« Puisque la haine ne cessera jamais avec la haine, la haine cessera avec l'amour » [VALIDE PAR DORIAN]

La plume crissait sur le papier comme des ongles griffant la chaire fraîche. L'encre rouge s'étalait, parfois même bavait sans même qu'Anja s'y attarde, trop occupée à jeter tout ce que son esprit contenait sur le papier.
Elle ne s'attendait pas à ça.
Pas ainsi.

Ma chère Elaïa,

Si je t'écris aujourd'hui, ce n'est pas en rapport avec Rosenrot. Un peu, indirectement, mais ce n'est pas ça le sujet principal de ma lettre. C'est ton père, Green...
J'ai longtemps hésité avant d'écrire cette lettre. Peut-être que ce n'est pas approprié, peut-être qu'une mère ne devrait pas partager cela avec sa fille. Mais nous n'avons jamais vécu ensemble et j'estime que tu as le droit de connaître ce qui nous lie avec ton père. Par mes mots, puisque tu ne peux pas le vivre à nos côtés.
Ton grand-père, Allen Soul, est particulièrement réputé dans Rosenrot. C'est un homme puissant, autant dans la hiérarchie qu'avec ses pouvoirs. Sa place de septième fils lui a permis de décupler sa magie bien plus que les autres membres de sa famille. En outre il est infiniment riche, richesse qui permet entre autre d'alimenter Rosenrot. Ce n'est donc pas un homme à négliger pour la femme que je suis.
Ainsi, lorsque j'ai reçu son invitation à dîner, je n'ai pu la refuser. Bien que je me doutais que cela cachait certainement autre chose, j'ai accepté et c'est ainsi que je me suis retrouvée dans leur demeure italienne, parée d'une robe noire brillante avec un grand décolleté dans le dos. Ma coiffeuse-maquilleuse personnelle avait dû utiliser une bonne dose de poudre multicolore, de laque et de magie sur moi, mais le rendu était, je le reconnais, renversant. Moi-même dans la glace je ne m'étais pas reconnue.
Je désirais qu'Allen me trouve désirable. Femme. Qu'il oublie mon âge et que ses yeux se perdent dans mon décolleté. Vois-tu Elaïa, je connais la faiblesse des hommes et rien ne me prive de l'utiliser. J'ignorais pourquoi j'étais invitée, mais je préférais avoir une carte dans ma manche au cas où.
Je savais qu'Aria, sa femme serait également présente. Je pensais également que Bleuann, leur fille cadette vivant encore avec ses parents serait également de la partie. La pauvre... détestée par ses parents pour son statut de femme alors qu'elle elle se démène pour leur faire plaisir. Cela m'arrange pourtant bien puisque son travail est par conséquent toujours nickel. Cependant parfois j'aurais envie de la secouer et de lui dire d'être fière de son sexe.
Les femmes sont supérieures aux hommes après tout.
En dehors d'Allen, Aria et Bleuann, je ne pensais pas apercevoir un autre membre de la famille Soul. Les six fils n'avaient que peu d'affection pour leurs parents et ils avaient fuit le cocon familial depuis bien longtemps. Mais s'il y en avait bien un que je ne m'attendais pas à voir ce soir-là, c'était Green.

Tu sais ma fille, j'ai des dossiers sur tous les soldats de Rosenrot. Ainsi que sur d'autres individus. Dorian Cross par exemple. Ou certains de nos puissants ennemis à Orpheo. La connaissance c'est le pouvoir.
J'ai beaucoup consulté le dossier de ton père. À la recherche de la moindre faille à utiliser contre lui. Au cas où... Et les failles débordaient dans ce dossier. Une faille en particulier portant le nom désagréable de Chloé.
Une amie humaine de ton père. Comment un sorcier Soul a-t-il pu s'enticher ainsi d'un être si méprisable ? Je n'en sais rien. Toujours est-il qu'un jour il a fugué du domaine familial pour s'enfuir avec cette humaine.
Fuite bien vite étouffée dans l'oeuf par Allen Soul qui a froidement fait assassiner Chloé.
Green ne sait pas que c'est son père le coupable. Il s'en doute peut être, mais je crois que ses soupçons sont surtout dirigés envers Rosenrot et le chef qui m'a précédé. Toujours est-il que le chef de famille Soul a fait ce qu'il fallait pour que son fils rentre dans le rang.
Ça a marché, même si je crois que Green n'a plus jamais été le même d'après les informations auxquelles j'ai eu accès.
Toujours est-il que Green ne supporte pas ses parents. Je crois également qu'il est en froid avec le reste de sa famille. Mais ses parents c'est le pire.
Aussi n'avais-je pas peur de le croiser ce soir-là.
Quelle terrible erreur.

Lorsque mon chauffeur privé m'a déposé devant l'immense baraque des Soul et que j'ai sonné à la porte un esclave est immédiatement venu m'ouvrir, afin de m'amener dans le salon principal où était assis ses maîtres.
Et mes yeux ont irrémédiablement été attiré par le physique parfait de ton père.
Que faisait-il là ? Comment se faisait-il que Green soit présent à cette soirée avec des êtres qu'il détestait autant ? Avait-il insisté pour me voir ? A la suite de notre dernière entrevue, cela m'aurait beaucoup étonnée.
Essayant de ne pas montrer que j'étais déstabilisée, j'ai dégluti difficilement en escomptant que ma tenue renversante ferait diversion et qu'aucun des Soul présent ne s'apercevrait de mon trouble. Puis, presque à regret je l'avoue, j'ai détourné mes yeux afin de rencontrer le regard froid de Allen Soul. Il était assis à côté de sa femme qui me souriait avec la bouche mais pas avec les yeux. Aucun autre enfant Soul n'était présent.
Je me suis mordu la langue pour ne pas crier, ayant la vague impression d'être tombée dans un piège. Ce qui était ridicule ; Allen Soul ne connaissait pas les liens qui nous unissent mon père et moi et encore moins ton existence.
Je me suis confortée en me disant que la présence de Green n'était qu'un hasard.

Pendant le repas je n'aurais qu'à me concentrer sur mon assiette et tes grand-parents et superbement ignoré ton père. Puis après cela Allen me conduirait sans doute dans son bureau, m'offrirait un cigare et m'avouerait les véritables raisons de ma venue ici. Un problème financier ou de pouvoir, je m'en fichais un peu. J'étais bien décidée à l'expédier aussi sec, tourner les talons et m'enfuir le plus loin possible de Green Soul.
Si seulement ça avait pu être aussi simple que ça...

[...]

La crispation lui fait appuyer un peu trop fort sur la plume qui, aussitôt bave et lâche son encre rouge sur la feuille, tachant irrémédiablement les mots et les phrases. Agacée Anja ignore la tache et balance la coupable à travers la pièce avant de saisir dans le bureau une autre plume.
Toute aussi rouge.
Et qui bavera certainement tout autant étant donné la nervosité de celle qui la tient.

On avait refusé de lui expliquer. Cela faisait un moment qu'on ne lui expliquait plus rien de toute façon. Quoi qu'ils disent, il discutait toujours tout, c'était insupportable. Maintenant, on lui ordonnait. C'était tout aussi insupportable parce qu'il discutait quand même ces ordres, mais au moins le temps n'était pas gaspillé.
Le temps, était après tout, plus précieux que leur enfant.

- Tu viens, c'est tout.

Il était partagé. A vrai dire, il avait tout fait pour savoir pourquoi, mais n'avait pas vraiment protesté. Son père n'avait pas vu la différence et lui avait collé une gifle. Enfin, une gifle.
Son père l'avait jeté au sol par un coup au visage, une demi heure avant que la jeune femme n'arrive. Green n'avait rien dit, s'était relevé et avait continué de demander pourquoi il devait être présent.
Son père avait tourné les talons et avait abandonné.

- Grandis.

Et maintenant il est là, à attendre qu'elle arrive. Il est incroyablement stressé de la recevoir ainsi, infantilisé au côté de ses deux parents. Il est seul et il se sent mal. Il aurait voulu Cyan, Silver, Olive. Au moins pour parler fort, rester froid et distant.
Et puis Bleu, surtout. Bleu, avant tout. Mais Bleu n'est pas là. Il est seul et il ne sait pas pourquoi. L'enclume dans son estomac se fait plus lourde, plus pressante.

Elle entre dans la pièce.
Son père l'accueille, bien entendu alors que Green reste en retrait, à sa place. La place du chien.

Il ne la reconnaît pas vraiment. Elle est splendide, tellement différente de d'habitude. Elle est parfaitement habillée, une longe robe noir avec ses cheveux blonds qui tranchent sur le vêtement... Mais il ne peut s'empêcher d'avoir un sourire en coin. Elle s'est sapée pour l'occasion, pour son père. Elle a osé faire ça devant Aria, d'ailleurs.
Intéressant.
Mais il ne peut pas s'empêcher de penser ce à quoi elle ressemble vraiment, les cheveux lâchés, pas maquillée et en tenue simple. Comme la dernière fois qu'il la vue. Il a un pincement au cœur en se disant que lui il sait à quoi elle ressemble pour de vrai, derrière sa carapace, derrière la Anja des grands jours mais qu'il ne saura jamais à quoi elle ressemble à l'intérieur, les mauvais jours ou les lundis.

Il aimerait bien.

Ca lui est interdit.

Allen lui glisse quelques mots à l'oreille, peut être quelque chose de flatteur, il ne sait pas. Il s'en fiche. Son père a lourdement insisté pour qu'il ne s'habille pas en simple t-shirt. Il avait levé le bras avant de se raisonner. "Le but n'est pas de te défigurer. Arrête de me défier, tu n'es plus un enfant. "
Et l'enfant, justement, était parti mettre une chemise. S'était fait reprendre.
Etait désormais en costume.

- Je nous vous présente pas Green..

Ce dernier manque de s'étouffer.
Il a envie de brûler sur père sur place, claquer sa crise et le broyer contre un mur. Il sait aussi que l'aîné de la famille c'est bien Red et qu'il est hors de question que ce frère là prenne les rênes. Il n'aime pas les autres non plus, mais il préfèrerait Silver, quitte à choisir, qui avait partagé un peu la même trajectoire.

Ils se posent dans le petit salon. Les parents sont sur un des canapé de cuir bleu, Anja sur l'autre, Green va pour s'asseoir sur le fauteuil, éloigné de tout mais un regard appuyé le fait s'asseoir sur le même canapé qu'Anja. Il se cale le plus loin possible d'elle, soumis, rageur.
Un jour il ferait sauter sa tête, il le savait.

- Vous buvez quelque chose ?

Green évite consciemment Anja. Peut être que son père pense que c'est de la lâcheté, peut être que son père veut racheter son fils pour la mission ratée. Peut être qu'il est au courant, après tout. Ou peut être pas. Impossible de savoir, green n'a rien dire. Il est rentré muet, en colère, absent. Incapable de faire fi de ce qu'il ressentait, de ce qu'il voulait.
Il n'aurait pas Anja, il n'avait plus Chloé, il ne verra jamais Elaïa.
Il ne voulait pas de cette vie là.

Il sentait pourtant tout le corps de la jeune femme à côté de lui et ce qu'il essayait d'éviter - sa vue - son imagination ne cessait de le lui rappeler. Il avait été tenté de faire l'enfant et d'aller la visiter en rêve, lui faire l'amour en rêve mais à demi mot, juste avec quelques flashs de sa personne. Elle n'aurait jamais pu savoir que c'était lui et il l'aurait rendu folle.
Mais ils n'avaient pas besoin de ça pour se désirer.
Et puis Green n'avait définitivement pas envie de tomber plus bas.
Déjà qu'il rampait..

Anja fut forcée d'arrêter d'écrire un instant.
Ces épaules s'agitaient sous l'effet de soubresauts presque incontrôlés. Si quelqu'un était arrivé à cet instant et l'avait vu de dos, il aurait sans doute pensé voir l'insaisissable. Anja von Duisbourg, la chef de Rosenrot, la froideur incarnée, en train de sangloter.
Mais elle ne pleurait pas du tout.
Loin de là.
C'était un rire malsain et nerveux qui la secouait ainsi. Elle ne s'autorisait ce comportement que dans l'ombre protectrice de la pièce dans laquelle elle se trouvait. Des sons presque gutturaux s'échappaient de sa gorge.
La situation était complètement ridicule.
Avalant un peu d'eau pour se calmer, la jeune femme recoula le masque froid qui composait son visage et pu enfin continuer à écrire.

