Je suis de retour en Angleterre. Bienvenue au royaume du ciel gris.

Ce pays dans lequel j’ai vécu mes jours le plus noirs, les jours à l’Orphelinat, mais aussi mes plus heureux moments.
Je suis revenu sous le ciel dans lequel s’entrelacent les nuages et la pluie. Les larmes ruissèlent le long de mes joues quand je longe les rues de Londres. Je lève la tête. Il ne pleut pas. J’essuie rageusement l’eau qui brûle mes pommettes et rentre dans la voiture.
Putain de nuages qui plombent mes pensées.

Little Angleton: une jolie place où les souvenirs s’amusent à venir mettre mon état mental sens-dessus-dessous. Mais il m’avait fallu revenir dans ce pays, même s’il me fallait pour cela me remémorer des moments peu réjouissants. Tels de charmants passages dans des salles de bains éclairées par des éclats de lune. J’étais revenu pour trouver du job, comme d’hab’, car la plupart de mes contrats m’étaient attribués depuis l’Angleterre. On m’avait appelé.
Un lieu. Un nom.
Un meurtre était si souvent d’une simplicité inouïe.
Mais cette fois, lorsque mon interlocuteur avait mentionné le lieu que je devais gagner, j’avais grimacé. Je n’aimais pas revenir dans les environs de l’orphelinat, j’avais toujours peur de tomber sur des gens que j’avais connu là-bas. Cette bonne vieille Madame Mystery, par exemple…
Mais cessons. Fais-je du sentimentalisme ? Il doit y avoir erreur, ce n’est pas à Leo Spielberg que l’on envoie la douce nostalgie et les souvenirs du bon vieux temps : à lui, on préférait confier le soin de supprimer discrètement, proprement et efficacement des personnages délicats.
Au boulot Leo.
J’ai quitté Londres, mon éternel blouson de cuir sur les épaules, et les fesses dans une vieille BMW prêtée par un obscur garage. Mon cher postérieur s’enfonce dans le fauteuil de cuir avachi, mais la machine réagit encore bien pour son âge. Je m’amuse à pousser un peu le moteur, j’accélère dans les virages le long des falaises et la voiture rugit de plaisir. Hmm, elle a de beaux restes cette BMW. Le doux ronronnement de la mécanique me permet de ne pas trop penser à mon contrat, ça me met toujours mal à l’aise de ressasser les informations que j’ai à disposition pour effectuer mes petites affaires.
C’est un sorcier.
La route défile devant mes yeux comme un ruban gris. Il ne fait pas si moche après tout.
Il habite à Little Angleton.
La mer crache des bandes d’écumes que le vent s’amuse à arracher à la crête des vagues.
Il vit seul, il me suffira de me rendre chez lui, de le convaincre de me suivre. Ou de le forcer.
Une mouette vole dans le ciel anthracite.
J’emmènerai le sorcier dans un endroit désert. Les grottes, peut être. Il n’y a jamais personne là-bas.
La mouette crie.
L’homme. De dos. Puis la balle qui déchire le silence et vient perforer le crâne de part en part. Et avant que je me rende compte de quoi que ce soit, le corps qui s’effondre en avant, face contre terre et la cervelle brûlée qui sent la mort.
La portière qui claque.
Tout ira bien, Leo. Comme d’habitude.

Au milieu des grottes. Tout s’est passé comme je m’y attendais. Tout ? Non. Pas tout. Une musique étrange s’élève entre les monolithes de pierre, une musique aigue, électrique, incongrue. Une sonnerie.
Une sonnerie de portable face à un cadavre. Quel charmant tableau.
Je ne panique pas, mes instincts de tueur ont pris le pas sur tout le reste : il y a une silhouette à vingt mètres de moi, cachée derrière un bloc de roc, le souffle précipité.
Un témoin.
Je m’approche lentement de l’adolescente tapie dans l’ombre, le revolver encore chaud toujours logé dans ma paume et le doigt sur la gâchette.
Une cible.
Ses cheveux blonds sont épars, sa mine affolée. Sa taille menue est soulignée par sa robe fuschia et sa peau pâle forme un étrange contraste avec le rose soutenu de l’étoffe.
Une fille.
Et je dirais même une très jolie fille.

Hmm. C’est mauvais pour mon professionnalisme tout ça.