Je marche, dans la forêt, arpentant un sentier de terre battue par les pieds de mes prédécesseurs au fil des ans , entouré par d’arbres allant du chêne au boulot en passant par le hêtre, courbés par un vent chaud et puissant, venant de mon dos, m’emmenant vers ma destination, une prairie. Un endroit charmant, vaste, dégagé, lieu de nature claire et préservée des humains. L’heure approche, celle de mon entraînement… Ais-je l’air triste ? Si oui, et bien pour une fois ce n’est pas le cas, j’aime ces entraînements, et depuis que mon mentor, Ren Takahata, m’aide à progresser dans la voie du savoir physique et mental, j’ai finalement abandonné mon humeur morose teintée par la tristesse, et mon esprit de vengeance… Bien sûr, ce n’est pas totalement guéri, mais je me sens déjà énormément mieux… Un sourire se dessine sur mes lèvres, sans raisons apparentes, mis à part celle du plaisir de faire ce geste, et de ses multiples apports positifs, du genre détente et bonne humeur, deux concepts assez nouveaux pour moi, et vraiment pas déplaisant, et ça, cela me fût appris par mon maître également, un homme bien, grâce à lui, je vis différemment, je vois les choses sous un autre angle, en résumé, grâce à lui, j’ai changé, je lui dois ma renaissance, ainsi que la reconnaissance…
Quelques rayons de soleils traversent le feuillage des arbres, traçants des faisceaux lumineux en divers endroits, une forêt magnifique, calme, sereine, généreuse, acceptant tout le monde sans rejeter personne, ne cherchant pas à se venger de toutes les agressions que nous, humains, lui faisons subir, se laissant faire… La nature a dû comprendre à quel point nous sommes faibles, pitoyables parasites victimes de leur évolution, elle a pitié de nous… Mais trêve de pessimisme, la terre du chemin laisse maintenant place à l’herbe de la prairie, je suis arrivé…

Sentiment de bienêtre lorsque mes pieds foulent ce sol fertile, lorsque je sens la caresse des herbes contre mes mollets et lorsque le soleil, perçant le ciel bleu, m’arrive en plein visage, réchauffant ma peau, drainant d’éventuelles peines et tristesses… Je m’arrête après quelques pas, et, les yeux fermé, inspire l’air pur à pleins poumons, faisant gonfler mon ventre, ma cage thoracique et le haut de cette cage, au niveau de la clavicule, puis expirant dans le même ordre. Une respiration complète pour me calmer et me relaxer… Puis me sentant mieux, je ré-ouvre mes paupières, cherchant autour de moi mon mentor, au cas où il serait déjà arrivé… En même temps, quelques vers composés ce matin me reviennent à l’esprit,

J’arpente un chemin que j’avais oublié,
Au côté de celui qui va me guider,
Et malgré l’ombre, malgré l’obscurité,
Ensemble, nous parviendrons à triompher…

Je suis conscient que ces mots ne veulent pas dire grand-chose, mais ils me sont venu spontanément en passant à mon maître et à mon entraînement, alors je les ais gardés, mais trêves de poésie, ça va commencer…

C'est pas ma p'tite gosse
qui va m'empêcher d'aller bosser.

Quelques jours déjà que le maquillage est de plus en plus marqué. Vous savez, la laideur est vraiment une chose qui m'horripile. Et je dois dire que mon sens de l'esthétisme dépasse de loin celui d'un être humain normalement constitué. Voilà pourquoi exceptionnellement ce matin, je me suis réveillé encore plus tôt. Enfin, réveillé n'est pas vraiment le terme adéquat. Parlons plutôt de levé. J'avoue qu'Ayumi possède une voix très puissante pour son âge. Enfin, je dis ça sans vraiment le savoir. Avant elle, je n'ai jamais eu d'enfant. Alors peut-être que tous les gosses sont formés ainsi. Peut-être que moi aussi, j'ai gueulé dès ma venue au monde.

Enfin qu'importe, cette vision de mon visage altéré par les nuits passées à dormir éveillé ne me mettent pas vraiment en valeur. Et ce ne sont pas les crèmes de soins qui y changeront quelque chose. Regardez-moi cette peau. Et ces cernes profondément marqués. Je déteste ça, franchement. Essayez de vous mettre à ma place. et... hrm. D'accord. Je fixe le miroir d'un air insistant, comme si par un simple regard, je pouvais l'intimer de modifier mon reflet. Me vient presque en tête Blanche-Neige. Mon Dieu, quelle référence que voici. Je n'en tiendrais pas usage. Mais le miroir ne modifie pas cette allure et je finis par soupirer, les mains tendues sur le rebord du robinet. Les pires insultes japonaises me viennent en tête. Mais je n'en prononce aucune. Quel intérêt y'aura-t-il ? Je ne vais pas insulter mes cernes. Ni Ayumi qui n'a pas encore l'âge d'avoir conscience d'elle-même. Et il n'est pas question que je m'auto-insulte. Alors contentons-nous simplement d'un silence.

Après un bref passage à la douche, je débute une inspection complète. Pas de bouton. Juste une peau trop blanche. Et des yeux trop blancs eux aussi. Tout ce qui ne supporte pas le soleil. J'ai bien fait de m'installer en Écosse. Au moins ici, je ne crains pas les rayons UV du soleil. Des fois je le regrette pourtant. J'inspire profondément avant de commencer mes multiples couches afin de ne plus laisser transparaître un seul ride ou cerne. Enfin, ride est déjà péjoratif en soi. Et je ne suis pas assez vieux pour ça. Bref. Je termine ma toilette au bout d'une demi-heure, ce qui un record en soi. J'ai jamais tenu aussi peu longtemps.

J'enfile un t-shirt large, un pantalon de jogging et des basket. Je mets aussi mes bandes de métamorphose. Ça ne sert à rien de se faire beau si c'est pour passer la journée sous forme animale. Rien n'importe sur l'esthétisme SAUF le visage. Je prends mon long manteau noir et déguerpis de la maison avant qu'une nouvelle alarme ne se déclenche. En fait, si je me suis levé aussi tôt, outre le fait que je doive me maquiller, c'est parce que j'ai donné rendez-vous à Yoren dans la prairie du domaine Landcastle. Ça va faire quelques semaines que l'on ne s'est pas vu, et j'aimerai bien savoir comment il a progressé. Après tout, c'est mon apprenti, il faut bien que je lui apprenne des trucs de temps en temps. Il ne peut pas habiter chez moi en raison des troubles familiaux, et mon boulot de professeur me saccage tout mon temps. C'est terrible. Mais il faut dire que j'assume un peu trop de choses. Être père de famille n'a pas que des bons avantages. J'ai quitté le congé paternité un peu trop tôt je crois. J'aurai dû vraiment en profiter. Au lieu de fuir comme un débutant mes responsabilités.

L'endroit où nous nous sommes donnés rendez-vous approche. Il y a un vent assez tranquille, ça permet de rafraîchir. C'est un temps idéal pour s'entraîner. Finalement, j'aperçois Yoren dans la prairie. Damn, il est en avance. Je le fixe si intensément qu'il va bien finir par tourner la tête. Puis, finalement, je me décide à m'approcher. Mais c'est qu'il a encore grandi. J'espère qu'il ne me dépassera pas. Au pire, je vais mettre des bottes compensées. Mais à quoi je pense. Je ne suis pas là pour faire une démonstration de force. Tout du moins, pas dans ce style aussi futile. Je tends ma main vers les cheveux de Yoren et les farfouille légèrement. Depuis que je suis papa, j'ai tendance à m'être adouci avec les jeunes. Même si ce dernier n'est pas dans la même tranche d'âge qu'Ayu.

-Alors Yoren, tu as bien bossé depuis les quelques semaines durant lesquelles on ne s'est pas vus ?

Il va vraiment finir par me dépasser, ce petit.

L'air entrant et sortant de mon corps produit un flux d'énergie apaisante, vidant ma tête, apaisant mon esprit, libérant mes sens et capacités mentales, me préparant à la suite, car l'heure est arrivée, je le vois du coin de l'œil, mon mentor, il se dirige vers moi, Ren... Je tourne mon visage vers lui, esquissant un sourire naturel non forcé. J'aime passer du temps avec lui, car en plus d'être un bon professeur, il est quelqu'un d'attentionné et de compréhensif, le père que j'aurais aimé avoir... Toujours cette même impression de bonheur quand je le vois, savourant ce moment qui débute et que j'attendais depuis longtemps, plusieurs semaines au mois, car mon maître est très occupé en ce moment, entre son travail à l'orphelinat et son rôle de père, il ne lui reste pas beaucoup de temps à m'accorder... Mais je comprends tout à fait, et ce n'est pas comme si il me laissait sans rien faire, j'ai eus de quoi 'occuper entre temps, je cite, exercices de métamorphose, de communication animale, et évidemment, tous cela dans diverses situations, pas toujours assis tranquillement dans l'herbe en se reposant et en mangeant une glace, mais plutôt en situation de stress, sur le point de se faire charger par un sanglier énervé... Il faut pouvoir utiliser ses capacités dans n'importe quel cas de figure... Puis à cela s'ajoute une panoplie d'histoires sur la culture japonaise et autres informations aussi intéressantes sur lesquelles je médite avec plaisir... Mon mentor arrive à côté de moi. Son maquillage est encore frais, et son visage est marqué par de profonds cernes... Personnellement, je trouve que les cernes ont du charme, ce n'est pas laid comme le disent certains, pas du tout même... Il n'a pas l'air très bien réveillé, mais il doit avoir beaucoup de travail en ce moment, le pauvre, il a du courage de se lever pour moi, je ne sais même pas si je mérite un maître comme lui... Il passa sa main dans mes cheveux que je n'ai même pas pris la peine de coiffer, et rompit le silence en premier.

-"Alors Yoren, tu as bien bossé depuis les quelques semaines durant lesquelles on ne s'est pas vus ?"

Alors, dans l'ordre, je me suis amusé à enchaîner les métamorphoses le plus vite possible et le plus longtemps possible, ce qui m'a littéralement tué, ensuite j'ai travaillé mon endurance sous toutes mes formes, y compris humaine, et surtout celle du loup parce que j'adore vraiment courir avec elle, en parlant de ma forme fusionnelle, je l'ai beaucoup travaillé, afin d'être en symbiose le plus possible avec elle. Pour ce qui est de la télépathie animale, j'ai pas arrêté de communiquer avec tous ce que je pouvais, augmentant toujours plus la distance, essayant d'améliorer sans cesse la qualité de la communication. Ça aussi ça use bien...

-"Bonjour Seinsei, oui, j'ai travaillé un petit peu dès que je le pouvais. Comment allez-vous sinon ?"