[...]

Absolument rien n'allait se passer comme je l'imaginais...

Allen Soul s'est levé avec une souplesse étonnante pour son âge. Tel un félin, il s'est approché de moi, son regard froid mais néanmoins charismatique attrapant le mien dans sa toile. Tout en lui me faisait penser à un fauve. Sauvage et extrêmement dangereux. Beau et magistral.
Sa démarche semblait glisser sur le parquet en chêne lourd et le sourire qui se dessinait sur ses lèvres semblait carnivore, prêt à me dévorer à la moindre erreur. Il n'y a pas à dire Elaïa, ton grand-père est un homme impressionnant. Après tout, même avec la fortune magistrale dont il a hérité de sa famille, on ne maintient pas autant d'argent et on ne s'élève pas aussi haut dans la hiérarchie de Rosenrot sans intelligence et stratégie.
Allen possède ces deux qualités à outrance.
Ignorant sa femme et son fils, il s'est penché à mon oreille, me murmurant quelques mots d''accueil charmeur et blagueur. Cependant, si les mots y étaient, le ton lui restait froid, maîtrisé. Un sourire aimable a reçu ses compliments et ses mots de bienvenue, alors que je fixais Aria Soul, ta grand-mère, dont le regard restait toujours aussi vide et lointain.
Une personne intéressante que ta grand-mère... Je ne crois pas qu'elle ait jamais éprouvé autre chose qu'une simple admiration pour son mari. Leur mariage fut un mariage de pouvoir entre deux grandes familles de Rosenrot bien plus qu'un mariage d'amour. Si ton grand-père a eu des amantes ? Honnêtement je n'en sais rien. Peut-être. Ou peut-être que non, trop occupé à gravir les marches du pouvoir et à maintenir d'une main de fer sa famille désunie. Toujours est-il qu'Aria ne semblait pas se préoccuper de l'air charmeur d'Allen, ni même de ma tenue provocatrice. Pour être tout à fait honnête avec toi Elaïa, et sans vouloir te choquer, mais ne désirant rien t'épargner, je dirais presque qu'elle serait satisfaite de me voir coucher avec son mari. Histoire d'avoir une emprise sur moi.
La chef de Rosenrot un peu trop libre et solitaire au goût de certaines familles puissantes telle que les Soul. Une relation avec ton grand-père serait pour eux un moyen de pression sur moi afin de s'assurer que je suis leurs idées plutôt que les miennes. Comme de mettre fin à l'alliance avec Croix... Car crois moi bien qu'ils ont suivi cette idée là avec une certaine répugnance et à reculons.

- Je nous vous présente pas Green..

Mon regard se doit de suivre le bras d'Allen et je ne peux qu'affronter une fois de plus l'image de ton père. Un rictus déforme rapidement ma bouche avant de disparaître tout aussi vite. Ton père avait l'air d'un pingouin. Engoncé dans un costume et étranglé par un noeud papillon aussi noir que la profondeur de l'âme de ses parents qui ne lui allait pas du tout. L'image de Green presque nu, sa virilité dressée devant moi et une blessure déchirant mon torse a décidé de choisir précisément ce moment là pour surgir dans mon esprit et effacer l'aspect risible de ton père déguisé en pingouin.
Une chose est sûre Elaïa. Tu n'as pas de mauvais gène en matière de beauté.
Repoussant cette image de mon esprit, je me suis contentée d'un simple hochement de tête envers le plus jeune des fils Soul. Un geste simple que ne pouvait pas se prêter à une mauvaise interprétation. Surtout, ne rien laisser paraître. Ne pas en faire trop, ni pas assez.

Allen n'a pas mentionné la présence de sa femme et nous a amené à sa suite dans un plus petit salon dans les tons bleus et gris. Tes grands-parents se sont assis sur un canapé, j'en ai choisi un autre espérant que Green ne me suive pas. Espoir déchu dans l'oeuf sur un geste sévère de son père. Green s'est donc assis à côté de moi, tentant dans un même temps de mettre le plus de distance entre nous deux.
Au moins semblions nous d'accord sur un point. Le fait que ni l'un ni l'autre n'avait envie d'être en présence de l'autre ce soir-là.

- Vous buvez quelque chose ?

Mettant un point d'honneur à ignorer Green, je me suis tournée vers le patriarche Soul afin de lui répondre :

- Un bloody mary.

Sans nul doute l'une des boissons les plus appréciées par les sorciers noirs. Est-ce à cause du goût fortement épicé ou simplement le cliché du liquide lourd et rouge comme du sang ? Je l'ignore. Toujours est-il que je sais que demander ce genre de boisson est toujours bien vu dans une famille de sorciers noirs aussi extrémiste que le sont les Soul. Et puis j'aime bien le goût également.
En attendant que l'esclave chargé d'apporter les boissons reviennent, je me suis tournée vers Green. Celui-ci évitait consciencieusement mon regard, soudainement passionné par la peau de bête qui recouvrait le sol. Mais une nouvelle fois mon imagination s'est jouée de moi, imaginant les vêtements déchirés, la chemise ouverte révélant le torse musclé et les cicatrices blanchâtres. Sentir le corps de ton père aussi proche du mien, un corps que j'ai désiré alors même que je hais les hommes au plus haut point fut comme une gifle mentale. Je ne pouvais me laisser distraire ainsi. Je n'étais pas là pour ça et je connaissais assez Allen et Aria Soul pour savoir qu'avec eux j'aurai besoin de toutes mes ressources diplomatiques pour ne pas me faire piéger.
Il fallait que je détourne les yeux.
Je n'y suis parvenu qu'au prix d'un douloureux effort.

J'ai forcé mon corps a ignoré la présence de ton père à côté de moi alors même que la chaleur qui émanait de lui semblait se tracer un chemin jusqu'à moi. Mais je ne devais pas me laisser avoir. Il fallait que je dresse l'une de ces éternelles murailles dans mon cerveau pour isoler mes sentiments du reste.
Cela fait bien 25 ans que je le fais ? Pourquoi n'arriverais-je pas à me comporter ainsi aujourd'hui ?
J'ai focalisé mon regard dans celui bleu-gris du chef de famille Soul avant de prendre des nouvelles de sa famille. L'air de rien.

- Comment vont vos autres enfants ?

Etonnamment, ce fut la voix chaude et ensorceleuse d'Aria qui m'a répondu :

- Red et Bianco sont sont en mission importante pour Rosenrot ce que, sans doute, vous n'ignorez pas. Nous sommes fiers d'eux. Cyan et Olive sont partis en Chine afin d'améliorer leurs capacité en art martiaux. Et Silver rempli diverses petites missions pour Rosenrot et pour nous.

Elle avait délibérément oublié de mentionner sa fille. Bien. Au moins les choses étaient claires. Bleuann n'existait pas aux yeux de ses parents, comme je m'en doutais déjà. Mais après tout Allen et Aria pouvait être surprenant. Comme le prouvait la présence de Green.
J'ai hoché la tête avant d'enchaîner sur des banalités. Les apéritifs sont finalement arrivés et la conversation est restée très superficielle alors même que nous savions tous qu'il y avait un enjeu bien plus profond qui se révélerait au fil de la soirée...
J'attendais ce plat de résistance avec impatience, m'interrogeant sur ce qui m'avait valu cette convocation de la part des Soul.
Et je n'allais pas être déçue.

[...]

Les éclats de rire s'était tari depuis longtemps. Ne restait plus que le grattement froid du bec de la plume sur le papier.

Il la regarde boire avec distance. Il essaie de ne pas la regarder mais son père lui fait des gros yeux par instants. Il ne comprend toujours pas ce qu'il fait là mais commence à se détacher du pourquoi du comment, doucement. De toute façon, quoi qu'il se passe demain serait pareil. Il avait vécu des milliers de soirées qu'il n'avait pas eu envie de vivre avant, celle-ci passerait aussi.
Tout passait toujours.

Elle trempe ses lèvres dans sa boisson sanglante. Il voit ce qu'il se passe du coin de l'œil, il voit les lèvres se teinter d'un peu de rouge, quelques secondes. Elle avale discrètement alors que lui fait tourner dans son verre les glaçons qui glissent et fondent dans l'alcool. Pas de whisky pour ne pas être violent, pas de vodka pour ne pas boire quelque chose de féminin selon papa. Gin, se sera.

Comment paraître naturel dans ces cas là ? Il semble à Green qu'il doit réfléchir à tout, qu'il doit plaire à ses parents et ne pas se griller auprès d'Anja mais qu'il doit rester distant, loin de toute complaisance, subir et se taire mais ne pas dire oui, ne pas dire que ça lui va, ne pas dire qu'il a envie d'être là.
Bien sûr que ce n'est pas le cas. Mais d'un autre côté, comment revoir Anja sans ça ? Comme lui dire "alors, est-ce que t'es aussi malheureuse que moi sans Elaïa ?"

- Comment vont vos autres enfants ?

Il plonge son nez dans le verre comme si les glaçons tournent d'une façon fabuleuse. Il sent le monstre dans sa gorge et dans son ventre se tordre, à quoi joue-t-elle ? Pourquoi fait-elle la discussion ? Pourquoi se plie-t-elle à ce jeu ?
Peut être qu'elle sait. Peut être qu'elle sait. La pensée résonne à ses oreilles, puissante, lourde, convaincante. Peut être qu'elle sait et que lui non, il est le pion, pour changer le pion que personne ne respecte, que personne ne prévient.
Il finit son verre.

- Red et Bianco sont sont en mission importante pour Rosenrot ce que, sans doute, vous n'ignorez pas. Nous sommes fiers d'eux. Cyan et Olive sont partis en Chine afin d'améliorer leurs capacité en art martiaux. Et Silver rempli diverses petites missions pour Rosenrot et pour nous.

Green sourit d'un coup, un peu plus grand avec de regarder sa mère, les yeux brillants, défiants, et se touche le menton ostensiblement, deux fois, comme ils faisaient avec Bleuann quand ils s'exprimaient à table et qu'ils ne voulaient pas avouer à voix haute.
Il sait qu'elle sait.
Elle baisse les yeux.
Une façon de dire tu l'oublies mais pas moi. Tu ne la mentionnes pas mais moi je la fais exister.

Un esclave arrive, sert les apéritifs. Green retient toujours sa respiration en se demandant à quel moment Myaw arrivera, à quel moment Red en aura marre de jouer avec elle et qu'il la lâchera pour laver le linge et faire de la bouffe.
Ce n'est pas elle.
Il souffle, passe une main dans ses cheveux, incapable de s'intéresser aux banalités. Il ne voit plus le regard de sa mère sur lui ou de son père, incapable de s'intégrer à ce milieu alors qu'il n'est pas lui même, affublé de cette horrible costume.
Être lui même n'a, de toute façon, jamais pu satisfaire ses parents.

Bref, Allen ressert Anja sans lui demander avant de resservir son fils. Green hausse un sourcil. A quoi joue-t-il ? Il est commun chez les sorciers d'avoir des gens qui boivent à cause de leur résistance aux maladies et aux cancers mais tout de même. Ils sont tous globalement à jeun, pourquoi voir les faire boire de cette façon ? Pour détendre tout le monde ? Pour obliger Anja à baisser sa garder ? Noyer la colère de son fils ? Faire oublier l'absence de sa fille ? Aria ne dit rien non plus mais il ne la ressert pas. Lui même à mis longtemps à finir son verre et, ce dernier n'étant pas vide, il ne rajoute pas de l'alcool.
Légèrement suspect. Peut être que ce n'est rien, peut être que c'est tout.

- Passons donc à table ! lance-t-il finalement.

Green a envie de disparaître mais se lève prestement. Malgré ses protestations intérieures, l'alcool a inhibé son côté revêche. Il a l'impression qu'il n'a pas le choix, autant voir avec curiosité la suite.
Ils changent donc de pièce et se retrouvent face à une salle qui est déjà dressée, la nourriture déjà posée sur la table. Cinq chaises. Une vide, celle du bout. Allen et Aria se mettent d'un côté alors que l'homme dit en engageant sa main et son corps dans son geste.

