Emmanuelle a toujours eu ce petit côté, je fais encore n'importe quoi et je sais qu'il va encore m'arriver une merde mais j'peux pas m'empêcher de le faire quand même, c'est compulsif. C'est comme ça que par un après midi qui annonce l'été, elle s'est lancée dans l'escalade des rochers, en sandales, alors qu'elle était défoncée. Elle grimpait depuis un petit moment déjà, son petit sac en cuir sur une épaule, et elle était fatiguée. Elle avait envie d'un thé, elle avait envie d'un joint, elle avait envie de s'assoir mais ce qu'elle voulait par dessus tout c'était s'assoir tout en haut sur le plus haut des rochers, pour là seulement fumer son joint et sortir sa bouteille de thé.
Alors elle ne s'est pas arrêtée. Elle aurait peut être du, parce que du coup elle était pressée, et puis elle est un peu casse cou, elle n'a pas vraiment peur qu'il lui arrive quelque chose d'autant plus qu'elle est quand même plutôt agile, elle a tendance à oublier que le corps humain est fragile. Elle finit donc par faire un faux mouvement. Un truc vraiment très bête. Sa sandale glisse sur la pierre, son pied se coince entre deux rochers et elle perd l'équilibre. En tombant, elle se tord la cheville.

Evidemment comme elle est seule, elle lache un petit cri et tant qu'à faire, un gros juron en français. La douleur lui donne une légère nausée et elle regarde autour d'elle mais vu sa position entre les rochers, elle ne voit pas vraiment loin. Alors elle se résigne. Elle glisse son pied hors de la sandalle et s'installe confortablement pour faire ses petites affaires.

Plus tard, le soleil commence à rendre le ciel rose et Emmanuelle n'a toujours pas bougé de là où elle s'est cassé la gueule. Elle est en train de fumer son enième joint et elle profite paisiblement du paysage en prenant des petites notes sur un carnet. Et là elle commence à entendre quelqu'un. Elle espère, quelqu'un de bien (au pire, elle avisera), et commence à appeler alors que le vent souffle exactement dans la bonne direction :

"Eeeeh !? Par ici !"

J'ai passé une très belle journée aujourd'hui et pour finir en beauté la fin d'après-midi, un peu d'escalade ne me fera pas de mal. C'est ainsi que je me dirige vers les rocheuses environnantes. J'ai déjà escaladé des montagnes mais jamais celle-ci, elle ne paraisse pas très difficile. Bon allez, l'ascension commence.

J'attrape une première pierre, une seconde, une troisième...il y a vraiment beaucoup de prises, c'est d'ailleurs pour ça que ces montagnes sont si appréciées. Me voila alors à une vingtaine de mètres de hauteur, je continue, trente mètres, quarante, quand tout à coup, un cri résonnent entre les rochers, je regarde le plus haut possible mais ne voit rien, peut-être un animal ou quelque chose comme ça. Je reprends mon escalade. J'arrive alors à presque une centaine de mètres de hauteur, là je dérape un peu sur un rocher qui se décroche de la paroi et entame une chute libre.

-J'espère qu'il n'y a personne en bas, sifflais-je entre mes lèvres.

J'allais agripper un autre rocher quand une voix, dont je n'arrivais pas à localiser la source s'éleva.

"Eeeeh !? Par ici !"

Je ne voyais personne autour de moi, aurais-je des hallucinations auditives ? Mais un petit gémissement me permit d'identifier le lieu de cette personne.
Escaladant horizontalement la paroi, ladite personne fut enfin à vu, une femme assez frêle, blonde, elle ne portait pas du tout de tenue approprié à l'escalade, d'ailleurs moi non plus, je ne la blâmerai pas pour ça. Un nuage de fumée âcre entourait son visage donc peu visible.

Son pied était coincé entre deux rochers et semblait tout tordu. J'avais déjà aperçu cette femme il me semble à Little Angleton peut-être ou aux abords de l'orphelinat.
Quoi qu'il en soit, elle avait besoin d'aide. Le contrôle de la terre, même si je me suis spécialisé dans le sable, est parfois utile. Je tends mon bras vers la pierre qui immobilisait son pied, écarte les doigts et la propulse en l'air, lorsqu'elle retomba, mon poing se ferma et le rocher se changea en sable qui se dispersa un instant après.

-Vous pouvez-vous lever ? lui demandais-je en m'accroupissant auprès de sa jambe tout de même bien amochée.

