Jonathan & Framboise ♠

Tic tac.

Le temps passe drôlement plus vite quand on s'amuse.
C'est exactement ce qui me trotte dans la tête et dans à peu près celle de tous mes camarades en ce moment-ci. Je suis à peu près certaine que personne, personne dans cette classe n'a retenu quoi que ce soit des cinquante minutes de cours de technologie qui viennent de se dérouler.
Je regarde la prof s'égosiller quelques minutes en tentant de nous expliquer le fonctionnement de je ne sais quelle machine.

Tic tac.

Léa a pressé le bras d'Annabelle en lui désignant l'horloge murale. Hugo a les yeux rivés sur sa montre. Tous ont déjà commencé à ranger leurs affaires sous l'œil réprobateur de notre professeur de technologie.
Son visage tordu dans un rictus ridicule me fait glousser. Je me mords la lèvre. Je pourrais... non. Oh, aller. Rien qu'une fois.
Je sais que je ne devrais pas. Mais, personne n'en saura rien après tout. Et j'ai appris à tenir ma langue !

Tic..

Je ferme les yeux et tente de faire le tri dans le flot continu de pensées de mes camarades. Ce qu'ils sont bavards... Mais, trêve de bavardages, justement.
Elle ne doit pas être bien difficile à repérer. Les profs ont une notion de supériorité repérable entre mille. De plus, si j'en crois son air absent, elle n'a plus tout à fait l'air parmi nous. Je repousse machinalement les pensées parasites de garçons immatures , qui manquent de me faire perdre le fil de ma concentration.
Quand, soudain... une vague odeur de pizza se répand, aussi étrange que cela puisse paraître, dans mon esprit. Voilà donc à quoi rêve notre chère Madame.

- Framboise !

Je sursaute, demeure un instant entre pensées et réalité avant de basculer à nouveau dans la salle de classe. J'ouvre les yeux. Une bonne dizaine de paires d'yeux sont fixés sur moi. Question discrétion, c'est raté, Framboise, je me félicite intérieurement. La prof me regarde comme si j'étais une extraterrestre et je prend conscience qu'elle attend probablement une explication sur mon... endormissement temporaire -ah, ça ne se dit pas ?.

Tac.

Je soupire. La sonnerie m'ôte la douloureuse tâche de faire comprendre à notre prof qu'il va falloir faire en sorte que l'heure de technologie ne devienne pas sieste collective. Je lui adresse un sourire navré et enfourne mes maigres affaires dans mon sac que je jette sur mes épaules. Enfin. Cette nouvelle journée de routine touche à sa fin ! Je met un point d'honneur à ignorer royalement les regards moqueurs que je sens dans ma nuque. Ton indiscrétion te perdra, ma vieille. C'est sur cette certitude que je quitte l'enceinte de l'établissement, autrement dit, mon collège.

À la sortie, j'adresse un vague 'à demain' à une poignée de personne puis j'enfonce ma tête dans mes épaules, les mains déjà saisies par le froid. Ici, l'allée est bordée d'arbre aux feuilles de toutes les couleurs, rivalisant de beauté. Du rouge flamboyant au jaune or, en passant par l'orange ambré. L'automne est une très jolie saison. Je m'arrêterais bien pour dessiner mais... J'ai à peine dépassé le collège lorsque je le remarque. Son regard est ostensiblement braqué sur moi. Loin d'être effrayée, je fais volte face vers l'inconnu. Il ne m'a pas l'air bien dangereux. Et j'avoue qu'il m'intrigue.
J'entends presque la voix de ma mère résonner dans mon esprit, comme un sermon : on ne doit pas adresser la parole à un inconnu. Je crois bien que c'est ce qui me décide à prononcer ces mots :

- Bonjour... monsieur. On se connaît ?

En vérité, je suis sûre de n’avoir jamais vu cet homme. Je n’oublie jamais un visage. Peut-être que lui, en revanche, il me connaît. Peu probable mais pas impossible.
L’idée d’écouter ce qui lui passe par la tête m’effleure un instant mais je la repousse, loin, très loin. Je me contente d’attendre.
Et de sourire.