Oui, je sais, j'ai travaillé plus que "un petit peu", mais j'aime la modestie. Je sais que ma manière extrêmement polie de m'adresser à mon mentor est à la limite du fayotage, mais c'est parce que je lui montre réellement du respect, et que je lui dois bien ça quand même... En tout cas je sens venir l'entraînement actif, celui qui te montre que pendant les quelques semaines, tu en a fait vraiment un petit peu... Il va me tuer un jour, j'en suis sûr, un peu comme quand vous amenez quelqu'un dans une attraction de type montagne russe, et qu'il n'en n'a jamais fait, il croit qu'au début il va mourir dans d'atroces souffrances... Et bien là c'est la même chose, quand on s'entraîne occasionnellement, et qu'on passe à un stade supérieur, il faut rattraper l'écart... A part ça, j'aime ma vie...

Les entraînements,
ne sont pas à négliger.

J'observe Yoren d'un air sceptique. J'ai confiance en lui, mais j'espère qu'il n'a pas glandé sous prétexte qu'on ne se voit pas souvent. Ce serai impardonnable. Si je reste relativement gentil et attentif quand j'ai un groupe, je suis beaucoup plus sévère en tête à tête. J'en attends beaucoup de Yoren. Je veux qu'il excelle. Surtout que je suis vraiment en capacité de pouvoir l'aider. Nous possédons les mêmes dons et pouvoirs, c'est une bonne chose. Sans en dire plus, j'attends la réponse de Yoren :

-"Bonjour Seinsei, oui, j'ai travaillé un petit peu dès que je le pouvais. Comment allez-vous sinon ?"

Je me détend un peu plus. Bon, je ne sais pas trop ce que signifie un petit peu, mais au moins il a fait un travail régulier. C'est la première chose que je privilégie chez un élève. C'est une bonne chose. Bon, n'allons pas perdre mes quelques précieuses minutes qui devraient probablement pouvoir se compter en heures. J'enchaîne aussitôt :

-Fatigué, mais je tiens debout. Je suppose que tu vas bien aussi. Commençons l'entraînement sans tarder.

C'est vrai, je suis très directif dans ce que je fais. Je déteste la perte de temps. Pas que l'état de Yoren ne m'importe pas. C'est même tout à fait le contraire. Mais en bavassant, nous perdons du temps. Et rien n'empêche de parler en travaillant. C'est même un trop bon exercice de respiration. Quand je vous disais que j'étais sévère. Ne perdons pas de temps. J'aime bien passer du temps avec mon élève. Ça change de l'orphelinat. C'est plus dans un esprit de camaraderie. Même si je reste le professeur. D'ailleurs, dans mon esprit de professeur, tout un emploi du temps se met en marche. Ça a l'air plutôt pas mal comme ça. Alors, nous n'avons plus qu'à commencer par l'échauffement. Ici, à cette heure, il n'y a personne, alors nous pouvons laisser nos affaires sans risque. La seule chose qui peut nous piquer nos habits, c'est le vent. Et il souffle pas mal. Alors, je prends un grosse pierre, la pose à côté de moi, me métamorphose en belette, m'extirpe de mes habits, puis revient sous forme de léopard. Je roule mes affaires en boule en me servant de mon museau et fait rouler la pierre pour qu'elle appuie sur mes habits. Voyant la tête de Yoren, je lui explique la situation :

-Je te conseille d'accrocher tes habits ou de les poser sous une surface dure. Le vent est plutôt fort.

Suite à ça, je m'étire de tout mon long. Ça fait du bien d'être sous forme animale. Un bien immense. Je pose mon derrière sur l'herbe plutôt fraîche et poursuit :

-On commence l'entraînement comme d'habitude.

L'entraînement usuel, même s'il commence à dater, se divise en trois parties, et se concentre uniquement sur la métamorphose. La télépathie est secondaire. Mais j'ai l'intention de l'entraîner, uniquement quand Yoren sera à bout de force. Il faut savoir puiser dans ses dernières forces pour progresser. Pour connaître ses limites aussi. Ce qui n'est pas à négliger. Si je les avaient connues, je n'aurai pas terminé en prison pendant quelques mois. Jet ire de mes propres expériences des enseignements pour éviter aux futurs exorcistes de se faire attraper de la même manière que moi.

Nous disions, l'entraînement comme d'habitude. La première partie est un échauffement d'une vingtaine de minutes en trottinant sous forme fusionnelle. Vraiment pas méchant. En général, je le laisse courir en l'observant. Comme la plupart des profs de sport. Et c'est ce que je ferais encore aujourd'hui. Des étirements après ça, comme un humain le ferait. Puis une deuxième partie se basant sur l'endurance de la personne. Je lui ai déjà proposé de s'entraîner à changer de forme le plus souvent possible. Eh bien il s'agit exactement de ça. Sauf qu'il faut courir un peu plus vite qu'à l'échauffement. Je considère que changer de forme une fois toutes les trois minutes est une bonne chose. En général, je suis avec lui pour lui donner courage. J'effectue les mêmes gestes que lui. En général, l'élève est fatigué après ça, mais je vois Yoren tellement peu que je me demande jusqu'où il pourra aller. Ensuite, dernière partie, l'entraînement à l'attaque. En général, ça ne dure pas très longtemps, même si je réserve mon jugement en fonction des prouesses du jeune élève. C'est un entraînement d'attaque sous une forme qui n'est pas fusionnelle. De préférence, la moins apte à se battre -sauf les formes aquatiques ou trop petits animaux, évidemment, je ne veux pas tuer mes élèves-. Et c'est un combat singulier qui s'engage. Voilà. Nous verrons ensuite.

Je regarde Yoren pour l'inciter à partir s'échauffer. Je sais très bien que durant le dernier exercice, l'élève est difficulté puisqu'il s'est plus épuisé que moi, mais c'est justement le but recherché. Je ne souhaite pas asseoir ma puissance, mais plutôt à le pousser, à lui donner la rage de vaincre quelqu'un de plus entraîné, ou de plus en forme.

Nous y sommes, le moment tant attendu est arrivé, et ma souffrance peut commencer, cette souffrance que j'aime, celle que l'on ressent dans nos muscle le lendemain d'une journée intense, et que j'espère ressentir demain aussi. Un regard neutre de la part de mon mentor, et le voilà en train de commencer à enlever ses vêtements, à sa manière, c'est à dire en se cassant le plus la tête possible, ou justement, en ne faisant aucun effort, ça dépend des points de vue... Il se métamorphose tout d'abord en belette, afin que ses vêtements tombent tout autour de lui, sans qu'il ait besoin de bouger, sauf pour sortir de sous la masse d'habits... Puis il enchaîne en léopard des neiges, SA transformation à lui, sa forme fusionnelle, qui est pour lui ce que le loup est pour moi, puis se débrouille avec son museau pour caler ses vêtements sous une pierre, en m'expliquant que c'est juste pour éviter que le vent ne les emporte...
J'en déduis alors que c'est à mon tour de me mettre en tenue. Appliquant sa méthode, je me concentre brièvement, et me transforme en chat. J'aime cette forme, on est petit, mignon, rapide, agile, puis tout le monde aime les chats. Je suis heureux d'avoir trois transformations en félins, ce sont des animaux magnifiques et ayant d'excellentes caractéristiques. Je m'extirpe de la masse de coton et autres, ronronne un coup, savourant d'avance ce qui va suivre. Je n'ai pas vraiment besoin de me concentrer ou de forcer, car d'habitude, je me force pour ne pas me transformer en cette forme justement, et là, je relâche tous... Ma taille se met alors à augmenter, mon visage se déforme, ma gueule s'allonge, et je sens ma dentition, puissante, redoutable... Mon pelage passe de noir et blanc à un noir profond, légèrement luisant, et uni sur tous mon corps, mis à part un pelage plus claire, sans non plus virer au blanc, au niveau de mon ventre, remontant vers la base de ma gorge, formant un dégradé avec le haut de cette dernière. La force dans mes pattes et dans mon corps augmente, et mes sens changes, légèrement, il n'y a pas beaucoup de changement entre cette forme et ma forme précédente. Je lève les yeux au ciel, inspire à fond, et ne pouvant pas y résister, je hurle, sachant que je vais me faire réprimander par mon maître, mais tant pis, c'est plus fort que moi, et il devrait quand même me comprendre, en voyant que je suis sous ma forme fusionnelle, en me voyant loup je suis un loup... Il n'y a pas à dire, ce n'est que comme ça que je suis vraiment bien...

-"Désolé pour le hurlement, c'était plus fort que moi, c'est tellement bon..."

Comment un léopard et un loup réussissent-ils à communiquer ? Bonne question, et j'ignore la réponse, ça marche, c'est le principal. Je regarde le bel animal tout blanc en face de moi quelques secondes, attendant sa réponse... Il m'a dit qu'il tenait à peine debout, mais enfin là, il a plutôt l'air d'attaque pour faire le tour de l'Ecosse, ce qu'on aurait fait depuis longtemps si on avait du temps... Je voulais finir de ranger mes vêtements, mais ne voyant pas de pierre, je du opter pour la seconde option. C'est ainsi qu'un léopard regarda un loup creuser et mettre des vêtements dedans en les prenant dans sa gueule... Je serais bon pour faire une machine en rentrant du coup...

Mon mentor me fixait calmement, avant de prononcer les mots aptes à me réjouir.

-"On commence l'entraînement comme d'habitude."

Rien que d'entendre "on commence l'entraînement", et je tiens plus en place, j'ai juste envie de courir jusqu'à ce que je sois par terre, en train de baver de fatigue en ayant les yeux révulsés. Donc bref, partie numéro un, la partie où on court justement, avec joie ! Si on suit la démarche habituelle, je cours et lui me regarde, observe et me conseille... Ce qui est pratique, c'est qu'un léopard et un loup peuvent courir à peu près à la même vitesse, et me concernant, le loup est un animal extrêmement endurant, alors que sans être loup je le suis déjà assez, cette forme me convient vraiment. Je regarde devant moi, écoute les bruits alentours et surtout utilise mon odorat surdéveloppé, constate qu'il n'y a personne autour à part nous. Ren me fixe, encourageant, et moi, je commence à courir. J'aime ma vie...

J'ai besoin d'un temps pour réfléchir,
et d'un temps pour m'agiter.

Yoren est vraiment amusant, par moments. Comme la majorité de mes élèves, je dois l'avouer. Chacun possède son propre caractère. Vous avez ceux qui écoutent beaucoup ce que je raconte et exécutent toutes mes paroles sans broncher, ceux qui font leur propre chemin mais qui s'en sortent aussi bien, et ceux qui sèchent les cours. Ces derniers, je ne les aiment pas trop, mais il y a quelques cas que j'arrive à exclure de cette liste. Yoren est plutôt quelqu'un d'aguerri, capable d'écouter mes paroles et de poursuivre aussi son chemin. Il est toujours à l'affût de nouvelle façon de travailler, et il m'écoute beaucoup. C'est vraiment un plaisir de faire cours avec lui. C'est clair. Je l'observe tandis qu'il se métamorphose en passant sous différentes formes pour sortir de ses habits. Ah, c'est vrai que ma technique est plutôt rapide et pratique... quand on en a l'habitude. J'étouffe un petit rire animal en le voyant se débattre avec ses vêtements. Puis, il se transforme en loup. Il prend ses affaires dans sa gueule, sans trop savoir où les poser. Mon nez félin dénigre un peu la senteur lupin et manque d'éternuer. Je ne pense pas qu'on puisse parler d'allergie, sinon ça se rapprocherait trop de la discrimination. Non, c'est simplement une habitude normale d'un félin en face d'un canidé. Mais bon, en apprend rapidement à faire la différence entre un animal et un métamorphe, je vous l'assure.

