Un trou au coeur

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 Un trou au coeur

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Kelyann Lindström
Kelyann Lindström
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MessageSujet: Un trou au coeur   Un trou au coeur EmptyMer 7 Juin 2017 - 0:42

Une autre crise. Une autre crise encore plus violente que les précédentes. Ce qui m'amène à un nouveau foyer. Encore. Encore et toujours. Je ne sais pas toujours pas où je vais. Je ne sais pas où j'étais, je ne sais pas où je vais aller. Mais c'est toujours la même histoire. Ils m'ont séparés de mon frère. Ils m'ont séparés de mon jumeau. Ils m'ont séparés de mon sang, de ma chair, de mon soleil, de ma vie, de mon tout. Comment je peux vivre sans lui ? Comment je peux me considérer comme son frère alors que j'ai échoué dans la plus basique de mes missions : le protéger. Comment je peux me considérer comme son frère alors que j'ai trahi la plus ultime des promesses : être toujours avec lui, toujours le protéger. Kilyann. Voilà bien trop longtemps que mon cœur est séparé du tien, que tu es bien trop loin de moi. Et ça me tue, petit à petit. Ca en devient insupportable. Si insupportable. C'est comme si … On avait enlevé un bout de mon cœur. Non, pas enlever, arracher. A main nue. Qu'on est déchiré ma peau d'un coup, qu'on aurait traversé mes poumons en même temps, qu'on m'aurait tout arraché, et que je sois contraint de vivre, comme ça. C'est pas une vie. Je suis comme une coquille, désespérément vide, qui attend d'être à nouveau complète.

C'est ces idiots d'adultes qui nous ont séparés. Je voulais pas moi. Je voulais pas. J'ai lutté. Mais je contrôle si mal mon pouvoir. Si mal. Pourquoi j'ai pas des ondes de choc plutôt ? Ca aurait été bien. Mais non, je peux juste contrôler les gens. Sauf que je suis si rempli de colère que mon pouvoir est incontrôlable. Et j'ai pas l'occasion de m'entraîner, parce que je veux pas, parce que je veux une unique chose, et c'est mon frère à mes côtés. Il doit se sentir si seul, si abandonné. Je ne sais pas ce qu'il devient et ça m'est juste insupportable.

Kilyann. Est-ce que tu vas bien ?
Kilyann, est-ce que les gens te traitent bien ?
Kilyann, est-ce que les gens t'acceptes comme tu es ?

Tant de questions sans réponse. Tant de choses que je ne peux pas savoir. Et je ne peux même pas lui parler. Je ne sais rien. Je n'ai aucun embryon de réponse depuis que ces connards d'Orpheo sont arrivés dans notre grotte et ont foutu un boxon pas possible. En me séparant de mon frère. Ils ont fait l'une de leur plus grosse erreur. J'leur fait bien regretter maintenant. Je m'énerve. Tout le temps. Contre tout le monde. Je me fais trimballer de famille d'accueil en famille d'accueil. Je ne prends pas le temps de les connaître, cela ne m'intéresse pas. Certains craquent rapidement, d'autres moins. Ca dépend de l'usure, ça dépend de la crise. Certaines sont plus sérieuses que d'autres. Parce que même si j'ai un pouvoir premier, je contrôle pas ma magie. Et les trucs autour de moi s'en ressentent. Et ça explose, et ça fait des trucs bizarres. En fait, c'est moi qui explose, mais j'entraîne ce qui a autour de moi avec. Je sais pas trop comment c'est possible. Mais je suis épuisé à chaque fois. Mais, pourquoi ils m'ont fait ça aussi ? Pourquoi ils nous ont fait ça ? Ils ont jamais entendus que des jumeaux ça restait ensemble pour la vie ? Ils connaissent pas notre passé ? Ils savent rien ? C'est pas censé être des gens informés ? Je sais pas, ils en ont surtout rien à faire. Rien à faire, de deux pauvres petits gamins qui sont juste complètement paumés dans leur vie.

Sinon, quand les familles d'accueil ont des enfants c'est drôle. Si ils sont plus jeunes que moi c'est plus facile. Parce que comme ça je peux les contrôler. Et ils ont peur. Moi j'veux juste qu'on me rende mon frère. Alors j'essaie des moyens de pression. J'ai ton enfant, rends moi mon frère. Sauf que ça marche jamais. Je sais même pas si ils font attention à ce que je fais, à qui je suis, à pourquoi je vais si mal. D'accord je suis pas très bavard, mais quand même. Ou alors, la malchance elle continue juste. Et je tombe toujours sur des gens égoïstes qui se fichent de moi et mon frère. Et ils prennent peur quand je m'en prends à leur enfant. Alors ils me « chassent ». En fait ils appellent surtout les grands manitous, ils disent qu'ils veulent plus de moi, je me fais gronder, je réclame mon frère, ils ne m'entendent pas, ils me mettent dans une autre famille. Etc etc. C'est lassant.

Cette fois, je suis dans l'avion. J'ai réussi à avoir le hublot. Mais c'est pas intéressant ce qui se passe dehors. De l'eau. Beaucoup d'eau. Je sais pas où on va. Je sais jamais où on va. Je me retourne vers l'adulte à côté de moi. Tout en costard cravate. Je les aime pas ces adultes.

-C'est quand que je verrais mon frère ?

Il répond pas. Ils répondent jamais. J'en ai marre. Ils doivent en avoir marre de moi aussi, obligés de me reloger toutes les x semaines. Mais c'est leur faute. Ils aurait pas dû me séparer de Kily. Jamais.

Le voyage est long. Si long. Trop long. Je suis fatigué. Je suis fatigué de tout ça, de déménager sans cesse, de pas avoir mon frère à mes côtés, de devoir le chercher, partout, tout le temps, pour m'assurer qu'il aille bien. Bien sûr, il est trop loin, la majorité du temps, ça marche pas. Alors je me renferme, sur moi même. Ca fait si mal. Le trou dans ma poitrine, j'ai l'impression qu'il s'agrandit de jour en jour. Qu'on m'enfonçait un poignard dans le cœur, et qu'on le tournait, sans cesse, sans cesse.

Après l'avion, la voiture. Je regarde le paysage défilé sous mes yeux. Toujours aussi lassé, déprimé. On s'arrête devant une bâtisse, l'homme me tend mon sac et m'accompagne jusque la porte où il sonne. Ma nouvelle famille d'accueil. Encore une nouvelle. Encore une famille qui me chassera parce que j'aurais explosé trop de fois ou trop fort ou les deux. Tout ça parce que je veux mon frère. Il sonne et très vite un homme arrive. Tu fais parti des vilains d'Orpheo toi aussi ? Ceux qui m'ont pris mon frère et qui veulent pas me le rendre ? L'homme me présente, ma condition et moi, pendant que je fais du forcing et que je passe la porte sans être invité. Je suis malpoli, va falloir si faire, je tourne les yeux et aperçoit bien vite un canapé. Je pose mon sac au pied et vais m'asseoir dessus. Je ramène mes genoux sous mon menton et enserre mes jambes de mes bras. Et reste comme ça. J'entends leur conversation, mais elle ne m'intéresse pas. Bien vite, la porte se ferme et ma nouvelle famille revient où je suis. Je ne décroche pas un mot. Pour quoi faire ? Si ça se trouve ce soir je ferais une crise et je serais parti demain.

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Allen Kristiansen
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MessageSujet: Re: Un trou au coeur   Un trou au coeur EmptyMer 7 Juin 2017 - 15:53

« Une journée d’achevée, une ! »

Une journée comme les autres, à râler sur mon co-directeur, à shooter accidentellement d’abord ma poubelle puis, en me rendant compte de ce qu’elle déverse sur le sol, la shooter une seconde fois d’énervement. A me déchaîner sur la mouche qui vrombit comme un moteur de Porsche autour de moi, à rire le midi auprès de mes collègues, à me remettre dans la paperasse, sentir le soleil décliner doucement à l’horizon, écouter le silence progressif s’installer sur le QG avant de me lever, ranger mes affaires et quitter à mon tour la grande bâtisse.