Framboise Weasley, habitante de Little Angleton, actuellement au collège de Little Angleton. Une fille d'humain sans problème. Une fille pas si banale que ça pourtant. Elle côtoie des orphelins du Mystery Orphanage au collège et l'un d'eux a dit à Pandora qu'il avait sentie de la magie en cette jeune fille. Il n'en était pas sûr, car à son âge on commence tout juste à ressentir la magie à l'extérieur de soi, mais néanmoins, quelque chose à intrigué Pandora : quand elle était très jeune, il y avait eut une petite altercation entre elle et un petit garçon. La maîtresse l'avait noté, sans y trouver rien d'extraordinaire. Mais il semblerait que si on lit entre les lignes, la jeune fille pourrait être une lectrice de pensée. Cependant les suppositions ne suffisent pas, et c'est pourquoi la directrice du Mystery Orphanage m'a demandé d'aller vérifier. Étant donné que Little Angleton est un des grands lieux magiques, il ne serait pas étonnant qu'elle le soit, même si ses parents sont des innocents. J'attends à la sortie du collège.

C'est bientôt l'heure de sortie et je m'impatiente. Il est tellement probable qu'elle soit magique, que j'ai hâte de la rencontrer. J'ai sa photo, je pourrais la reconnaître. Quoi de plus facile quand on sait que le Mystery Orphanage, grâce à Orpheo, dispose de système informatique puissant et d'un bon nombre d'accès privé. J'entend la sonnerie. J'enfonce les poches dans ma veste. Il ne fait pas très chaud. En même temps, nous sommes en novembre, en Écosse, que demander de plus ? Je souris. Un flot de jeunes passent devant moi. Certains me saluent de la main, ce sont les orphelins. Je leur répond d'un sourire quand soudain mon regard s'accroche sur des cheveux. Je la regarde, la détaille. C'est elle. Je suis encore trop loin pour détecter le moindre pouvoir en elle. Avant que j'ai essayé de me rapprocher, elle est là, devant moi, le regard presque provocateur, mais pas méchant.

-" Bonjour... monsieur. On se connaît ?"

Oh ! Elle n'a pas froid aux yeux. Ca me plait. Et effectivement, je sens de la magie en elle. Elle fluctue encore, mais après tout c'est normal, elle est encore jeune.

-" On s'est sûrement croisé dans les rues de Little Angleton, mais jamais parlé cependant. Je suis Jonathan Loïs Taylor, professeur au Mystery Orphanage."

Je marque une pause. Elle connait le Mystery. Tout Little Angleton connait l'orphelinat. d'abord parce que c'est un petit village et non une grande ville. Ensuite parce que c'est le grand domaine et la grande maison de la région, qui appartenait autrefois à Lord Mystery, protecteur de Little Angleton et sa région. Aussi parce que beaucoup de gens venant des quatre coins du monde y viennent, sans raisons apparentes pour les innocents, mais en vrai, pour demander conseil ou fouiller dans la grande bibliothèque. Et surtout parce que dans ces gens qui viennent, il y a souvent des personnes connus : politicien, acteur, chanteur, artiste, grand journaliste... Autant de couverture pour exorcistes.

-" Je crois que tu es spéciale Framboise. A vrai dire j'en suis sûr. Ais-je tort ?"

Je souris, voulant me montrer bienveillant et non psychopathe sadique et pervers.

Bon. Maintenant que le "monsieur" est là, juste devant moi, je n'en mène pas large. Heureusement, ça ne se voit pas et mes joues sont déjà trop rougies par le froid pour qu'on remarque que je suis en train de piquer un fard...

Je ne suis pas du genre timide mais lorsque mon mystérieux interlocuteur braque ses yeux sur moi, j'ai l'impression de passer un scanner. Je serre les dents. Je n'aime pas qu'on me regarde...
Son visage est pourtant avenant. Et, tenez ! ne serait-ce pas une esquisse de sourire que j'aperçois au coin de ses lèvres ?
Non, franchement, il n'a rien d'un psychopathe pervers !

