Le jour fatidique est arrivé. Le jour où je dois me marier à un sorcier noir qui a l'âge de mon défunt père. Vous y croyez à ça ? C'est vraiment n'importe quoi. Je déteste Dorian. Je déteste cette famille. Je déteste les sorciers noirs. Je déteste tout le monde. Je suis supposée être une gentille. Mais je n'ai le droit de ne rien dire, alors je subis juste, en espérant qu'un jour je sois assez forte pour m'échapper, pour échapper à tout ça. J'espère que le lavage de cerveau ne fonctionnera pas totalement. En attendant, oublions tout ça et aimons cet homme. Enfin, autant que possible, je crois.

Vous savez la meilleure ? Il doit s'occuper d'une petite fille. Je ne sais pas d'où elle vient. Peut être qu'un jour il me le dira, s'il a assez confiance en moi. J'espère pour lui qu'il ne me fera jamais confiance. Je suis capable de lui planter un couteau dans le dos. Très profondément. Et j'attendrais le bon moment. Je prends d'abord tous les enseignements que ces gens peuvent me donner. Le reste, on verra. J'improvise au fur et à mesure, je ne peux pas établir de plans, rien du tout, chaque journée apporte son lot de surprises et d'enseignements.

Me voici donc quelques heures avant la dite union. Et je suis en pleine préparation, ça me fait bien chier. On m'a choisi une robe, et j'ai plus ou moins imposé mes conditions. Parce que c'est mon mariage, même si je n'y prends aucun plaisir et je subis tout ça donc je décide ce que je porte. J'ai tout de même opté pour quelque chose d'aguicheur, les hommes aiment bien ça. Donc autant jouer le jeu. J'aurais une attitude hautaine quand même, j'ai pas envie qu'ils voient qu'ils ont le contrôle sur moi, même si personne ne sera dupe.

J'ai donc un corset blanc qui me serre bien la taille et qui offre un généreux décolleté, accompagné d'une jupe large qui arrive au dessus du genou. La traîne est accrochée derrière et ne me gênera pas pour marcher. Et bien évidemment, je n'ai pas eu le choix pour les chaussures : des talons. Horreur de la vie, je vais souffrir dans ces horreurs. Mais elles sont belles, ça rattrape un peu. Et plutôt confortables. En même temps cette famille est riche, on a donc un minimum de qualité. Les chaussures tiendront longtemps et la descente pour le pied (voyez comme je suis familiarisée avec le vocabulaire des chaussures à talons) n'est pas brutale, elle s'harmonise à merveille. Elles sont ouvertes, partout. Des lanières partout et pile à ma taille, à croire que tout a été fait sur mesure.

Du coup, on m'a vernis les pieds et les mains en rouge. Je n'ai aucun bleu sur moi. Mais c'est un tradition américaine, les Cross sont français. Ça parait bizarre ce nom de famille d'ailleurs pour des français. Enfin passons. Je ne remonterais pas aux origines de la famille parce que je m'en fiche. Sauf si Dorian le veut. Et Dorian est capable de tout. Et je n'aurais pas le droit de râler, vous vous en doutez bien.

Les esclaves se sont démenés pour cacher toutes mes blessures. Éraflures, bleus... Je suis bien marquée de partout. Déjà parce que dans les entraînements je m'y mets à fond. Ça me profite deux fois. D'abord parce que comme ça je reçois moins de coup et pour mon but final, qui est de buter tous ceux d'Orpheo. Je plaisante. Je me fonds dans le moule, c'est tout.

Une fois recouverte ou presque de fond de teint, les esclaves me maquillent et d'autres me coiffent. Je ne sais même pas comment je donne. Ça me perturbe énormément. J'espère juste que ce n'est pas quelque chose de trop décalé par rapport à ce que je suis. Ne faites pas de moi une poupée de porcelaine. Je n'ai pas envie de passer pour une personne faible. Je ne le suis pas. Je ne le suis plus.

Quand elles ont enfin fini, je me regarde dans le miroir. Elles ont fait ressortir mes yeux bleus, mes lèvres sont légèrement brillantes, rien ne tombe dans l'excès. C'est magnifique. Je me reconnais sans me reconnaître. C'est assez paradoxal. Disons que je vois mon visage, mais jamais de cette manière là. Il est déjà rare que je me maquille, alors de cette manière, jamais. Et c'est beau.