Manu affiche un petit sourire charmant et sympa quand le garçon s'accroupit. Un élève, formidable. Elle le reconnaît, parce qu'elle l'a déjà croisé. Comme beaucoup d'autres. Il fait son petit truc avec le gros caillou et le sable et Manu observe sagement, objective. Elle récupère tranquillement sa sandale qu'elle avait tristement abandonnée sous le rocher, et la remet à son pied.
Alors, il s'inquiète de son état. Trop touchant.

"Oh ouais, bien sûr je peux m'lever.", fort accent français.

Pour illustrer, elle se met debout, encore souriante, et se réinstalle tranquillement à côté de son sac à dos, après un petit regard complice sur l'adolescent. Elle n'est pas sûre en revanche de pouvoir descendre les rochers mais elle se garde bien de le dire. Quitte à faire croire plus tard qu'elle rêve de camper ici.
Mais peu importe, en attendant, elle va continuer de profiter de sa journée.
Dans le même moment, elle tire tranquillement sur son joint et s'occupe d'extraire de son sac sa fameuse bouteille de thé, avec bien sur une charmante petite tasse, et se serre généreusement. La bouteille est soigneusement refermée. posée quelque part, à côté. Et Manu boit quelques gorgées, reposant après la tasse sur un rocher qui semble avoir été mis là un jour juste pour assurer sa fonction de table basse aujourd'hui.
Les yeux brillants, le sourire trop large pour son visage, elle regarde Esteban en tapotant gentiment une petite place à côté d'elle, sur le rocher qu'elle occupe.

"Vous aviez l'air en plein effort."

Elle ricane un peu. Sa cervelle baigne dans la fumée.

"Vous voulez faire une petite pause ?"

A mon grand étonnement, le jeune femme dont je ne connais pas encore le nom se relève sans difficulté, ne lachant pas le pétard qu'elle a entre ses doigts. Elle s'approche de son sac, l'ouvre et en sort une bouteille-thermos, le liquide qui en sort ressemble à de l'eau opaque mais l'odeur parfumée qui en provient m'indique qu'il s'agit de thé.

Elle boit une partie du contenu de la tasse et m'invite à venir s'assoir auprès d'elle.

"Vous aviez l'air en plein effort."
"Vous voulez faire une petite pause ?"

-Ce n'est pas de refus, lui répondis-je en me posant sur le rocher accolé au sien. Je m'appelle Estéban...je crois vous avoir déjà vu à l'orphelinat, vous êtes professeur, non ?

La jeune femme me regarde mais elle semble ne pas me voir, enfin ce n'est qu'une impression, c'est probablement à cause de la drogue qu'elle a en main, d'ailleurs des cernes se dessine sous ses yeux et son sourire et fortement exagéré.
Je tousse légèrement, étouffé par la fumée envahissante, et me recule un peu.

-Excusez-moi, je supporte mal la fumée de cigarette.

Le garçon s'assoit. Machinalement, Manu s'est un peu décalée de son propre côté. Elle le regarde avec curiosité. Avec un sourire large. Intriguée par les inconnus. Mais lui ne l'est plus tellement puisqu'il s'appelle Estéban.
C'est là qu'alors, Estéban tousse. Oh. Il s'excuse. Il supporte mal la fumée. Et la fumée s'écoule lentement du nez d'Emmanuelle, qui le fixe toujours avec son sourire trop grand, et qui prend son petit air surpris, dans un temps de réaction juste un tout petit trop long.

"Oh."

Elle se décale encore un peu. Histoire de. Avec un sourire compatissant. Et puis elle attrape délicatement sa tasse par sa minuscule anse, juste pour boire une toute petite gorgée. Et repose la tasse fumante en disant tranquillement :

"Ouais. J'suis prof. J'enseigne l'usage des armes à feu."
Petit sourire.
"Et la maîtrise des émotions."

En disant ça, elle n'est pas vraiment sûre d'y croire elle même. C'est à dire qu'avant très récemment, elle n'avait jamais envisagé qu'un jour elle aurait eu envie d'enseigner quoi que ce soit. Mais son attention reste portée sur Estéban. Qui a première vue semble être un garçon sage. De côté, sans vraiment l'observer, elle continue de le voir, maintenant que son odeur différente commence à glisser dans l'espace, et elle rêvasse tranquillement à quelque chose d'abstrait. Des lignes très pures et fluides dans un espace bicolore mais très saturé.
Après quelques secondes de silence, assise en tailleurs, le visage offert vers le vide, elle parle doucement pour Estéban :

"Vous étiez seul dans les rochers ?"