est-ce que Louis saura que j’ai été là ? Est-ce qu’il sentira mon odeur, sur sa taie d’oreiller ?
Est-ce qu’elle changera les draps quand j’aurais quitté la pièce ?

Je fais tomber au sol mon pantalon et la rejoint alors qu’elle dit immédiatement : « Éteins la lumière, s'il te plaît. ». Je m’exécute sans broncher. Mon corps vient contre le sien, toujours chaud contre la frêle silhouette qui soulève à peine la couette. J’enroule mes bras contre elle, les sourcils froncés de tout ce qui pourrait se passer et qui ne se passera sûrement pas. Mais pour une fois, je me sens absolument honnête, loyal, profondément ancré dans mes baskets. Je suis moi, elle est elle. On n’aura sûrement jamais autre chose que ça, cette relation bien à nous qu’on a construit des années durant, qu’on a regardé s’étioler, qu’on a repris, cassé, réparé.

J’inspire doucement dans ses cheveux, les bras refermés autour d’elle. Comme si ça pouvait m’empêcher de la perdre, la perdre, la perdre, et la perdre encore. Je nous vois facilement vieux, un bédo à la main, en train de rigoler comme des vieilles pies sur un lit qui pue le vieux. Mais amants ? Amoureux ?
Je suis certain de l’aimer, mais est-ce que ça suffit ?

Et qu’est-ce qu’on vaut, réellement ?

Et qu’est-ce qu’on veut ?!

J’essaie de réfléchir à chaque partie de mon corps, doucement, relâcher les muscles comme on me l’a appris, laisser l’énergie rouler pour que les émotions sortent de mes articulations. Je souffle et murmure, priant pour que ça ne dérape pas — parce que j’en suis certain, je serais incapable de dire non à cette digue contre la solitude.

— S’il te plaît.

Je prie pour que la nuit nous avale tous les deux, anonymes, qu’elle lave nos désirs dans le noir, qu’elle mouche, glacée, nos pensées destructrices. Parce que c’est ça l’histoire de Carla et de Ian. Comment avoir des choses auxquelles ils tiennent, des choses qui s’incrustent à leur peau mais trouver le moyen de les perdre.
Non ?
J’aime Autumn et j’ai peur qu’elle me quitte ; je ne pourrais absolument pas me plaindre si elle finit par le faire. Je l’aurais cherché, mais pourquoi ? Pourquoi dois-je continuer à trouver des manières de déchirer ma propre vie ? Je gratte les coutures en essayant de trouver une issue.

Il n'empêche que Carla pourrait m'insuffler un peu de sérénité si mon don ne stridulait pas si aigu de ses envies à elle, ses doutes à elle, ses dissociations personnelles.
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Humaine Innocente
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MessageSujet: Re: Just an other long, very long night   Just an other long, very long night EmptyJeu 5 Nov 2020 - 23:09

La lumière s'éteignit et un corps chaud vint immédiatement se couleur contre elle, l'enveloppant de ses bras immenses. Un corps qui n'était pas celui de Louis. Elle sentait la peau dénudée respirer contre son dos. Un corps qui n'était pas celui de Louis. Sa tête tournait légèrement dans les draps à l'odeur d'autres bras. Un corps qui n'était pas celui de Louis.

Elle attrapa avec sa force d'humaine innocente le bras qui l'encerclait et serra aussi fort que possible. La mince frontière qui filtrait entre eux, barrière incontrôlable qu'elle n'apercevait même plus dans l'obscurité d'une chambre qui lui paraissait désormais étrangères alors qu'elle s'était réveillée tant de fois dedans.

– S'il te plaît.

Une larme perla dans le coin de son oeil et elle ne put plus les arrêter. Attirer par la tension si bruyante dans la nuit, l'eau naissait dans ses yeux en torrent. L'eau et la douleur d'un cœur qui essayait de comprendre et se déchirait. Elle dormait, quasiment nue, dans les bras de Ian. Ils ne s'était pas embrassé, il n'avait pas glissé son corps brûlant dans le sien, mais n'était-ce pas, au final, mille fois pire ? Elle aurait préféré une histoire de chair, un mauvais adultère, une baise rapide entre deux rayons de la bibliothèque universitaire. Un truc dont il aurait été facile de se débarrasser. Tout plutôt que cet amour qui naissait dans ses veines et qui envahissait chaque cellule, bien plus fortement qu'un désir.
Le désir, ça elle pouvait le maîtriser, le juguler. Serrer les cuisses bien fort et laisser passer.
Tout le reste, ça ne passerait pas comme ça. Les années avaient coulées depuis l'adolescence. Les aventures, les bêtises, les engagements avec Louis et Autumn. Mais ça revenait. Ça revenait à chaque fois et là, au creux d'un lit qui appartenait à un autre, elle trouvait cela tellement, tellement douloureux.

Douloureux aussi parce qu'elle n'aimait pas moins Louis pour autant. Ça aurait été si simple sinon. De s'avouer la vérité, de mettre un terme à son couple et de ne pas vivre dans un perpétuel mensonge. Aller de l'avant. Mais non, dans le brouillon de ses sentiments, elle voyait clairement ceux qui tendaient envers son copain. Si fort et si puissant. Et la présence de Ian dans son lit ne faisait que pousser cet amour un peu plus.
L'amour pour deux personnes différentes.
Sa gorge se serra alors qu'elle retenait un sanglot, continuant à pleurer silencieusement. Comme si Ian ne pouvait pas sentir les larmes à travers son corps. Des larmes qu'il avait probablement compris avant même qu'elles ne coulent. Sa main se crispa un peu plus fort autour du bras qui la maintenait dans ce lit, l'empêchant de s'enfoncer dans les cauchemars du croque-mitaine.

– Je suis désolée.

Elle ferma les yeux et s'endormit aussitôt, assommée par des sentiments qui n'allaient plus droits du tout.
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