Le voilà qui a l'air heureux à m'entendre décréter que l'entraînement va commencer. Des fois, je ne comprends pas mes élèves. En même temps, j'ai toujours été flemmard, alors j'ai du mal à trouver un quelconque intérêt pour le travail. C'est bizarre, car dis comme ça, on croirait que je ne fais rien de ma vie. Et c'est tout à fait le contraire. Je vis à droite et à gauche, je me retourne et je regarde de l'avant. C'est probablement pour cette raison qu'une pause signifie souvent ma déconnexion complète. Enlevez le courant à un ordinateur, et vous aurez le même résultat. Ça fait « pschiiit » et puis plus rien. Je manque de sursauter quand le hurlement de Yoren parvient jusqu'à mes oreilles.

-"Désolé pour le hurlement, c'était plus fort que moi, c'est tellement bon..."

Et je souris surtout mentalement. Ça, je veux bien le comprendre. Et c'est pour ça que je l'en excuse de suite. Être animal procure tellement plus de plaisirs primitifs. On se casse moins la tête, et on a beaucoup plus de sens. On sent le vent dans le pelage. Ça nous rafraîchit. Ça nous fait du bien. On a envie de foncer à travers champ et ne jamais s'arrêter. Ce sont des sentiments très directs. On ne vit qu'au jour le jour. Et c'est le grand avantage, on ne se prend plus la tête, à mon avis. J'acquiesce de la tête avant de commencer l'entraînement. Yoren commence à courir. Je me contente de l'observer, bien calé sur mes fessiers.

Inspirant en profondeur, je me décide, au bout de quelques minutes de pause de stopper l'animal qui continue de courir. Première satisfaction pour moi. Il n'a même pas l'air d'être essoufflé. C'est une bonne chose. Ça traduit malgré lui les heures d'entraînements qu'il a dû se farcir. Je suis content. C'est surtout une bonne chose si je veux étaler l'entraînement et prendre plus de temps. Bon, ça promet pour moi bien sûr, puisque je risque de me fatiguer plus que d'ordinaire, mais franchement, je voulais m'attendre à quoi ? Yoren est un jeune homme assidu. Avec les devoirs que je lui donne, il est certain que s'il les exécute, il parviendra à un très bon niveau rapidement. Bien sûr, je n'ai pas de recette miracle à donner comme dans Astérix et Obélix, mais tout viendra avec le temps.

-C'est bon, Yoren, étire-toi et passons à la deuxième phase.

L'étirement, je ne le néglige pas. Tout comme un professeur de sport le ferait. Au final, c'est un peu la même chose. Le boulot n'est juste pas le même. Mais au final, ce qu'on veut c'est améliorer les mêmes points qu'en sport : Précision, endurance, rapidité et agilité. Je dois probablement en oublier. Après, le seul point vraiment divergeant, c'est que telle indication ne s'applique pas à tout les élèves. Les formes divergent, et c'est savoir s'adapter qui est le plus difficile. Mais je commence à avoir de l'habitude dans le métier. On va un peu modifier la deuxième phase. En général, je fais ça avec tous les élèves, donc j'applique le même traitement pour courir. Mais là, comme je suis seul avec lui, on va se concentrer sur autre chose :

-T'es-tu entraîné sous toutes tes formes ? Laquelle t'as posé le plus de difficulté ?

Sitôt sa réponse donné, je saurai comment procéder. Avoir plusieurs formes est utile, mais lorsqu'on ne sait pas s'en servir, elles deviennent un handicap. Il faut savoir tirer profit de chaque formes. Elle ne nous sont pas parvenus par hasard. Si je récapitule bien, Yoren a cinq formes -comme tout le monde- avec une forme fusionnelle en loup et quatre autre en aigle royal, lion, serpent, chat et guépard. Si ma mémoire est bonne. Et elle doit l'être. Bien. Déjà, s'il commence à dire qu'il se sent moins en confiance avec le guépard, nous allons bien nous amuser. Car plus fort ou moins fort, le guépard reste l'animal le plus rapide de tous. Nous verrons bien. Sur ce, après ses étirement,s je commence à trottiner puis courir pour l'inviter à faire de même. À partir de maintenant, nous travaillons ensemble.

Sentir le vent dans son pelage… L’oxygène dans ses poumons… La terre sous ses pattes… Voir autour de soi le paysage défiler, et les arbres au loin se rapprocher… Atteindre l’horizon. Toujours plus vite, plus loin. Quand on est un animal, notre façon de penser est différente, mais au final, on recherche les mêmes buts, l’évasion, la performance, le dépassement de soi même… Ces objectifs de la vie qui nous poussent à aller de l’avant, encore et encore et encore, toujours… D’ailleurs, puisque l’on parle de dépassement de soi même, j’entame un sprint, voyant combien de temps je peux tenir en étant à ma vitesse maximale. Je ne le saurais pas maintenant, car à peine cette vitesse atteinte, un appel de mon mentor me signale que la première phase de l’entrainement est terminée…

-« C'est bon, Yoren, étire-toi et passons à la deuxième phase. »

« Déjà ? », me dis-je ? Remarque, je ne sais pas combien de temps il s’est écoulé, quand je cours je perds toute notion du genre pour ne me concentrer qu’uniquement sur ma course, parce que finalement, que ce soit sous forme humaine ou animal, courir fait partie de ce que j’aime le plus dans ma vie, alors autant en profiter un maximum et dans les meilleurs conditions possibles. Je retourne alors vers le léopard assis tranquillement, me jaugeant en me fixant sans relâche, afin qu’il puisse me dire comment ont évolué mes performances depuis la dernière fois. De mon côté, pas le moindre signe de fatigue ne se fait sentir… Il faut dire que la nuit, souvent, je vais courir sous forme animal quand je ne parviens pas à dormir, ce qui arrive plutôt souvent en fait… Du coup, ces entraînements nocturnes improvisés plus ma condition naturelle adaptée à la course me rendent extrêmement endurant, et ce n’est donc pas ce petit moment passé à courir qui va me mettre à terre… En revanche, il joue son rôle, puisque je sens mes muscles se contracter et se décontracter sous l’afflux de mon sang, et mes capacités physiques se décupler. C’était l’échauffement, et maintenant, je suis chaud, prêt à passer à la suite…

C’est donc avec minutie que j’entame mes étirements. Dans diverses positions, je mets en tension nuque et pattes, échauffe également toutes mes articulations, le tout sans jamais faire d’à-coup, car c’est le meilleur moyen de se blesser. Faire un à-coup entraînera un réflexe appelé « réflexe myotatique », qui provoque la contraction du muscle étiré… et un muscle qui se contracte pendant qu’il est étiré pourrait le faire se déchirer… Rien que d’imaginer une blessure comme ça qui pourrait m’empêcher de courir me donne des frissons. Je sens une chaleur dans mon corps, partant de ma cage thoracique et se dispersant vers les extrémités de mes membres, simple indication de ma chair, elle est prête pour ce qui va suivre… Lentement je fais jouer mes pattes, appréciant leur meilleure souplesse et aussi cette sensation de puissance accrue. Me laissant transporter par cette sensation de bien-être, je regarde le ciel, les yeux fermés… Papa, maman, c’est pour vous…

Etirements terminés, je m’assois, et regarde mon mentor, lui faisant comprendre que l’on pouvait passer à la suite du cours. Généralement, la troisième partie prône l’endurance et les réflexes, mais il n’est pas rare que Ren modifie ses méthodes de travail sans prévenir, généralement, en l’adaptant à mes difficultés, et me faire faire ce que j’ai le plus de mal à réussir jusqu’à ce que j’y arrive, un pur bonheur pour le corps et l’esprit, en même temps personne n’a dit que ce serait un pique-nique… Tant qu’il ne me demande pas de grimper en haut d'un peuplier en étant loup ou serpent, ça me va.

-T'es-tu entraîné sous toutes tes formes ? Laquelle t'as posé le plus de difficulté ?

Et voilà, je suis sûr que je vais bien m’amuser aujourd’hui, je sens le retour en me trainant par terre, mais au moins j’aurais une bonne raison de souffrir… M’être entraîné ? Oui, une bonne partie de mes nuits quand je n’arrive pas à dormir, et ça en fait un paquet, mais au moins ce n’est pas du temps perdu, dans un langage « normal », on appellerait ça des devoirs… La forme m’ayant posé le plus de difficultés ? C’est bien sûr celle que je n’utilise pas souvent, car elle est la plus atypique et la moins… utile, c’est celle du serpent… Pourquoi je n’apprécie pas cette forme ? Parce qu’un serpent est plutôt un animal limité, pas de bras, interaction avec le monde limitée, puis ce n’est pas pratique de se déplacer avec, on ne peut même pas courir… Je sais que certains serpents sont très rapides, mais moi, je suis un serpent surtout venimeux, et pas qu’un peu, on me considère comme le plus dangereux du monde, je suis un Taïpan australien, et une dose de mon venin peut tuer une vingtaine d’humains, ou 250 000 souris… Vraiment, je m’effraie moi-même… Le seul moment où je me transforme en reptile, c’est pour profiter de ce que l’on pourrait appeler une vision thermique. En effet, un serpent peut percevoir le moindre changement de température, et en plus il est discret, pratique quand je dois traquer quelqu’un, même si c’est vraiment rare…

-« Pour ce qui est de l’entrainement sous toutes les formes, on peut dire ça, je passe beaucoup de nuits sous forme animale, mais celle qui me pose le plus de difficultés est celle que j’adopte le moins, celle du serpent, je la considère comme à part, et ne l’emploi jamais par plaisir… »

Mon maître me regarde, l’air de dire « ça marche, vas souffrir », et commence à trottiner, me faisant comprendre que je dois suivre, ce que je fais immédiatement, je veux encore courir ! Puis je pose cette question qui me vient à l’esprit, sans même y réfléchir…

-« Et vous ? Qu’elle forme vous pose le plus de problèmes ? »

Trop tard…

Aujourd'hui et demain,
nous recommencerons sans fin.

Un sourire naquit sur mes lèvres. J'observe Yoren. Il 'est vraiment pas orgueilleux comme garçon. « s'entraîner un peu » ? Non, je en pense pas. Oyren a dû beaucoup s'entraîner pour être comme il est aujourd'hui. Je suis content d'avoir un élève comme lui à mes côtés, ça m'évite de perdre mon temps ressasser des cours de le séance passée. J'apprécie vraiment. En plus, il est sympathique comme gamin. Bref, il a vraiment beaucoup de qualités qui lui servent durant mes cours. En plus d'avoir les mêmes dons et pouvoirs que moi. Enfin, vous me direz, ces deux pouvoirs couplés ne sont pas rares, et les métamorphes encore moins. J'ai même entendu dire qu'il y a des métamorphes végétaux. Ça me fait doucement rire. Je me demande ce que Mère Nature pourrait bien inventer d'autre pour réduire les êtres doués à de simples branchages. C'est vrai, les métamorphes végétaux ne peuvent pas faire grand chose. Pas bouger. On ne sait pas vraiment comment il font pour respirer. Ça me paraît très étrange comme pouvoir. Ça ne devrait pas exister à ma connaissance. C'est tout à fait illogique.