- Je vous laisse prendre place.

Bien sûr, Green aux côtés d'Anja.
Green qui lutte pour que ses joues ne s'empourprent pas. Il est trop proche d'elle, il sent son odeur et ressent presque douloureusement tous ses gestes. Elle est splendide dans sa robe, il voit trop de peau, trop de chair. Et pourtant elle est retranchée derrière ses barrières, si différentes.
Peut être qu'il regrette de la voir, si c'est pour ne voir d'elle que cette muraille infranchissable.

- Vous n'êtes pas sans savoir que Green, étant mon plus jeune enfant, est l'héritier de la famille. Il représente beaucoup pour nous.

Mon plus jeune enfant. Le mien, juste à moi. Pas de notre ici. Pas de Bleuann non plus. Quelle surprise.
Green a envie de ricaner de nervosité. C'est quoi ce délire ? A quoi joue Allen ? Il entame doucement du bout de la fourchette son entrée, alors qu'il voit qu'Allen ne lâchera pas tout comme ça, il connaît son père et sait qu'il changera de sujet à la moindre occasion afin de disséminer petit à petit son avis pour avoir ce qu'il souhaite. Peut être que parler de Green n'est qu'une distraction pour mieux glisser sur un autre sujet.
Peut être que Green est le centre du sujet.
Qui sait?

Une première page, recto-verso s’achève et Anja saisit un autre papier. Elle songe, l’espace d’un instant, que mis bout à bout, toutes les lettres qu’elle écrit à sa fille pourraient faire un roman.
Un roman qui, s’il tombait entre de mauvaises mains aurait l’effet d’une bombe.

[...]

Ah, l’alcool et les sorciers... Je pense que ça pourrait être le titre d’un roman pour le monde magique ou une thèse pour un doctorat. Il y a des pages et des pages à écrire sur ce qui lie les sorciers et l’alcool. Pour ça, nous semblons étrangement humain. Nous aimons nous y baigner, oublier. Nous sommes plus résistants que les innocents et, par conséquent, nous ne risquons pas de cancer du foie et autre maladie.
Ça n’empêche pas l’alcoolisme.
Il n’y a qu’à voir ton oncle. Enfin... ton demi-oncle. Jack Weiss. Un homme exécrable que, j’espère, tu ne rencontreras jamais. Lui ne se baigne pas, mais se noie. Et il est d’une telle bêtise et d’une telle vulgarité... il fait honte à notre espèce. Heureusement pour moi, il n’est pas à Rosenrot, mais à Croix. Et bien que son statut de sorcier soit établi, je sais de source sûre que du sang impur traîne dans ses veines.
Ne t’approche pas de lui. Il n’est pas digne de confiance.

Pour en revenir à l’alcool, je trouvais mon cocktail étrangement chargé. Le goût de la vodka cachait presque ceux du tabasco et de la tomate qui ne sont pourtant pas des goûts délicat. Et, sitôt mon verre terminé, Allen s’est empressé de le remplir à nouveau, ainsi que celui de Green.
De plus en plus étrange cette soirée.
Prudente, j’ai reposé mon verre et je me suis décidée à ne pas tomber dans le piège de l’alcool. Je te déconseille de laisser ton esprit s’emporter trop loin à cause de ce genre de substance ma fille. Un verre c’est maîtrisable. Plus c’est dangereux. Il ne faut en aucun cas perdre le contrôle sur la situation.
La conversation a commencé à se tarir, les banalités sur la météo et les dernières nouvelles de l’organisation ne pouvant combler le malaise qui régnait entre Green et moi. Aussi, ton grand-père s’est levé d’un coup avant de proposer de passer à table.
D’imposer serait plus exacte.
Nous sommes donc passé dans la salle à manger où une large table en bois massif trônait sous un lustre de cristal. L’argenterie brillait à côté des assiettes en porcelaine fine. Les Soul avaient mis les petits plats dans les grands et pas seulement métaphoriquement parlant. Bien que j’ai toujours été extrêmement bien reçue par les riches familles de sorciers noirs soutenant Rosenrot, ça n’a jamais été aussi loin. Même au sein de leur propre maison.
Je me suis vaguement fait la réflexion que ce qu’ils devaient me dire avait le goût d’une faveur.
Ce qui expliquait l’alcool, l’argenterie et les habits classes. Pas la présence de Green.
Rapidement Allen et Aria se sont mis d’un côté de la table, nous obligeant Green et moi à prendre les places en face d’eux. J’ai vaguement remarqué que ton père n’avait pas fait la moindre réflexion depuis que j’étais là, suivant les ordres d’Allen à la lettre et ne tentant pas de protester. Avait-il peur du chef de famille Soul ?
Toujours est-il que nous nous sommes assis, l’un à côté de l’autre, lui en face de sa mère et moi en face d’Allen. De loin on aurait pu croire à une première rencontre entre la petite amie du fils et les parents.
De très loin, dans le noir et en étant myope.

- Je vous laisse prendre place.

Une odeur de muscat frais mêlée à l’alcool se dégageait de ton père. Bien différent de son odeur lors de notre dernière mission, celle qui avait mal tournée... À ce moment là il sentait la sueur, la forêt et le sang.
Je crois bien que les deux odeurs me font tourner la tête.
J’avoue que la présence de Green à côté de moi me perturbait. Je ne le reconnaîtrais devant personne d'autre, mais avec toi ma fille, je me dois d’être honnête. J’étais déconcentrée par les effluves qu’il dégageait, son charisme discret et le moindre de ces gestes.
Et cela m’agaçait au plus au point.
J’ai essayé de me reconcentrer sur Allen en face de moi, mais il ne m’a pas beaucoup aidé.

- Vous n'êtes pas sans savoir que Green, étant mon plus jeune enfant, est l'héritier de la famille. Il représente beaucoup pour nous.

J’ai glissé un coup d’œil vers Green qui semblait cacher ses émotions en entamant l’entrée. Foie gras et saumon. Les Soul avaient mis les moyens pour cette soirée là. L’esclave a choisi ce moment là pour verser du champagne dans le verre devant moi.
Foie gras. Saumon. Champagne. Cocktail de riche.
Il n’y avait pas de verre pour l’eau et la seule manière de se désaltérer était de continuer dans l’alcool. Mais j’ai fait le choix le plus raisonnable, celui de finir assoifée. J’ai donc superbement ignoré l’alcool devant moi avant de planter mes yeux dans ceux d’Allen.

- Et Bleuann ?

Une expression de dégoût qu’il n’a pas tenté de cacher est passée sur son visage.

- C’est une fille. Elle n’entre pas dans l’héritage.

Son ton était sec et dur. Presque vexé. Moi, j’ai dû retenir un faible sourire ; j’avais réussi à déstabiliser le grand Allen Soul.
Sa réponse ne m’avait cependant pas beaucoup plu. Moi qui hait les hommes et trouvent que les femmes leur sont supérieures, cela m’agaçait d’entendre ce genre de remarque. Mais je me suis tu. Je ne pouvais décemment pas contredire le donateur le plus important de Rosenrot.
La conversation s’est tarie alors que chacun se concentrait sur son assiette. Apparement, évoquer Bleuann était une tare dans cette famille. Il ne restait que le bruit de l’argenterie contre la vaisselle et le claquement discret des dents sur les verres en cristal.
Puis l’entrée s’est terminée, l’esclave s’est empressée de débarrasser la table avant de nous amener le plat principal.

[...]

Les mots sont des armes. Qui peuvent trop facilement se retourner contre leur possesseur.
C’est pour ça qu’Anja faisait attention à ses lettres. Elles les enfermaient dans un coffre fort et elle avait brûlé toutes celle pour sa mère.
Elle n’était pas n’importe qui après tout.

Green s'enfonce dans pensées. Doucement d'abord, il n'en a pas vraiment conscience, puis entièrement. Il s'immerge comme il faisait avant, quand il était petit, quand avoir des pouvoirs n'était pas vraiment dans ses pouvoirs ou ses priorités.
Il adorait ces moments où enfin il avait le droit de se glisser dans sa couette, se vautrer sous les draps et fermer les yeux pour penser à des milliards de choses. Ses pensées dérivaient, libres, à la frontière des rêves qu'il maîtrisait à merveille. Il adorait voler.
Ironique.
Et précurseur de ses pouvoirs.

Il n'entend plus vraiment les autres parler, il n'écoute pas la conversation. Il voudrait faire mine d'être présent, hocher la tête, au moins pour Anja mais il est bien trop habitué à glisser derrière les remparts de sa tête pour écouter. Les chit-chat l'agacent mais il n'entend pas plus le son que fait le prénom de sa sœur en raisonnant. Et pourtant même si la chef de Rosenrot fait tiquer son père il reste absent, les yeux vitreux.
Si Green est bien trop entrainé à glisser plus loin, son père est bien trop habitué à avoir un fils présent mais absent, présent mais à moitié mort, fantôme, disparu. Il le préfère vitreux que belliqueux, après tout.

Pourtant, et alors que le plat est déposé dans les assiettes, Allen se racle subitement la gorge, comme gêné. Green lève les yeux après avoir commencé à trifouiller son plat sans aucune conviction. Il a envie de sourire : il s'y attendait. Un moment où l'annonce tomberait, lourde, gênante. Il saurait alors enfin la raison de tout ce délire, la raison de ce stupide smoking, de cette stupide gifle, de cette stupide solitude, de ce stupide isolement, de cette stupide invitation, ce stupide nœud papillon, ces stupides conversations, ce stupide bloody mary, sa stupide gaucherie, cette stupide soirée, ces stupides moments.

Cette stupide vie.

— Nous ne nous avons pas invitée pour prouver notre loyauté à Rosenrot.

Froid, franc, flippant.
Green reste là, sa fourchette suspendu, les yeux rivés sur son paternel qui jette un coup d'œil à sa femme. Bien sûr qu'elle ne hoche pas la tête, bien sûr qu'elle ne le rassure pas. Ce n'est pas sa place. Elle n'a pas sa place aussi proche du pouvoir, voyons.

— Notre loyauté n'est pas à prouver.

Ecrasant, évident, éclatant d'une vérité simple.
Les Souls appartiennent à Rosenrot, ce n'est plus à prouver. Tous les enfants sont au service de l'organisation, entraînés pour servir, uniquement servir. Bleu pourrait être à la pointe de cette flèche qu'ils ont tracé pour faire gagner en puissance de l'organisation.
Si seulement ce n'était pas une fille.
Green si seulement il n'était pas parti.
Mais est-ce vraiment fini ? Ne comptent-ils pas se servir de lui encore une fois ? Une dernière fois ?

Green ose un regard vers Anja. Splendide et pourtant tellement rigide dans son habit de parade. Il préfère définitivement quand elle ne se protège que d'un sourire, qu'avec des mots, qu'avec des gestes. Sa robe, sa coiffure son attitude prudente et supérieure à la fois..
Il s'était demandé des heures durant à quoi elle ressemblait dans l'intimité, quand les masques étaient posés.
Il avait soupiré des nuits durant en se rappelant qu'il ne saurait jamais.

— Notre engagement envers Rosenrot, n'est pas à prouver non plus.

Le brun hausse un sourcil. Aurait-on droit à une rétrospective ? Une menace ? Une demande ? Il demande à Anja de rendre la tête de Rosenrot ? Ahah.
Ahah.
Il reste là, bien droit, ses yeux plantés dans ceux de la blonde avec ses mots graves et lourds de sens, posés avec une raison bien précise qui est à chercher désormais. Il prend le temps de laisser des blancs, des suspens et étirer le temps pour asseoir sa position. Il a l'avantage de la stature, de l'âge, de l'expérience.
Il a le désavantage de la position, du fils braqué, de la femme fantôme.

Green n'ose presque plus respirer, tendu au bout de ses mots, à l'extrême, attendant qu'il finisse sa phrase et qu'il puisse souffler, se dire qu'il n'est là qu'en temps de géranium. Après tout c'est lui qui héritera et il doit sûrement commencer à s'intéresser petit à petit aux décisions. Peut être que c'est pour commencer à parler stratégie, plan, manipulations, pouvoirs. Peut être qu'il inclut son fils pour en faire quelqu'un d'entraîné, de préparé, d'expérimenté pour tenir d'une main de fer sa famille et garder la position spéciale que la famille entretient déjà.
Peut être.