Je bâille doucement au moment de m’installer dans la voiture. Déposant mon sac sur le siège passager, je tourne machinalement les clés et fait démarrer le moteur tout en relâchant la pression de ma cravate autour de mon cou de ma main libre. L’autoradio se déclenche et une musique de rock me parvient. Je m’empresse de l’éteindre et démarre. Il me faut une trentaine de minutes pour rejoindre ma modeste maison, sans bouchons à cette heure-ci. Je range la voiture dans le garage et me fraye un passage jusqu’à l’entrée. C’est un ramassis de foutoirs ici, mais je n’ai jamais le temps de m’en occuper alors j’entasse, j’entasse. Un jour, la voiture ne rentrera plus et je déciderai de tout jeter. Mais pas pour le moment. Que diable, que je suis mélancolique ce soir. Sûrement parce qu’il est bientôt 21h et que je n’ai pas pu manger. Ah, et je rentre chez moi. Et chez moi, c’est la tanière de l’ours. MH – Mauvaise Humeur pour ceux qui ne la connaîtraient pas encore (ça ne devrait pas trop tarder) – s’exprime à pleins poumons et j’insulte ma télé, mon canapé, mes chaises, la table, la porte, les murs, le yaourt, les fenêtres, les mouches – même quand il n’y en a pas – l’assiette, l’aspirateur, la rambarde et bref, si je devenais subitement télépathe avec les objets comme Ed’, je pense qu’elles m’en voudraient jusqu’à ma mort.

J’ai à peine le temps de déposer mon bagage sur le canapé et desserrer un peu plus la cravate qui s’acharne pour rester autour de mon cou – saleté de cravate – que la sonnette se met à retentir. Mes paupières clignent frénétiquement. P… Pardon ? La grosse pendule dans l’entrée visible du salon semble affirmer mes pensées. Il est. Putain. Temps. De. Me. Foutre.
LA.
PAIX.

Je bougonne dans ma barbe. Qui cela peut-il bien être ? Un distributeur de pamphlet ? Non, pas à cette heure. Un sans domicile ? Ça me paraît peu probable. Un paumé ? Peut-être bien. Se rendent-ils seulement compte que certains sont déjà au lit à cette heure ? Oui, il y en a qui se couchent très tôt, je vous l’assure. Je n’ai pas envie de répondre, qu’il fasse comme si je n’existais pas. Voilà, je suis absent. Point.

La sonnette retentit une seconde fois. Ah, la lumière. LA LUMIERE. Evidemment, je suis aux commandes d’un QG de portée nationale mais je ne suis pas foutu de me dire qu’une maison allumée c’est louche s’il n’y a personne dedans. Ô joie, ô désespoir. Je retire définitivement ma cravate et la dépose – l’écrase serait plus correct – sur le guéridon dans l’entrée. Je regarde au travers du judas et constate la présence d’un homme et d’un jeune enfant à ses côtés. Une tête platine et l’autre brune. Ils n’ont pas l’air perdus, ils n’ont pas l’air non plus sans le sou. Je vous proposerai bien d’aller frapper ailleurs, mais apparemment, c’est moi que vous cherchez. J’inspire profondément et chasse le nuage noir de contrariété au-dessus de ma tête. MH devra attendre un peu. La porte s’ouvre et les deux personnes me paraissent tout à coup mieux proportionnées – les judas ont vraiment tendance à déformer. Sans attendre, je me place d’un côté et m’apprête à demander la raison de cette visite presque nocturne lorsque mon cerveau percute la profondeur de sa présentation.

-M. Kristiansen ? Je viens de la part d’Orpheo.

Mh ? Comment ça ? EH TOI LÀ ! Mes réflexes ont quelques difficultés à se faire une place et la tignasse platine passe sous mon nez sans me laisser le temps de réagir. Certes, ma main tente de l’attraper par le col de sa tenue – la peau du cou, en fait – mais le garnement est bien trop rapide pour moi. Est-ce qu’on peut m’expliquer ce qu’il se passe ? Je tourne un regard irrité – incendiaire – vers le M. venu de la part d’Orpheo et murmure en articulant bien mes mots – une façon pour moi de garder mon calme.

-Est-ce que j’ai le droit de savoir ce qu’il se passe ?

L’homme s’incline tout en s’excusant bien bas de l’attitude du gamin ayant élu domicile chez moi. Il va le rattraper son gosse, genre rapide, ou c’est moi qui le met dehors. Je cherche à me décontracter. Mon travail n’a pas l’air d’être tout à fait terminé aujourd’hui. Je lui proposerai bien de prendre un thé avant de partir mais en fait non, ça me saoule. Il me saoule rien que par sa présence – et celle du gamin qui se prend pour le locataire. Du coup, j’attends au pied de la porte, adossé à cette dernière, les bras croisés. M. venu de la part d’Orpheo – il n’a pas l’air de vouloir me donner son nom – se décide finalement à ouvrir sa bouche.

-En effet. Excusez-moi. Kelyann est un orphelin du Mystery. Il a posé quelques problèmes dans sa famille précédente et devait normalement être transféré chez Mme Lombart. Malheureusement, elle est en déplacement pour quelques semaines au Brésil et ne peut donc pas s’en occuper. Nous nous sommes donc rabattu sur vous. Vous êtes plutôt réputé pour votre sympathie.

Oh génial. Me voilà fort aise de savoir que tout ce que ma sympathie m’offre au quotidien, c’est un boulet visiblement dégénéré – pardon, un orphelin complètement paumé – qui n’a donc pas trop l’air de savoir où se trouve sa place. Mais attendez une seconde. Madame Lombart ? Comme Anaïs Lombart ? Comme l’adjointe à la directrice du pôle communication ? Est-ce qu’on n’a pas un peu sauté quelques grades là pour me refiler la pile électrique dans mon salon ? Je décroise les bras et mime alors mes paroles à venir :

-Mh. Vous avez tout de même conscience que je suis directeur, n’est-ce pas ?
-Oui Monsieur et croyez combien cela m’en coûte de vous demander ce service malgré votre emploi du temps chargé mais il ne s’agit pas de ma décision. Ce n'est de plus l'affaire que de trois semaines.

Que de trois semaines. Moi aussi, j’aimerais bien partir au Brésil, tiens. Je renifle. La sympathie, ils peuvent se la mettre où ils pensent là, je suis chez moi. Et pourquoi Londres ne peut pas s’en occuper hein, au lieu de refourguer ces gamins à l’autre bout de l’Atlantique. Ils doivent être complètement sonnés à force d’être baladés à droite à gauche sans raison. Ce qui pourrait expliquer cette attitude. Mon empathie prend quelque peu le pas sur ma frustration et je profite de cet instant pour lui répondre le plus poliment du monde.

-Quand bien même, je n’ai pas été prévenu. Est-ce si dur d’envoyer un mail ? Je n’ai pas de quoi l’occuper pendant que je suis au QG.
-Sans doute devriez-vous songer à l’y emmener, il ne vaut mieux pas le laisser tout seul.

C’est quoi cette insinuation ? Il fugue c’est ça ? Pire, il met le bordel dans la maison si je le lâche des yeux cinq secondes ? Hey, j’ai pas demandé à avoir un enfant, ni même un singe ici. J’ai rien demandé du tout, je vis en solitaire et croyez-moi c’est mieux pour tout le monde. Si je ne peux même plus me servir de mes soirées pour décompresser, je me demande bien ce que ça va donner la journée, tiens. Surtout si, en plus, il m’accompagne à mon travail. Je n’ai pas spécialement de bonnes connaissances en babysitting – pour ne pas dire aucune. M. venu de la part d’Orpheo met sa main à l’intérieur de sa veste et en sort une carte. Je reconnais le logo d’Orpheo Londres et y lit son nom. Tout ça m’a bien l’air officiel, pas de chance.

-Je ne vous importune pas plus et vous remercie par avance de toute l’aide que vous nous offrez, M. Kristiansen. S’il vous pose problème, n’hésitez absolument pas à m’appeler.

Très bien, je peux l’appeler maintenant ou c’est encore trop tôt ? Peut-être quand je fermerai la porte, ce sera bon ? Trop tôt encore ? Bon. Je finis par acquiescer dans un soupir, vaincu malgré moi par mon petit – grand – cœur. L’homme m’offre un sourire réellement soulagé même si j’ai l’impression d’y voir une once de triomphe. Non, ce doit certainement être à cause des commérages qui tournent dans ma tête depuis cette rencontre. Il s’incline une seconde fois et disparaît devant mes yeux. Un téléporteur, évidemment. Il y a trop de téléporteurs. La seule preuve de son passage est sa carte dans ma main et le fou-furieux dans le salon. En parlant de lui…

Je referme la porte et calle le paillasson contre la porte d’entrée – pas foutu de tenir en place celui-là – avant de reprendre la cravate et me diriger vers le salon. Il s’agit de la pièce centrale de la maison et certainement la plus grande. C’est un salon-cuisine-salle à manger. Du tout en un et à presque portée de main. Le salon est tout au bout de la pièce et finit sur une porte vitrée donnant sur l’extérieur, bien souvent fermée et volets abaissés. Il y a un canapé, un fauteuil, un tapis large, une table basse et une belle télévision sous laquelle s’empile DVDs, jeux-vidéos, consoles de salon, sono et chaine hi-fi. Un peu plus près de moi, une table ronde avec quatre chaises que je n’utilise jamais. Et sur la gauche, caché par un demi-mur, la cuisine.
Je me pose à quelques mètres du garçon et m’accroupit face à ma valisette. Je l’ouvre et en extrait quelques papiers. Mh, non pas ça. Non plus, non plus. Ah, voilà. Je me saisis des quelques pages d’intérêt et referme le tout dans le sac. Je tourne ma tête de moitié et pouffe légèrement.