Je parle, je parle, mais j'en oublie mon apprenti qui continue à courir comme s'il en oubliait la gravité terrestre. Je n'ai vraiment rien à dire, il a dû beaucoup travailler pour en être ici aujourd'hui. C'est plaisant à savoir. Mais ne l'observons pas plus et profitons-en pour passer à la suite de l'exercice. Je stoppe le jeune dans sa course soutenue et inspire profondément. Maintenant c'est au tout du changement de forme de se faire. C'est l'une des parties les plus dures à maîtriser. La forme fusionnelle vient souvent parce qu'on la demande, ou en réaction à un fort sentiment. Mais enchaîner différentes formes parce qu'on le leur demande, c'est un moins bonne affaire. Il faut savoir apprécier chacune de ses formes pour qu'elle soit plus encline à se manifester naturellement. Il ne faut faire l'impasse sur aucune d'entre elles.

Yoren revient donc vers moi, un air vraiment amusant sur le visage. On dirait qu'il n'en a pas assez. Tant mieux, c'est ce que je voulais. Je n'ai pas l'intention de lâcher le jeune homme de sitôt. Oh non. Même si je dois moi aussi en arriver à suer comme un bœuf, je dois profiter du peu de temps que j'ai pour inculquer un maximum de savoir à mon jeune apprenti. C'est la base de ce qu'un maître doit faire, non ? Yoren commence à s'étirer de tout son long. Passage obligatoire encore une fois. Je n'ai plus à le lui dire, il a dû parfaitement bien comprendre que pour éviter les claquages, il n'y a pas beaucoup de solutions. Petit échauffement et étirement. D'autant plus que bien qu'un léger vent frais passe sur la plaine, le fond de l'air lui, reste relativement chaud. Alors la question est : Pourquoi est-ce que je ne m'étire pas, moi ? Pour la simple et bonne raison que c'est moi le maître dans tout ça. Et je sais que c'est mal de ne pas s'échauffer. Mais ce n'est pas de la flemme. J'ai toujours fonctionné comme ça et ce n'est pas demain que je changerais mes habitudes. Finalement, Yoren s'assoit sur son arrière train et me fixe pour continuer l'entraînement. J'aime la petite lueur de volonté qui anime ses yeux.

Avant de me diriger vers la deuxième grande partie du cours, je procède à un mini interrogatoire pour bien vérifier ses entraînements probablement journaliers. Il prend la peine de réfléchir longuement. Je ne lui en veux pas et garde position en attendant sa réponse. Dans tous les cas, j'aurais quelque chose à redire alors autant lui laisser le temps de prendre son temps pour mûrir sa réponse.

-« Pour ce qui est de l’entrainement sous toutes les formes, on peut dire ça, je passe beaucoup de nuits sous forme animale, mais celle qui me pose le plus de difficultés est celle que j’adopte le moins, celle du serpent, je la considère comme à part, et ne l’emploi jamais par plaisir… »

Bon, déjà, je vois qu'il a une grande affinité avec sa forme fusionnelle. C'est déjà une bonne chose en soi. Passer beaucoup de nuits sous forme animale ? Ça me fait rire intérieurement, car je n'y suis pas très étranger. Il m'est déjà arrivé de nombreuses fois de quitter ma forme humaine pour revêtir celle de l'animal pendant la nuit. Et le pire, c'est que ma chère Miyu aime beaucoup ça, ça lui fait penser à une grand peluche. C'est une vraie invitation. Enfin bref. Mieux vaut éviter cela, car je pourrais mordre par inadvertance. Et ça, Miyu n'aimerait plus. La seconde partie de son explication me fait par contre froncer les sourcils. Et voilà, le nombre d'élèves qui font l'impasse sur une ou plusieurs formes n'est pas rare. Oh, je ne préconise pas le fait de devoir s'entraîner tous les jours sous toutes ses formes. Je ne le fais pas pour ainsi dire. Non, ce que j'appelle faire l'impasse se place surtout au niveau psychologique de l'humain. « par plaisir », voilà ce qui me chagrine. Je lui parle de problèmes, il me répond par des sentiments. Non non, ça ne me va pas. Je suis connu pour être quelqu'un de stricte, et Yoren ne déroge pas à la règle. D'un ton clair et sérieux, je lui réponds, le fixant de mes yeux argentés :

-Yoren, je ne te demande pas de passer toutes tes nuits sur tes autres formes. T'entraîner dessus quelques jours par semaine suffisent. Cependant, tu ne dois absolument pas renier ou détester une de tes formes. Beaucoup s'emploient à dire qu'elles revêtent nos caractères. Je ne te dis pas de l'aimer, mais apprends à l'accepter comme les autres.

Ceci dit, mon attitude redevient normale, et je lui souris presque, comme pour lui dire que le résultat viendra au fil du temps. Il n'y a pas besoin de se presser. Souvent d'ailleurs, c'est une mauvaise chose et ça ne mène que rarement à des améliorations. Mais ce n'est que mon humble avis, bien évidemment. Je commence à trottiner, suivit peu de temps après par mon élève. Élève qui a la langue bien pendue, apparemment...

-« Et vous ? Qu’elle forme vous pose le plus de problèmes ? »

J'impose aussitôt une vitesse de course. Pas du sprint, mais une vitesse cependant assez soutenue. J'ai besoin de voir jusqu'où ira le jeune apprenti. J'adopte un instant un silence platonique, avant de finalement me tourner vers Yoren, pour lui répondre :

-Ce n'est pas vraiment une question de problèmes. Je commence à être familiarisé avec chacune d'entre elles. C'est plutôt... au niveau de l'utilité. Chacune a un rôle bien précis, et je ne l'utilise quand dans ce cas dans ce cas de figure là. Et pur te répondre, je pense donc que c'est l'okapi.

L'okapi est un animal plutôt passif que je n'utilise qu'à de très rares occasions. Il est très utile pour porter des charges mais se déplace plutôt lentement. L'ocelot me sert beaucoup plus. Je ne parle pas de l'Once. Je ne néglige pourtant pas l'okapi, qui est plutôt utile pour me faire décompresser, vu son psychisme réellement calme. Chacune de mes formes a son rôle, même diffus, et je sais l'apprécier. Comme pour soutenir le fait que s'entraîner sous toutes ses formes est quelque chose de bien, je passe sous forme d'okapi. Oh oui, je suis bien moins lent à présent, mais la méthode de course élancée à la manière des girafes est quelque chose d'appréciable et d'amusant. Maintenant que je connais le point faible du jeune monsieur, je vais appuyer mon entraînement dessus. J'enchaîne quelques passages de formes, que j'impose à Yoren de faire en même temps que moi, puis me stoppe après vingt bonnes minutes de course de plus en plus effrénée.

J'inspire profondément, afin de ralentir les battements de mon cœur. Eh ben, je crois qu'on a enchaîné cette deuxième partie de l'entraînement bien trop longtemps à mon goût. Passons à la troisième étape. Le combat. Je m'occuperais après de son problème de serpent. Je cherche 4 gros cailloux dans l'environnement proche, puis demande à Yoren de m'aider à les porter. Voyons, voyons. Je place ces quatre cailloux afin de former une grande aire carré de 60m² environ et me dirige vers Yoren pour lui faire part de mon plan.

-Aujourd'hui, on fonctionne différemment. Tu n'attaqueras pas pour me mettre au sol, mais plutôt pour me sortir de la zone encadrée. Quand tu m'auras sorti trois ou quatre fois, on changera d'entraînement. Si j'y arrive avant toi, on recommence à zéro. Toutes tes formes sont autorisées. Il en est de même pour moi. Bonne chance.

Et comme il est de rigueur avec moi, je salue mon partenaire de combat avant d'encrer mes quatre pattes au sol. Je n'attaquerai pas le premier, j'ai juste la volonté de voir comment ce jeune apprenti va s'en sortir.

L'entrainement se poursuit, toujours dans la bonne humeur, enfin c'est ce que je ressens personnellement, en ce qui concerne mon mentor, je ne pourrais pas l'affirmer, étant donné son calme habituel et aussi ce qu'un autre pourrait considérer comme de la "froideur", ce qui ne l'est pas en réalité. Je commence à bien connaître mon mentor, c'est un être chaleureux qui aide volontiers les autres en difficulté, d'où son métier d'enseignant et le fait qu'il m'ait pris sous son aile, il est juste, comme je l'ais dis, calme, prenant son temps, préférant agir efficacement qu'aveuglément, d'où son impassibilité naturelle, on ne peut pas réfléchir efficacement en s'agitant... Pourtant, il le fixait, et avait l'air assez satisfait de moi et de mes progrès accomplis, cela dit, il ne m'épargne pas pour autant si je fais quelque chose qu'il ne fallait pas, et c'est apparemment ce que j'ai justement fais, et que j'ai révélé dans ma réponse à sa question par rapport aux difficultés que je pouvais avoir avec certaines formes, qui disait que pour moi c'était celle du serpent... Là pour le coup, son ton était ferme, voir sévère...

-"Yoren, je ne te demande pas de passer toutes tes nuits sur tes autres formes. T'entraîner dessus quelques jours par semaine suffit. Cependant, tu ne dois absolument pas renier ou détester une de tes formes. Beaucoup s'emploient à dire qu'elles revêtent nos caractères. Je ne te dis pas de l'aimer, mais apprends à l'accepter comme les autres."

La renier ? Non, je ne la renie pas pour autant, même si je l'évite, elle fait partie de moi, c'est juste que je ne vis pas de situation qui m'oblige à utiliser cette forme, et donc je privilégie la maîtrise des autres en priorité, je sais que ce n'est pas la bonne méthode, que je devrais apprendre à utiliser chaque formes correctement, mais je n'eus jamais à faire à des cas où le serpent fut ma seule transformation qui puisse m'être utile, mes autres formes ont toujours fait l'affaire... Mais en y réfléchissant, je reconnais ma faute à moi-même, avec un peu de mauvaise foi je l'avoue, mais mon mentor a raison, un jour, je pourrais regretter de ne pas avoir pensé à développer tout mon potentiel en transformation, et ce sera trop tard pour avoir des remords...
Par contre, en ce qui concerne l’incarnation de nos caractères en nos transformation, je le savais déjà, et je l'approuve, mes formes sont rapides, agiles, silencieuses... Traits de caractère et de physique que je prône sous forme humaine... Néanmoins, celle du serpent est encore une fois à part. Certes, sous cette forme je suis discret et silencieux, mais ces atouts ne sont pas mes "principaux"... Mes compétences physiques les plus développées sont ma vitesse et mon endurance, et là, la forme du Taïpan est hors catégorie... Loup, lion, guépard ou chat, ces animaux sont rapides, l'aigle l'est aussi, mais lui vole, ce qui le rend à la base plus rapide que bien des créatures, mais le serpent, lui ne l'est pas. Il peut bien pousser une accélération en cas de danger, mais sur des distances bien faibles comparées à celles que je parcours en étant loup et en courant à la limite du sprint, donc si le serpent incarne mon caractère, c'est vraiment par fragment...