Mais la bombe ce jour-là n'était pas à l'endroit le plus évident.
Ce n'était pas l'amas de feuille qu'Anja cachait prudemment à destination de sa fille sous une latte du parquet de son bureau de Rosenrot et protégé par de nombreuses runes.
Ce n'était pas les regards fugaces, désireux et amers qui s'échappaient parfois entre Green et Anja.
Ce n'était pas une menace de la part de la famille Soul.

Ou tout du moins, la menace était dissimulée sous une proposition inattendue.

[...]

Il n'y a rien à redire à la cuisine des esclaves de tes grands-parents. Une fois de plus, ils avaient sorti le grand jeu avec du homard et du vin, toujours beaucoup de vin.
Que j'évitais le plus possible d'effleurer.
Tout comme, d'ailleurs, les membres de la famille Soul qui semblaient vouloir garder leurs esprits le plus clair possible. Et j'avais tout de même assez d'expérience au poste de chef pour savoir quand il était plus prudent de ne pas tremper ses lèvres dans un breuvage alcoolisé.
Je me suis donc contentée de la bête couleur sang dans mon assiette et de ses accompagnements, tentant de faire passer le temps en me concentrant sur cette nourriture.
Quelque part, mon esprit essayait toujours de comprendre pourquoi j'étais là. Pourquoi les Soul m'avaient-ils invité et pourquoi Green, le fils qu'ils avaient presque renié, était-il présent lui aussi ? Et engoncé dans un smoking qu'il n'avait certainement pas dû choisir par ailleurs... Ça ne ressemblait de loin pas à ton père tout ça et j'avais l'impression de me retrouver coincée dans une immense mascarade. Et que d'un coup chacun allait arracher son masque, révélant une âme affreuse et tachée.
J'étais plongée dans ces réflexions lorsque ton grand-père s'est raclé la gorge.

- Nous ne vous avons pas invitée pour prouver notre loyauté à Rosenrot.

J'ai levé la tête, mes yeux rencontrant le regard glacial d'Allen Soul.
Il n'y a pas à dire, le patriarche maîtrisait ses émotions à la perfection. La seule légère hésitation qui a pu filtrer fut le moment où il glissa un regard vers sa femme qui, cependant, ne pris pas la peine de le regarder restant stoïque au dessus de son homard.
Cette hésitation a elle seule prouvait ce que je redoutais. En accompagnement du plat principal, j'allais avoir la véritable raison pour laquelle ils m'avaient invitée ce soir. Le homard pris soudain un goût amer alors qu'Allen continuait de parler.

- Notre loyauté n'est pas à prouver.

Ma réponse a fusé aimable, politique.

- Evidemment. Je n'en ai jamais douté.

Les yeux d'Allen restaient fichés dans les miens comme des flèches douloureuses, si bien que je n'ai pas pu détourner le regard. Ce qui ne m'a pas empêché de sentir le regard de Green sur moi. Il semblait être sorti de la muraille dans laquelle il s'était enfermé et m'avait condamnée depuis mon arrivée, comme si les mots de son père avait été une piqûre dans ses veines.
J'ai dû me retenir fortement pour ne pas lui rendre son regard.
Un regard qui aurait été interrogateur. Que me veulent tes parents ? Pourquoi es-tu là ? Pourquoi as-tu refusé de me regarder depuis le début de ce dîner étrange ?
Mais je ne pouvais me sortir du rôle de chef de Rosenrot et je ne pouvais pas détourner les yeux. Et de toute façon, jamais Green n'aurait compris ces questions. Il n'y a que dans les romans à l'eau de rose que des amants parviennent à communiquer par de simples regards. Ou des télépathes. Or nous ne sommes ni les héros idiots de livres inutiles, ni pourvu d'un tel pouvoir.
Toujours est-il que je me retrouvais contrainte à soutenir le regard d'Allen alors que mon corps me criait de tourner la tête.

- Notre engagement envers Rosenrot, n'est pas à prouver non plus.

Mes sourcils se sont froncés dans une question perceptible. Allen Soul prenait son temps pour en venir au fait, faisant monter le suspens avec un succès que les scénaristes de Hollywood pourraient lui envier. Dans tous les cas, je préférais rester silencieuse pour ne pas trop m'avancer, en attendant qu'il balance ce qu'il avait vraiment à me dire.
Mais une fois de plus, en bon politicien, il préférait les chemin tortueux et manipulateur afin de ne m'amener qu'à une seule possibilité, une seule réponse.

- Il n'en est pas de même pour la famille Von Duisbourg. Et, bien que votre lignée est pure et que vous soyez la descendante des Von Hammersbrück, certains à Rosenrot n'oublient pas votre ancienne appartenance à Croix.

Dans ma bouche, mes dents se sont mises à grincer, lentement, afin de ne pas lui balancer une réponse acide à la tête. Oui Elaïa, j'ai appartenu à Croix. Je ne sais pas si moi, Mohamed ou quelqu'un d'autre te l'aura déjà dit au moment où tu liras cette lettre, mais avant de devenir chef de Rosenrot, j'ai suivi ma mère chez Croix. Chose que Dorian Cross aime à me rappeler, comme si je n'étais rien sans lui.
Et chose que certains vieux aigris de Rosenrot aiment également à souligner lorsque mes propositions ne leur plaît pas. Comme le traité avec Croix, pas exemple.
Je sais bien qu'Allen fait d'ailleurs parti de ceux là. Ton grand-père n'est pas un homme très progressiste et, même si nous avons la même idéologie à l'égard des sorciers, mêlés et humains, nous ne sommes pas forcément d'accord sur les manières d'y parvenir.

- D'autres critiquent l'idée d'une femme seule au pouvoir...

À ces mots là, c'est ma main qui a serré un peu plus fort la fourchette que je tenais. Ce genre de propos n'est guère étonnant dans la bouche d'un homme qui traite aussi mal sa propre fille, mais reste tout de même sexiste.
Allen n'est pas le premier à me reprocher mon sexe. Tu verras Elaïa en grandissant, que de nombreux hommes se sentent supérieurs. Et beaucoup de femmes s'estiment également soumises. Ne te laisse pas prendre dans leur piège. Ne te laisse pas te faire rabaisser. Ce sont les hommes les véritables malheurs sur cette Terre. Il ne devrait servir à rien d'autre qu'à la reproduction.
C'est d'ailleurs en entendant de tels propos ou en voyant des hommes comme Dorian Cross que ma haine envers le sexe masculin se ravive.

- Je ne suis pas la première femme à la tête de Rosenrot.

Alors que j'espérais que ma remarque acerbe déstabilise Allen, ton grand-père s'est contenté de sourire. Comme s'il avait gagné, comme s'il m'avait emmenée exactement là où il le voulait.
J'ai été si naïve...

- Elles étaient mariées.

Une fois de plus j'ai froncé les sourcils, trouvant cette remarque parfaitement déplacée. Allen Soul n'avait pas à critiquer ma vie privée, et encore moins devant sa femme et son fils. Cependant, il était arrivé exactement là où il le désirait et était prêt à porter l'estocade finale.
La bombe n'a pas tardé.
Le mastodonte.
La baleine bleue écrasant le homard sagement encastré dans son assiette en fine porcelaine encadrée par de l'argenterie et des verres en cristal.

- C'est pour cela que j'aimerais vous proposer d'épouser mon fils.

Cette fois là j'ai dû me contenir de toutes mes forces pour ne rien laisser transparaître sur le masque qui composait mon visage.

- Green Soul.

Le coup était parti. Violent, inattendu, assassin. Ma main a immédiatement glissé jusqu'au verre de vin que j'ai porté à mes lèvres afin d'en avaler une grande gorgée.
Pour ne pas laisser transparaître mon choc.
Pour ne pas avoir à répondre trop vite.
Ton grand-père venait de m'offrir sur un plateau l'une des choses que je désirais le plus au monde. Ton père. Mais cela prenait les couleurs d'un contrat qui ne me plaisait guère.
Un contrat de mariage.

[...]

Nouvelle dévastatrice.

Il se souvient de la première fois où l'a vue. Beaucoup lus jeune, un masque plus léger posé sur ses pommettes, moins femme mais pas moins forte, déjà déterminée, avec cet air revêche qu'ont les enfants qui sont déjà plus vieux que la plupart des parents. La vieillesse de la mort et de la violence, de la solitude et des départs. Ces événements qui donnent des mots de mille ans dans la bouche des enfants, des mots que même les autres ne disent pas ou alors murmurent, ne comprennent pas.
Elle avait gardé cette stature mais elle avait perdu des joues et avait pris du poids. Beaucoup de poids. Mais de la chair mais des responsabilité et des années de vies. Si elle se tenait toujours aussi droite, ses épaules portaient l'organisation déjà.
Et ses choix aussi.
Ses choix, surtout.

Elaïa, bien sûr.

- Il n'en est pas de même pour la famille Von Duisbourg. Et, bien que votre lignée est pure et que vous soyez la descendante des Von Hammersbrück, certains à Rosenrot n'oublient pas votre ancienne appartenance à Croix.

Green se tend. Il veut lui demander quelque chose, la faire plier, lui prendre un morceau de fierté et de pouvoir; il ne sait pas pourquoi il trouve ça injuste, il a envie de lever les yeux au ciel et montrer à son père son exaspération. Pourquoi ne devrait-il pas s'en ficher ?
Se ficher éperdument d'Anja et de ce qu'il se passe dans sa tête et dans son ventre ?

Il ne s'en fiche pas.

Il se demande même à quoi ça ressemble dans ses pensées, est-ce que c'est la guerre, est-ce qu'elle essaie de ne pas trembler ou de ne pas écraser comme la mouche qu'il est ? Est-ce qu'elle a peur, est-ce que le soir elle se pose sur son lit les yeux grands ouverts, est-ce que le matin la trouve défiante et épuisée ?
Est-ce qu'elle est sûre de tout ce qu'elle fait ? Est-ce que l'assurance qu'elle a est sincère ou est-ce qu'elle est simplement assez incroyablement courageuse pour lécher elle même ses plaies et se porter d'un côté à l'autre de ses idées ?

Il ne sait pas.

Mais il sent le malaise arriver.

- D'autres critiquent l'idée d'une femme seule au pouvoir...

Bien sûr qu'Allen ne cite personne. Bien sûr qu'il ne dit pas de noms, bien sûr qu'il les sous entend sans même avoir besoin d'esquisser une description. Comme c'est facile. Pense-t-il Anja isolée ?
Seule mais pas isolée.
Seule au sommet avec une cours à ses pieds.

- Je ne suis pas la première femme à la tête de Rosenrot.

La voix n'a pas tremblé, inflexible. Et pourtant Green a envie de lancer un regard à Anja dépité. Bon sang, défends-toi mieux que ça, ne te cache pas dans l'ombre de celles d'avant pour te justifier.
Tu n'as pas besoin de te justifier..
Pourquoi ne lui lâche-t-elle pas au visage que grâce à elle et ses choix les sorciers noirs sont au sommet du monde ? Qu'ils piétinent Orpheo ? Pourquoi ne s'appuie-t-elle pas sur des faits..

- Elles étaient mariées.

Le brun ne bouge plus, seul sur sa chaise, seul dans son coin, seul dans sa tête. Un peu comme Arya, assise bien droite et bien tranquille. Bien sûr qu'elle sait.
Bien sûr qu'elle se tait.
Green ne sait plus où se mettre à vrai dire, il sait encore moins pourquoi il est là, visiblement cette conversation ne le regarde pas, enfin c'est évident, les deux au pouvoirs se chamaillent et lui..
Lui. Il a l'impression d'être au milieu d'une grosse blague. Ou d'être lui même une blague.

- C'est pour cela que j'aimerais vous proposer d'épouser mon fils.

Il lève les yeux subitement, regardant son père avec un visage effaré. Il laisse tomber sa fourchette dans son assiette alors que sa respiration se bloque.
Il doit proposer Red.
Ou Silver.
Olive, Cyan, Bianco.
Oh, ne serait-ce pas pire de voir un de tes frères avoir ce que tu veux, Greeni ?