-Eh bien eh bien, si tu restes ici sans bouger, peut-être que je pourrais finalement bien m’entendre avec toi.

Oui, ça a un nom, ça s’appelle de la provocation. Il a typiquement l’air de ne pas être un type calme alors autant me montrer son véritable visage dès que possible. Je me relève et fais mine de l’ignorer – non en fait on va plutôt dire que j’ai d’autres trucs à m’occuper – tout en me dirigeant vers la cuisine. Je me concentre sur la paperasse dans mes mains tout en fronçant les sourcils. Mouais, mouais non. Voyez-vous, il se trouve que j’ai finalement réussi à obtenir une autorisation d’entrée sur certaines zones de la Réserve Naturelle de Haida Gwaii. De par sa proximité avec la faille de Reine-Charlotte et donc des séismes quotidiens, certains chercheurs s’intéressent aux possibles activités magiques. Sauf que les messieurs là-bas ne sont pas très très chauds pour laisser faire des analyses, encore moins sans guide – mec qui surveille. Bref, toujours est-il qu’après de nombreux échanges de mail et de téléphones à devoir trouver des explications branlantes face aux non-doués, ils ont finalement fini par accepter à condition de me faire signer un règlement – en fait c’est un contrat déguisé – extrêmement lourd et précis comme le code criminel. Voilà, du coup avec les heures de décalage je ne l’ai pas reçu avant le début de soirée.

Quoiqu’il en soit, je finis par regarder si mon réfrigérateur a quelque chose à me proposer. D’ailleurs…

-Est-ce que tu as mangé ?

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Kelyann Lindström
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MessageSujet: Re: Un trou au coeur   Un trou au coeur EmptyMer 7 Juin 2017 - 18:30

L'homme qui est venu nous ouvrir était en costard. Encore un costard, mais débarrassé de sa cravate. Il en avait jamais ou c'est parce qu'il était chez lui ? Je fronce le nez. J'aime pas les gens en costard. C'est des méchants. Des vilains. C'est à cause de gens comme lui que j'ai pas mon frère. Si j'avais mon frère là, avec moi, bah, déjà, si ça se trouve, on aurait pas fait 300 000 foyers comme moi j'ai fait, je serais heureux, on serait heureux, tous les deux, mains dans la main. En fait, juste nous deux, on se suffit, on se complète, et ça nous va très bien comme ça. Il a pas l'air content qu'on soit là. Je sens son animosité. Je vais encore me faire virer. Autant partir de suite, non ? Enfin, celui qui m'accompagne acceptera pas, en plus ils galèrent toujours un peu plus à me trouver une nouvelle famille. Ils en entendent parler, de mes essais passés. Un enfant à problème. Rendez moi mon frère, vous aurez plus de problèmes avec moi. Enfin, si vous le traitez bien.

De toutes façons c'est trop tard, j'ai passé la porte pour aller me morfondre sur le canapé. Prostré. Ya une belle vue d'ici. Il est joli son jardin. Même son salon. Il est grand. Se serait bien pour jouer. Jouer … C'est quoi déjà ? On s'amusait bien avec Kily. Dis Kily, t'es où ? Tu vas bien ? Kily …

Je les entends parler. Chaque phrase que prononce celui qui est supposé m'accueillir me tord le cœur un peu plus à chaque fois. Je ne suis pas le bienvenu. Pas du tout. Il voudrait être seul, il veut pas d'un enfant, encore moins un enfant à problème, un emmerdeur. Je le sens qu'il veut pas de moi ici. A chaque phrase qu'il prononce, pour essayer de me virer, ses sentiments m’empreignent. Ca fait mal. Ca fait si mal. Pourquoi ça fait encore si mal alors que mon cœur a déjà été arraché quand on m'a enlevé mon frère ? Pourquoi j'ai toujours aussi mal à cause de son absence ? Pourquoi j'ai si mal quand je sens que je ne suis pas le bienvenu ici ? Alors que, j'ai l'habitude d'être viré, depuis quelques années je ne fais que ça, aller de foyers en foyers, je commence à avoir l'habitude. Mais ça fait toujours aussi mal. Un trou qui se creuse, de plus en plus profondément dans mon être, dans mon âme. Ce n'est plus un cœur que j'ai, c'est un trou béant, avec des plaies à vifs, qu'on écorche encore un peu plus à chaque fois, pour agrandir ce trou, pour le rendre encore plus profond. Comment vous voulez qu'un enfant avance dans la vie après ? Je pourrais pas. Je pourrais pas. Si seulement j'étais plus grand, je pourrais retrouver Kily. Mais je ne suis qu'un enfant. Un tout petit enfant. La fugue ne sert à rien, je ne sais pas où est Kily. Je sais pas, j'en sais rien. Quand j'essaie de savoir si il va bien, je ne peux même pas savoir si il est près, si il est loin. Il pourrait être dans la ville d'à côté ou de l'autre côté de la planète que j'en saurais rien, et que cette blessure ferait tout aussi mal.

Celui qui m'accompagne a l'air heureux de se débarrasser de moi. Enfin. Tâche ingrate qu'il a eu, s'occuper d'un enfant qui pique des crises toutes les x heures. Sans savoir quand elle arrive. Sans savoir si ça va tomber sur toi ou sur l'autre. Sans savoir comment le calmer. Comment ? Rendez moi mon frère.

Je sens l'animosité dans le cœur de M. Kristiansen. Je crois que c'est ça son nom. Il est compliqué son nom. Il m'aime pas. Il ne m'aime pas. Personne ne m'aime. Personne sauf Kily, papa et maman. Sauf que voilà, papa et maman sont plus là pour prendre soin de nous.

Coeur brisé.
Coeur absent.
Coeur disparu.

La porte se ferme. L'animosité s'amoindrit, un peu. Il accepte son sort d'être coincé avec moi ? C'est ça ? Dans trois semaines je changerai encore de foyer. Ou avant, parce qu'il en aura marre de moi. Ils en ont toujours tous marre de moi. L'homme qui doit s'occuper de moi avance vers le canapé où je suis, dans me regarder. Il s'accroupit, je le regarde du coin de l'oeil. Il cherche des choses dans sa malette.

-Eh bien eh bien, si tu restes ici sans bouger, peut-être que je pourrais finalement bien m’entendre avec toi.

Je sais pas comment le prendre. Alors je fronce les sourcils et lui lance un regard noir. Je t'aime pas, monsieur. De toutes façons tu m'aimes pas non plus. Ca va être sympa la colocation, tu vas voir. Tu vas aimer. Tu vas me chasser, comme tous les autres.

Il s'en va vers la cuisine en m'ignorant royalement. J'm'en fiche de toutes façons. J'ai l'habitude d'être seul. Je suis seul depuis qu'ils m'ont retiré mon frère. Et toi Kily, la solitude, tu la vis comment ? Je le vis mal d'être loin de toi. Si mal. J'ai peur pour toi, constamment. Je sais pas ce que tu fais. Kily …

-Est-ce que tu as mangé ? 

Je hausse simplement les épaules en regardant le sol. Je n'ai toujours pas changé de position. J'ai pas faim. Et là, mon ventre gronde. Traître. Je mange pas beaucoup depuis... Depuis la séparation. C'est pas que je m'affame, quoi que ça marcherait peut être ? C'est juste que je n'ai pas faim. Pas faim. J'ai jamais été un très grand mangeur, mais c'est une grosse dépression que je ponds depuis quelques années. Et la dépression signifie pour moi de ne manger que le strict minimum. Mon estomac ressent la faim, mais il supporte bien le fait de n'avoir que très peu. De toutes façons, ma gorge refuse d'avaler, et souvent après j'ai envie de tout vomir. La gorge serrée, le nœud au ventre. La totale.