-" On s'est sûrement croisé dans les rues de Little Angleton, mais jamais parlé cependant. Je suis Jonathan Loïs Taylor, professeur au Mystery Orphanage."

Jonathan Loïs Taylor. Professeur. Mystery Orphanage... Le Mystery ! On pourrait presque voir une petite ampoule clignoter au dessus de ma tête (oui vous savez, comme dans les bandes dessinées, quand les personnages ont tout à coup une idée). À vrai dire, au lieu de m'éclairer, j'ai plutôt l'impression de m'enfoncer dans l'obscurité. Qu'est-ce que peut bien me vouloir un enseignant de l'Orphelinat ? Cela n'a rien de particulièrement inquiétant ; tout le monde connaît le Mystery Orphanage.

Car, qui n'a jamais eu la curiosité d'aller y jeter un coup d'œil ? Personne. Et je ne fais pas exception à la règle. Le Mystery est un orphelinat comme les autres. Je crois. Il me semble. Peut-être pas, tout compte fait... Les rumeurs vont bon train à son sujet. Mais quoi de plus normal ? Quantité de comédiens, chanteurs, journalistes, écrivains y passent chaque année !
Et puis quel importance ? Ce gentil monsieur s'est peut-être tout simplement trompé de personne.

-" Je crois que tu es spéciale Framboise. A vrai dire j'en suis sûr. Ais-je tort ?"

J'ai eu envie de rire un bref instant. Très très bref. Puis je me suis ravisée. Très très vite.
Malgré le timbre chaud de sa voix, et son sourire engageant, je frisonne. Sûrement le froid.. Ce n'est plus un scanner que je passe, mais une autopsie ! Je commence à avoir du mal à croire qu'il se soit trompé de personne et de prénom... Les Framboise (les filles, pas les fruits), ça ne court pas les rues. Non, il y a quelque chose qui cloche.
Et, comme une étudiante normale, discutant avec un professeur normal, je suis sensée lui répondre. Quoi ? Je ne sais pas : mais quelque chose !
Seulement, je ne suis pas sûre de comprendre où il veut en venir.
Et pour l'instant, je refuse d'imaginer qu'il sait. Qu'il sait pour mon... secret. Les pensées, la tête des gens, tout cela, tout ce fichu don. Enfin vous voyez de quoi je parle !

J'hésite, trébuche, chancelle. Me décide enfin.

- On me le dit souvent, en effet, je dis, avec une once de malice.

Voilà. De cette façon, je reste sur la défensive. La meilleure défense reste l'attaque. Certes, mais qui a dit que j'étais attaquée ? Personne, pour l'instant.
Je fais voler mes boucles rouges. Aussi rouges que les feuilles des arbres, je remarque en passant.
Je pourrais peut-être écouter... rien qu'un peu ? Le regard de l'inconnu m'ôte toute envie d'espionner quoi que ce soit.
J'arbore une moue frustrée, un peu boudeuse. Ce n'est pas juste : il a l'air d'être assez au courant à mon sujet, et je ne connais que son nom.
Malheureusement pour moi, je suis curieuse.

- Mais je ne suis pas sûre de vous suivre, professeur Taylor.

J'ai ponctué mes derniers mots d'une certaine ironie. Ce n'était pas mon intention d'être insolente, promis !
Mais que voulez-vous... La curiosité est un vilain défaut, Framboise, très vilain.

Je la regarde avec curiosité. Certainement bien plus qu'elle. Aucune surprise, aucun mouvement de recul. Mais qui es-tu Framboise ? Oh, spéciale fille. Cheveux roux, yeux clairs, plutôt grande pour son âge, et un regard incroyablement perspicace. Elle ne s'étonne pas mais se questionne. En ce moment ? Elle se demande si je sais, comment j'ai pu savoir et ce que je lui veux, elle réfléchis sur le Mystery Orphanage et sur elle même. Comment puis-je le savoir ? Oh come on ! Ca se lit dans ses yeux. Framboise, tu es vraiment quelqu'un, pas comme certains innocents qui se contente de vivre en attendant, sans savoir ce qu'ils attendent. Toi tu ne le sais pas encore, mais un jour tu voudras sans doute le découvrir. Tu vis les yeux ouverts sur ce monde. Bon, soyons honnête, la magie aide beaucoup. Je dois dire que la plupart des enfants magiques sont comme Framboise. C'est comme si nous avions ce petit quelque chose en plus, cette étincelle qui fait vibrer nos cellules au rythme incessant de la vie.