- Green Soul.

Anja se jette sur son vin, Green toussote avant de couiner.

- Pardon ?!

Il n'est qu'une monnaie d'échange, c'est ça ? On le vend, on le place. On lui dit pas. Sérieusement, pourquoi est-ce qu'on ne lui a rien dit ? A-t-on peur de lui ? Dans un autre moment cette pensée aurait pu lui faire plaisir, savoir qu'il a encore un peu de pouvoir, rien que celui de se barrer en courant et de tout ruiner.
Il se renfrogne dans son siège. Lui aussi a peur, après tout, que son père le ruine, le détruise d'un revers de main, vieilles rengaines qu'il sait bien ancrée.
Merci papa, merci Maman.

Allen balaie d'un revers de main sa victime.
Reste à ta place, fils.

Mais alors vient une autre peur, plus insidieuse. Alors, Anja ? Il se retrouve tout aigri, bien sûr elle va dire non, elle ne voudra pas vivre avec, elle ne veut déjà pas lui parler, elle l'évite, le fait grincer des dents, elle le tient au bout de ses pieds grâce aux chaînes d'acier d'Allen, pourquoi partager son lit ?
Et toi, Green, pourquoi voudrais-tu d'une femme qui te repousse, qui te voit comme un soldat de plus, le fou peut être, le fou sans doute mais celui de la reine. Rien d'un roi, tout d'un soldat. Ne voudrais-tu pas Chloé à sa place ?

La douleur lui mange le ventre.

Chloé, Chloé, Chloé.
L'oublier, l'oublier, l'oublier.

Anja, Anja, Anja ?
Ce n'est pas son choix de toute façon.

Le fou n'a rien à dire.

- Vous savez que cela profiterait à votre pouvoir, vous protègerait des trahisons dont vous avez déjà été victime.

Le silence est absolu. Les esclaves sont tapis sans oser bouger. L'un d'eux vient très discrètement remettre du vin dans le verre de la blonde alors que Green l'imite et vide le sien. Si elle dit oui, c'est la merde, si elle dit non, c'est la merde.
Mais si elle dit oui tu pourras te tirer d'ici à tout jamais.

- Mais le choix reste vôtre, bien entendu.

A, tout, jamais.
Sauvé.
Et c'est ton père qui t'offre une porte de sortie.

A-t-elle vraiment raison de raconter tout ça à sa fille ? Ne lui donne-t-elle pas des armes pour la battre un peu plus ?
Bien sûr que la question avait traversé l'esprit d'Anja. Sa plume n'était-elle pas celle la même qui allait finir par l'assassiner ?
Pourtant le bec continuait à gratter le papier. Pour une fois, elle avait envie d'être honnête. Transparente.

[...]

Mon verre collé aux lèvres ne m'a pas empêché d'entendre Green toussoter avant de lâcher, dans un couinement presque pathétique :

- Pardon ?!

Au moins cela me confortait dans l'idée que Green n'avait pas la moindre idée que son père allait nous faire une telle déclaration.
Moi, de mon côté, je ne comprenais pas. Pourquoi Green ? Allen avait-il entendu parler d'Elaïa ? Il aurait été beaucoup plus logique qu'il me propose quelqu'un comme Bianco, beaucoup plus ambitieux et sage. Ou même Redwan qui était prêt à tout sacrifier pour Rosenrot du moment qu'on le laissait saigner des gens et qui, en plus, était l'aîné. Même Cyan, Olive ou Silver m'auraient moins surprise que cette proposition là. Car de tous ses frères, Green était celui le plus loin du droit chemin, le plus incontrôlable. Mais non, ce n'est pas le nom d'un de tes oncles qui est sorti de la bouche de ton grand-père ce soir là.
Mais bel et bien celui de ton père.
Et avec une telle nonchalance ! Un peu comme l'on propose une part de tarte au pomme ou un verre de vin. La voix d'Allen était neutre, ne flanchait pas. Et surtout, surtout, il avait parlé comme si le principal concerné en dehors de moi n'était même pas présent.
Comme l'on vend une marchandise.

J'ai reposé mon verre de cristal délicatement, m'efforçant de ne pas le briser sur la table malgré les sentiments qui se battaient dans mes entrailles. Puis j'ai coulé un regard vers Green. Il semblait déstabilisé. Déstabilisé et silencieux.
Un seul mot s'était échappé de ses lèvres depuis l'annonce de son père, avant qu'il ne se renferme dans son mutisme sur un geste d'Allen. Comme on fait taire un chien. Un enfant. Un fou.
Mon fou.
C'était au tour de Green de noyer ses mots dans le vin rouge, lourd, si semblable à du sang.
Et moi je ne savais toujours pas comment répondre. Que dire ?

- Vous savez que cela profiterait à votre pouvoir, vous protègerait des trahisons dont vous avez déjà été victime.

Ton grand-père en rajoutait une couche. Finement. Et ça puait. Ça puait la manipulation, le non-choix, le scandale, l'ultimatum. Allait-il coupé les vivres à Rosenrot si je refusais ? Se retirerait-il de l'organisation en prétextant une retraite anticipée ? Retournerait-il d'autres membres contre moi ?

- Mais le choix reste vôtre, bien entendu.

À cet instant précis je l'ai détesté. Ce n'était pas un véritable choix qu'il me proposait sous ses menaces à peine voilées. Trahison, victime... Il avait sorti les mots lui-même avec un petit sourire supérieur, innocent.
Allen Soul.
Le plus grand manipulateur de la planète Terre.
J'ai jeté un regard vers Aria qui restait stoïque dans son sourire faux et sa robe de soirée. À la vue de son absence de réaction, j'ai compris qu'elle était au courant de cette manipulation depuis le début et qu'elle n'avait rien tenté pour arrêter son mari. Femme d'ombre, ta grand-mère se cache derrière la testostérone prête à tout sacrifier pour le pouvoir et le nom de Soul. Soumise, elle a fait un mariage politique parce que la famille Soul et sa propre famille étaient les deux assez influentes pour vouloir s'allier sans chercher des raisons aussi bêtes que "l'amour".
Tu sais Elaïa, avec toute l'histoire de mon propre père, même pas capable d'aimer assez sa femme et sa fille pour rester chez Croix, cet être ignoble qui a décidé de s'enfuir en ignorant les conséquences, ce déchet qui avait déjà, quelques temps avant ma naissance, fait un enfant dans le dos de ma mère ; avec tout ça, ça fait longtemps que je ne crois plus en l'amour. Cependant à toi je ne peux pas te mentir, je dois baisser les masques parce que je me le suis promis et que tu l'as de toute façon déjà certainement compris à travers mes lettres.
Je ne suis pas indifférente à Green.
Alors je n'avais pas envie qu'on me le propose ainsi, qu'on me le balance à la gueule sous des prétextes politiques idiots. Green Soul, l'objet de ses parents qui faisaient ainsi une pierre deux coups. Se rapprocher du pouvoir et remettre leur fils déviant sur le droit chemin.
Ça puait.
Cependant je ne pouvais décemment pas envoyer balancer ton grand-père sans savoir que le contre coup serait terrible. J'ai donc dû ravaler toutes les remarques acides qui menaçaient de sortir de ma bouche avant de reporter mes yeux dans ceux d'Allen et de lui demander froidement :

- J'aimerais en parler directement avec votre fils. En privé.

À la moue qui s'est affichée sur le visage d'Allen, j'ai compris que ce n'était pas la réponse à laquelle il s'attendait et que cette entrevue le dérangeait. Cependant il ne pouvait pas me la refuser, pas après une telle proposition. Il marchait sur des oeufs et autant en profiter.
Aussi, malgré son air désapprobateur, il a hoché la tête avant de se lever sans un mot et de sortir de la salle, aussitôt suivi par Aria et les esclaves. J'ai attendu un moment avant de me tourner vers ton père, tentant de cacher tout ce qui roulait, tempêtait et suintait dans mon esprit. Je ne voulais pas qu'il perce encore une fois de plus mes défenses, je ne pouvais pas me le permettre, pas ici alors que Allen et Aria Soul se trouvaient à quelques mètres derrière une porte certes close, mais pas nécessairement insonorisée.

- On dirait bien qu'une fois de plus on vient de se faire piéger.

[...]

L'honnêteté coûtait plus qu'elle ne voulait bien l'admettre. L'honnêteté envers sa fille, mais également envers Green.

Allen attend. Il est presque tranquille. Il attend parce qu'il sait qu'il a le temps de son côté, qu'il est dans le temps qu'il faut. Le temps d'Anja, le temps de Green. Peut être qu'il l'a senti. Peut être qu'il a senti qu'entre Anja quelque chose avait changé et qu'il était le temps de charger, d'attaquer et prendre l'avantage.
Green n'avait pas envie d'être une pièce de monnaie. Il ne voulait pas être échangé contre un peu plus de pouvoir. Il sait bien au fond que s'il pourra partir de cet endroit ce ne sera que pour passer des chaînes plus lourdes.

Plus proche d'Anja, à la botte d'Allen, sous le regard d'Aria.

Il la regarde de biais. Dis non, Anja.
Jolie Anja.
Dis non.
Et sauve toi.

- J'aimerais en parler directement avec votre fils. En privé.

Il souffle doucement. Pourquoi pas après tout. Mais Green est perdu. Si elle accepte, il pourra être manipulé comme un patin et il devra peut être trahir à un moment donné. Il devra faire des rapports à Allen, asseoir le pouvoir Soul ou alors trahir à nouveau la famille.
Qui mourrait, alors ?
Peut être qu'ils savaient comment le blesser (à nouveau). Peut être que c'est Bleu qu'ils viseraient.
Si elle refuse, Allen se vengera. Passera peut être par Green pour se faire piéger. Ils lui feraient payer en coupant les vivres et les ponts ? Peut être, peut être, peut être. Le brun ne sait pas quoi penser. Complètement tiraillé. Il est rassuré de se retrouver seul avec Anja.
Incroyable, non ?
Rassuré proche d'Anja.

Allen se tend un peu. Il hoche la tête et les parents Soul sortent et ferment la porte. Le silence retombe un peu comme la poussière qui n'osait plus se poser.

- On dirait bien qu'une fois de plus on vient de se faire piéger.

Green secoue doucement la tête. Le vase va déborder si ça continue, si on continue de penser qu'il n'existe pas vraiment, qu'il ne choisit rien, qu'il n'est qu'un chien au bout du collier. C'est trop, c'est trop, c'est trop.
Tais toi, tais toi, tais toi.

Il se retourne et lui fait face, tend le bras pour caresser sa joue et puis subitement attrape son bras et se téléporte dans l'espace sous son plancher. Un endroit vite et fermé, impossible de s'en sortir ou d'y rentrer à part par téléportation. Un carré de bois, assez grand pour se tenir debout et avoir un peu de place. Au sol, rien. Sur les murs, rien. Au plafond, rien.

— Sauve toi, soupire-t-il.

A-t-il dit toi ? Ou moi ? Qui doit sauver qui ? Qui doit quoi ?
Le plus drôle dans l'histoire, c'est peut être que Green sait que ce n'est pas à lui à répondre. Ce n'est pas à lui de choisir.
Lui demandera-t-elle son avis ?

— Sauve toi et dit non. Trouve une bonne excuse, j'en sais rien.

Dis oui putain. Dis oui, dis oui, dis oui, dis oui. Dis lui que tu le laissera couper avec les ponts avec les Soul si ça deviendra trop dur, dis que tu protègeras Bleu, dis que t'as envie de dire oui et sors le de cette baraque, dis oui et barrez vous d'ici.
Dis oui, écrase ses rêves en éclatant de rire et ajoute que non, bien sûr que non tu ne l'épouseras pas.
Dis non. Dis non et sauve le, ne le laisse pas devenir une marionnette, dis-non parce que tu ne l'aimes pas, ne le souille pas comme ça, dis non et ne referme pas toi même les chaines, ne lui passe pas un nouveau collier autour du coup.

Green éclate de rire.

— Comment est-ce qu'on a pu en arriver là..

Petit sourire.
Elle est tellement belle.