Et toi Kily, tu manges bien ? Les gens te traitent bien ? Les gens t'acceptes ? Si seulement je pouvais avoir des réponses... Cela me permettrait d'un peu mieux vivre, quotidiennement. Un peu. L'idéal serait de l'avoir à mes côtés, de pouvoir le protéger.

Face aux protestations de mon ventre, je me lève, chancelle un peu sous mon poids. J'ai pas mangé de la journée. Je me suis relevé trop vite et ai des vertiges. Une fois passé, je me dirige vers le frigo et regarde son contenu. Je prends juste un yaourt et vais m'asseoir. Un yaourt sera amplement suffisant. Après, j'essaierais sûrement de me lier à mon frère, je n'y arriverais sûrement pas, je serais exténué, je pleurerai, j'aurais envie de vomir mon maigre repas, et je dormirai mal. Comme toutes les nuits depuis. Et une nouvelle journée s'annoncera. Une nouvelle journée toute aussi fade qu'aujourd'hui et que les précédentes. Une nouvelle journée avec une plaie encore plus béante.

J'ouvre l'opercule, que je pose sur la table. J'ai pas de cuiller. Je me relève, chancelle à nouveau et ouvre tous les tiroirs à ma disposition avant de tomber sur celui qui m'intéresse. Je retourne m'asseoir pour manger mon repas.

Spoiler:

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MessageSujet: Re: Un trou au coeur   Un trou au coeur EmptyMer 7 Juin 2017 - 21:09

« Il est muet ? »

Voyons, Allen, qu’est-ce que tu racontes ? Non, c’est vrai que tu ne l’as pas du tout entendu parler depuis le début mais après tout, c’est juste normal. Il vient d’être parachuté dans une nouvelle maison et t’as déjà l’air de le détester alors qu’il s’est même pas encore posé. Pourquoi ne parlerait-il pas, hein ? Vraiment, pourquoi ? Je rumine contre moi-même parce que ce soir, il semblerait que les meubles ne soient pas suffisamment chiants. Or, MH a besoin de s’exprimer librement. Alors je râle, râle pour ne pas culpabiliser de traiter l’enfant comme un boulet accroché à mon pied. C’est vrai, t’es tout sauf sympathique. Hey, au diable ce mot, je vais finir par le rayer du vocabulaire au Canada. Ou l’interdire. Je ne suis pas un mec cool quand on entre dans mon antre sans crier gare, en s’annonçant à peine. C’est comme ça. Mais le gosse n’y est pour rien. En plus, mon cerveau n’a pas capté son nom, bien que je sois tout à fait persuadé de l’avoir entendu de la bouche du M. venu de la part d’Orpheo. Ce qui fait de moi un boulet à mon tour.

Concentré sur les termes du pseudo contrat déguisé, je laisse le frigo ouvert tout en demandant au jeune adolescent s’il désire manger. Oh ces enfoirés, ils veulent nous empêcher d’apporter du matériel technique sur place. Pour ne pas polluer le site qu’ils disent. Ben voyons, parce que les chercheurs sont décemment pas foutus de laisser un lieu parfaitement propre derrière leur passage. Et ils nous interdisent aussi de pénétrer dans « toute grotte, cavité ou renfoncement faisant l’objet d’une descente en rappel ou de dégradation externe pouvant nuire à la structure naturelle de ladite zone. » Eh bien, à la rigueur si le problème est purement lié au risque d’éboulement par fragilisation de la roche, ça peut se régler à coup de téléporteurs et lévitants. Mais pour cela, il me faut être tout à fait assuré d’avoir carte blanche sur le déplacement des scientifiques et donc certain de ne pas risquer les regards indiscrets. Nous devrions peut-être emporter des runes d’oubli, par précaution.

Un ventre se met à grogner méchamment. Je relève la tête et suit du regard le déplacement rapide du blond platine jusqu’à mon réfrigérateur. Il a donc faim. Il faut aussi que je songe à me faire quelque chose si je veux éviter de me coucher à trois heures du matin, comme hier. Il prend un yaourt, repart s’asseoir, revient, fouille dans mes placards dans un bruit qui me fait maudire mes tiroirs, trouve finalement une cuillère et retourne finalement à sa position initiale.

Bien. À part ça, oui c’était le placard de gauche les couverts.

Je secoue la tête, un peu surpris par le fulgurant passage du garnement et laisse échapper un soupir amusé. Eh bien, eh bien. Je dépose les papiers sur le plan de travail et m’apprête à me lancer dans une banale salade avant de me souvenir du gratin d’aubergine de la veille. Il est encore en très bon état et nul doute qu’il saura contenter mes papilles. Je ne suis, après tout, pas mauvais cuisinier. Je pense ? Je sors le plat et découpe deux parts que je place sur deux assiettes. Je renfloue mon frigo du reste, sors les couverts et pars me poser sur le canapé. Je dépose sur la table basse les deux assiettes puis retourne chercher mes papiers. Me prend le pied contre le demi-mur – qui ne devrait pas se trouver là – et retourne à ma place. Bon, et maintenant ? Pas que je n’ai rien à faire, mais je ne peux décemment pas l’ignorer continuellement ? Ça commencerait à devenir trop étrange et je n’ai vraiment pas envie de me sentir mal à l’aise chez moi. Pourtant, je ne peux m’empêcher de pousser un soupir. MH n’a pas l’air décidée à s’endormir. Pourtant, il va bien falloir qu’elle en prenne pour son grade ce soir.

J’allume la télévision et baisse le volume pour m’offrir un bruit de fond dans le cas où l’enfant se déciderait à ne pas m’adresser du tout la parole. Je sors de ma valisette un surligneur et en profite pour barrer les termes du contrat qui me déplaisent sur le papier. Cette histoire n’a pas l’air d’être tout à fait finie, il faudra probablement reculer la date de départ à deux semaines. Ça ne m’enchante pas plus que cela, mais nous ne pouvons pas prendre de décisions inconsidérées. Les rageux seront des conservateurs et ils savent très bien ce que je pense d’eux. Point.
À la ligne.
Je lui fais un signe de la tête et porte mon attention sur son assiette avant de prendre la mienne :

-Dans le cas où tu aurais encore faim après ton yaourt. Je ne te promets pas le goût, mais ça te remplira l’estomac au moins. Si tu n’en veux pas, je le remettrai au frais.

Ceci dit, j’avale une bouchée de mon repas. La CBC passe un match de hockey et je le regarde à moitié. Je me saisis de la deuxième télécommande sur la table et l’utilise pour fermer tous les volets de la maison. L’un d’eux m’a l’air de râler un peu à se fermer mais finit par céder. C’est sans compter sur le regard que je lui lance pour l’y inciter. Qu’est-ce que je dois faire ? Ah oui, je pourrais déjà commencer par avoir l’air d’un mec cool même si concrètement de visu ça peut potentiellement ne pas sauter aux yeux avec ma tenue stricte. Commencer par m’excuser déjà ? C’est pas vraiment de sa faute cette histoire.

-Désolé pour la montagne que j’ai faite de ta venue, je ne m’attendais pas à voir apparaître quiconque à cette heure et j'en veux à Orpheo avant de t'en vouloir à toi. Bref, tu veux bien me donner ton nom ?

Je l’ai fait en bonne et due forme, non ? J’ai le droit d’obtenir une réponse maintenant ? Vous ne le savez peut-être pas, mais je fais des efforts considérables pour masquer MH. Elle traîne derrière moi, je suis sûre que n’importe qui pourrait la voir. Du coup ça ne colle pas trop avec mon expression du moment mais hey, ça devrait passer, je pense. Je crois ?
Bon, ce papier.

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MessageSujet: Re: Un trou au coeur   Un trou au coeur EmptyVen 9 Juin 2017 - 16:19

Il me suit du regard pendant que je fouille sa maison sans aucune permission. C'est censé être chez moi un moment non ? Enfin, jusqu'à ce qu'il me vire. Et vu que je ne suis qu'un sale gosse qu'on fera partir, pourquoi prendre des pincettes ou essayer d'être poli ou agréable ? Ca changerait quoi ? Rien, strictement rien. Alors je fais comme bon me semble et m'incruste complètement dans cette cuisine.

Je commence à manger mon yaourt. Doucement. Cuiller après cuiller. Il est pas mauvais. Mais pas extraordinaire non plus. De toutes façons j'ai perdu goût à tout depuis des jours, des semaines, des mois, des années. Je mange par pour le plaisir, je mange pour ne pas mourir. C'est tout.