Mes cheveux longs ont été rassemblés en une natte qui fait le tour de ma tête, des feuilles de laurier sont emmêlés dedans. Je suis Jules César. Je vais conquérir la Gaulle. Je souris à cette remarque personnelle. Une autre arrive et dépose le voile juste derrière la natte et le rabat sur mon visage.

Dorian arrive alors. Je n'ai même pas le temps de profiter d'un moment de paix, seule. Ce n'est pas possible. Ça ne le sera jamais. Tant pis. Je me retourne vers lui, sans aucun sourire, sort de la salle avant lui et l'attend avant d'entrer dans la salle où tous les invités sont présents. Rassurez vous, je n'en connais absolument aucun. Se sont leurs invités. En aucun cas les miens.

J'attrape le bras de Dorian et ouvre la porte alors que la musique annonçant mon arrivée retentit. Beurk. Je hais les mariages.

J'aime pas l'idée que se soit Dorian qui m'accompagne, mais ce n'est pas comme si j'avais le choix. Je veux dire, mon père est mort. Et c'est le grand chef de la famille. Ça aurait pu être Sebastian aussi. Dans tous les cas ça me surveille, de tous les côtés, et celui qui tient mon bras sent tout. C'est pour ça que je ne faillirais pas.

J'arrive dans l'allée, mon visage est légèrement masqué par le voile mais je sais que si je montre un seul signe d'hésitation, ils le verront. Alors je marche droit, la tête haute. Sans sourire. Sans émotion. Mon futur mari est au bout de l'allée. Et nous y arrivons bien vite. Dorian met ma main dans la sienne et la cérémonie peut enfin commencer. Et si je disais non à la place de oui ? Se serait drôle, ahaha. Je serais la seule à rire. Et même pas pour longtemps. On va plutôt éviter. Se ne sont que des sorciers noirs puissants qui sont présents. Même le prêtre en est un. Comme quoi on ne peut se fier à personne dans ce monde. Ou presque ...

J'ai une dernière pensée pour mes anciens amis. Tous mes anciens amis. Japon, Écosse... Cette fois, je ne sais encore moins quand je m'échapperais. C'est un tournant de plus dans ma vie. Que je suis obligée de prendre. C'est le moment de tout oublier, vraiment. Vraiment.

Sayonara, minna.

Non, je plaisante, ça ne se fait pas en un claquement de doigt ! Même si je devrais.

Je ferme les yeux une seconde, serre la mâchoire, et les réouvre, sur ma nouvelle vie.

L'image d'Elaïa est toujours gravée au fer blanc dans l'esprit de la jeune femme. Elle ne peut s'en défaire et ne cesse de se demander si venir à ce mariage était une si bonne idée.

Cet enfant... Elle a refusé de le prendre dans ses bras à sa naissance, de peur de s'attacher. Heureusement. Car maintenant elle en est persuadée, plus sa fille est loin d'elle, mieux le monde tourne.

Dorian s'est assis au premier rang. Je sais qu'il aura les yeux rivés sur moi pendant toute la cérémonie. Attendant que je flanche ? Attendant que je fasse un quelconque geste de trahison pour me sauter dessus et m'infliger à nouveau mille tortures. Je pourrais essayer de dire non. J'en ai tellement envie. De leur cracher à la gueule, de déchaîner toute ma rage contre eux, d'exploser … Et de m'enfuir, d'être à nouveau parmi mes amis, loin, très loin d'ici. Et d'oublier tout ce qui a pu m'arriver ici. Mais je sais que c'est un bien doux rêve que j'ai là. Et que ça n'arrivera jamais. Toute l'assemblée est composée de sorcier.e.s noir.e.s expérimenté.e.s. Et je suis entourée. Seule. Enfin, ya Kare. Mais bon, c'est pas comme si je pouvais vraiment lui faire confiance. Le gars un jour, il est venu me demander si il pouvait être mon témoin. Mais qu'est-ce que j'en ai à faire sérieusement ? J'aurais pu très bien être toute seule, qu'est-ce que ça aurait changé ? C'est un noir. Je ne pourrais pas lui faire confiance. Jamais. Ne jamais leur faire confiance. A personne. C'est pourtant ce que je m'étais dit quand mes parents sont morts. Ne jamais aimer personne pour ne pas être déçue, blessée... Et pourtant, j'ai espéré vivre des jours meilleurs, je les ai vécus … C'est pour cela que la séparation maintenant est d'autant plus difficile. Tous ces gens que j'aime, et que je ne reverrai sans doute jamais … Ian, Shybaï, Takeji, Lestat, Wanda, Kirsten, Akira, Myaw, Autumn … Je vois tout leur visage dans ma tête et je m'efforce de ne pas lâcher une larme. Je ne dois pas paraître faible. Je suis déjà en position de faiblesse, pas question d'en rajouter. Au lieu de ça je me concentre et en profite pour jeter un regard noir à mon futur mari à travers mon voile. J'espère qu'il le voit. Que je l'exècre.

