Quelques feuilles sous l’oreiller d’Ambre…

« Voilà à quoi j’en suis réduite. Ecrire pour me souvenir. Ecrire pour ne pas oublier. Ecrire pour garder une trace du passé. Ecrire pour continuer à exister et ne pas devenir esclave. Pour rester moi-même, j’ai décidé d’écrire tout ce dont je me rappelle encore, jusqu’au moindre détail. Comme disait mon maître… le passé forme les êtres humains, comme les vagues modèlent les rochers. Mais passons.

Je m’appelle Ambre. Ambre Rousseau. Mes parents s’appelaient Ambre et Paul Rousseau. Je suis née à Paris, dans la nuit 10 décembre 1990, à Paris. Je crois qu’il pleuvait. A ma naissance, tout le monde était persuadé que ma mère donnerait naissance à un garçon et qu’elle mourrait en couche. J’aurai du m’appeler Arthur et ma mère aurait dû survivre. Finalement, elle me donna sa vie mais aussi son nom. C’est pourquoi aujourd’hui, je n’en changerai pour rien au monde.

A propos de ma petite enfance, il n’y a pas grand-chose à dire… Mon père faisait partie de la classe moyenne, il était dans l’automobile… J’ai sauté une classe en maternelle, j’ai eu mes meilleures amies, mes premières disputes, mes premiers amoureux… Un peu comme tout le monde je suppose. J’ai fait beaucoup de danse classique. Mon père m’a appris à jouer du piano. J’étais une petite victime du complexe d’Electre. On me voyait toujours dans ses pattes. J’aimerais pouvoir décrire chaque jour de bonheur passé avec mon très cher paternel mais les mots refusent de se poser sur le papier. Peut-être que juste en garder le souvenir… le garder tout au fond de moi me sauvera… J’ai vécu à Paris jusqu’à mes dix ans. Puis, mon père a été muté en Allemagne. Je me souviens qu’à l’époque ça m’avait fait beaucoup de peine de quitter Paris pour Hambourg. Mais à ce que j’ai compris, il n’avait pas vraiment le choix. A l’époque, mon don existait déjà… J’arrivais à sentir les mensonges prononcés par les esprits faibles, et même par mon père. Mon pouvoir ne s’était pas encore manifesté. Et j’aurais presque souhaité qu’il ne se manifeste jamais…

C’était en plein hiver 2001. J’avais onze ans. Il neigeait. J’étais en train de jouer dans le jardin. Je faisais un bonhomme de neige. J’étais sur le point de le finir quand un grand coup de vent le détruisit et fit tomber la tête sur le sol. Déçue, et furieuse, je m’apprêtai à la refaire quand la neige tombée au sol se reforma en une sphère parfaite sous mes yeux ébahis. Les jours suivants, je m’amusai à renouveler l’exploit, à l’abri du regard de mon père. Je me découvris aussi le talent de manipuler la glace, même si cela me demandait beaucoup d’efforts.

Puis, ce fut le drame. Le premier.
Mon père était toujours prudent sur la route. Malheureusement, ce n’était pas le cas de tout le monde… Un chauffeur de bus peu scrupuleux, ayant oublié le givre qui couvrait la route, le renversa sur une nationale. Il mourut quelques heures plus tard, avant même que je ne puisse rejoindre l’hôpital où il était interné. C’est dans cet hôpital, à Hambourg, que je Le rencontrai.
C’était dans le jardin de l’hôpital. Une infirmière tentait de me faire croire que mon père était au paradis maintenant… Mais malheureusement pour moi, elle n’y croyait pas elle-même, au Paradis. Je hurlais d’indignation, en la traitant de menteuse et de tous les noms. Dans ma fureur et mon désespoir, je fis exploser plusieurs blocs de neige et de glace. Il intervint aussitôt en endormant l’infirmière qui s’était mis à crier elle aussi. Il m’expliqua que lui aussi avait ce genre de pouvoirs, qu’il ne fallait pas que je m’inquiète, qu’il s’occuperait de moi, que je devais le suivre. Et je sentis qu’il ne mentait pas. Que je n’avais plus rien à perdre de toute façon… Je pris sa main et Il m’emmena.

Son nom était Andrew Ethan O'Malley. Mais pour moi, c'était juste Maître Andrew. Il errait en solitaire à travers l’Europe depuis une bonne décennie. Il m’avait repéré il y a quelques semaines. Une fois mon père mort, il avait décidé de me recueillir et de m’apprendre à maîtriser mes pouvoirs. Pendant presque cinq ans, je restais avec lui. Je me perfectionnais à ses côtés, et il m’enseigna presque tout ce qu’il savait. Ça me semble bizarre de marquer ce genre de chose sur le papier mais… Il était comme un père pour moi. Et lorsqu’il mourut, je perdis à nouveau ma seule famille…

Les Sorciers Noirs. Sa mort se résume ainsi. J’appris bien plus tard qu’il avait déserté le clan des Rosenrot, car il n’adhérait plus à leur manière de penser. Il mourut sous mes yeux… d’une manière atroce évidemment… J’aurais préféré mourir au même instant que lui. A la place, son meurtrier m’emmena au Quartier Général de Rosenrot. Et je devins une de leurs esclaves. Mon don fit de moi l’une des plus précieuses : ça leur évitait d’abimer les prisonniers. Évidemment, personne ne m’encouragea beaucoup à perfectionner mon pouvoir : après tout, j’étais déjà assez rétive, pas la peine de me donner l’occasion de me rebeller en devenant plus puissante.

Cela fait presque six ans que je suis devenue une esclave. Mais au moins ne me suis-je toujours pas plié à leurs règles. Ces documents en sont la preuve. Je ne les laisserai jamais me contrôler. Ils s’y gèleront les mains avant même de savoir comment me faire fondre. »