— C'est tellement ironique. J'me demande si au fond, ils ne savent pas.

Peut être après tout qu'il sait et que c'est de cette façon qu'il souhaite la piéger. Peut être qu'Aria l'a senti et sait qu'ils sont attirés l'un à l'autre, qu'ils n'ont pas le choix et qu'au fond c'est déjà réglé. Green n'arrive pas à s'éloigner,
Anja n'arrivera pas à refuser ?

Sacré pari.

A quoi pensaient-ils ? Green et Anja. Ca ferait tellement de bruit dans la communauté, les Souls et la seule et l'unique Von Duisbourg. L'héritière, celle qui n'a pas besoin de tirer sur les rênes pour commander l'organisation, celle qui se contente de les tenir pour que tout le monde se plie, les yeux au sol, le cœur dans la bouche.
Prend tout, Anja.
Prend tout.

Il lui fallu une pause.
Anja posa la plume un instant, passant ses mains sur son visage. Elle n'arrivait pas à croire qu'elle écrivait tout cela, à vrai dire elle n'arrivait pas à croire tout ce qui lui était arrivé.
Allen Soul lui avait offert l'un de ses plus grands désirs sur un plateau, mais c'était un cadeau empoisonné. Balancer le fils Soul dans la cour de la Reine.
L'espion fou.
La plume tremblait toujours un peu lorsqu'elle la reprit

[...]

Nous étions tous les deux seuls dans cette salle à manger impersonnelle qui devait sans doute ressembler aux nombreuses autres salles à manger des nombreuses autres demeures Soul. La main de Green s'est tendue vers ma joue, l'effleurant dans un mouvement presque doux. Puis, brusquement, ton père a saisi mon bras et nous nous sommes retrouvés dans un lieu sans fenêtre ni porte. La dose de magie qu'il avait utilisé ne semblait pas grande, ce qui était la preuve que nous devions encore nous trouver dans la maison. Mais dans sa cachette secrète, inaccessible pour tout le monde.

- Sauve toi.

Je savais que ça ne servait à rien de garder une mine froide devant Green, il finirait pas me percer à jour. Aussi, j'ai laissé tomber mon masque, une légère incompréhension pouvant se lire sur mon visage.

- Sauve toi et dit non. Trouve une bonne excuse, j'en sais rien.

Si je ne savais toujours pas quoi faire, si j'étais toujours aussi perdue avec mes propres interrogations, je me suis dit que ton père lui, savait déjà ce qu'il voulait.
Et ce qu'il voulait ce n'était pas moi.
Aussi j'ai croisé les bras, sur la défensive. Je devais toujours trouver comment me sortir de ce piège tendu par Allen alors même que je venais de me faire repousser par le seul homme que j'avais jamais accepté et qui m'eusse attiré dans la vie.
Mais les hommes restaient les hommes. Même Green Soul. Et ses éclats de rire malsains ne faisaient que renforcer mon sentiment de haine envers le genre masculin.

- Comment est-ce qu'on a pu en arriver là...

J'ai détourné les yeux, ignorant le sourire qu'il m'adressait.

- C'est tellement ironique. J'me demande si au fond, ils ne savent pas.

Je me suis mordu la langue. Forcément que la question crevait la surface. Allen et Aria étaient-ils au courant pour toi, Elaïa ? Cherchaient-ils un moyen de te légitimer et de te récupérer ? Tu ne dois être qu'une faible femme à leurs yeux, tout comme Bleuann ou moi, mais ton sang, mélange pur des Soul et de la chef de Rosenrot te donne un statut qu'ils ne peuvent ignorer, qu'ils ne peuvent dénigrer. Et, accessoirement, cela les projettent directement sur le devant de la scène.
Le grand scandale de Rosenrot ! L'enfant illégitime d'Anja von Duisbourg et Green Soul.

- Ecoute, tu veux pas de moi alors je me débrouillerai pour dire non à ton père et découvrir ce qu'ils savent au sujet d'Elaïa.

Quelque part ça faisait mal d'être repoussée par celui qui m'attirait autant. Mais au moins, cela renforçait mes convictions et je me disais que je ne me laisserais plus avoir par mes sentiments. Je me doutais que tout ça aurait forcément un contre coup. Il ne faut pas se laisser avoir par un abruti, il ne faut pas suivre ses sentiments aveuglément.
Green n'avait dû voir que l'attirance physique qui nous liait. À ce moment là, j'étais persuadée que ton père avait dû en baiser des milliers d'autres. Désolée pour la vulgarité de mes propos Elaïa, mais j'imagine que si tu lis ces mots c'est que tu dois être assez grande pour les supporter. Toujours est-il que l'idée de ton père avec d'autres femmes s'était imprégnée dans mon cerveau, incapable d'en sortir.
C'est pour ça que je n'ai pas retenu les mots acides qui sont tombés de ma bouche.

- De toute façon toi et moi ça n'a jamais été autre chose que du physique.

Mes dents ont recommencé à grincer dans ma bouche. Une fois de plus, je me faisais rejeter. Une fois de plus, c'était de la part de Green. Tu dois te dire que notre relation ressemble dangereusement à des montagnes russes.
Qui passent leur temps à se crasher.
Alors pourquoi, malgré tout ça, malgré ma certitude que ton père n'éprouvait rien d'autre pour moi qu'un désir violent et physique, pourquoi avais-je envie de l'embrasser ? Une envie qui me brûlait la bouche, comme à chaque fois que je me retrouvais à ses côtés, comme à chaque fois que je sentais son corps musclé près du mien. Mes lèvres, mes entrailles, mon corps entier brûlait de ce désir, me consumait jusqu'à la moelle.

- Tant pis.

Tant pis pour ton père et moi. Tant pis pour nous trois. Tant pis pour notre famille.
Ça aurait été trop facile.

[...]

Si Anja maîtrisait toujours son visage, la plume elle ne pouvait pas mentir, ne savait pas mentir. Et l'encre sur le papier ressemblait à des pattes de mouche sous toute la tension dans sa main.
Ça aurait été trop facile de dire oui à Allen.
Ça aurait été trop facile de ne pas écrire cette lettre et de mentir à Elaïa.
Alors pourquoi Anja se compliquait-elle toujours autant la vie ?

Ils sont si proches.. ils sont si proches qu'il pourrait à nouveau toucher sa peau. Il a envie de fermer les yeux pour mieux sentir son parfum et s'imprégner du délicieux moment où il la retrouvait enfin..
La retrouver pour quoi ?
Tout est sans dessus dessous, ne pourraient-ils pas dire oui en considérant la chance qu'ils avaient ? Ne pourraient-ils pas hocher la tête, serrer leurs mains sous la table avec un sourire en coin et prendre Elaïa chez eux ?
Elaïa.
Même si Anja consent à prendre Green comme époux, elle reste illégitime, conçue par erreur. Les Souls sauraient qu'ils se portent un intérêt plus que diplomatique et que c'est terriblement dangereux, les sentiments.
Chloé, Amandine, des dangers écartés.
Mais un amour au sein d'un mariage souhaité ?
Des milliers de complications stagnent à leurs pieds.

- Ecoute, tu veux pas de moi alors je me débrouillerai pour dire non à ton père et découvrir ce qu'ils savent au sujet d'Elaïa.

Il baisse les yeux, passe une main dans ses cheveux en se posant contre une des parois du mur, presque de manière nonchalante.
Elle est ridicule à se poser en victime.
Anja. Une victime.
Vraiment trop ridicule.
Ne sait-elle pas ? Ne sait-elle pas que son père ne lui a pas demandé son avis à lui parce que c'est oui ?
Parce qu'il n'a pas le choix, certes, mais surtout parce que c'est Anja. C'est oui, c'est oui évidemment, ça a toujours été oui. Si belle au bout de ses doigts, si belle à chaque croisement de vie pendant lesquels ils se retrouvent quelques instants. Mais surtout tellement réfléchie, pleine de pensées et de pouvoirs.
Au fond, il ne sait pas trop, Green, pourquoi il l'aime. Il ne l'a jamais vu rire, il n'a jamais éclaté de rire en jouant à un jeu débile, il ne l'a jamais vue se réveiller, elle n'a jamais rien fait pour lui.

- De toute façon toi et moi ça n'a jamais été autre chose que du physique.

Sûrement. Sûrement.
C'est ce qu'il se dit. Ouais, sûrement du physique. Mais qui a mené à tellement plus, Elaïa déjà, mais une lourde curiosité de savoir qui se cache là derrière. Pourtant, on ne tombe pas amoureux des gens qu'on ne connaît pas, si ? Qui ne nous montrent que leur corps qui n'est rien si ce n'est absurdement attirant.

- Tant pis.

Il la laisse parler pour pourquoi expliquer doucement avec une voix chaude, basse. La voix de la défaite, la voix qui exprime ce sentiment bien connu : tout ça est trop bien pour moi, enfin, regarde moi, regarde moi et dis moi que je n'ai pas déjà tout perdu.

- Tu sais très bien que le choix ne t'appartient qu'à toi.

Il lève les mains en signe d'impuissance et secoue la tête. Il a tout perdu et n'a rien plus à perdre, nageant dans ce bonheur facile de ne pouvoir pas tomber plus bas. Il ne s'imagine pas l'angoisse à nouveau de tenir à quelque chose. De tenir un bonheur, de tenir quelque chose à retrouver chaque semaine.
Comment vouloir à nouveau quelqu'un entre ses bras quand on lui a fait comprendre que sa place à lui, c'était les mains tendues, prêtes à tuer, prêtes à êtres coupées.

Que ses mains devaient tenir des lames, pas tenir un corps, briser des âmes.

Il n'ajoute rien sur le sujet, elle le sait, non ? Elle sait que si c'est son choix est uniquement sien c'est que lui n'aura jamais le courage ni la force de dire non ?
Ni le courage, ni la force.

Il rajouterait bien "quoi que tu choisisses, choisis le pour toi" mais il se tait. Anja. Bien sûr qu'elle choisira pour elle. Bien sûr que ses sentiments à lui et son futur ne comptent pas. Alors il se tait quelques secondes avant de souffler.

- Que ce soit uniquement physique ou pas, on en revient toujours là.

Il est acide, amer même, ses désirs sont inchangés, leurs routes se croisent toujours avec cette ironique délicate, trempée dans du poison. Tous les deux réunis, proches, dans une pièce tellement petite. Celle ci est définitivement close. Il sait qu'Anja ne peut pas sortir de cette pièce sans son aide mais il sait que si d'un geste elle lui demande qu'ils se barrent pour pouvoir aller rire au nez d'Allen et lui dire que c'est non, bien sûr que c'est non, il le fera.
Il le fera parce qu'il sait qu'il ne fait pas partie de ces gens à qui il arrive des choses gratuitement. Il n'ose même pas imaginer la contrepartie qu'il devra fournir à la vie en échange d'Anja.

Tant pis.. en attendant..
En attendant il y a pensé toute la soirée..

Il scie la distance en vrillant ses prunelles dans celles de la blonde avant de poser ses lèvres contre les siennes, avec toute l'énergie d'une dernière fois. Si elle refuse de le prendre lui, comme mari, elle considérera sûrement de prendre quelqu'un d'autre alors il baissera les yeux quand elle passera devant lui, il baisera d'autres filles qui s'appelleront Anna, Enia, Enja, ils baisera d'autres filles blondes, grandes, jamais aussi belle que sa dame à lui.
Et puis voilà.
Ca passera.
Tout passe toujours.

Anja sait qu'elle arrive à cette partie là de la lettre. Celle qu'elle redoute depuis le premier moment, depuis que le plume caresse le papier, depuis qu'elle a sorti la première feuille, depuis le moment même où cela s'est passé. Aucun regret ne teinte cependant ses pensées. Juste une pensée un peu amère pour une faiblesse qu'elle ne sait expliquer.
Ou plutôt si, cette faiblesse tient en deux mots.
Green Soul.
Ça a toujours été Green Soul et ça sera toujours Green Soul.

[...]