Le maire, ou moine ou que sais-je, si, sorcier noir, devant moi qui fait la cérémonie commence à parler. Le blabla habituel. Je ris jaune. Union fructueuse. J'ai envie de lui cracher à la gueule. C'est un noir de toutes façons. Tout le monde est contre moi ici. Oh, n'allez pas imaginer que je joue la petite fille sans défense qui déprime et qui pense que le monde est contre elle et qu'elle a toutes les misères du monde. Non. J'annonce tout simplement des faits.

Le prêtre, le sorcier noir, demande à mon témoin de s'avancer pour qu'il puisse dire le discours qu'il a préparé. Quelle préparation, tu ne me connais pas, imposteur. Mon témoin aurait dû être Ian. Vous m'entendez ? I-A-N. Quant à la question si je me mariais un jour, aucune idée. Ce n'était pas vraiment dans mes plans si je puis dire. Peut être un jour, en rencontrant la bonne personne. Sait-on jamais. Mais je n'aurais certainement pas imaginé ceci.

« Beaucoup de bonheur à vous deux » tu parles ! Je ne regarde personne. Personne. J'ai les yeux rivés sur le fond de la salle, les lèvres pincées, l'air sévère, le regard noir. J'aimerais que mes yeux puissent fusiller les gens. Et là, ça aurait été tellement simple de me débarrasser de cette salle … Mais je ne vaudrais pas mieux qu'eux … Si ? Question compliquée …

C'est au tour de l'autre énergumène de faire son discours. Pouah. Il a un air de guignol, c'est pas gagné. Je n'ai plus qu'à attendre patiemment que cela se passe, espérant ne pas lâcher un « non » pourtant si désiré au moment importun. Sans quoi, je risque beaucoup ...

Vous savez quoi ? En fin de compte j’crois que si j’ai accepté un clébard chez moi c’est parce que c’est juste un animal. Ça jacte pas, ça radote pas, ça se contente de te fixer avec un regard vide ou avide de nourriture. Ça a des besoins simples et ça ne réfléchit pas à sa position dans l’immensité de l’univers. C’est rafraîchissant d’avoir ce Machin à la maison, parce qu’à part peser une tonne lorsque le Terre Neuve te choisit pour coussin personnel, c’est quand même calme. Et ça, purée, faut avouer que c’est cent fois mieux que l’humain. Vous vous demandez pourquoi je vante les mérites de mon chien alors qu’en apparence je le déteste et qu’il est à plusieurs centaines de kilomètres de ma position actuelle ? Justement, c’est là tout mon problème, je sors de ma caverne et ça me fait chier, c’est tout.

Je n’ai réellement pas l’intention de m’éterniser à ce pseudo-mariage. Non pas que je déteste les mariages, j’ai même plutôt tendance à les apprécier, lorsqu’ils sont programmés volontairement par les deux principaux rôles de la journée. Mais là, je peux dire au visage de la charmante demoiselle qu’elle ne s’en fait clairement pas un plaisir. Enfin qu’importe. Pour la seconde fois de mon existence, je me rends en France. Pas que je n’apprécie cette contrée, mais à défaut de n’être pas mon pays natal, je ne pige absolument pas un seul mot de leur vocabulaire. Si, sauf s’ils me parlent en anglais, bien sûr.
Bon, pour resituer le contexte, il n’y a pas si longtemps que ça, Mohamed m’a recontacté après une période relativement longue de silence radio pour m’annoncer qu’il se mariait. Jusque-là, aucun souci, me voilà plume à la main prêt à lui envoyer une lettre de félicitations. Mais voilà, et là réside toute la surprise, il m’annonce me vouloir comme témoin. Loin de moi l’envie de lui dire que c’est une très mauvaise idée alors qu’en réalité, c’en est véritablement une. Je masque mal ma confusion mais parvient à accéder à sa requête parce que, malgré tout, il reste un bon et amusant ami.