-"Je conçois ce que vous dites maître, il est vrai que le mieux pour moi est de m'exercer sous toutes mes formes pour être prêt, mais ce n'est pas qu'une question d'aimer ou non cette forme, celle du serpent est... à part, au niveau physique et avantage. Je m'explique, je mets la forme du loup à part, elle est ma forme fusionnelle, celle qui m'incarne le mieux. Le lion à la force, l'aigle peut voler, le chat a la banalité, le guépard la vitesse. Tous ces éléments représentent des avantages tactiques très utiles, mais le serpent n'en a pas vraiment. Certes, il peut tuer quelqu'un très facilement et discrètement, sans effusion de sang, si j'étais un assassin cela pourrait m'être utile, mais pour le moment, je n'ai pas eus ce genre de situations à vivre... Alors oui, cette forme me servira peut être un jour, mais pour le moment, elle est secondaire... Cependant, j'ai confiance en vous, et je m'en remets à votre jugement et à votre entrainement Seinsei."

J'accompagnais ces paroles d'un hochement de tête, j'en fais peut être un peu trop mais qu'importe, j'aime bien les formules de politesse, les développer, les placer, et observer leur effet. La mine de mon mentor parut se détendre, si il avait été sous forme humaine, il aurait sans doute sourit, au lieu de ça, il commença à trottiner. Il me fallut une seconde le temps de le regarder, de m'assurer qu'on allait bouger, de sentir la décharger d'adrénaline dans mon corps avant de m'élancer à ses côtés, si on put dire, parce qu’on n’allait pas vite pour le moment. Puis d'un coup, sans prévenir, le léopard se mit à accélérer, à mon grand bonheur, j’exprimai par un grognement satisfait. Nous courrons, puis pendant notre course, mon mentor me parla de sa propre situation, m’apprenant que les fréquences de transformations dépendent finalement de leur utilité, et non de la facilité et du confort procuré par l'incarnation de celles-ci... En soit, plus ou moins ce que je pensais...

-"Mais maître, n'est-il pas efficace des fois d'utiliser une forme qui serait moins adapté à la tâche demandée, mais plus confortable à utilise ?"

Je ne cherche pas à prolonger le débat, j'aimerais juste savoir l'avis d'une personne expérimentée sur le sujet. Les minutes passèrent, en plus de courir, Ren me fit effectuer des transformations, et les enchaîner de plus en plus vite, au rythme de la course qui accélérait également. Au bout d'un moment, mon maître stoppa l'exercice, commençant visiblement à fatiguer. Rien d'anormal à cela, j'ai beau être endurant, je suis encore plus haletant que mon mentor, non pas à cause de la course mais plutôt les enchaînements de métamorphoses. Restant debout, je haletais afin de reprendre mon souffle. Sous forme humaine, j'aurais fait une respiration ventrale ou complète, mais sous forme de loup, il n'y a pas trente-six manières de récupérer, on ouvre la gueule et on tire la langue. Je ne suis pas pour autant hors d'haleine, je suis prêt à continuer à souffrir.

Nous passons visiblement au combat, car Ren commençait à ramener des pierres afin de former un périmètre de combat, et il demanda mon aide. Nous plaçâmes les pierres comme il fallait. Ce fut un travail pénible car elles étaient grosses et lourdes, et qu'un loup n'a pas de main pour les porter, je devins alors lion, ce qui me permis de les déplacer plus facilement grâce à ma force. Une fois l'air en place, je pris connaissance des règles.

-Aujourd'hui, on fonctionne différemment. Tu n'attaqueras pas pour me mettre au sol, mais plutôt pour me sortir de la zone encadrée. Quand tu m'auras sorti trois ou quatre fois, on changera d'entraînement. Si j'y arrive avant toi, on recommence à zéro. Toutes tes formes sont autorisées. Il en est de même pour moi. Bonne chance.

Je grimaçais intérieurement. Les combats avec règle entre métamorphes sont assez compliqués, et demande plus de stratégie que de force, car la force de l'animal ne dépend pas de celle de l'humain, mais de celle de l'animal en question. Du coup, pour gagner, un seul moyen, bouger correctement et adopter la bonne forme au bon moment, et dans ce domaine, mon mentor a plus d'expérience que moi... Il me salua, je fis de même. Le salut représente le respect que l'on voue à son partenaire, nous ne sommes pas là pour nous tuer, mais pour apprendre. Je me mis face à mon adversaire, et le combat commença.
Une première stratégie me vient à l'esprit. Elle commençait par la force. Mon adversaire est sous une forme de léopard. Agile, mais léger. Je me mis donc à courir vers lui, puis me transforma en lion en continuant de le charger, en me concentrant au cas où il esquiverait, de ne pas me retrouver en dehors de la zone de combat à cause de mon élan. Ma stratégie, ou du moins le début, est de le percuter sous ma forme la plus lourde et forte afin de soit le pousser dehors, soit le forcer à utiliser une forme plus grosse, plus pesante mais moins maniable. La suite est audacieuse, encore faudrait-il que le début marche...

File porté par le vent,
devançant même le temps.

L'exercice est une chose à prendre très au sérieux. Elle permet d'apprendre à se connaître, à connaître ses capacités, mais aussi ses limites. Tout est basé sur l'apprentissage. En temps que professeur, on repère dès le premier coup d’œil ceux qui se sentent capable de travailler, et ceux qui au contraire se retrouvent en retrait par feignantise. Entre ces deux catégories, il y a aussi ceux qui souhaite faire des progrès mais qui n'y arrivent pas. De nombreux professeurs divisent alors la classe en trois parties et dans le pire des cas, en trois. On isole les cas sans chercher à les aider. Ici, à l'orphelinat, ce n'est pas la même chose. On ne peut se permettre de mal enseigner. La majorité des gens ici sont destinés à devenir exorcistes ou bien à s'orienter où ils souhaitent après. Pour les exorcistes, on ne peut pas se permettre de faire le travail à moitié. Qui sait, ce serait peut-être mes enseignements qui en sauveront plus d'un en mission. Alors ici, on ne fait pas de classe à part. On motive les élèves qui ne veulent pas travailler, quitte à appliquer des sanctions éducatives pour les plus réticents. Ceux qui sont en difficultés sont suivis de près et on applique un autre type d'exercice pour les bosseurs. Voilà comment, en tout cas, moi je procède. C'est un peu la même chose pour mon apprenti. Lui est un bosseur qui n'a pas peur de passer beaucoup de temps à travailler. J'apprécie beaucoup ça. Mais qu'importe, je ne prends pas le temps de m'y arrêter. Je félicite rarement mes élèves bosseurs. C'est ainsi. Peut-être par volonté qu'ils fassent encore mieux, qu'ils se surestime pour, justement, trouver leurs limites. Si j'avais trouvé les miennes à leur âge, je me serai probablement évité quelques problèmes depuis. On tire de son expérience des enseignements...

Actuellement, mon apprenti finit son échauffement, et voilà que je prends part à la deuxième partie de cet échauffement. Puis nous en venons à discuter de sa fameuse forme de serpent. J'en ai beaucoup des élèves qui n'apprécient pas trop certaines de leurs formes. Pour des raisons futiles parfois. Si vous saviez ce que j'ai entendu. « elle est moche » ou « elle est trop lente ». Souvent, ça s'arrêtait au physique. Parfois, ça plongeait plus profondément dans les aptitudes. Mais plutôt rarement au final.

-"Je conçois ce que vous dites maître, il est vrai que le mieux pour moi est de m'exercer sous toutes mes formes pour être prêt, mais ce n'est pas qu'une question d'aimer ou non cette forme, celle du serpent est... à part, au niveau physique et avantage.

Je hausse un sourcil, prêt à entendre ce qu'il va me dire. Espérons qu'il ne tombe pas lui aussi dans ces idioties de préférence pour des raisons tout à fait futiles !

-"Je m'explique, je mets la forme du loup à part, elle est ma forme fusionnelle, celle qui m'incarne le mieux. Le lion à la force, l'aigle peut voler, le chat a la banalité, le guépard la vitesse. Tous ces éléments représentent des avantages tactiques très utiles, mais le serpent n'en a pas vraiment. Certes, il peut tuer quelqu'un très facilement et discrètement, sans effusion de sang, si j'étais un assassin cela pourrait m'être utile, mais pour le moment, je n'ai pas eus ce genre de situations à vivre... Alors oui, cette forme me servira peut être un jour, mais pour le moment, elle est secondaire... Cependant, j'ai confiance en vous, et je m'en remets à votre jugement et à votre entrainement Seinsei."

Je sourirais bien, mais rien ne sort finalement. Il est têtu comme gamin, et il souhaite savoir beaucoup de choses. Malheureusement, on n'apprend pas tout en une soirée, ni même en une année. Ce ne sera jamais possible de tout savoir. Même un érudit ne connaît pas tout. Impossible. Le tout, c'est d'avoir une bonne culture générale, sans se stopper à un sujet. Mais je dérive. Ce n'est pas vraiment une question qu'il me pose là, mais pourtant, je souhaite répliquer, répondre moi qui suis aussi têtu pour être professeur.

-C'est comme tu dis, Yoren. Apprends à vivre avec cette forme. Un jour, certainement, tu trouveras son utilité. Nos formes ne sont jamais là par hasard. Et ce pourrait-être celle qui te sauvera la vie.

Je ne veux pas lui donner d'explication, lui prouver qu'il y a vraiment une utilité. Cette génération veut tout savoir tout de suite. Il n'y a plus de patience. On veut savoir, sinon on jette. Je ne veux pas dire que Yoren est de ce style-là, et c'est d'ailleurs bien pour éviter cela que je le met en garde. Non, on a rien sans patience. Le serpent pourrait lui sauver la vie. De par sa petite taille, il peut se faufiler n'importe où, et ce n'est pas quelque chose à négliger. Il ne suffit pas d'être assassin pour opter pour cette forme. Elle est avantageuse en bien des cas. Tout le monde a besoin d'une petite forme en étant métamorphe. C'est en général la dernière qu'on trouve car la plus difficile à chercher aussi. Et puis, ça demande une énergie folle de se rapetisser à ce point. D'ailleurs, on reconnaît toujours un métamorphe à la taille de la bête. Elle est toujours plus grande, plus imposante que la forme d'origine. Quelque chose qui nous différencie d'un animal ordinaire. Une marque de fabrique.