Ça aurait été trop facile.
On en revient toujours au même avec ton père Elaïa. À imaginer une vie à nous trois, loin de tout ça, loin de Rosenrot, loin du reste du monde. Une petite maison ridiculement coquette où pourrait s'ébattre un amour risiblement tranquille. Un rêve qui, avec n'importe qui d'autre que vous deux, puerait le cauchemar. Mais dans ce cas là c'est juste... une utopie.
Il n'y aura jamais de tranquillité tant que les sorciers ne domineront pas le monde. Je ne peux pas lâcher Rosenrot. Et Green ne peut pas quitter les Soul.
Mais nous pourrions nous battre ensemble, côte à côte. Liés pour toujours par un anneau et un contrat. Nous soutenir, coude à coude et vivre ensemble, faire front face à Rosenrot, les Soul, Orpheo et tous le reste. Plus besoin de se cacher, plus besoin de s'éviter.
Une seule condition pour tout ça.
Dire oui à Allen.
Ça aurait été trop facile.

Tout aurait pu être différent. J'aurais pu dire "oui", directement, devant Allen. Accepter, ne pas demander ce face à face avec Green. J'aurais pu faire du cadet Soul mon homme-objet, l'obliger à se plier au moindre de mes désirs. Devant son père, sa famille, il n'aurait pas eu d'autre choix que de se plier à la voix de sa chef et de ses parents. Mais je voulais pas que ça se passe comme ça.
Je pensais que jamais de ma vie je ne voudrais d'homme. Et maintenant je voulais Green. Mais pas comme ça. Pas parce qu'il se sentait obligé. Pas sur un ultimatum d'Allen.
C'était ridicule.

- Tu sais très bien que le choix ne t'appartient qu'à toi.

J'ai eu envie de le saisir par les épaules et de le secouer. Il n'avait toujours pas compris. Malgré tous, malgré mes défenses qui étaient tombé devant lui, malgré cet épisode dans la forêt où je m'étais retrouvée à le supplier ridiculement.
Ridicule. Tout était ridicule.
Je suis pas un monstre Elaïa. Jamais je n'aurais voulu forcer un homme à vivre près de moi. Et encore moins un homme avec lequel aucune confiance ne pourrait jamais s'installer. J'aime pas laisser tomber mes défenses, tu dois t'en douter à présent. Et le mariage c'est un peu ça. Même les mariages de pouvoir. Parce que c'est accepter de vivre à côté de quelqu'un d'autre, de risquer de se mettre ne danger pour lui, de dormir à côté de lui.
Risquer également son coeur.
Surtout avec Green.
Alors non, c'était pas mon choix. Ce n'était pas que mon choix. Mais comme d'habitude ton père se défilait devant les responsabilité. Classique de la part des hommes cela. Tous des lâches à fuir, refuser de choisir, refuser d'aider.
Tellement plus facile de me laisser le choix à moi.

J'ai rien dit de tout ça. J'ai retenu mes mots pour ne pas lui cracher au visage ma hargne de le voir m'abandonner devant ça.
Comme si j'avais pas déjà assez de responsabilité sur les épaules avec Rosenrot ? Mais non, il devait croire qu'Anja était parfaite pour ça, pour les responsabilités, qu'elle aimait ça après tout. Un peu plus de poids sur son fardeau, qu'est-ce que ça changeait au fond ?
J'avais envie de l'étrangler.
Mais même ça j'y arrivais pas.
Quand je te dis que Green est ma faiblesse...

- Que ce soit uniquement physique ou pas, on en revient toujours là.

C'était vrai et c'était lassant à force. Je ne savais même plus quoi lui répondre. Comme précédemment, devant Allen qui m'offrait Green sur un plateau, je ne trouvais plus les mots. Et cette fois ci je n'avais même pas de vin pour étouffer mon silence.
Mais j'avais les lèvres de Green.
Ton père m'a embrassé fougueusement avec toute l'énergie du désespoir, comme si c'était la dernière fois. Et je ne l'ai pas repoussé. Au lieu de ça je me suis accroché à ses lettres, tout aussi désespérément, incapable de m'en détacher.
Toujours cette même faiblesse lancinante. Agaçante.

J'ai deux faiblesses dans ma vie. Green et toi. J'ai tout fait pour te cacher, pour que personne ne puisse te trouver, pour te dissimuler aux yeux d'un possible chantage. Je pensais qu'ainsi on ne pourrait pas m'atteindre, on ne pourrait pas blesser Rosenrot en te kidnappant ou en te torturant. Ou même pire, en t'assassinant.
Mais voilà que je découvrais que tu n'étais pas ma seule faiblesse. Et que celle là, je ne pouvais pas la cacher de la même manière. Je ne peux pas museler mes sentiments. Alors que faire ? Continuer ce ballet incessant entre lui et moi à s'éviter jusqu'au moment où on se retrouve près, beaucoup trop près pour refouler notre désir ? Ou alors l'accepter, dire oui à Allen au risque de...
Au risque de quoi ?
De devoir accepter mes sentiments et ma faiblesse ?
À cette pensée je me suis accrochée encore un peu plus à ton père, passant mes bras autour de son coup, me serrant contre son corps. On devait avoir l'air ridicule, une fois de plus, tous les deux engoncés dans nos costumes de soirée, un pingouin et un serpent.
Au bout d'un moment, à regret, je me suis détachée de ses lèvres. J'aurais tellement aimé rester là toute la nuit, toute la vie, mais ça n'avançait rien.

- Pourquoi c'est toujours aussi compliqué avec toi ?

Si mes lèvres avaient difficilement quitté les siennes, mon corps avait refusé de s'éloigner du sien, si bien que ma bouche se trouvait à ce moment là dans sa nuque, tout près de son oreille.
Et je me suis entendu dire ces mots qui ne furent que murmures :

- Tu fais chier Green. Pourquoi tu m'as laissé tomber amoureuse de toi ?

C'était dit, mais pourtant ce n'était pas un soulagement.
Mais c'était encore plus douloureux de le reconnaître et de m'abandonner à ton père, une fois de plus.

[...]

Elle a l'impression que ce n'est pas elle qui a tracé ces mots sur le papier. Ou, au moins, que ce n'est pas elle qui les a vécu. Surtout ces mots, ces quelques mots qui ont brûlé sa tête et son coeur.
Comment la grande Anja von Duisbourg a-t-elle pu se réduire à une telle faiblesse ?
À cause de Green Soul. Evidemment.

Elle se rapproche, elle s'accroche.
Le cœur de Green a un raté, alors qu'il s'essouffle. Elle est si proche, tellement proche mais jamais sienne, il resserre ses doigts autour de la taille de la blonde. Il a envie de la prendre dans ses bras mais ça ne dure quelques secondes.
L'envie lui mange le bas-ventre.

Elle dit : "Pourquoi c'est toujours aussi compliqué avec toi ?" alors que sa bouche est là, proche de son oreille, il s'imagine qu'elle pourrait passer sa langue sur sa peau, sa peau juste là tellement sensible, il s'imagine l'embrasser à pleine bouche, se laisser déraper dans son cou, sur sa clavicule, son cœur, sa poitrine, son ventre.

La prendre là, tout de suite, sur une table.

Mais elle le coupe dans ses pensées, dans ses fantasmes et ses envies, elle coupe court à tout ça avec des mots simples mais tranchants. Terribles de sens.
Lourds de conséquences.

- Tu fais chier Green. Pourquoi tu m'as laissé tomber amoureuse de toi ?

Il se crispe un peu, bien sûr. N'oublions pas son histoire en chemin, n'oublions pas Chloé qui lui disait je t'aime sous les étoiles, je t'aime tellement, tellement qu'on dirait qu'on est frères et sœurs, jumeaux de destinée.
Jumeaux.
Et pas amoureux.

Alors que là elle lui offre sur un plateau doré ce qu'il n'a jamais eu. Ce qu'on n'a jamais voulu lui donner, ce qu'il n'a jamais réussi à avoir. Pas comme quelque chose qu'il aurait cherché, plutôt quelque chose d'ancré en lui.

Son cœur s'emballe.

Il la décolle avec regret de lui, en la tenant par les épaules, il ferme les yeux pour mieux les rouvrir, sans savoir si c'est réel, sans savoir si elle a vraiment dit ça mais c'est le moment. Si Green sait quelque chose, c'est qu'il faut être dans le temps. Dans le temps, exactement comme il l'avait été la première fois qu'il avait passé la porte de son bureau. Quelques minutes après, quelques secondes avant, quelques jours plus tard peut être qu'Anja lui aurait arraché la tête, aurait repoussé sa démarche et l'aurait remis à sa place. Peut être qu'il n'aurait pas percé la brèche, ne serait pas rentré comme ça dans les failles d'Anja.
Peut être qu'il ne se serait pas coulé en elle comme du poison. Mais il était dans le temps ce jour là. Peut être que c'est Allen, cette fois-ci, qui y est. En plein milieu pour que sa proposition soit acceptée.

Il souffle.

La regarde droit dans les yeux.

- Anja.

Le prénom résonne un moment, un tout petit moment, entre les quatre murs de sa prison secrète. Une prison pour se protéger. Et puis enfin, alors qu'il espère de tout son cœur être dans le temps, il murmure.

- Epouse-moi.

Voix rauque, échaudée.

Ses sourcils froncés et son air concerné le font ressemblé à l'adolescent qu'il était, toujours trop sensible et engagé, puis une seconde d'après détaché et coupant, grinçant, acide. Une montagne de paradoxe à lui tout seul. Comme ici.

Comme toujours.

Il ne lui laisse pas le temps de répondre mais attrape simplement son bras. Il ne veut pas se retéléporter dans une position qui les compromettrait tous les deux, il sait qu'elle est tout à fait libre de dire non et que cette décision tremble au dessus de sa tête. Il sait aussi que jamais Allen ne doit se douter de rien et il ne veut pas se mettre en danger. Seul le rouge à ses joues le trahira peut être.

Il prend le temps de visualiser son salon, le souffle court et le cœur battant alors que toute l'adrénaline glace ses veines. Tout peut basculer, tout peut basculer maintenant, sa vie et son futur. Même celui de son enfant.
Il visualise donc l'immense salon en agrippant le bras nu d'Anja. Il lâche son pouvoir et quand il ouvre les yeux, ils sont revenus au point de départ. Allen et Aria sont déjà là, de retour. Bien évidemment qu'ils guettaient de l'autre côté de la porte, il n'y a aucun doute possible. Sinon comment auraient-ils pu savoir qu'ils avaient disparu ?

Green sent la colère dans son ventre. All the rage back home. Son corps se tend à nouveau et la nausée lui fend la bouche alors qu'il entrouvre les lèvres pour mieux respirer. Il sait qu'il laisse sa vie entre les mains d'Anja et il sait bien que c'est lâche. Mais il lui a demandé de l'épouser avec toute la sincérité qu'il avait, avec sa peau, ses os et son sang. Désormais ce n'est plus son temps à lui.

Voilà.
Elle y était. Le moment qu'il fallait retranscrire, celui où elle donnait sa réponse, les mots qui brûlent une gorge. Qui brûlent une main. Anja a envie de fuir, d'abandonner cette lettre, d'arrêter d'écrire.
Elle a envie d'être dans ses bras.
Dans leurs bras.
Elaïa et Green.

[...]

Ça m'a fait mal. D'ouvrir mon coeur, de déballer mes sentiments, de tout risquer. Je fais pas ça d'habitude Elaïa. Sauf avec ton père, c'est toujours ton père. C'est le seul qui sait, c'est le seul qui ne m'ait jamais vu ainsi depuis mon adolescence, depuis que j'ai découvert mes pouvoirs. Le seul qui sache faire tomber les défenses que j'ai construit autour de mon coeur et de mes sentiments.
Parfois je me dis que c'est pas plus mal. Que le mal peut faire du bien. Mais d'un autre côté c'est facile, tellement plus facile de rester froide et droite devant les gens, de ne pas trembler.
Tout ce que je suis incapable de faire en sa présence.
Pourquoi est-ce que je suis aussi fragile à ses côtés ? Pourquoi est-ce que mon coeur ne peut pas s'empêcher d'exister quand il me frôle ? Pourquoi sa voix, sa chaleur, son corps me font autant d'effet ?