-" On me le dit souvent, en effet."

Je passe la main dans les cheveux. Allez savoir pourquoi. C'est une sorte de réflexe, comme pour me rassurer de la banalité des choses. Je passe souvent la main dans mes cheveux. Quand je réfléchis ou que je ne pense à rien, quand je suis stressé ou que je suis calme. C'est un geste répétitif à intervalles totalement irrégulier qui n'a absolument pas pour but de me recoiffer et qui me conditionne depuis que je peux mettre la main dans mes cheveux. Peut être dû à ce geste que j'attendais tellement étant enfant. Une caresse paternelle ou maternelle, sur ma tête, sur ma joue, dans mes cheveux. Je ne l'ai jamais eu. Orphelinat. Orphelin. Voilà tout. Framboise n'est pas orpheline. Du moins je ne pense pas. Elle vit avec sa famille à Little Angleton. Voilà pourquoi il va être un peu plus compliqué de la faire venir au Mystery Orphanage pour y étudier la magie. Il n'y a pas qu'elle à convaincre, ses parents aussi. Je pense que Pandora ressortira la bonne vieille excuse : le proviseur (un sorcier n'en doutez pas) m'a transmis les résultats de votre fille ; nous pouvons lui offrir des cours en plus, gratuitement, qui aideront pour ses études. Ils ne diront pas non s'ils sont réalistes. Beaucoup de grands hommes et femmes sortent du Mystery Orphanage. Des acteurs, des avocats, des politiciens... Ils n'étudient pas leur métier, mais on leur donne des voies d'accès. Ceux qui sortent du Mystery Orphanage ont un avenir assuré, et gagne une grande famille.

-" Mais je ne suis pas sûre de vous suivre, professeur Taylor."

Je souris. C'est absolument faux. Elle sait parfaitement de quoi il retourne mais ne fait que retarder l'échéance. Comme si cela lui faisait peur. As-tu peur de tes pouvoirs Framboise ? Peut être pas. Peut être as-tu peur de les officialiser. Je regarde aux alentours. Personne ne fait attention à nous. Vraiment personne. Il ne reste que quelques collégiens et lycéens, mais ils sont tellement obnubilés par leur propre personne qu'ils ne prêteront pas plus attention à nous qu'à un vers de terre qui se tortille à leur pied.

-" Je suis sûr que si. Mais le mieux je crois, pour que tu puisses avoir confiance en moi, c'est de te montrer que moi aussi, je suis spécial."

Je touche sa main, et nous nous téléportons directement au Mystery Orphanage. Les enfants qui jouaient dehors ne nous prêtent qu'un seul regard avant de retourner à leur jeu. Je la surveille du coin de l'œil, histoire qu'elle ne tombe pas dans les pommes. Ca peut vous faire ça, votre premier voyage instantané.

-" Mystery Orphanage. Nommé par le nom de ses fondateurs et pourtant... L'orphelinat mystère. Il porte plutôt bien son nom. Framboise, il n'y a ici que des gens comme toi et moi ; des gens qui appartiennent à l'une des trois races magiques : sorcier, humain doué ou mêlé. Ca va ? Pas trop bousculée ?"

Je souris. Les questions vont sûrement affluer, ou pas, selon si elle a ou non perdu sa voix. Mais son cerveau doit tourner à fond maintenant que je lui offre une partie de ses réponses. Elle devait s'en poser tellement, seule dans son coin, à se savoir extraordinaire et à ne pouvoir le dire à personne, sous peine d'être prise pour une folle. Le rejet de la différence.