Me voilà téléporté (quasiment) à Sarzeau. Attends. Sarzeau ? Il me faut un temps pour situer le bled sur une carte. Mais pourquoi s’exiler aussi loin pour un mariage ? Ils n’auraient pas pu prendre Paris, enfin le genre de destination correctement desservi par des transports en commun ? Bon, j’exagère un peu mais pourquoi cette ville en particulier ? C’est en Bretagne en plus, j’ai toujours su que cette grande région cachait des trucs louches. Ça s’improvise devins, druides, ça invente la potion magique, ça se considère inventeur du cidre et en plus ça se permet de piquer la Légende du roi Arthur qui, rappelons-le, est BRITANNIQUE, en inventant une forêt de Brocéliande à deux balles où ils repeignent les arbres en doré. Ils sont taré ces gens. Rien d’étonnant à ce que le manoir des Cross soit situé là-bas en fin de compte. Non pas que je considère cette famille de dégénéré comme des gens à part, mais… en fait si. J’ai jamais vraiment aimé les sectes de ce type ni tout ce qui est attrait à la hiérarchie de toute façon. J’espère juste qu’ils me laisseront tranquille dans mon coin de plénitude, que je balancerai mon petit discours pour soutenir Mohamed parce que c’est un chic type et qu’on m’autorisera à rentrer retrouver mon Terre Neuve.

Bref, j’élis domicile à Saint-Gildas-de-Rhuys parce que c’est à côté, que je n’ai pas envie de poser les pieds dans ce manoir trop tôt et que mince, c’est presque mon nom. Le jour fatidique arrive alors et je tâche de m’habiller convenablement même s’il n’y a pas grand-chose à faire de mon visage de toute manière. Silencieux et discret, je me place du côté de la « famille » du marié et attend patiemment mon tour. Malgré ma moue passablement impassible en fait, je ne peux m’empêcher de trouver le duo tout à fait charmant à défaut de respirer le bonheur. La demoiselle, tranchante comme un fil de rasoir ou s’en donnant l’air n’en reste pas pour autant une jeune femme magnifique. Ça me fait plaisir de revoir Mohamed, même s’il m’est impossible de lui parler actuellement. On devrait échanger un peu plus souvent, ça fait longtemps que je n’ai plus eu de ses nouvelles. Enfin, s’il marie une Cross, m’est avis qu’il se fera encore moins disponible qu’à l’accoutumée. A bien y réfléchir, s’il n’avait pas été un ami de longue date, j’aurais probablement refusé cette demande quant à être son témoin. Moins on voit les Cross, mieux on se porte. Et voilà qu’il s’apprêtait à en faire partie. Qui garderait le nom de qui d’ailleurs ? Al Hattal Cross, ça commence à faire du nom de famille à rallonge. Nul doute que Cross figurera sur le nom des futurs gamins, puisque ce mariage n’est visiblement célébré qu’à cette fin.

On finit par appeler les témoins. Joie. Je ne dirige pas un regard vers l’assemblée mais plutôt vers les futurs époux. Je me permets un clin d’œil à Mohamed juste pour détendre une atmosphère un peu trop lourde pour un mariage et patiente tandis que le témoin de la dénommée Sakura s’exprime. Pfiouh, j’en sifflerais presque, tout ému que je suis. Trêve de plaisanterie, j’apprécie malgré tout ce petit discours, il a le mérite de se situer à la parfaite intersection entre le personnel et le formel. Je résiste à l’envie de mettre mes mains dans mes poches et sent le regard de la demoiselle se poser sur moi au moment où le pseudo-prêtre arrangé pour le coup me demande de m’exprimer à mon tour. Bordel j’aime pas ça. Mohamed, je t’assure que tu me le paieras, t’aurais pu choisir une autre famille, crapule. Je soupire et m’avance légèrement, sans notes. Tout au feeling, les préparations ça ne fonctionne pas trop avec moi. Le petit d’avant n’a pas tort d’avoir volontairement passé en sourdine le côté « fleur bleu » qu’on dessert habituellement pour tout mariage. Parce que ça c’est un mariage Cross. Bon, j’arrête avec ces sous-entendus foireux, si y’a le malheur d’y avoir un télépathe dans la salle, je suis foutu. Je ne m’attarde pas plus longtemps sur mes pensées et m’exprime :

-Mohamed, je le considère comme un très grand ami. En mission, il est quelqu’un de terriblement efficace et de discret, d’un professionnalisme qui me surprendra toujours. Derrière ça, il y a aussi un homme drôle et qui saura consacrer de son temps pour la famille à naître. Tous mes vœux vous accompagnent pour cet événement et ceux à venir.

