Les poissons savent-ils chanter?...

Quelle joie! Un mardi après-midi sans cours!
Je pense que de ma vie, rien de meilleur n'aurai pu m'arriver. Quoique.
Je soupirais. C'est les mains dans les poches, de bonne humeur et d'une allure plutôt élancée que je me dirigeais vers le bassin, à l'extérieur du Mystery.
Quel ne fut pas ma surprise d'apercevoir Ange jouer -ou plutôt embêter, après observation de ma part- avec les carpes Koi du bassin. Je souris d'un sourire gentil et affectif. Assis là, il était mignon. Il ne m'avait pas encore remarqué.
J'en profitai pour rester dans l'ombre, à observer l'adolescent de débattre avec les poissons.
Pourtant, et au final, je finis par me lasser de ce spectacle, et entreprit alors une petite discussion, puisque apparemment, je n'avais rien à faire aujourd'hui. Après tout, rentrer chez moi aujourd'hui serai une perte de temps, sinon travailler mon morceau au piano.
Et puis... De tout mes étudiants, Ange était le seul avec lequel je n'avais pas parlé en tête à tête. Et pour moi, il était important de se rapprocher des élèves, afin de savoir ce qui se trame dans leur tête, et voir au premier coup d'oeil s'il se comporte habituellement.
C'est donc d'un regard observateur, un peu sévère que je m'avançais vers l'adolescent.
Il se tourna alors vers moi, un oeil interrogateur sur le visage.
Enclenchant la discussion, je fis remarquer :

-Tu sais, à force de jeter des pierres aux poissons, les pauvres n'auront même plus la place de nager. Et puis, tu vas faire déborder le bassin.

Ange regarda simultanément le bassin et moi. Il haussa les épaules, l'air de s'en foutre plus que de sa chaussette.

-Tu vas bien? dis-je finalement au bout de quelques secondes, puisque Ange n'était pas décidé à commencer la discussion.

Je n'avais pas envie de le déranger, aussi ne pris-je pas le temps de m'asseoir à ces côtés, ce qui voudrait dire que je voulais lui parler longtemps.

Petit, je n'aurais jamais imaginé être un jour professeur...

Il haussa les épaules et daigna me répondre après quelques moments de silence.

-Ouais. Ouais ça va. Et vous ?

Je l'embête? Les adolescents sont tellement compliqués. Un jour, il sont heureux, un jour ils ne le sont plus. J'y suis passé moi aussi, et ma crise d'adolescence s'était révélé plus virulente que je ne l'aurais pensé. Mais ne parlons pas de tout ça. Il ne me regardait pas dans les yeux, moi non plus d'ailleurs.
Mon regard était obnubilé par le ciel. Pas qu'il soit exceptionnel, mais simplement parce que j'aimais le regarder, ça me montrait que je n'étais rien par rapport à lui. Ce sentiment d'infériorité... n'importe qui serait gêné ou bien énervé, mais moi, ça me plaisait bien, et je savais pertinemment que la nature était plus forte que n'importe lequel d'entre nous. Là où la ville est morte, les plantes et les arbres ont repris leurs droits. Je pense que nous ne pourrons jamais tuer la nature, ou bien nous en subirons nous même les conséquences.
Je me tourne vers Ange et lui jette un petit regard malicieux.

-Je ne sais pas si tu es tendu, commençai-je, mais je ne viens pas te parler de tes devoirs. Tu es naturellement doué pour ça, et je pense bien que tu en profites pleinement. Disons que je ferme simplement les yeux.

Finalement, je me suis mis à en parler. C'est la première fois que je parle avec lui en dehors des cours, alors forcément, je ne peux m'empêcher de faire ressortir le professeur qui sommeille en moi. Et comme je sais qu'Ange a d'infinies capacités pour me montrer des notes bien meilleures que celles qu'il a, je ne peux m'empêcher de le redresser gentiment à ma façon. Après tout, mes élèves ne sont pas mes "amis". Je ne leur parlerai pas comme à Takeji par exemple. Quoique lui est un phénomène et un exemple à lui tout seul.

Un rêve pas si rêve que ça.

Ange partit s'asseoir sur l'herbe.

-Mais vous n'avez pas répondu à ma question.

Oups, tu m'enverras bien désolé. C'est difficile de parler tranquillement avec ses élèves quand on n'est pas en classe. Si si, je le jure. Qu'il y ai un climat avenant ou pas. C'est donc avec un petit sourire désolé que je lui répondis :

-Oui, oui, excuse-moi. Je vais bien.