Il sort deux parts d'un truc de son frigo et les apporte sur la table. Fais glisser une assiette vers moi. Je suis obligé de manger ? C'est gentil hin, mais j'ai pas faim, mon yaourt me cale petit à petit. Mais se serait malpoli de refuser non ? C'est moi qui parle de politesse après avoir fouillé sa cuisine sans permission.

Il fait des allers retours entre le canapé et la cuisine. Il a sorti plein de papiers. Il doit être très occupé si il ramène tout ça chez lui. Et moi, je ne suis qu'un boulet qu'il doit se coltiner, alors qu'il a d'autres trucs à penser. Pas étonnant qu'il soit pas heureux de m'avoir. Surtout quand celui qui m'a accompagné lui a conseillé de m'amener avec lui à son travail. Quelle joie, n'est-ce pas ? Enfin, je pourrais rester ici, en soit. Après c'est sûr qu'il pourrait se retrouver avec une pièce de sa maison totalement dévastée en rentrant, et un pauvre petit Kelyann en sueur, exténué et endormi en plein milieu. Sympa le retour du boulot. Mais si je pique une crise à son travail se serait pas mieux non plus.

Orpheo c'est vraiment des cons sans scrupule et sans considération pour personne. D'abord ils me séparent de mon frère, ensuite ils débarquent sans prévenir chez les gens pour leur coltiner des enfants en pleine crise. Moi.

Je sens un pic d'énervement provenir de lui. Il regarde son muret. Oh. Le fameux petit orteil hin ? Le fameux qui sert uniquement à se cogner contre les objets. Oui. D'ailleurs, c'est plus facile d'établir une connexion empathique avec lui qu'avec un autre individu complètement inconnu. J'me demande pourquoi. Le gars d'Orpheo avec qui j'ai été toute la journée c'était hyper dur de percevoir ses émotions, il avait beaucoup de peur, peur que je pique une crise, évidemment, et il était blasé de faire une mission aussi chiante que d'accompagner un misérable orphelin. Mais c'était ténu. Alors que lui, ça se fait un peu plus naturellement oserai-je dire. Sauf que je le connais pas. Je l'ai jamais vu de ma vie. Alors pourquoi ? Même les autres gens avec qui j'ai passé du temps j'avais pas réussir à établir un lien aussi facilement, même après plusieurs jours. Alors, t'es qui ? C'est bizarre. Je comprends pas trop.

Il allume la télé. Je fronce le nez quand je vois ce qui passe sur l'écran. Du sport. Je suis pas très sport. Je suis pas très télé de toutes façons. Je suis pas très divertissement. Mais du sport, c'est encore plus barbant. J'aimais bien regarder les dessins animés chez les autres gens. Ca me calmait un peu, j'espionnais surtout les autres enfants à les regarder. Ils rigolaient. Moi je pleurais, parce que dès que je voulais réagir je me tournais, pour parler à Kily. Kily qui n'était pas là. Qui n'étais jamais là. Alors mon cœur continuait de se briser. Mon cœur, c'est plus que de la poussière, des cendres. Mais qui se tordent encore de douleur.

-Dans le cas où tu aurais encore faim après ton yaourt. Je ne te promets pas le goût, mais ça te remplira l’estomac au moins. Si tu n’en veux pas, je le remettrai au frais.

Je décide de faire un petit effort. Je n'en suis qu'à la moitié de mon yaourt. Je mange très lentement. Je le repose et me décide à prendre l'assiette. Je renifle. Ca sent pas mauvais. Je hoche la tête en signe de remerciement et apport une fourchette pleine à ma bouche. C'est pas mauvais. Mon estomac gronde davantage. Mais je n'aurais pas la force de finir cette assiette. Même la moitié c'est beaucoup trop. Si je mange le quart se sera déjà bien. Je dois finir mon yaourt après. C'est plus compliqué de garder un yaourt au frigo qu'un plat déjà cuisiné.

-Désolé pour la montagne que j’ai faite de ta venue, je ne m’attendais pas à voir apparaître quiconque à cette heure et j'en veux à Orpheo avant de t'en vouloir à toi. Bref, tu veux bien me donner ton nom ?

Je le regarde du coin de l'oeil. Il a pas l'air sincère. Je sens qu'il essaie de cacher un énervement. Du coup ses paroles sonnent creuses, sonnent comme des mensonges parce que le ton ne va pas avec ce qu'il a au fond de lui. Avec cet énervement. Je fais quoi moi du coup ? J'ai deux informations qui vont pas du tout ensemble. Il me ment ? Il fait des efforts pour que je me sente bien ici ? C'est bizarre. J'aime pas ça. J'aime pas qu'on me mente. J'ai déjà vécu trop de mensonges dans ma vie pour qu'on continue à me mentir.

Je pose mes yeux sur le match de hockey, barbant, tout en mangeant. J'ai mangé le quart de mon assiette. J'ai envie de vomir. Je la pose donc et reprends mon yaourt. J'ouvre la bouche. La referme, la cuiller toujours pleine.

-Kelyann... Lindtsröm.

Ma voix était toute petite. Je suis même pas sûr qu'il l'ai entendu tellement c'était faible. Je referme ma bouche sur le contenu de ma cuiller cette fois. Je n'en peux plus. Je n'ai plus faim. Mais se ne serait pas très bien de ne pas le finir, n'est-ce pas ? Une autre cuiller. Un haut le cœur. J'avale, difficilement, les larmes aux yeux avant de tout reposer. Peut être que je pourrais le finir, plus tard, non ? Je reprends mes genoux dans mes bras et me cale dans le coin du canapé, regardant le monsieur, toujours en costard, manger son repas. Je sens la nourriture d'ici, ça me met mal à l'aise. Le voir manger me déplait aussi, mon ventre est trop plein. Je pose alors mes yeux sur le match. Boring. Il veut pas changer de chaîne ? Et si moi je le faisais changer de chaîne ? Il le prendrait mal, très mal. Et qui suis-je pour essayer de contrôler un adulte avec tellement de boulot qu'il en ramène chez lui ? Il doit être très fort. Trop fort pour moi. Et j'aimerais essayer de dormir un peu confortablement avant d'être à nouveau virer de chez quelqu'un.

Le match m'ennuie, beaucoup. Je me lève alors et rapporte mon assiette au frigo. Je laisse mon yaourt sur la table, au cas où je veuille le terminer. Se serait bien que je le finisse avant de dormir. J'étouffe un bâillement et m'approche d'une de ses étagères. Je lis les noms des bouquins. Ils ont tous l'air compliqué. J'en choisis un au hasard, avec une couverture plutôt mignonne et l'apporte jusqu'au canapé. Je l'ouvre et commence alors à lire.

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MessageSujet: Re: Un trou au coeur   Un trou au coeur EmptyDim 11 Juin 2017 - 0:05

« Parfois on s’dit que c’est le hasard mais c’est p’t’être juste que le destin. »

Au diable le destin. Est-ce que le destin s’amuse bien, en ce moment ? Ah, j’espère bien qu’il se tord de rire, là-haut sur son petit nuage, en toge blanche et… Non attendez ça c’est la description des anges. Et sincèrement, ce destin-là ce serait plutôt celui avec des cornes et une queue en pointe. Je pense que vous voyez le genre. Y’a pas moyen d’être seul cinq secondes dans cette baraque ? Orpheo qui toque à ma porte, c’est un peu comme des heures supplémentaires nullement désirée. Des heures que je m’apprêtais déjà à utiliser pour eux, si on s’en tient aux documents actuellement sous mes yeux. Mais non, moi, j’en fous pas une, moi je suis un directeur qui va chercher des prunes dans le jardin et qui trouve le moyen de me prendre en fait une pomme sur la tête. J’ai un poil dans la main, c’est bien connu. Alors, un orphelin de plus ou de moins, qu’est-ce que ça change ? Je vais vous le dire. Ça change.
TOUT.

Ça change le cours du temps, ça modifie l’espace, ça modifie l’importance du garde-manger, celle du canapé, ça rajoute du bruit. Du bruit. De l’animation. Bref, c’est tout sauf ce que je désire, au plus profond de moi et c’est ce pourquoi MH n’est pas particulièrement enchantée à l’idée de se la fermer un peu plus longtemps. D’ailleurs, maintenant que j’y pense. C’est bien mignon de lui proposer à manger mais le pauvre n’est venu qu’avec un pauvre sac. Pas de valise. Il n’a sûrement pas beaucoup de vêtements et j’avoue que même mes plus vieux habits sont encore trop larges pour lui. Non, sérieusement, ça les aurait tué de prévenir ne serait-ce que deux heures avant de se présenter ? Au final, j’ai l’impression que c’est l’insouciance d’Orpheo avant la présence de ce jeune homme qui me tords de rage. Faute professionnelle, les gars. Je peux faire un rapport pour ça ? J’ai envie de faire un rapport pour ça. C’est pas possible ? Crotte.