-"Mais maître, n'est-il pas efficace des fois d'utiliser une forme qui serait moins adapté à la tâche demandée, mais plus confortable à utiliser ?"

Je réfléchis à sa question. Je conçois tout à fait ce qu'il veut dire, et en vérité il n'a pas tort. Mais la chose est différente, et je ne suis pas venu là uniquement pour répondre à ses questions. Nous n'avons pas beaucoup de temps, alors tâchons d'en aller directement à la conclusion.

-D'où l'importance d'avoir une aisance égale avec toutes ses formes, pour ne pas se retrouver handicapé lors d'un combat aux mauvaises tournures.

À cela j'ajoute un malin sourire. J'ai à moitié répondu à sa question, mais cela veut aussi dire que je ne remets pas en cause ce qu'il raconte. Ce n'est pas un oui clair, mais après tout, pour être chef d'entreprise, il faut savoir sous-entendre. Et ça, Yoren doit s'y faire. Rien n'est blanc ou noir. Tout est une question de point de vue. Nous continuons alors l'entraînement, bien décidés à devoir travailler. Je ne le lâcherai pas d'une semelle tant que je n'aurais pas remarqué d'effet notoire ou que la journée ne se termine. Alors nous commençons. Je fixe les règles et nous nous postons face à face après une légère révérence, signe que c'est un combat amical. Le jeune garçon ne prend pas plus de temps et engage aussitôt le combat. Il charge d'un seul coup vers moi sous sa forme de lion. Pour moi, deux solutions s'imposent. J'ai beau être sous forme fusionnelle je ne peux pas faire le poids face à un lion. Et ma forme la plus puissante est probablement celle de l'okapi. En somme, je n'ai pas beaucoup de chances de lui faire face. Il n'y a donc que l'esquive qui puisse vraiment marcher. Mais avant ça, il me faut un peu de vitesse. Gardant ma forme de léopard, je charge alors droit vers lui. S'il change de formation avant que j'arrive, c'en est fini.

Finalement, rien ne change, et au moment où nous devons nous percuter, je change subitement de forme en effectuant un roulé-boulé pour passer à la belette. Grâce à la vitesse acquise et celle déjà conséquente de la belette, je passe sous les pattes du lourd animal en moins de secondes qu'il n'en faut pour le dire pour reprendre ma forme de léopard des neiges. Profitant de la force centrifuge acquise à tourner sur moi-même, j'encre ma patte droite dans le sol et envoie un puissant coup d'épaule appuyé par un mouvement de tête dans le rein gauche du lion. La force n'est certes pas comparable, mais elle lui permettra au moins de tomber sur le sol. Si tout du moins il n'esquive pas.

[HRP= Je me suis donnée quelques libertés, n'hésite pas à dire si quelque chose ne va pas!]

Je secouai la tête afin de faire tomber la sueur du fin pelage recouvrant ma tête, car certaines gouttes commencèrent à me couler dans les yeux, gênant ma vision. J'ai bien déjà assez de mal comme ça pour tenir tête à mon mentor, ce n'est pas la peine de me rajouter des contraintes supplémentaires... Croire que battre mon maître aurait été chose simple aurait été une grossière erreur, que je n'ai heureusement pas faite. Mais Ren est relativement expérimenté, et ne laisse aucun signe trahir une faiblesse ou autre. Tout ce que je peux voir, c'est que lui aussi à l'air de fatiguer. Nous le sommes tous les deux, haletant et en nage. Nos côtes se soulèvent au rythme de nos respirations rapides et saccadées, et nos mouvements, hors de ceux du combat, se font plus lents et plus lourds. Cela devait faire au moins une bonne vingtaine de minutes que nous combattions, et le score actuel était de deux à un pour mon maître, qui me domine sur cet exercice pour le moment. A un moment, je me suis même demandé s’il ne m’avait pas laissé gagner pour mon unique victoire, mais après réflexion, cela ne lui ressemblerait pas, non, attentionné comme il est, il ne se permettrait pas de faire de faux espoirs à quelqu'un en le laissant gagner ou en lui faisant de fausses flatteries. Non, Ren est plus du genre à minimiser les qualités afin de mieux faire ressortir les défauts, et permettre de les corriger plus facilement... Il me la déjà fait, il me le refera...

Entre les phases d'attaque, comme maintenant, je suis sous forme de loup, tournant autour de mon adversaire, cherchant une faille à exploiter. Mais ce genre de combat n'est pas chose simple, en effet, il faut voir au-delà de sa forme actuelle, et prévoir ses attaques en fonction des formes que peut adopter mon adversaire. Donc cela demande de l'observation, de l'analyse, du calme et de la rapidité, en tout cela en plein combat, où votre adversaire peut également vous attaquer... Néanmoins, je revois la façon dont mon sensei a esquivé ma charge, puis m'a envoyé au sol par un puissant mouvement de rotation. Je m'étais retrouvé assis, dans une position où mon équilibre était moindre. Mais je n'avais pas perdu pour autant, et aussi vite que je pouvais le faire, je me fis chat, et sauta sur le léopard, qui, pendant une seconde, était en déséquilibre, de par son attaque. Je fini mon saut sur son dos, et me retrouva jeté au loin. Dans une tentative désespérée, j'adoptais ma forme d'aigle, mais nous étions assez près du bord, et je n'eus pas le temps d'ouvrir mes ailes et de freiner ma course... Cette action prouve bien que la force brute ne sert pas vraiment à quelque chose dans ce genre de situation...

Nous continuons de tourner, en nous fixant l'un l'autre, et faisant tout pour maîtriser notre souffle, afin d'éviter de donner des informations à notre adversaire, car le meilleur moment pour attaquer est quand son adversaire arrive en fin d'expiration, et qu’il s’apprête à respirer, car il ne peut pas reprendre son souffle à temps, et son absence d'air lui empêcherait de faire une action quelconque. Dans ce travail, mon mentor excelle plus que moi, mais je ne suis pas mauvais, voir même plutôt bon, car assez impassible de nature. Je savais bien qu'il pensait à peu près la même chose que moi, c'est à dire "attaquer, attendre ou feinter ?", chacune des actions impliquant une stratégie différente. De mon côté, je réfléchissais au moyen de le surprendre, afin de pouvoir égaliser ce combat. Encore une fois, la force brute ne sert à rien, j’en ai bien fait l’expérience, non. Ce qu’il faut, c’est surprendre l’adversaire, feinter, puis tout faire au bon moment, sinon cela devient chaotique… Une idée me vient à l’esprit, mais elle me demanderait beaucoup d’énergie, et est surement complètement stupide. Je m’explique, je viens de repenser à ce que mon mentor m’a dit, que nos formes ne sont pas là par hasard, toutes sont utiles et toutes on leur importance. Et bien je n’avais pas compris le sens de ces mots, mais il est pourtant évident, une forme seule ne sert à rien, mais ce n’est pas l’utilité de la forme seule qui compte, c’est sa possibilité de combinaison avec d’autres formes, nos différentes métamorphoses forment une symbiose en nous, avec nous, et pour nous. Elles sont vivantes, reliées à notre âme, il suffit de les écouter et de se mêler à elles, et tout devient alors tellement plus simple, tellement évident…
Enfin bon, encore faut-il trouver la bonne combinaison, Sensei connait ça depuis longtemps, donc ça ne règle pas mon problème, mais cela va considérablement améliorer mon efficacité, un peu comme la fois où l’on commence à rouler seul en vélo, enfant. Bien évidemment, je ne viens pas de découvrir qu’il est vitale de changer de forme en combat, de les adapter en combo, et de faire en sorte que leurs efficacité soit démultipliée par ce fait, mais je viens de découvrir qu’il ne s’agit pas de transformations mécaniques sans âme, juste bonnes à s’adapter à la situation, c’est bien plus que cela, c’est notre âme, et il faut l’écouter, se libérer des contraintes et la laisser envahir notre être…
Bon, tout ça pour dire que je compte essayer de surprendre mon maître de cette façon, en prenons compte que je n’ai pas le droit à l’erreur…

Rapidement, je commençais à faire le vide en moi, tout en continuant à tourner autour de Ren, en espérant qu’il ne m’attaque pas entre temps. Evacuer les pensées parasites, prendre conscience de chacun de ses membres, de mes griffes sur l’herbe pliée par le combat, du vent passant dans mon pelage, et prendre conscience de ce qui nous entoure, l’herbe, les arbres, le ciel, la terre… Et de l’invisible, tous les insectes autour de moi, l’énergie dégager par le léopard en face de moi, ces flux entrant et sortant de nos corps. Ces justement de cette source dont je m’enivre, la laissant parcourir tout mon corps, jusqu’à la moindre de mes extrémités. Cela me procure de légers frissons, dû à cette énergie. Puis je me concentre, trois formes à adopter, trois cartes à jouer. Je me lance.
Loup, je bondis. Arrivé à l’apogée de mon saut, je me fis aigle. La transformation fût rapide, car guidée par l’esprit de la métamorphose lui-même. Nous savions ce que nous devions faire, et il a accepté de m’aider, c’est pour cela que je possède cette transformation. A ma naissance, mon esprit fût adopté par l’esprit du loup, j’en suis imprégné, même sous forme humaine, et cinq autres esprit ont décidés de m’aider en cas de besoin, je dois leur en être reconnaissant, les remercier, même celui du serpent, car il a accepté de m’assister, et je ne dois pas le laisser de côté. Aigle, je mis toute ma force dans mes ailes pour ne pas sortir de la zone délimitant l’air de combat en me cabrant, puis monta, de quelque mètres, puis arrivé à la hauteur souhaitée, je pris la direction de mon mentor, puis fonça. Le moment de vérité arriva, j’en appelle à la métamorphose du serpent. Au fond de moi, je sentis quelque chose se réaliser, comme un déclic, une source de satisfaction, mais je ne sais si elle émane de moi ou non… Mon corps se réduit, s’allongea, et se couvrit d’écailles. Je tombai. Ma chute était dirigée vers mon mentor, en biais, Je ne savais ce qu’il comptait faire, mais de toutes façons j’avais passé le point de non-retour, je ne pouvais faire que selon mon plan. Pourquoi le serpent ? Son corps est dense, et il n’est pas grand, il tombe vite, très vite d’ailleurs, le sol se rapproche, mais ne tombant pas droit, je ne pouvais savoir si mon maître était toujours là ou non. Quand le sol fut à environ deux mètres, je me refis aigle, ouvrit mais ailes et me freina de toutes mes forces, puis me fis lion, et retomba de nouveau. Trois formes, comme mon Sensei me l’avait expliqué plus tôt, le mieux est d’être à l’aise avec toutes ses formes afin de les utiliser au meilleur de leurs utilités. Si mon mentor est là, mon plan est de profiter de la vitesse de la chute pour le surprendre et l’entraîner dehors. En y repensant, cette idée ne marcher jamais, Ren est trop expérimenté… Mais on ne sait jamais, peut être aurais-je réellement réussi à le surprendre cette fois…