Court et concis. A m’entendre parler, il vaut mieux que cela en soit ainsi où je pourrais bien finir par lâcher mes quatre vérités sur cette famille. Je recentre mon regard sur Mohamed, dans l’espoir d’une approbation puisqu’il se trouve être le seul pour qui je daigne accorder mon attention. Le prêtre radote son remerciement et je retourne me rasseoir. Voilà, comme on dit par chez nous : Ça, c’est fait.

Le témoin de Laure avait l'air d'un chic type. Mohamed ne situait pas exactement qui il était. Sudéois, a priori, à en juger par son accent et par son nom. Le marocain se demanda à quel moment il avait appris à connaître sa future épouse. Mais il n'en fit pas grand cas. Il était même plutôt heureux que la jeune femme ait des connaissances à Croix, et qu'elle ait noué une relation positive avec au moins une personne. Il applaudit à son discours, car il l'avait trouvé, juste, concis, et approprié.

Puis ce fut le tour de Rhys. Il se sentit un peu nerveux. Il avait peu d'amis proches et il se demandait ce qu'on pouvait bien dire sur lui le jour de son mariage en réalité. Car il avait eu deux vies en tant qu'adulte. Sa vie à Orphéo, et sa vie au sein de Croix. Et émotionnellement parlant, sa vie du côté des exorcistes lui avait semblé bien plus riche. Mais il évitait d'y penser. Le discours de l'écossais le toucha profondément. Il lui envoya un regard plein de reconnaissance. Parler de son humour et de son efficacité. Voilà de quoi faire plaisir au sorcier noir. Rhys parut reconnaissant de ce regard et partit se poster auprès de Carré ou un truc comme ça. Le témoin de Laure.

Il jeta d'ailleurs un regard à sa future épouse. Elle était de marbre. Une jeune déesse finement ciselée dans de la glace. Elle jouait son rôle, faisait ce qu'on lui demandait. Rien de plus. Mohamed accusa le coup. Il était prêt à prendre sur lui. Ce qu'il lui demandait surtout, c'était de porter ses enfants. Mais il ne désespérait pas la rendre heureuse. Mohamed aimait voir les femmes heureuses. Les gens qu'il aimait en général. Et il avait décidé, sinon d'aimer, au moins d'apprécier cette femme qui allait partager sa vie. Il lui lança une œillade déterminée, juste avant que le prêtre ne commence son discours.

Il parla de contrainte. Mohamed pinça légèrement les lèvres. Bien sûr, il savait qu'elle venait de mentir en répondant oui, qu'elle entrait dans ce mariage du fait de sa volonté. C'était politique. L'union de deux grandes familles, la renaissance des Al Hattal, lorsqu'elle lui aurait donné des enfants. Il ne serait plus le seul membre pur de sa famille. Réjoui par cette perspective, il répondit à la première question avec un petit sourire :

-Oui.

L'amour mutuel, le respect. L'engagement à vie. Il s'y plierait, tant bien que mal, il tenterait de construire quelque chose, avec cette petite qui aurait pu être sa fille. Si l'enfant que Selena lui avait dit porter quand elle l'avait quitté avait vécu, il ou elle aurait été environ de l'âge de Laure Cross. Mais il était inutile de s'appesantir là dessus. L'enfant, l'embryon, plutôt, avait été supprimé, il avait quitté cette femme, il avait quitté Orphéo. Et aujourd'hui, il réalisait un rêve.

-Oui, répondit-il de nouveau, à la suite de la française, dont la voix était lourde comme une chape de plomb.

Enfin l'officiant passa à la partie préférée de Mohamed : les enfants. Cette fois ici, il pouvait être sûr que le "oui" serait sincère. Elle était jeune pour tomber enceinte, à peine plus de 18 ans, mais c'était pour le mieux. Son corps était jeune et fort, et Mohamed comptait bien avoir beaucoup d'enfants. Au moins quatre. Il y avait déjà Elaïa, qui babillait sur les genoux d'Ysoline. Son regard se posa sur Dorian. Extrêmement sérieux, l'air absolument satisfait. Un peu effrayant, même. Mohamed ressentit une fois de plus à quel point il le respectait, et lui était reconnaissant de lui offrir cette femme de sa famille en mariage.

