" Tout se mange dans cette pièce, même moi, mais ça, ce serai du cannibalisme, et c’est très mal vu par la société. "

La jeune femme touchait d'une main la pierre tombale. Dressée au milieu du cimetière, elle n'avait jamais osé venir. Little Angleton était un trou pommé, elle n'avait jamais compris pourquoi sa grand-mère avait tenu à se faire enterrer là-bas. Et comme on respecte toujours les dernières volonté d'un mort.. Son grand-père et elle allaient souvent dans cette petite ville qu'ils trouvaient charmante. Elle n'était pas toujours parfaitement calme, mais les alentours étaient magnifiques, et les charmes de la petit ville n'étaient pas niables.
Ses mains caressaient les lettres, une a une, glissaient le long des courbes de ce prénom harmonieux. Lou. C'était simple, court, il n'en fallait pas plus. L'ongle vernis de rouge de Nawel vint gratter un instant une saleté. Elle comptait nettoyer un peu, car du lierre avait élu domicile. Il ne cachait pas tout, faisait juste le tour de la pierre couchée sur le sol et ornementait celle installée debout. Et finalement, c'était joli. Elle déglutit, un peu péniblement. Son Grand-Père venait le plus souvent fleurir cette tombe. Un sapin dans un pot était posé à côté. Mais pour la jeune femme, c'était la première fois. Vêtu d'un pantalon beige en toile, de chaussures à talons noires, courtes avec un lacet sur le devant et une veste noire aussi, elle était là. A Little Angleton, et ça lui faisait tout drôle. Elle n'avait jamais connu sa Grand-Mère. Jamais. Cette dernière était morte, quand elle était encore jolie, avec ses longs cheveux roux en cascade. Cancer. Nawel eu un sourire acide. Elle-même fumait et risquait forcément un cancer. Mais elle se disait que mourir sans avoir connu les couches, le fauteuil roulant et Alzheimer, ça la tentait beaucoup, c'était même pas si mal.

-" Mamie. "

C'était un mot. Juste un mot. Elle ne l'avait jamais prononcé car ses grands parents de l'autre côté ne l'aimait pas. La jeune fille était trop si, pas assez ça. Jamais satisfait. Elle n'avait pas deux yeux bleus, des joues bien rebondies et des tresses blondes. Nawel, elle, elle avait une crinière de cheveux, un visage mince mais un sourire éclatant, des yeux gris. Elle avait des choses que les fillettes qui joutaient à la poupée n'avait pas : elle était terriblement perspicace, intelligente et dynamique. Elle aimait jouer au foot, mais pas à la poupée. Elle aimait les mêmes choses que les garçons parfois. Mais ça, ça ne plaisait pas.
A cette pensée la jeune femme pinça ses lèvres rouges. Soupira. Elle n'était comme personne voulait qu'elle soit. Même John et Eddie râlaient après elle. Le problème, c'est qu'on ne choisit pas sa famille. Ni ses supérieur. Eddie et John, elle les adorait quand même. Bien sûr. Mais pas sa famille. Nouveau soupire. La vie est injuste parfois. Mais comme ça a tendance à être de plus en plus souvent, ça commence à être dur. Alors voilà comment la jeune femme s'était retrouvé dans un endroit comme le cimetière de la ville paumée de Little Angleton, en Angleterre.

Elle dépose une rose rouge. Elle sait que son grand-père passera dans trois jours.. grand maximum. Si ce n'est pas demain ou après-demain. Mais elle ne tient pas à le voir. Elle reste des heures en vidéo conférence avec son grand-père, mais elle aurait peur qu'il voit pour de vrai ce qu'elle est devenue. La grande jeune fille avec une cigarette à la main, des lèvres vermeils, talons (très) hauts, une assurance terrible, décolletés plongeants. Elle veut rester la petite fille qui pouvait venir s'asseoir sur ses genoux. Celle qui lui disait ' Papy, pourquoi t'es tout plissé ? ' Ou celle qui faisait des bras de fer en tirant la langue parce que c'était trop dur.

Bruit ? La jeune femme se relève un peux rapidement, jetant un dernier regard sur la tombe. La tombe de sa belle grand-mère. Un dernier court soupire. Elle donne deux petits coups de mains sur sa veste et pantalon pour enlever les poussières accrochées et regarde autour d'elle. Un jeune homme approche. Nan. Attendez. On la refait. Un beau jeune homme approche. Non. On la refait encore. Un très beau jeune homme approche. Voilà. C'est parfait ainsi. Un sourire illumine alors son visage de jeune femme. Elle ne dit rien, parce que quelqu'un qu'on croise dans un cimetière elle trouve toujours ça tout chelou ..