Du coup, je rabats mes ressentiments sur ce papier – son contenu – qui me prend pour un débile mental incapable de gérer ses équipes. On me prend un peu trop pour un moins que rien là, il va falloir se calmer. Ils vont se prendre MH dans la figure, ils vont rien comprendre. Ça va leur tomber sur le nez et paf tout le monde sera à terre. On verra qui c’est qui glande. Grmbl.
Bon, après avoir surligné énergiquement plusieurs termes du contrat et rayé la feuille en orange fluo – le jaune fluo me déchire les yeux et vous êtes ravis de le savoir – je songe très sérieusement à prendre ma matinée. Non pas pour donner raison à ces idiots, mais pour amener le… garçon – c’est quoi son nom ? – dans divers magasins afin de l’habiller correctement. Pas qu’il soit mal vêtu, mais si je suis forcé de porter des costards pour aller au travail, je refuse que cet enfant porte plusieurs jours le même vêtement – parce que je ne fais pas la lessive quatre fois par semaine et que dans ce sac-là, tu ne peux pas faire tenir une semaine de fringue, sauf si c’est celui de Mary Poppins. Je lui laisserai le soin de choisir ce qu’il veut mais il faut vraiment faire quelque chose. C’est peut-être l’affaire de trois semaines, mais j’aimerais que ce ne soit pas ses pires semaines. Il a l’air d’avoir vécu pas mal de choses pour un garçon aussi jeune. Mon don s’active aussitôt mais je secoue brusquement la tête. Non, juste non. Pas avec les orphelins. Je ne savais que j’avais un code de conduite sur mon don, mais il faut croire que si.

Je lui confie l’assiette, l’invitant à se servir s’il le désire, sans le forcer. Il doit être mal à l’aise. En même temps, avec la super empathie que je dégage, il doit se sentir vraiment, vraiment comme chez lui. Et s’il est empathe par-dessus le marché… Oui, non on va simplement dire qu’il n’est pas empathe. Il est juste pas empathe, ok ? Mince à la fin. Il stoppe son yaourt et hésite un peu avant de se servir. Non, je ne compte pas t’empoisonner, jeune garçon. Est-ce que j’ai vraiment une tête d’empoisonneur ? Est-ce que j’ai une tête à tuer, tout simplement ? Non. Il finit par manger. Doucement. Je fronce un peu les sourcils alors qu’un sourire allait se présenter. On dirait qu’il a… du mal ? Est-ce qu’il était au moins bien nourri dans sa précédente famille ? Orpheo confie vraiment les orphelins à n’importe qui, on dirait. Est-ce qu’il s’est fait battre ? Je ne gère pas du tout cette section au QG, mais il est arrivé qu’une transmission de dossier d’un orphelin tombe par hasard sur ma table. La guerre a rendu les choses terriblement compliquées et beaucoup d’enfants se sont retrouvés balancés hors de leur territoire, parfois ici au Canada, un endroit relativement peu touché par les conflits. Comme cet enfant. Sans considération pour son passé, sans chercher à savoir ce qu’il ressentait. Mais nous ne pouvons rien faire d’autre. La guerre fait rage, Orpheo peine à se gérer lui-même alors le faire pour des enfants…

Je recentre mon regard sur la télévision. Le commentateur se met à hurler parce que l’équipe vient de marquer. Ah, le hockey. Pas que je déteste ce sport mais je n’ai à vrai dire pas véritablement le temps de me pencher sur le sujet, comme pas mal de choses en fait. Ma vie tourne autour de mon travail et mon travail autour de ma vie. Même ce garçon, il est venu de la part de mon employeur. Est-ce que je devrais paraître dépressif ? Non, je l’ai choisi, je ne devrais pas m’en plaindre mais c’est trop dur de résister à un bon monologue ronchon dans le fond du canapé.

Je termine par m’excuser à propos de mes agissements récents mais c’est plus fort que moi, je reste malgré tout un peu réticent à la présence du garçon. Je m’inquiète trop facilement, trop rapidement. Ce garçon à lui seul pourrait devenir à lui seul ma seule préoccupation si je me laisse faire. Me demander si je retrouverai mon salon en un seul morceau, s’il a bien mangé, s’il ne s’est pas fait mal, s’il ne s’est pas ennuyé, s’il n’a pas saccagé la seule plante verte de la maison, s’il a bien rangé la cuillère, s’il n’a pas oublié de bien caller le paillasson avant de partir etc. Non, vraiment, je pourrais presque en oublier mon travail puisque sur l’échelle de mon inquiétude et donc de la hiérarchie de mes pensées, une personne compte bien plus qu’une centaine de papiers. Cet enfant, en gros, pourrait devenir une vraie bête noire. Enfant à qui je me souviens perceptiblement avoir demandé son nom. Il est vraiment muet ? Le voilà qui repose l’assiette. Chouette, avec un peu de chance, je parle déjà trop et ça l’embête. On sera deux comme ça à râler dans notre coin. La soirée promet.
Puis non, le garçon prend son yaourt et se décide à me répondre. Meilleure soirée en approche.

-Kelyann... Lindström.

Eh bien, en voilà une réponse. J’acquiesce. Effectivement, maintenant cela me revient. Kelyann. C’est le nom qu’avait prononcé le bonhomme d’Orpheo. C’est un joli prénom, j’aime sa consonance, il me rappelle la Suède. Je continue mon repas en silence, à court de discussion. Je change la chaîne et tombe sur une série B. Je ne m’attends pas particulièrement à quelque chose d’intéressant à cette heure et les rediffusions des informations ne vont pas passer avant 22h. En fait, dans l’immédiat, j’ai juste envie de jouer. Mais je dois finir ce papier avant, surtout si je prends ma matinée demain. C’est dans l’ordre des choses. Je sens le poids à côté de moi se lever et le suis du regard. Il n’a pas mangé grand-chose mais je ne lui veux pas. Le voilà qui dépose l’assiette au frais. Il a l’air plutôt bien éduqué pour un garçon qui a soit disant été baladé de maisons en maisons à cause de sa mauvaise attitude. Je me détends un peu et MH est rejetée au second plan. Il faudrait que je lui sorte des draps pour ce soir puisque par bonheur je dispose d’une seconde chambre qui me sert de fourre-tout. Le matelas est néanmoins opérationnel et j’ai de la literie. Je baisse les yeux sur mon second document de la soirée. Une lettre que j’ouvre en hâte. Kelyann se repose à mes côtés avec un livre. Je passe la télévision en muet pour me concentrer et lit le nom de famille de la personne m’ayant adressé son courrier.

Attends.

Mon esprit percute avec un temps certain l’information parue plus tôt. Lindström ? Ce nom me rappelle quelque chose. Non, c’est plus que ça, je sais parfaitement de qui on parle. Sans doute est-ce un nom de famille répandu. Après tout… Mon regard s’obscurcit et je serre les dents tandis que les douloureux moments me reviennent en mémoire. Mes parents étaient terriblement proches des Lindström. De Sven et Wilma, du coup c’était un peu aussi mon cas. Nous ne pouvions pas nous voir souvent mais nous recevions souvent des appels d’eux. C’était une magnifique famille, sur tous les points. Et puis… il y a peut-être trois ou quatre ans, un incendie s’est déclaré et la famille s’est évanouie dans la nature. J’ai assisté aux obsèques et beaucoup pleuré. Ça m’a considérablement affecté et j’ai préféré faire une croix sur cette histoire, mais maintenant que j’y pense, le couple possédait deux enfants, des jumeaux aux cheveux platine. Je les voyais aux fêtes de famille mais ils jouaient tout le temps ensemble et je n’ai jamais eu l’occasion de leur parler. Kelyann. Et l’autre…

-Kilyann…

Je murmure très bas ces mots en relevant la tête. Oui c’est cela, Kelyann et Kilyann, deux enfants attachés l’un à l’autre. Deux enfants… Mais je n’en vois qu’un. Par hasard… Ne me dites pas qu’il… J’avale ma salive. Si c’est vraiment lui… non, c’est forcément lui… Son attitude volcanique pourrait être à l’origine de la perte de son frère – ou sa sœur, j’avoue que je n’ai jamais vraiment compris cette histoire – et si tel est le cas, je ne pense pas être en mesure de supporter ça. Si ça avait été un pur étranger… Mais ce n’est pas le cas. Je suis bien plus proche de lui qu’il ne le pense. Le stress monte progressivement mais je l’abats du revers de la main. Calme. Tu peux encore te tromper. Même si cet enfant ressemble comme deux gouttes d’eau à celui dans ta mémoire, tu peux encore faire fausse route. Après tout, lui n’a pas l’air de te connaître.
Oui, c’est juste faux.
Je ne sais pas par quel bout commencer cette discussion. Quoique je dise, quoique j’entreprenne pour me renseigner, si je suis dans la vérité, je lui ferai du mal. Je préfère commencer par le moins dur et enchaîne :

-Dis-moi Kelyann…
- J’inspire profondément – Sven et Wilma, ce sont… tes parents ?