Aujourd'hui, j'aurais compris pourquoi les lions ne volent pas. Pendant ma chute, les quelques secondes où j'étais lion ont étés monstrueusement longues, j'ai dû lutter pour ne pas pivoter en arrière et me briser le cou. J'aurais dû y penser, étant aigle, j'ai dû me cabrer pour freiner ma chute, qui dit cabrer dit tirer son corps en arrière, mais la force du vent m'empêchais de me retourner, sauf qu'au moment où je suis passé lion, j'étais toujours cabré, et sous cette forme, je n'ai rien qui puisse faire opposition au vent, si bien que d'un coup, plus rien de me retenais et m'empêchais de culbuter... Mais bon, je ne suis pas mort, et le résultat était à la hauteur, en effet, ce n'est pas souvent que l'on voit son mentor faire un bond de plusieurs mètres à la limite de la panique, enfin sur le moment j'ai crûs qu'il allait m'attaquer par réflexe... Fort heureusement, il reprit ses esprits, et par la même occasion, son calme habituel, secoua la tête, surement le contrecoup. En attendant, j'étais repassé sous ma forme de loup, près à devoir lutter de nouveau. Mais avant que je n'élabore la moindre stratégie, Ren reprit sa forme humaine. Oui, l'exercice prenait fin, et certainement l'entrainement par la même occasion. Quelque chose au fond de moi hurlait, non, décidément les séances passent trop vite, je veux encore m’entraîner. Instinctivement, je retroussai mes babines en montrant les crocs par contrariété, lassant échapper un grognement de frustration. Je ne suis pas en colère, je n'en veux pas non plus à mon mentor, il est déjà bien bon de trouver du temps à m'accorder, je sais très bien que c'est certainement l'homme le plus occupé de la région, je suis juste frustré de voir le temps s'écouler aussi vite... Puis mon maître me regarda avec un léger sourire, les mains sur les hanches.

-C'est bon, ça suffit comme ça. Nous allons passer à un autre type d'exercice. Et j'ai besoin de tes dernières forces pour ça.

Un autre exercice ? Et ben ça, si je pouvais sourire sous ma forme canine, j'aurai un sourire jusqu'aux oreilles. Puis je pris conscience de mon grognement, auquel je mis fin sur le champ, un peu honteux de ne pas réussir à contrôler complètement mais réactions sous forme animale. Alors à regret, j’abandonnai ma forme fusionnelle pour reprendre celle d'un simple humain. Une fois redevenu Yoren, ma peau frémi sous la caresse du vent, on s'habitue trop à nos fourrure sous forme animale, du coup on doit se réhabituer à son absence une fois humain. Mais ce n'est pas le plus déroutant. En effet, pendant les quelques secondes qui suivent la transformation, on a qu'une seule envie, reprendre les caractéristiques du dernier animal sous forme humaine, c'est à dire marcher à quatre patte si on était un animal se déplaçant ainsi, voler si c'était un oiseau etc... Heureusement, on se rappelle rapidement que nous sommes des bipèdes qui ne vole pas et ne creuse pas la terre, et qui vivent dessus.
Une fois rétabli, je saluai mon maître.

-"Merci pour cet enseignement, Sensei"

Il ne s'agit pas de faire bonne figure ou autre chose du genre, il est normal je trouve de remercier celui qui vous apprend quelque chose, car la connaissance est synonyme de pouvoir, c'est un don précieux qui m'a été offert aujourd'hui, je ne peux l'accepter sans dire un moins merci.
Nous nous rhabillâmes, puis d'un signe, mon mentor m’enjoignit à le suivre alors qu'il commençait à marcher. Nous nous enfonçâmes dans la forêt bordant la prairie, afin de continuer l'entraînement quand mon maître me félicita.

-C'est bien. Tu as bien progressé depuis la dernière fois. Ta dernière attaque était utile bien que surprenante. Tu as utilisé ta forme de serpent et je t'en félicite. Cependant, sache que j'éviterais par la suite de l'utiliser de cette façon. Même en chute libre, tu ne dois pas ignorer où tu te diriges. Si je m'étais transformé en busard et que j'étais remonté à ta recherche, j'aurais très bien pu t'intercepter en vol et te lancer en dehors de la limite en usant d'une autre transformation en cours de route.

Des félicitations et un conseil, on peut difficilement faire mieux en guise de flatterie, mais j’avoue que cette dernière phrase me découragea légèrement. Je veux dire que c'était une attaque assez extrême, si même celle-là il peut l'intercepte, je ne vois vraiment pas ce que je pourrais faire de mieux pour être certain de gagner. Mais en y réfléchissant, la victoire n'est jamais assurée, et je pense que je cherche trop à faire compliqué, on peut être surprenant tout en restant simple, enfin c'est assez difficile, car si quelque chose s'avère compliqué, l'adversaire s'attendra moins à ce qu'on l'exploite, et il sera plus facilement surpris. Dans un sens, cela revient à sous-estimer le combattant en face de nous, et donc de manquer de jugement. Comme quoi la perfection est difficile à atteindre...

-"Merci Sensei, c'est grâce à votre enseignement en parti, je vous en suis reconnaissant."

Puis décident quand même de défendre ma dernière attaque, et de faire une pointe d'humour, j’ajoutai une seconde phrase avec un air de moquerie, juste pas taquinerie évidemment.

"-Mais si vous aviez fait cela, peut-être aurais-je pus me transformer en aigle à temps, et dites le-moi si je me trompe, mais il me semble que si cela était arrivé, peut être auriez-vous eut du mal à gagner dans le sens où pour m'atteindre, vous auriez été obligé d'utiliser votre forme aérienne, bien plus petite que la mienne... Mais votre idée me plaît, si je ne sais pas quoi faire je m’entraînerai à faire un maximum de transformation en partant et en finissant par l'aigle, en étant entre un et deux mètres du sol sans retomber."

Je ne sais absolument pas quel réaction aura mon maître, mais j'espère que de savoir que je vais m'entraîner sur la vitesse de mes transformation lui plaît, même si je me demande si j'ai vraiment le niveau pour faire un résultat exceptionnel... On verra bien. La voix neutre de mon mentor m'invita.

-Viens maintenant. Nous allons passer au dernier stade de ton entraînement.

Neutre ? J'ai l'impression de percevoir quelque chose dans son timbre, serait-il content de moi ?

-"Je viens".

Je le suis...

Un jour on s'en ira
cueillir les nuages.

J'ai vraiment l'impression que Yoren fait de gros efforts. Sa dernière attaque en témoigne. Elle n'était vraiment pas mal. Mais il va chercher trop loin. Il n'a sans doute pas assez confiance en lui et ses capacités. Je suis peut-être son professeur, mais il n'est pas exclu qu'il parvienne à me sortir plus d'une fois de la zone. De la chance ou autre, qu'importe. Après tout, seul le résultat compte. Il a de bonnes capacités, mais à force de se prendre la tête sur des attaques il va finir par perdre de vue les possibles défenses de l'opposant. Et ça, il ne faut jamais le faire. Enfin, il aura bien le temps d'apprendre ça par lui-même. Ce n'est pas quelque chose que je peux lui enseigner. Il s'en rendra compte tôt ou tard. Et vu son sérieux, cela se passera plus tôt.

Je soupire tout en reprenant ma forme humaine. Vraiment pas mal. Au moins il a l'effet de surprise avec une attaque pareille. C'est une bonne chose, et ça peut facilement tourner à l'avantage de l'attaquant. Tout du moins, son attaque reste aléatoire. J'ai de la chance de savoir me contrôler. Avec un autre métamorphe moins à l'aise avec ses formes, l'exercice aurait facilement pu devenir beaucoup moins amusant. Beaucoup plus dangereux aussi. Mais qu'importe. J'invite Yoren a quitter sa forme de loup pour me rejoindre. Dernière phase de l'entraînement. De courte durée certes, mais assez éprouvante lorsqu'on est fatigué. J'inspire profondément, avant de diriger mon regard sur l'horizon. Ce dernier exercice est pourtant le plus relaxant de tous. Il se base sur le psychisme de la personne. Sa capacité à sentir, mais aussi ressentir. Être métamorphe et télépathe avec les animaux est une très bonne chose. Ce sont deux pouvoirs très intimes, rattachés entre eux par de solides fils. En maîtriser un fait progresser l'autre. Et on le découvre bien assez tôt.

-"Merci pour cet enseignement, Sensei"

Je hoche la tête pour accueillir le remerciement. Yoren est vraiment quelqu'un de très gentil. C'est peut-être naturel de remercier son professeur, pourtant ce sont des habitudes qui se perdent. On sent aussi dans son regard et dans ses paroles qu'il est sincère. Et qu'on me tue pour ne pas croire que l'honnêteté est l'un des meilleurs sentiments au monde. Je lui souris tranquillement tandis que celui-ci stoppe net ses grognements. Il m'amuse un peu quelque part. Il veut toujours en arriver jusqu'à l'épuisement total. Cet enfant est véritablement un pile sur patte. Je me demande si Ayumi sera comme lui. Elle marche déjà bien à quatre pattes. Très rapide, ça elle l'est. Sans vraiment m'en rendre compte, mon regard s'adoucit encore.

Peu après lui avoir fait prendre part de mes observations quand à ses récents agissements, je le vis se rhabiller. Et je fis de même. Sans cette tonne de poil, nous sommes bien frileux. Alors, je remets mon lourd survêtement et fait quelques pas, invitant Yoren à faire de même.

-"Merci Sensei, c'est grâce à votre enseignement en parti, je vous en suis reconnaissant."

Je lève la main, pour lui signifier que ce n'est pas la peine d'en faire autant. J'aime pas quand on me remercie trop. Ça me rappelle le boulot. Et quand je suis en entraînement, j'aimerai penser à autre chose qu'à mon entreprise, par pitié. Je n'ajoute rien. Après tout, moi je ne fais qu'apprendre. Ses heures passées à s'entraîner, c'est lui qui les a faites, pas moi. Il devrait davantage penser à lui et non pas à ce que son entourage lui procure. C'est important, certes, mais ça ne construit pas un humain. Loin de là. On se forme soi-même. On s'érige sur ce que l'on croit juste, et un point c'est tout. Je vois cependant qu'il n'a pas terminé de parler. Allons bon, je sens bien venir le long monologue sur « et s'il se serait passé ça ». Yoren n'abandonne décidément jamais. Mais c'est franchement appréciable. Ça fait progresser les deux côtés.

"-Mais si vous aviez fait cela, peut-être aurais-je pus me transformer en aigle à temps, et dites le-moi si je me trompe, mais il me semble que si cela était arrivé, peut être auriez-vous eut du mal à gagner dans le sens où pour m'atteindre, vous auriez été obligé d'utiliser votre forme aérienne, bien plus petite que la mienne... Mais votre idée me plaît, si je ne sais pas quoi faire je m’entraînerai à faire un maximum de transformation en partant et en finissant par l'aigle, en étant entre un et deux mètres du sol sans retomber."