Je frissonne. Mais pas de froid, et encore moins de peur. Non, c'est autre chose. Un sentiment nouveau, inconnu, chaud, que je n'ai pas envie d'analyser. Pas encore. C'est étrange. Aussi étrange que mon prénom ou que la couleur de mes cheveux. Peut-être même plus.
C'est un peu comme si chaque mot, chaque geste, chaque pas du professeur Taylor m'éloignait un peu plus de l'enfance. De l'insouciance. De l'innocence. C'est exactement ça en fait. Je suis peut-être sur le point de découvrir une vérité, la vérité mais je suis surtout en train de grandir.
Je lève mes yeux immenses vers le "monsieur", avec un petit air insolent qui trahit néanmoins une profonde curiosité, une légère inquiétude, et une véritable fascination. Cette homme ne me veut aucun mal, j'en suis maintenant persuadée. Reste à savoir ce qu'il me veut, justement. Mais, j'ai beau être restée évasive sur ses propos, il n'a pas été dupe. Moi non plus d'ailleurs. Une petite sonnette d'alarme se déclenche dans ma tête déjà assaillie de questions sans réponse. Il sait. Il sait... tout. Mais je ne sais pas si je dois l'espérer ou le redouter. Car s'il sait tout, c'est qu'il est différent. C'est qu'il est comme Ian. Comme moi.
Différent.

-" Je suis sûr que si. Mais le mieux je crois, pour que tu puisses avoir confiance en moi, c'est de te montrer que moi aussi, je suis spécial."

Il vient de résumer en quelques mots l'aboutissement d'une longue délibération mentale. Navrant.
Il sait. C'est ce qu'il essaye de me faire comprendre.
Il sait.
Il...
Il caresse les alentours du regard. Alors je fais comme lui, pour savoir ce qu'il regarde. Il n'y a pas un chat. J'entends le rire d'un enfant quelque part, loin, très loin. Personne ne semble se soucier de l'étrange jeune homme et de la fille aux cheveux de feu. C'est comme si une bulle s'était refermée sur mon univers. Qui est sur le point de basculer.
Mais ça, je le comprends trop tard.
Lorsque son doigt effleure ma main, je n'ai pas le temps de réagir. Ni de faire quoi que ce soit. Je ferme les yeux, je ferme juste les yeux. Et l'instant d'après, les arbres, les bosquets, l'allée et tout le reste ont cédé la place à une cours. On dirait la cours de récré de mon collège. En plus vaste, plus vert, plus lumineux... On dirait la cours de récré d'un orphelinat. Je secoue la tête, me pince discrètement et lève vers le professeur Taylor un regard où l'indignation le dispute à l'admiration.
Le sol tangue dangereusement sous mes pieds et, encore tout hébétée, je m'agrippe à son avant bras. Lorsque le monde autour de moi a recouvré un semblant de calme, je le lâche et réfléchis intensément.
Ce qui vient de m'arriver est littéralement impossible. On ne peut pas quitter un endroit, rien qu'en fermant les yeux. On ne peut pas...

-" Mystery Orphanage. Nommé par le nom de ses fondateurs et pourtant... L'orphelinat mystère. Il porte plutôt bien son nom. Framboise, il n'y a ici que des gens comme toi et moi ; des gens qui appartiennent à l'une des trois races magiques : sorcier, humain doué ou mêlé. Ca va ? Pas trop bousculée ?"

Le Mystery Orphanage ? C'est quoi ce délire ? Ce n'est pas possible. Ce n'est pas...

- Vous venez de nous téléporter ?

Je dois actuellement ressemble à un poisson rouge qui aurait oublié de refermer sa bouche. Ses derniers mots me parviennent en échos, un peu comme avec le décalage horaire. Sauf que je ne viens pas de prendre l'avion. Non, moi Framboise Weasley, vient juste d'être téléportée. Normal.