Mon don parvient jusqu’à lui pour ne pas laisser échapper une seule de ses paroles à venir. Au diable le code de conduite, il faut que je sache, c’est bien trop important. C’est bien trop grave. Je me surprends à espérer un « non ». Je ne veux pas que ce passé me rattrape, surtout par ces temps.

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MessageSujet: Re: Un trou au coeur   Un trou au coeur EmptyDim 11 Juin 2017 - 20:18

Je n’arrive pas à cerner cet homme. Je sais même pas son prénom. J’ai pas envie de l’appeler par son nom de famille. Et puis son nom de famille est trop compliqué. Pourquoi lui il me demande comment je m’appelle et moi j’ai pas le droit de savoir hin ? J’vais l’appeler truc. Ou bidule. Ou chose. Ou whatever. Je verrais bien. Il change de chaîne, enfin. Une série. Un truc bizarre, sauf qu’on tombe en plein milieu d’un épisode alors je vais rien comprendre. Et puis il est en plein dans ses papiers. Dis moi si je te fais chier. En fait non pas besoin de le dire. Je le sens. Toute sa contrariété, sa mauvaise humeur, le fait qu’il ne veuille pas de moi ici, tout ça sort par tous les pores de sa peau et arrive jusqu’à moi. Pour me blesser. Tu sais que ça se contrôle des émotions ? Non il sait pas. Personne sait. Sauf Kily. Kily il sait tout. Ou bien savait tout, vu que je ne peux plus lui parler. Mon Kily.

Du coup je vais prendre un livre, avant qu’il ne mute la télé. Ca servait à quoi de la mettre du coup ? Je sais pas trop ce que ça raconte. Victor Hugo. Je lis le résumé, de toutes façons il a l’air d’avoir que des livres par pour les enfants, pas pour les ados, juste pour les adultes. Des livres compliqués et hors de portée pour les simples d’esprit. Je ne suis pas simple d’esprit. Je m’intéresse à tout un tas de trucs différents. J’suis vraiment curieux et j’veux en savoir beaucoup sur comment fonctionne le monde, j’veux même avoir une bonne culture générale. Mais des fois quand c’est hors de portée, c’est plus compliqué. J’ouvre alors le livre. Ca commence bien, je dois relire trois fois la première page avant d’essayer de comprendre. Ca va vite me fatiguer.

-Kilyann…

Je me dresse sur le canapé, d’un coup, les yeux écarquillés. C’est … Le prénom de mon frère qu’il a dit là ? Je tourne ma tête vers lui, doucement. Je sais que nos parents ont pris deux sonorités très proches, trop proches parfois et que beaucoup de personnes ont tendance à se mélanger les pinceaux. Mais je lui ai pas parlé de mon frère. Et j’ai pourtant bien articulé, un murmure certes, mais j’ai articulé. Qu’est-ce que le prénom de mon frère vient faire dans sa bouche. Il … Le connaît ? Il sait… Où il est ?

-Dis moi Kelyann…

Donc il a bien prononcé mon prénom. Donc il n’a pas confondu, n’est-ce pas ? N’est-ce pas ? Il parlait bien de … Mon frère ? Il prend une profonde inspiration avant de reprendre la parole.

-Sven et Wilma, se sont … Tes parents ?

Papa.
Maman.
Oui.

Je ressens plein d’émotions d’un coup, dans mon cœur, dans ce cœur que je croyais mort et perdu. De la colère. De l’espoir. De la joie. De l’inquiétude. J’m’en sors plus. Je sais pas comment réagir. Je sais pas quoi faire. Il connaît le nom de mes parents. Comment ? Pourquoi ? Plus important, il connaît le prénom de mon frère. Et même si j’aime mes parents, oh oui, je sais qu’ils sont morts et que je ne les reverrai plus jamais. Mon frère, par contre, est toujours en vie, là, quelque part, et je me battrai tous les jours, chaque seconde de chaque minute, chaque minute de chaque heure, chaque heure de chaque journée, chaque journée de chaque semaine, chaque semaine de chaque mois, chaque mois de chaque année, chaque année de chaque décennie, chaque décennie de chaque siècle, chaque siècle de chaque millénaire (ah non je serais mort) pour le retrouver. Je serais heureux une fois que je l’aurais à mes côtés et que je pourrais à nouveau le protéger. Alors je m’approche du monsieur sur son canapé, à genou. Et je ne suis plus le gamin timide, triste qu’il avait quelques minutes avant devant lui. Je l’agrippe par le col de sa chemise et colle son visage (ou plutôt approche mon visage le plus près possible du sien) au mien.

-Vous connaissez … Mon frère … ?!!!

Je sens le grondement dans ma voix. Si fort. Comme si une bête allait sortir de moi et tout détruire. Je lui arrache ses papiers des mains et les balance dans la pièce. Je me mets debout, devant lui, ne décrochant pas mon visage du sien, agrippant plus fort sa chemise, mes jointures me font mal, mais j’en ai rien à faire. Je veux mon frère.

-Où est mon frère ?!

Ma voix se fait plus forte. La bête est toujours là, prête à dégainer. Prête à rugir, prête à massacrer, détruire. Je commence alors à le secouer.

-RENDEZ MOI MON FRERE !!!!!

J’ai hurlé. Je lâche mon étreinte de ses vêtements, me retourne et balance tout ce qu’il y avait sur la table basse. Adieu yaourt qui se répand par terre, je ne te finirai donc pas. Je hurle. La crise a commencé.

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MessageSujet: Re: Un trou au coeur   Un trou au coeur EmptyDim 11 Juin 2017 - 22:33

« C’est une histoire que j’aimerais ne pas avoir à répéter. »

Parce qu’elle me coûte, parce qu’elle devrait s’être perdue dans les méandres de mon esprit, réapparaissant en de rares occasions et déclenchant tout un réseau de fourmillements le long de ma colonne vertébrale. Je soupire, brutalement. Depuis la mort de Sven et Wilma, dans la famille, c’est devenu un peu un sujet tabou. On n’en parle pas, même – et surtout – aux réunions de famille. Un flou demeure au-dessus de leur mort. Un incendie. Des personnes non douées pourraient perdre la vie, mais pas des sorciers. Pas comme ça, de manière aussi idiote. On nous avait mis face à deux urnes tant le feu avait saccagé les corps. Ça n’avait rien de naturel. La mère travaillait à Orpheo et sous un coup du sort, elle aurait pu être prise pour cible durant l’une de ses missions. Oui… Lorsque l’on travaillait à Orpheo, on ne le quittait jamais véritablement, et l’on risquait sa vie même chez soi. Il fallait faire avec, vivre avec des pouvoirs et des dons entraînaient forcément d'importantes responsabilités et souvent bien plus nombreuses que les avantages offerts.

Je regarde Kelyann et ses cheveux presque blancs. Je me demande s’il est le Kelyann de mes souvenirs, cet enfant chahutant et infiniment doux avec son frère. Je me souviens de leur présence aux repas, loin, au niveau de la table préparée pour les enfants. Je ne m’intéressais pas vraiment à ces deux garnements, ayant été de tout temps assez maladroit avec ces derniers. Un souci d’écart d’âge, d’innocence aussi. Quelque chose d’assez logique. Je préférais parler avec les personnes autour de la table, qui appréciaient prendre de mes nouvelles. Sven et Wilma étaient véritablement fiers de moi, tout comme mes parents. Ils ne cessaient, en me voyant arriver, d’annoncer à qui veut « Tu sais, notre petit Allen est directeur ! Tu te rends compte ? Directeur, à son âge ! » J’étais toujours assez gêné du coup. Mais depuis leur mort, le climat est un peu plus tendu. Je n’aurai jamais cru que… enfin qu’il me serait possible…
De revoir un peu cette famille.