Il fut fait mention de Dieu. Mohamed était du genre à assimiler le Dieu des chrétiens au sien, celui des musulmans. Et à celui des juifs tant qu'à faire. Il avait prévu d'emmener Laure au Maroc pour leur lune de miel, et de faire une petite cérémonie là bas, selon la tradition musulmane. Il y aurait quelques sorciers marocains de sa connaissance, et ce serait tout. Ce ne serait pas une cérémonie réellement officielle, même s'il y aurait un imam, car il ne voulait absolument pas convertir sa femme de force à sa religion, il n'en voyait pas l'intérêt. Si elle en exprimait le désir, il y accéderait avec plaisir, mais il n'était absolument pas strict avec cela. Les obligations qu'il s'imposait pour l'Islam, il ne se les imposait qu'à lui. Il en serait de même pour leurs enfants : ils auraient le choix.

Mohamed pensa de nouveau aux bambins qu'il allait avoir et répondit avec un certain bonheur, qui contrastait avec le ton sans vie de Sakura :

-Oui.

On leur demanda de tendre leurs mains gauches. Deux moitiés d'une même rune furent dessinées à l'encre magique sur leurs mains. Elles étaient permanentes, et ne pouvaient être rompues que par une autre rune, la rune de rupture. L'encre pouvait devenir invisible selon la volonté de la personne qui la portait, précaution qui avait toujours été, étant donné qu'il fallait cacher le Secret aux Innocents. Puis, un gosse moitié Cross, moitié autrefamillefrançaisedontilavaitoubliélenom, vint apporter les bagues. Moha le remercia avec un sourire chaleureux, qui fit rougir le petit de six ans. Il prit le plus fin, argenté, frappé des initiales des Cross et des Al Hattal entrelacées et de quelques runes, et le passa à l'annulaire de Laure. Elle leva vers lui un regard glacial avant de passer son alliance à son doigts à lui. Un frisson parcourut l'échine de Mohamed. Il avait envie de cette jeune femme, envie de faire marcher leur future vie commune.

Avant que le prêtre ne finisse son discours en l'autorisant à embrasser sa... femme -Sa femme maintenant, oui- il tendit la main vers la sienne, et la pressa doucement, avant de pivoter afin d'être face à elle. Il vit un pas, posa une main sur la joue de Laure, et l'embrassa, tendrement. Elle y répondit à peine, juste de quoi sauver les apparences. Puis le sorcier se détacha de la jeune mariée, et prit sa main afin de sortir avec elle de la pièce. Ils allaient maintenant se diriger vers la salle de bal du manoir, pour le vin d'honneur.
Juste avant de sortir, Dorian passa près de lui, comme un fantôme, et lui murmura des félicitations, auxquelles il répondit par un signe de tête entendu. Le chef de Croix savait bien à quel point il était reconnaissant. Mohamed sourit légèrement et prit Elaïa dans ses bras alors qu'il passait devant Ysoline. Le regard plein d'amour, il lissa la petite robe blanche et rose de l'enfant et la tourna vers Laure :

-Ela', voici ma femme, qui sera ta nouvelle maman si tu le veux bien. Laure, je te présente ma fille, Elaïa.

La Cross -Cross-Al Hattal à présent- ne répondit pas, mais hocha la tête, regardant très rapidement la petite.

On porta un toast à leur union. Mohamed aperçut Anja, de loin, qui restait à bonne distance de sa petite fille. Puis ce fut le temps du repas. Les esclaves s'étaient surpassés. Fruits de mer en entrée, cuisine traditionnelle bretonne en plat principale, et pâtisseries marocaines en dessert. Lorsque le dîner fut fini, Laure dut, comme le voulait la tradition, ouvrir le bal en dansant la valse avec Dorian. Elle s'était raidie. Les quelques minutes que durait le morceau sembla une éternité. Puis enfin, le silence. Le chef et sa nièce se stoppèrent. Lui alla chercher Louyse. Mohamed se leva alors, et tendit la main à sa femme :

-M'accorderez vous cette danse... Madame ?

Il allait la tenir contre lui, quelques heures encore de nervosité, et puis tous les convives s'éclipseraient. Et ils seraient seuls, face à face, dans leur nouvelle chambre au manoir, enfermés dans leur nuit de noces. Frisson.