- Je... oui, ça va. Non, attendez, ça ne va pas. Qui êtes-vous ? Je sais, vous êtes le Professeur Taylor, vous me l'avez déjà dit mais qui êtes-vous vraiment ? Et moi, qu'est-ce que je fais ici ? Je n'ai rien à voir avec tout ça, il doit y avoir une erreur...

Je ferme les yeux. Pathétique. Voilà ce que je suis. C'est maintenant que j'aurais besoin de mon imagination débordante, pour me sortir de cette situation grotesque. Mais évidemment, mon imagination reste muette et cette scène n'a absolument rien d'imaginaire !
J'inspire une grande bouffée d'air pur. Lui n'a pas l'air inquiet le moins du monde. On dirait qu'il a fait ça des centaine de fois.
Je regarde tour à tour les enfants, grands et petits, qui jouent autour de nous. C'est à peine s'ils ont levé la tête. Ils ont l'air heureux ici. Je tente de mettre de l'ordre dans mes pensées. Il a parlé de l'Orphelinat, de sorciers et d'humains magiques ou je ne sais quoi. Je dois dire que cela éclairerait certaines choses. Mais il y a encore trop de zones d'ombres, j'ai encore beaucoup beaucoup trop de questions avant de pouvoir accepter définitivement ce que je viens d'entendre. J'ai besoin d'un peu de temps. Et tant mieux, il ne semble pas pressé, au contraire.

- Est-ce que je suis vraiment magique ? Est-ce que lire dans les pensées est un don ?

J'ai placé une certaine ironie dans mes derniers mots, parce que jusqu'à présent, je n'avais jamais considéré cela comme tel. C'était certes pratique et amusant, mais c'était aussi épuisant et terriblement frustrant de savoir à tout moment ce que pense la personne en face de vous. Pour la première fois, la possibilité de voir ça autrement m'effleure. Pour la première fois, je nomme mon "pouvoir" sans détours, sans hésitations.
Et surtout, pour la première fois depuis une éternité, je me sens un peu moins seule.



Spoiler:

Les enfants n'arrêtent pas de courir partout. Ils ont l'air heureux, et moi je suis content. Parce que c'est un peu mon job qu'il soit heureux. Et puis ça pourra montrer à Framboise que venir au Mystery, en plus de l'aider à contrôler ses dons et pouvoirs lui apportera aussi des amis, et une seconde famille si elle veut nous considérer comme tel. Personnellement je n'ai jamais eu d'autre famille que le Mystery Orphanage. Mais ceux qui étudient seulement au Mystery mais n'y sont pas pensionnaires sont souvent amené à nous considérer comme tel. Je trouve que c'est une bonne chose, car même quand le monde est sombre, il y a toujours de la place pour quelqu'un au Mystery. Si on a besoin d'aide, on peut toujours venir la demander ici. Enfin je dis ça, mais si ça se trouve, Framboise n'acceptera pas de venir. Elle en a le droit.

-" Vous venez de nous téléporter ?
- Oh je suis désolé si ça a été brutal. Ca ira ?"

Elle n'a pas l'air très bien. On dirait qu'un millier de pensées seconde se balade dans sa tête. J'ai un pâle sourire. Moi je n'ai jamais eu à me poser la question, j'ai grandit ici. Je devais avoir quelques semaines à peine quand on m'a posé ici. Mes parents étaient morts au combat. Enfin ça c'est ce qui m'a été dit. Peut être qu'ils ne sont pas morts. J'avais cet espoir étant petit. Mais maintenant je crois qu'ils ne sont tout simplement pas mes parents. Ma mère, c'est Pandora Mystery. Mon père ? Je n'ai jamais vraiment eu de père. Je n'a jamais connu Alfred, le mari de Pandora. Je n'ai pas non plus connu son père. Avec sa mère ils étaient morts avant. Mais j'ai eu plein de professeurs qui auraient pu tenir ce rôle. Celui qui s'en rapprochait le plus était Minh, le professeur de viêt võ dao qui est partis à la retraite. Maintenant j'assure son cours. Et je vais le voir au Vietnam de temps en temps.