Vraiment difficile. Je ne pensais pas qu'il pouvait être aussi silencieux. Ou bien peut-être que je l'intimide? Non, je ne pense pas, il a l'air à l'aise. Alors je souris. Parce que dans ces momets-là, je n'ai rien d'autre à faire. Et je le regarde. Et puis finalement, mon regard dérive sur l'horizon.
C'est incroyable de savoir comment les rêves imitent la réalité. Enfin bref.
Je reste assis et un silence s'ensuit. J'ai chaud dans mes vêtements. C'est affreux mais j'ai l'habitude. Alors, pour oublier cela, je demande :

-Dis-moi, Ange. C'est la première fois que nous parlons en dehors des cours alors... j'aimerais avoir quelques informations sur toi. Si ça te dérange ou que c'est personnel, tu peux me le dire, et je stopperais net mes questions.

Oui, c'est vrai. Je n'avais pas l'intention de m'imiscer dans l'intimité de l'adolescent. Mais tant qu'on est là, autant profiter pour faire plus ample connaissance et parler autre que les cours et tout ce bordel que même moi, j'apprécie jusqu'à une certaine dose.
Alors, je fixe Ange et attend sa réponse. J'attendrais. S'il veut être tranquille, je n'aurais qu'à partir. De toute façon, il a bien remarqué que c'est une simple demande et que ça n'engage en rien sa réponse. Je ris. Ça ne srt à rien de me triturer les méninges pour essayer de découvrir sa réponse.
Tiens, d'ailleurs, le voilà qui ouvre la bouche.

Des questions idiotes, et pourtant...

Et ça se mélange dans ma tête quand Ange me donne sa réponse affirmative. J'en avais plein des questions. À tel point que ma tête n'avait plus la place de réfléchir. Et d'un côté, je me disais "Nan, il voudra pas". Alors maintenant que la barrière est fendue, les idées s'échappent une à une, tel un sablier.
je ne sias pas, c'est comme si je ne m'attendait pas à cette réponse aussi rapide. Les adolescents sont parfois compliqués. Un jour ils te parlent et le lendemain insistent comme quoi ils ne te connaissent pas.
Enfin, inutile de plonger dans mes réflexions. Et puis, il faut dire que la phrase :

-Il fait beau aujourd'hui.

M'a bien fait rire. Intérieurement, je veux dire. Il n'y a rien à dire, la discussion est inintéressante. D'un côté, c'est marrant : cet esprit lent, flemmard et rêveur qui émane d'Ange.
Je le regarde avec un petit sourire moqueur et me décide enfin.
Pas beaucoup de questions qui portent vraiment sur lui, puisque je peux le savoir en regardant sa fiche. Non, plutôt ce qu'il aime, ce qu'il n'aime pas, et tout ces petits détails qui font vraiment se connaître l'un l'autre, sans perturber l'intimité.

-hum, par où commencer. Tes voyages? Les destinations où tu aimerais aller? Ton genre de musique? Ce que tu souhaites faire comme études? Et puis, même connaître les plats que tu aimes et ceux qui te sont en horreur. Je ne sais pas, un peu de tout.

Et je rigole. Parce que j'ai conscience que ça peut lui faire bizarre. Mais je ne le connais pas suffisament, et les petits détails sont souvent les plus importants. Quoique. je pivote mon regard sur les buissons derrière Ange. Alors, comment réagit un adolescent à ce genre de choses?
C'est amusant, j'ai l'impression de jouer à un jeu.

-Si tu trouves ça trop inutile, dis-le moi, j'ai conscience que c'est bizarre. Mais bon -je lève les yeux au ciel-, ça me permet de mieux te connaître, d'une manière ou d'une autre.

Et je le regarde à nouveau, du coin de l'oeil.

Soupirs...

Ange énuméra mes différentes questions avec une précision hors du commun. J'eus presque envie de rire de cette simplicité.
On n'avait rien à dire, c'est sûr. En attendant, je me renseignais habilement et d'une façon dérivée sur les goûts d'Ange. J'écoutais avec attention, surtout au moment où il se mit à parler de musique. je découvrais alors une forte similitude, et cela me fit plaisir.

-Et vous ?

Moi? Le retour à l'envoyeur. Mais ça peut se comprendre. Cette fois-ci, je ris de bon coeur. Ça ne rimait à rien, mais c'était amusant.
Alors je me pris au jeu, et m'apprêtait à parler où Ange me rassura sur son temps libre.