Sans froncer les sourcils, j'eus un petit sourire moqueur. Oh, bien sûr, je peux en répondre. Reste à savoir si je calme le jeu le premier ou non. Je regarde devant moi. Nous sommes encore assez loin du point où je souhaite nous emmener. Discuter un peu ne fera pas de mal, surtout si c'est pour progresser. Tout en ayant ma réponse soigneusement préparée, je prends cependant la peine de visualiser l'effet que cela aurait pu produire. Rien n'est inutile venant d'un apprenti. Venant d'un être humain tout court. Il est loin d'être idiot. Il a de la chance d'avoir une forme volante plutôt imposante. Dans ce cas de figure-là, je n'aurai évidemment rien pu faire d'autre que de me faire sortir de la zone. Il aurait gagné. Mais je n'ai pas tout oublié. Et en tant que métamorphe, je suis très observateur du monde qui m'entoure. Il m'a surpris la première fois en retombant sous forme de lion, mais son regard n'a pas échappé au mien. Non, il ne savait pas vraiment où moi, je me trouvais. Tout en farfouillant dans ses cheveux, je réponds gentiment :

-Yoren, ton attaque avait une grande qualité et un très gros défaut. Il avait l'effet de surprise mais tu ne savais absolument pas où tu te dirigeais, n'est-ce pas ? Tu me voyais à peu près, mais sans pouvoir prévoir ma position de la tienne. N'oublie jamais la position de ton adversaire.

Reprenant une attitude plus sérieuse, je m'adresse alors à la deuxième partie de sa phrase. S'entraîner sur ce que je fais, en quelque sorte. C'est même plus dangereux de sa façon. Il peut se faire sérieusement mal. En changeant de forme, nos os se métamorphosent et deviennent alors plus fragile, surtout quand il s'agit de passer d'une petite à une grande forme. Une chute à un si petit niveau pourrait lui casser quelques os. C'est un gros risque à prendre. Je préférerai être là s'il souhaite s'y entraîner. Sans lui laisser le temps d'en rajouter, je poursuis :

-Ne t'entraîne pas là-dessus. C'est le genre d'entraînement que je fais. Je préférerai que tu sois près de moi. C'est plus dangereux que tu ne le penses.

Par la suite, je clos la discussion et l'invite à venir, ce qu'il s'empresse de faire. Tout en faisant fonctionner mes sens de télépathe, je sonde l'endroit. Je n'ai pas souvent eu l'occasion de m'entraîner avec ce don. Disons qu'il vient plus en réflexe qu'autre chose. Il est surtout présent lorsque je suis métamorphosé. Je n'ai presque jamais entraîné Yoren dessus, et pourtant c'est un mal. Je ne connais même pas ses capacités dessus. Pourtant, c'est assez rare de tomber sur un maître qui possède les mêmes dons et pouvoirs que l'apprenti. Autant en profiter.

Je tourne subitement la tête, comme si j'avais flairé quelque chose. Voilà, j'ai trouvé le bon endroit. On perçoit le murmure de nombreuses choses. De grosses bêtes comme un cerf, plutôt éloigné mais néanmoins percevable. Et des petites. Je ne discute pas avec les insectes. Mais je peux percevoir tout ceux de sang chaud comme les reptiles d'ailleurs. Un écureuil, là haut dans son arbre, et aussi un lapin dans un coin d'arbre. Je les perçoit simplement, sans chercher à engendrer un quelconque contact avec eux. Doucement, je me tourne vers Yoren et lui murmure :

-J'aimerai voir où en est ton sens de la télépathie. Dis-moi, que ressens-tu ?

Je retourne la tête et pose mon dos contre un arbre en levant les yeux au ciel. Je me demande si les bouddhistes ne sont pas, quelque part, télépathes. Avec la nature ou les animaux, qu'importe. J'inspire profondément. J'aime beaucoup ces instants de fraîcheur. On ne pense à presque rien, on se fond dans l'herbe, on perçoit le souffle du vent. C'est terriblement relaxant.

Sent le souffle du vent,
se déverser sur ta peau.

L'entraînement touche à sa fin. Un simple regard sur ma montre me permet raidement de confirmer mes soupçons. C'est dingue ce que je suis occupé. Le seul moment où il m'est vraiment accordé un instant de paix, c'est lorsque je dors. Malheureusement pour moi, ça dure souvent bien trop peu de temps et je n'ai pas le loisir de le voir s'écouler, bien souvent trop épuisé pour traîner au lit.

Inspirant progressivement, je frissonne. Il faut dire que si les animaux ne sont pas habillés, nous en revanche nous n'avons pas la chance d'être vraiment parcourus d'épais poils. D'où le fait de s'habiller d'ailleurs. Bon, j'avoue que ça ne serait pas très esthétique. Après tout, moi-même je m'épile. Bref. C'est tout de même assez ennuyeux. Le temps se rafraîchit ces derniers jours. Bientôt, il ne tardera pas à neiger. Et j'avoue ne pas trop apprécier cette saison. La pression qu'exerce normalement l'once sur moi se fortifie aux périodes neigeuses, significatives de son environnement naturel. Même si j'ai appris à me maîtriser, des moments de fatigue intense me suffisent pour me transformer sans raison apparente. C'est pourquoi il me faut me forcer à m'habiller chaudement afin d'éviter la transformation. Qu'importe. Concentrons nous sur l'exercice. J'inspire avant de tirer une conclusion sur l'entraînement. Je sens que le petit a encore de l'énergie à revendre. Malheureusement pour moi, ce n'est pas le cas. Et puis, j'aimerai passer un peu de temps avec ma famille. J'ai l'impression de les sentir de plus en plus loin de moi. Bien qu'ils vivent dans la même maison que moi, je dois toujours courir à droite et à gauche, si bien qu'il est rare de voir ma petite Ayumi.

-Oui je suis conscient de cela mentor, mais j’ai joué sur vos nerfs, vous avez esquivé sans réfléchir, par reflexe, vous auriez sans doute eut du mal à faire quelque chose. Mais ne vous en faites pas, je vais vous apprendre à garder votre calme dans ces situations afin de tirer profit des situations de faiblesse d’un adversaire, vous pourriez ainsi contrôler vos reflexes et être redoutables en combat.

Je lève un sourcil amusé. Je sais qu'il est ironique, mais voilà. Quel têtu il fait. Franchement. Je m'autorise un léger rire, trahissant un certain épuisement, sans rien répliquer. J'aimerai que l'on passe à la deuxième partie de l'entraînement, sinon j'ai bien peur de devoir sauter cette partie et terminer de suite. Alors, après avoir conclu cette partie, j'écoute ce que Yoren continue de me dire. Voilà, c'est de ce genre de choses que je parle. À son âge, même si on donne l'impression de faire attention, bien souvent, on ignore les dangers. Et cet entraînement en comporte un certain nombre.

-Dangereux ? J’aimerai bien que vous m’expliquiez pourquoi. Ce n’est pas à cause du risque de me blesser en tombant n’est-ce pas, donc je ne vois vraiment pas… Enfin ce qui ne tue pas rend plus fort, c’est en saignant que l’on apprend efficacement, s’il le faut je suis prêt à souffrir pour progresser, et vous le savez.

Je secoue la tête négativement. Le problème pourrait venir de la chute, bien sûr que si. Les chutes les moins hautes sont souvent celles qui font le plus mal. Passé une certaine hauteur, tu y passes pour sûr. Mais avant, tu peux aussi finir handicapé. Et à choisir... je préfère rester sur deux jambes et conscient de tous mes membres. Évidemment, le risque ne s'arrête pas là. Il ne s'agit pas simplement d'une chute comme une autre. Cet entraînement, en plus d'être fatiguant, demande une certaine énergie. Il faut connaître ses formes. Savoir comment les appeler. Faire totalement corps avec elle. Et bien que je ne doute pas des capacités du jeune Yoren, il n'empêche que j'aimerai éviter de me faire du souci inutilement. Je soupire. Comment réussir à lui faire passer mes doutes à travers des mots ? Je le connais trop pour le savoir insistant. Il l'a dit lui-même. Tant que cela n'affecte pas la mort, ce n'est pas un danger. La chose étant qu'avant la mort, il y a le coma. Et pour y être passé, je sais ce que cela provoque. C'est un moment que l'on ne peut pas rattraper. Un blanc dans sa vie. Comme un amnésique. Trop dangereux. Il serait capable de ne pas trouver ses limites. De ne pas s'arrêter, tout comme moi. Et je refuse qu'il prenne ces risques. Moralité, il va me falloir être ferme. Mille et une excuses ne suffiront pas. Je soupire tout en passant ma main dans mes cheveux :

-Si tu préfères que je te le dise de cette façon, je t'interdis de t'essayer à ce genre de choses. Changer de forme aussi rapidement amène rapidement à l'épuisement total. Alors le faire avec l'handicap de la gravité est trop dangereux. Tes os se modifient pendant la transformation, deviennent durant un très court laps de temps aussi fragile que du polystyrène. Si tu ne parviens pas te réceptionner, tu risques de vivre avec de graves séquelles. Et ça ne vaut vraiment pas le coup.

Suivant ces phrases, je tâche d'effrayer un minimum Yoren, afin de lui faire mieux comprendre le caractère de mes interdictions. Je suis sévère je l'ai dit, mais je garde une ouverture d'esprit. Ça ne m'empêche pas de m'en faire pour mes élèves et de pouvoir paraître intensément soit peu méchant. Fixant le jeune homme, les sourcils froncés, j'ajoute :

-Si je te croise à t'entraîner dessus, je rédige un rapport à Orphéo. Si tu le fais dans mon dos, je ne suis pas responsable de ce qu'il t'arrivera.

Je dis ça, mais étant son maître, je suis totalement responsable de son cas. C'est juste une prévention. Quoiqu'il en soit, mon regard se radoucit après un certain instant et nous nous dirigeons dans la forêt. Arrivés en son sein, je demande alors à Yoren de s'entraîner sur son don de télépathie, tout en faisant marcher le mien. La forêt est bien remplie. Il y a quantité d'animaux. Nombre de cachettes pour lapin et autres. Puis, me détachant de cette atmosphère enivrante, je me contentais simplement de fermer les yeux, tâchant de comprendre le langage des arbres, des feuilles et du vent. Sans forcer. Entendre son chant sans vouloir le décrypter au mot à mot. Après tout, les animaux ne s'exprimaient pas comme nous. Ils nous faisaient comprendre une idée, un sentiment, voir une envie pour les plus évolués.

-J’ai parlé avec un renard.

J'ouvre les yeux. On dirait qu'il sort du lit. Ah oui, ça a cet effet là. Mon sourire apparaît, tranquillisé. L'entraînement est fini. Je n'avais besoin de rien d'autre. C'était un simple moment de détente. Un corps avec la nature et ses habitants. Un murmure. Je me relève et fourre les mains dans mes poches.

-Bien. C'est suffisant. Sache que même si tu ne les voies pas, de nombreuses créatures peuplent notre environnement. Ne l'oublie jamais. Ces mêmes habitants pourraient un jour te sauver la vie. T'apaiser ou autre.

J'inspire avant de conclure.

-Je te raccompagne.