Est-ce que tu as connu ça un jour Elaïa ? Est-ce qu'un homme ou une femme a un jour fait vibrer ainsi ton corps, ton esprit et ton coeur ? D'un côté je l'espère parce que c'est agréable. Agréable de sentir les lèvres qu'on désire contre ses propres lèvres, le coeur aimé qui bat au même rythme que son propre coeur. D'un autre côté, j'aimerais aussi te préserver de ça, de tout ça. Parce que l'amour fait mal.
Parce que l'amour déçoit à force. Toujours. Quel qu'il soit, quelle que soit la forme qu'il prendre. Un parent, un ami, un amant. Tous trahissent, tous font mal. Comment faire confiance, comment aimer aveuglément quand sa vie entière on a connu que la perte de cet amour.
Mon géniteur, Diego, ma mère.
Et Green ? Et toi ? Est-ce que vous me serez fidèles pour toujours ?

Ton père a éloigné son corps du mien, me tenant par les épaules. J'ai dû mordre ma lèvre avec tellement de force que le goût métallique du sang a coulé dans ma bouche. J'avais envie de lui. Si tu savais à quel point Elaïa... Si proches et pourtant si loin.
Ses yeux ont percuté les miens.

- Anja.

Son orbite a percuté la mienne.

- Epouse-moi.

J'ai failli m'écrouler. Je crois que si les mains de Green n'avaient pas été fermement accrochées à mes épaules, je serais tombée. C'était ses mots. Pas ceux d'Allen, pas ceux d'Aria, pas ceux de Rosenrot.
C'était la voix rauque et émaillée de ton père qui venait de me demander en mariage. De partager ma vie et mon lit avec lui.
Mais avant que j'aie eu le temps de répondre, avant que j'aie eu le temps de tomber, Green a saisi mon bras et nous a téléporté dans la salle à manger. Allen et Aria étaient revenus. Ton grand-père, un air sévère sur le visage, a immédiatement planté ses yeux dans les miens, un message clair se dégageant de son corps tendu et de ses bras croisés : "J'ai suffisamment attendu, donnez moi une réponse". Aria elle souriait poliment, même si, comme toujours, aucune flamme ne se dégageait de ses yeux bruns.

- J'ai pris ma décision.

Mes yeux ont coulé en direction de Green. Encore une fois je n'ai pas pu m'empêcher de trouver ton père extrêmement beau. Des cheveux un bataille, des sourcils froncés sur la défensive, comme en pleine crise d'adolescence et des yeux sombres dont se dégageait une colère froide à destination de ses parents.
Tellement fragile. Tellement similaire. Tellement différent.
Mon regard est retourner se planter dans celui d'Allen. Glace contre glace. Froideur contre froideur. Pouvoir contre pouvoir. C'était le moment de ressortir mes tripes et de ne surtout pas trembler. Il ne fallait pas que ton grand-père devine le mensonge sur mon visage ou qu'il doute de mes mots.

- Pour Rosenrot, j'accepte.

Et alors que je disais ces mots, j'ai senti quelque chose naître en moi. Un lien minuscule, intangible, pas vraiment contrôlable. Quelque chose qui naissait directement de mes sentiments et que je ne parvenais pas vraiment à gérer ni à comprendre, comme lorsque ma télékinésie dépasse mes émotions.
Sauf que ce n'était pas aussi destructeur et surtout pas aussi fort.
J'ai mis quelque seconde à comprendre et à suivre mentalement ce lien qui me menait directement à l'esprit de ton père. De la télépathie. Émanait-elle de lui ou de moi ? De nous deux ? Je n'en sais rien. Toujours est-il que j'ai glissé, avant de perdre ce lien aussi tenu qu'inattendu : « Et pour toi. Surtout pour toi. »
Sans quitter des yeux Allen Soul.

C'est alors que j'ai vu ta grand-mère qui n'avait presque pas existé depuis le début du repas s'approcher de moi et ôter de son doigt une bague en or et sertie de rubis rouge comme le sang et de diamants noirs.

- La bague de fiançailles de la famille.

J'ai enfilé le bijou à mon annulaire en la remerciant d'un signe de la tête, alors qu'Allen s'approchait à son tour pour m'attraper par les épaules et, selon toute apparence, me raccompagner à la porte. Ainsi, sans me laisser le temps de parler à mon nouveau futur époux. Comme s'il était normal d'agir ainsi.
Comme si c'était la famille Soul en son entier plutôt que Green que j'épousais.
Ton grand-père a profiter que nous traversions pour me parler des détails administratifs, qu'il enverrait à mon avocat et que nous devrions prendre rendez-vous pour convenir du contrat. Je l'ai écouté attentive, désireuse de ne pas me faire avoir. Cependant, au moment de passer le pallier de la porte, je me suis retournée, me détachant de l'emprise de la main d'Allen sur mon épaule. Aria se tenait là, droite et sans émotion, à côté de son fils, comme s'il ne s'était rien passé. Mais ce n'était pas elle qui m'intéressait.
Une dernière fois avant de rejoindre ma voiture, mes yeux se sont plantés dans ceux de ton père.

Tout allait être différent à présent.

Deine Mutti

La jeune femme observa la bague à son doigt. La preuve irréfutable qu'elle avait dit oui et que tout cela n'était pas un rêve.
Ou un cauchemar.

Il y a un flottement. Un flottement tout léger qui plane, surtout au dessus d'Anja. Choisi tes mots, jolie Anja. Choisi-les bien, c'est le moment où jamais.
Green implose d'angoisse dans son coin, comme un corps suspendu qui se demande s'il va atterrir dans l'eau ou sur les rocher. Le fil se distend, les mots ne viennent pas.
Aria et Allen regardent Anja.
A, A, A.
Et puis Green, ici, juste par là.

- J'ai pris ma décision.

Anja le regarde, Green détourne les yeux. Il la trouve subitement beaucoup plus jeune, ridiculement plus jeune dans sa robe et sous son maquillage. Des enfants jouant aux adultes, comme un gamin à qui on donnerait un jouer pour mieux pouvoir le distraire. Un pauvre petit à qui on met une peluche dans les mains pour mieux pouvoir le piquet discrètement.
Peut être qu'en effet, Allen tient les rênes.
Peut être qu'Anja est trop jeune, Green trop précipité.

Il est bien trop tard pour y penser.

- Pour Rosenrot, j'accepte.

L'air retombe, plus lourd. L'euphorie glisse quelques secondes sous la peau avant qu'une enclume s'enfonce dans l'estomac du brun. Il reste tout droit alors que ses dents grincent. Il se rend compte qu'il a gardé les mâchoires serrées presque toute la journée.
Il serre plus fort.
Voilà qu'on lui remet quelque chose dans les mains, quelque chose pour espérer, quelque chose à perdre, quelque chose qu'on pourrait lui enlever pour le laisser retourner dans le caniveau. Pourquoi est-ce que quand il apprend à s'en foutre, on lui redonne quelque chose pour espérer ?
L'espoir ne peut donc il pas mourir ? Jamais ?
C'est interdit, visiblement, voilà tout.

« Et pour toi. Surtout pour toi. »

Les mots résonnent un court instant dans sa tête - dans sa tête ? Anja regarde toujours Allen, Green est persuadé de l'avoir entendue pourtant il sait qu'elle n'est pas télépathe. Lui non plus d'ailleurs. Serait-ce possible?..

Il déglutit.

Voilà. C'est fait, c'est décidé, c'est compris.
Le monde se remet à bouger sans lui, un peu comme d'habitude. Il reste sur le bord de la route alors que les autres se remettent en route, un peu flou. Il vient d'être marié et pourtant on ne lui demande rien, il n'existe pas, objet placé là il ne bouge pas.

Bon sang, quand pourrait-il jouer son propre rôle dans sa propre vie ?

Il déglutit.

Voilà. C'est ainsi, c'est décidé, c'est fini.
Aria dit quelque chose qu'il ne comprend pas. Ses mains tremblent un peu et deviennent moite alors que comme toujours il retient tout à l'intérieur, il remet tout dans la boîte dans sa tête, il rajoute un cadenas pour que tout n'explose pas.

Mais tout exposera, n'est-ce pas ?

Il déglutit.

Voilà. Anja se retourne un instant, Green souffle, fixe le temps.
La porte se ferme finalement, Allen revient, temps du plat de la main une alliance que Green passe au doigt sans réfléchir. Jeune chien bien dressé. Bien maté.
Bien brisé.

Allen passe à côté de lui sans le regarder, Aria s'enfuit. Il reste tout seul dans l'immense entrée, dans l'immense maison. Il souhaite un instant ne pas être seul, il voudrait Anja, finalement, mais il ne peut pas. Il voudrait Elaïa ? Il ne peut pas.
Mais c'est faux, avant tout il voudrait Bleu, s'asseoir sur son lit et parler toute la lit, en rajouter des tonnes et tout explorer, les possibilités et les impasses, les suites, les fins.

Le silence est de plomb, comme ceux dans ses ailes.

Il se retourne et remonte doucement dans sa chambre, sans bruit, comme s'il n'existait pas. Existe-il ? Il n'était pas présent à ses propres fiançailles, visiblement. Il fait tourner la bague autour de son doigt en pensent qu'après tout Allen ne lui a rien expliqué. Peut être qu'il espère soumettre Anja qui soumettra Green dans tous les cas ?
Sa chambre lui paraît vide, impersonnelle, inutile.

Tout gonfle dans son cœur.
Pourquoi ne peut-il donc pas être un acteur ?

La rage monte dans son torse, dans sa gorge. Il défait avec fébrilité son noeud papillon comme si ses doigts brûlaient, là, tout précipité, la langue pâteuse. Il jette sa veste de smoking avec précipitation, tout doit sortir bon sang, tout doit partir c'est trop, c'est beaucoup trop, tellement trop. Il se retourne à nouveau, croise ses yeux subitement injecté de sang.

Comment respirer, mmh ? Comment respirer quand on est déjà mort ? Comment continuer quand on a envie, vraiment envie de crever ?
Peut être qu'Anja a fait ça pour le manipuler aussi après tout, Anja amoureuse, tu y as cru, hein ? Naïf.

Pourtant elle l'a dit, non ?

Tu l'aimes tellement que tu voudrais qu'elle t'aimes aussi.

Pathétique, pathétique, pathétique, pathétique.
Tu l'as cru, comme Chloé, le cercle, le cercle est complet, tellement douloureux, tellement pathétique, et le cercle qui tourne, tourne, tourne.
Jamais tu n'apprends.

Ses habits explosent alors qu'un puma sort de la pièce, explose la porte, file rejoindre l'obscurité, la forêt. Incontrôlé et animal.

Dans un coin du couloir, Allen regarde son fils s'enfuir.

Alors.
Le passage de niveau est bien réalisé pour tout les deux.

Anja :

Je commence à avoir l'habitude de voir Anja évoluer dans des situations calmes/un peu poétique, je vais finir par oublier que c'est une méchante cheffe de Rosenrot et Dorian va la descendre la prochaine fois qu'ils se voient *sort*. On sent l'espèce de joute mentale avec Allen que d'ailleurs tu joues très bien (bon en même temps c'est un peu ton personnage). Anja finit par dévoiler ses sentiments, un peu à l'arrachée.
Ca l'empêche pas d'écorcher son futur mari de temps à autre. Fragile à l'intérieur, trés froide à l'extérieur.

Green :

GREEN SE TELEPORTE DANS TOUS LES RPS QUE JE VOIS ALORS QUE C'EST PAS SON POUVOIR. Haha, non je rigole, je sais que c'est ton pouvoir secondaire. Attention à l'utiliser avec parcimonie et sans trop de précision. Même si dans ce passage de niveau, ca me parait justement utilisé vu que la distance n'est pas exceptionnelle.
Sinon on sent bien l'impuissance de Green face à la pression familiale et son déchirement intérieur avec son passé, Chloé. J'ai bien aimé la manière dont il a été joué.

Conclusion :

Passage accordé à tout les deux.
On sent la tension qui se construit jusqu'à cette fameuse annonce puis le refus de chacun des personnages de dire que l'annonce leur convient bien sur le fond au final. Peut être pas sur la forme. Puis y a un heureux dénouement.
PAR CONTRE SILVER N'AURAIT PAS FAIT UN CANDIDAT IDEAL POUR EPOUSER ANJA, IL AIME LES HUMAINES ET LES MÊLES. *sort*