-Ne vous en faites pas pour ça. Ça ne me dérange pas du tout, je n'ai rien à faire cet après midi.

Tu m'envoie rassuré. Au moins, je ne te fais pas perdre ton temps. Alors je souris, lève les yeux, et fait travailler ma mémoire. Je ne suis pas doué pour ce genre d'exercice, qui consiste à parler de mes gouts. je me trouve rapidement à bout sans avoir parlé.
Quoiqu'il en soit, je me jette à l'eau et lui dit, d'une voix étonnamment douce :

-Voyons... je passe beaucoup de temps au Japon. Même si mon passé m'y rattache, et que ce ne sont pas de bons souvenirs, je ne peux m'empêcher d'y retourner dès que les vacances arrivent. Disons que c'est comme ma destination favorite. J'aimerais bien aller en Inde, en Polynésie Française, en Australie, et en France. J'y suis allé étant petit, et depuis, je souhaite y retourner. Sinon... je pense qu'il est inutile de parler de musique -je ris-, car j'aime à peu près tous les genres de musiques existantes, de l'électronique à la musique traditionnelle, même si je me tourne en général vers le rock, tout comme toi. J'aime mon travail, je n'ai pas à m'en plaindre, mais un autre boulot me pend au nez si je relâche mon attention. -Je fronce les sourcils en pensant à ma mère- Et en ce qui concerne les plats, je fais confiance à la cuisine japonaise, même si j'apprécie la cuisine européenne et libanaise. Je ne déteste aucun plat, car je ne suis pas difficile. Voilà pour les réponses.

Je lui souris à nouveau, et croise les jambes. La discussion va bientôt se terminer. Je n'ai aucun sujet en tête, comme un bocal d'eau qu'on vide. Peut-être l'environnement est-il plaisant au silence? Je regarde les alentours et ferme les yeux au moment où une bourrasque envahit l'endroit. Avec mes habits chauds, je ne crains pas le froid, mais quand je regarde Ange, ma question fuse avant même d'être pensée :

-Tu n'as pas froid comme ça? Tu me diras, vous, les adolescents, vous êtes tellement étonnant. Vous changez d'humeur du tac au tac, vous êtes bavard puis silencieux. Je trouve que c'est la meilleure époque de la vie. Après, le travail arrive et tu n'occupes plus ton temps à mâchouiller de l'herbe comme du chewing-gum.

Je ris. C'est exactement ce que faisait Ange. C'est pour ça que je l'ai fait remarquer. Alors, je pose mes mains sur le bord du bassin et referme les yeux.

L'âge "j'men foutiste"

Je ne dirais pas fascinant, puisque j'y ai passée toute mon enfance, mais c'est vrai que c'est le Japon que j'affectionne tout particulièrement, pour la raison citée au-dessus. Je soupire au moment où Ange parle.

-Eh, c'est vous qui portez trois tonnes de vêtements sous lesquels vous devez absolument crever de chaud. Moi je suis habillé normalement pour la saison. Mais j'aime bien vos fringues au passage. Vous avez vu comme je rumine bien en plus ?

Je ris. Non, je ne crève pas de chaud, c'est devenu une habitude à force, et puis c'est tellement confortable que je ne m'en passe plus.
sa remarque sur le fait de ruminer m'a bien fait rire, mais je m'en suis retenu.

-Vous avez été ado vous aussi. D'ailleurs, je me demande comment vous étiez. Et puis, vous n'êtes pas vieux tout compte fait. Je parie que vous n'avez même pas dix ans de plus que moi.

Non, je ne suis pas vieux, je n'ai pas dix ans de plus que toi, et je ne te dirais pas mon âge, car le profs ne le disent jamais. Je ne sais pas pourquoi, mais c'est ainsi. Quoiqu'il en soit, en ce qui concerne mon adolescence, j'étais plus ce genre de personne qui cherche à éviter la famille et se rapprocher des copains.

-Moi, je pense qu'il faut profiter de chaque âge de la vie.
-Je pense que tu as bien raison. En ce qui me concerne, je crois que c'est aujourd'hui que je me sens le mieux, même si mon adolescence était fougueuse et ruminante.

Je ris de nouveau. En matière de chewing-gum, je savais m'y prendre oui. Les plus grosses bulles, c'est moi qui les faisait.

-Tu sais, chez nous, l'adolescence termine bien plus tard. Pas physiquement, mais officiellement. Notre majorité arrive à 20 ans, alors que les pays européens se situent à 18 ans. Ça nous oblige en quelque sorte à quitter le pays plus tard, pour prendre racine et comprendre que c'est là notre pays. C'est ce à quoi je pense. Mais si tu veux que je t'emmène au Japon tout frais payés, je suis d'accord. J'espère juste que tu n'as pas peur des voyages en avion qui durent. Parce que c'est pas à côté.