- Je... oui, ça va. Non, attendez, ça ne va pas. Qui êtes-vous ? Je sais, vous êtes le Professeur Taylor, vous me l'avez déjà dit mais qui êtes-vous vraiment ? Et moi, qu'est-ce que je fais ici ? Je n'ai rien à voir avec tout ça, il doit y avoir une erreur...

Je souris. Je regarde les enfants courir. Donan, un petit que j'aime beaucoup, bon un petit que je considère comme un fils, bien qu'ils soient tous un peu mes enfants, vient avec un scarabée dans les mains. Il le tient bien haut pour que j puisse le voir et écrit une rune dessus. Rune de taille. Le scarabée grossit et il explose de rire avant de laisser partir la pauvre bête qui devrait bientôt retrouver sa taille normale. Donan à 6 ans maintenant. Les cheveux blonds, petit gabarie, il respire la joie de vivre et me saute dans les bras. Je le prend donc avec moi;

[color:5d49="007799]-" Calme toi Framboise. Je suis un mêlé, moitié humain, moitié sorcier. J'ai vécu et grandit ici, on m'y a appris à contrôler ma magie. Et le petit Donan ici est sorcier. Toi tu es humaine, avec des pouvoirs. C'est pour ça que tu es là.
- Est-ce que je suis vraiment magique ? Est-ce que lire dans les pensées est un don ?
- Tout à fait."

Donan se tortille car il veut retourner jouer avec ses amis. Il me fait un bisou sur la joue et s'en va retourner courir avec les autres.

-" Tu es ici parce que tu es comme nous. Nous pouvons t'apprendre à contrôler ton don et à découvrir ton pouvoir, nous sommes là pour t'aider. Mais si jamais tu ne veux plus entendre parler de nous, je te raccompagne au village, et tu continueras ta vie."

Elle choisit. Nous avons toujours le choix. Surtout quand nous avons nos parents. Si elle vient, ça lui fera des heures en plus. Enfin... Les enfants du Mystery on en général un emplois du temps à l'école allégé. Celui de Framboise le sera aussi, pour qu'elle puisse suivre si elle le désire des cours ici aussi.

Je ne comprends rien. Non, ce n’est pas tout à fait exact. J’ai compris que le monsieur est bel et bien professeur. Qu’il vient effectivement de nous téléporter au Mystery Orphanage, comme s’il avait ça des centaines de fois auparavant (ce qui est peut-être le cas, mais pas le mien !). Qu’il y a tout plein d’enfants autour de nous qui n’ont absolument pas l’air d’avoir remarqué notre arrivée pourtant remarquable. Qu’il y a une histoire de magie là-dedans, j’en mettrais ma main au feu. Qu’il paraît que ces enfants sont comme moi (allez savoir ce que cela signifie). Et surtout, j’ai compris que je me suis mise dans un sacré pétrin…
Enfin, ça y ressemble. Mais je n’en suis plus si sûre. Parce que rien ni personne ici ne semble me vouloir de mal.
Ce ne sont que des enfants.
Comme moi.

- "Oh je suis désolé si ça a été brutal. Ca ira ?"

Le professeur Taylor me sort de mon étrange rêverie. Il a un pâle sourire. En fait, plus je le regarde, plus je trouve qu’il a vraiment l’air gentil. Il vous donne envie de lui faire confiance. C’est plutôt rassurant, comme sentiment.
J’ignore totalement si ça ira, comme il dit, mais comme j’ai décidé que je l’aimais bien, je fais oui de la tête. Et tout compte fait, ça a été brutal, mais c’était amusant et je suis certaine que jamais mes amies ne feront un truc pareil, ni à Disney Land Paris, ni même en rêve. Et ça c’est chouette.

Un petit arrive à notre hauteur, un sourire hilare peint sur son visage d’ange. Il se plante devant le professeur et lui tend sa paume ouverte, dans laquelle se tient un joli scarabée. Je ne peux m’empêcher de m’approcher, immédiatement intéressée. Non pas que je sois particulièrement fascinée par ces bestioles, mais le garçon a un sourire qui réussit à m’intriguer. Il écrit quelque chose dessus (j’ignorais que c’était possible) et là… je sursaute, malgré-moi. Le scarabée vient de doubler de volume. J’écarquille les yeux tandis que le petit éclate d’un rire énorme et irrépressible, visiblement tout content de lui. La petite bête s’en est allée.
Ok, si ça ce n’est pas de la magie…
Pendant ce temps, le garçon a sauté dans les bras de son professeur, comme si c’était la chose la plus évidente à faire.
Puis il dépose un bisou sur sa joue et retourne jouer avec ses amis.
Heureux, j’en suis sûre.

-" Calme toi Framboise. Je suis un mêlé, moitié humain, moitié sorcier. J'ai vécu et grandit ici, on m'y a appris à contrôler ma magie. Et le petit Donan ici est sorcier. Toi tu es humaine, avec des pouvoirs. C'est pour ça que tu es là.

- Comment fait-il ça ? je demande, incapable de résister à ma curiosité dévorante.

Il y a un peu d’admiration dans ma voix. Parce que ce n’est pas tout mais ce petit a la moitié de mon âge, est haut comme trois pommes, a des cheveux d’or et un sourire adorable, et il sait faire grossir les scarabées !
J’inspire à fond, juste le temps d’assimiler tout ce que je viens d’entendre, parce qu’avec tout ça, je ne prends même pas la peine d’écouter les réponses qu’on me donne…
J’ignore ce qu’est un mêlé. Les humains sont probablement des gens comme vous et moi (enfin plutôt comme vous parce que moi je ne suis plus très sûre), normaux, quoi. Et sorcier… pas la peine de vous faire un dessin, tout le monde sait ce qu’est un sorcier… dans les livres ! Parce qu’ils ne sont pas sensés exister, en vrai.
Moi je suis humaine, avec des pouvoirs. Ce sont ses propres mots. Mais qu’est-ce que cela veut dire, exactement ? Mon seul pouvoir est de lire dans les pensées, et je n’avais jamais vraiment pris ça pour un don…

- Tout à fait."
- Est-ce qu’il y a d’autres choses que je peux faire à part… lire dans les pensées ? je demande soudain, une once de crainte dans la voix.

Je ne sais pas trop ce que je redoute. Mais ma bonne humeur retombe tout à coup. Donan et les autres ont l’air parfaitement heureux ici. Et moi… moi, j’ai toujours eu l’impression de passer à côté de quelque chose, sans vraiment savoir quoi. Maintenant que je viens de le découvrir, je ne suis plus sûre de rien. Ça chamboule tout.
Tous mes plans, toute ma vie.
Et je ne sais pas quoi en penser. Je crois que ça me fait un peu peur.

-" Tu es ici parce que tu es comme nous. Nous pouvons t'apprendre à contrôler ton don et à découvrir ton pouvoir, nous sommes là pour t'aider. Mais si jamais tu ne veux plus entendre parler de nous, je te raccompagne au village, et tu continueras ta vie."

Je suis consciente que je m’apprête à faire un choix, peut-être le choix le plus important de ma vie, et que mon avenir en découlera certainement. Il ne me vient même plus à l’esprit de mettre en doute ses paroles. Elles me paraissent à présent claires comme de l’eau de source. Limpides.
Pourtant je reste muette, incapable de prendre une décision.

« Mais si jamais tu ne veux plus entendre parler de nous, je te raccompagne au village, et tu continueras ta vie. »

Ces paroles me trottent dans la tête. Je regarde les enfants autour de moi. Un a un. La plupart doivent être orphelins. Puis je pense à Myaw. À Ian. Qui était comme moi. J’aimerais tant les revoir tous les deux.
C’est ce qui me décide.

- Je… C’est d’accord. Je reste.

J’ai mis toute la force et la conviction dont je suis capable dans cette dernière phrase, pour me persuader d’avoir fait le bon choix.
Et ça fonctionne.
Je souris de nouveau. Puis une dernière question me vient à l’esprit.

- Qu’est-ce que vous allez dire à mes parents ?