Ce n'est vraiment pas à côté, je dirais. Mais faire connaître le pays à d'autre m'a toujours fait plaisir, que ce soit simplement une redécouverte avec Take, ou bien une première avec Ange.
Alors je pose mes yeux sur Ange et lui dis :

-Bon, je pense que notre discussion touche à sa fin. Je me suis un peu trop reposé pendant les vacances. Et il va donc falloir que je me remette au boulot pour préparer les cours. Voilà un avantage que les élèves ont.

Je lui lance un clin d'œil et me lève doucement. Oui, il fut vraiment que je me mette au boulot sinon je vais m'y prendre trop tard, et je vais me retrouver avec des semaines un peu vides pour les enfants. Parce qu'au moins le privilège d'un prof, c'est de pouvoir appeler par tous les noms leurs élèves. Et pour moi, c'est simplement "les enfants", car je sais qu'à cette période de la vie, les adolescents souhaitent prendre leur envol, et que cette appellation ne sied pas vraiment à cette envie.

Des adieux brefs, et une invitation à recommencer.

J'observais attentivement tous les gestes d'Ange ainsi que ses paroles. Apparemment, il souhaitait aller au Japon, et trépignait d'envie rien qu'à y penser. Je souris. Il eut un rictus bizarre et dit :

-J'aurais bien aimé vous voir à cette époque là.

Je ris. Parce que c'est marrant ce qu'il raconte. S'il m'avait vu à cette époque, il n'aura certainement pas pensé que je puisse devenir professeur dans un orphelinat en Écosse. C'était tout simplement impensable. Mais la vie réserve des surprises, et celle-ci était véritablement grandiose. Je lui lançais d'un air amusé, un sourcil relevé :

-Je ne crois pas que tu m'aurais vraiment apprécié. J'ai beaucoup changé.

Je pose mes mains sur mes genoux, et m'étire à moitié. Oui, il ne m'aurait certainement jamais fréquenté. J'en met ma main à couper. Le lycée furent mes véritables années en tant qu'ado apprécié, autant par les garçons que par les filles. Quand j'y repense, ça me rend nostalgique.
Je lui parle d'un voyage tout frais payés, mais il se rebute brusquement :

-Vous verrez qu'un jour JE pourrai vous emmener au Japon tous frais payés. Je me sentirai gêné de voyager à vos frais. Et puis, de toute façon, j'aime l'avion.

Gêné? Quel mal y'a-t-il? Je ne vois pas. Et puis, s'il pense ça, je me sentirais moi aussi en état de gêne. Être payé alors qu'on est déjà milliardaire. Il n'y a aucune logique. Au contraire, je serais heureux de lui faire visiter mon pays. Et puis, il est presque majeur dans les pays européens. Le seul problème c'est la majorité au Japon, mais comme il n'est pas japonais, il n'est pas soumis aux règles de ce genre.
J'aimerais passer encore beaucoup de temps à lui poser des questions, mais il faut réellement que j'y aille.

-Tu n'as pas à être gêné. Ça me fait plaisir.

Et je souris. J'aborde alors ma phrase pour lui dire que je dois partir. Il me répond :

-Bon, d'accord, abandonnez-moi à mon triste sort d'ado...Enfin bon je comprends que vous ayez du travail....De toute façons, je repasserai par vos cours avant mes 18 ans. Je compte aller voyager après cet anniversaire.

Je ne peux m'empêcher de rire. Je me lève alors, le salue, et termine par cette parole :

-Profite bien de tes vacances. Et comme tu le dis, nous aurons tout le temps de parler par la suite. À plus tard.

Je lui souris de nouveau, et m'éloigne lentement, laissant ma cape voler au vent. Ah, tiens c'est vrai qu'il va falloir que je me change aussi. Je dois faire quelques courses, et pas question de me balader dans la rue dans cette tenue. De toute façon, je vais devoir y passer, étant donné que j'habite dans une rue de Little A. Bref, me voilà parti. Je m'étire. Espérons que je ne rencontrerais personne sur ma route, histoire de ne pas perdre mon temps à parler.
Et non, pour ceux qui ont mal compris, si j'avais pu rester avec Ange plus longtemps, ça ne m'aurait pas dérangé. J'aime bien parler avec lui.

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