Je projette mon don au moment de lui poser la fameuse question. Ses mots me parviennent, limpides et articulés. Ses pensées sont tellement fluides qu’elles semblent se mêler aux miennes sans transition. Il n’y a plus à hésiter… Ce garçon-là, Kelyann, est leur fils. Et Kilyann, son jumeau, où est-il ? Comment diable Orpheo s’est-il débrouillé pour séparer les enfants ? À moins qu’il… à moins qu’il ne soit mort ? Non, cela ne se peut. Je refuse d’y croire. Ça me paraît tellement improbable. Comment une telle famille peut-elle avoir autant souffert en ayant vécu aussi parfaitement ? Ce n’est pas juste. Ça devrait tomber sur les autres. C’est déjà douloureux pour moi, alors qu’en est-il pour lui ? Je ne prends malheureusement – ou heureusement – pas le temps de me focaliser davantage sur cette histoire que l’aura du jeune garçon effleure tous les pores de ma peau. Je me retourne subitement et le sens m’attraper par le col. Il approche son visage à quelques centimètres du mien et je recule un peu par réflexe. Geste relativement bien coordonné par rapport à l’éclatement d’oreille qui a lieu par la suite :

-Vous connaissez … Mon frère … ?!!!

Je suis conforté dans mon idée. Non, il n’est pas mort. Qui se battrait corps et âme pour une personne perdue ? Il n’a même pas fait mention de ses parents, simplement de son frère. Orpheo les a donc séparés. Compréhensible mais intolérable. Vouloir faire grandir des enfants est une chose, séparer des jumeaux accrochés l’un à l’autre en est un autre. Ils ne se rendent véridiquement pas compte du traumatisme que ces deux jeunes subissent. Je pose mes mains sur les siennes entourant mon col. Doucement, sans le brusquer. Ça ne servirait à rien de lui parler maintenant de toute façon, il n’écoute que sa colère et même si MH a de quoi revendiquer sa présence, je la terre bien profondément sous deux trois couches de compassion.

Oui enfin faut pas pousser nounours Allen trop loin non plus. La compassion explose en mille morceaux lorsque le garnement m’ôte mes paperasses de la main et les fait valser en l’air. Coco, tu vas te calmer. Le voilà qui tente de me soulever – bon c’est ratage complet puisque je dois faire au moins deux fois son poids – et se lève tout en maintenant mon col. Je le fusille en réponse à ces agissements et claque violemment ses mains pour lui faire lâcher sa prise, non sans faire agir mon pouvoir de manière à le surprendre d’une sensation glacée. Voilà, lâché.

-Où est mon frère ?!

Je ne sais pas. Je suis aussi perdu que toi mais tu ne sais pas comment t’exprimer autrement qu’en te déchaînant. La voilà, la raison de ses trop nombreux passages en famille d’accueil. Kilyann, il voulait juste son frère. Etait-ce si difficile à comprendre ? Il s’exprime pourtant drôlement clairement. Est-ce que ça coûte trop aux gens d’aller se renseigner ? Peut-être s’en fichent-ils. Pas moi. Pas du tout même. J’irai demander demain après-midi. Tiens, quand je vous disais qu’il allait me prendre de la place sur mes créneaux de travail, on dirait que je ne me suis pas trompé. On en est déjà presque à une journée. Sérieusement. Je..

MAIS ARRÊTE DE TOUT FOUTRE PAR TERRE !
Le yaourt s’écrase au sol. Ok, ça c’est toi qui le nettoiera, c’est déjà sur ma liste. Je t’assure que de bonne grâce ou non, tu vas nettoyer tout. Ton. Bordel. Oh que oui. Ça suffit le manque de respect comme ça.

-RENDEZ MOI MON FRERE !!!!!
-KELYANN !

Je me lève à mon tour et le surplombe de ma grandeur. Sans même lui laisser le temps de crier une seconde fois, je l’empoigne par le dos de son sweat et le force à se décaler de la table basse, du canapé, de la télé, bref d’à peu près tout qui puisse être à portée de sa main. Il est hors de question que sa crise d’adolescent se poursuive chez moi de cette manière. Je sens l’adrénaline monter mais respire profondément pour ne pas lui hurler dessus. Là, voilà, c’est bon. A peu près.

-Je ne sais pas où ils ont mis ton frère, mais j’irai me renseigner demain, je te le promets.

Pas que pour lui, aussi pour moi. Surtout pour moi, une manière d’être certain de savoir le second garnement en lieu sûr et proposer des retrouvailles rapides. Séparer des jumeaux, et puis quoi encore. Rah, parfois Orpheo, je vous jure que c’est pas un cadeau. Je lâche son sweat et m’accroupit de manière à être un peu plus bas que lui. Je le prends par les épaules et l’observe un instant. Le fils de Sven et Wilma. Je n’aurai jamais cru cela possible. C’est douloureux et agréable à la fois, un drôle de sentiment. Un sentiment presque maternel. Quelque chose de nouveau. Même s’il s’en fiche, il faut que je lui en parle. Ça veut dire tellement de choses pour moi. Il gesticule beaucoup et à défaut d’avoir à capter son attention par la voix, je lâche une de ses épaules et me saisit de son menton pour orienter son regard sur le mien. Pas de temps à perdre, il faut une phrase de choc, rapide et concise. Paf, comme une porte qui claque, je balance :

-Je suis ton cousin, Kelyann. Je m’appelle Allen.

Du côté de sa mère. Le fils de la sœur de sa mère très exactement, la première de la fratrie, qui explique notre important écart d’âge. J’ai un peu de mal à y croire pourtant c’est la vérité. Cet enfant fait partie de ma famille. Et de ma famille proche.

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MessageSujet: Re: Un trou au coeur   Un trou au coeur EmptyLun 12 Juin 2017 - 20:16

Il fait un mouvement de recule pendant que je l’attrape par le col. Tu m’étonnes, ça doit surprendre. Mais honnêtement, je ne réfléchis pas du tout à ce que je fais. Seule la rage parle. La colère, la rage, je veux voir mon frère. Pourquoi ils nous ont séparé ? Et puis, c’est la faute de gens comme lui non ? De gens qui travaillent à Orpheo. Alors je pourrais m’en prendre à lui. Je pourrais. Je ne fais sûrement pas le poids mais, je ne réfléchis plus. L’instinct parle. Je veux pourvoir protéger mon frère, c’est tout.

Je sens de l’énervement en lui, mais pas contre moi, c’est bizarre. Je l’attaque et sa colère n’est pas dirigée contre moi ? Aucune importance, même si il voulait me frapper je me défendrai. Je me défendrai et me battrai jusqu’à ce que j’ai mon frère à mes côtés.

Je crois même discerner un peu de compassion, qui disparaît bien vite quand ses papiers volent dans tout le salon. Logique. Mais encore une fois, c’est pas de ça dont je me soucis maintenant. La bête est là, et elle ne sera satisfaite que quand j’aurais retrouvé Kily. Ou que je tomberai de fatigue. Ce qui est plus probable. Ce qui arrive tout le temps.

Il me lance un regard noir. Si seulement ça me faisait peur. Ca ne me fait rien. Je suis vide de tout sentiment, ma rage a tout remplacé. Et je suis sûr que je peux gagner au jeu de qui a le regard le plus noir. Je grogne.

Il m’avait déjà pris les mains, pour essayer de me calmer, sans succès, c’est bien drôle cette petite tentative pathétique. Vraiment, si j’avais pas tant de haine en moi j’aurais ris. Ce n’est pas le cas. Il réessaie. Le contact est froid, trop froid, gelé. Je lâche prise avant de me retourner vers la table qui fera les frais de mon énervement. Décidément, pauvre yaourt.

-KELYANN !

Il se lève. Il est grand en fait. Mais ça m’impressionne pas du tout. Je me retourne même pas face à mon nom. C’est lui qui s’en charge en tirant sur mon sweat. Il m’écarte de tout ce que je pourrais balancer, briser, détruire. Il comprend pas que ça me défoule ? Que ça me déchaîne ? J’ai un vide énorme dans mon cœur. Enorme. Tellement grand que j’ai souvent l’impression que ce n’est trou noir qui s’agrandit de plus en plus et qui engloutit tout ce qui reste de moi petit à petit. Sourire ? Englouti. Joie ? Englouti. Espoir ? Englouti. Tout englouti. Et ça ne laisse que la peur, la tristesse, la haine, la rage, la dépression, le désespoir. Le fait qu’on m’ai prit mon frère équivaut à me laisser pour mort. J’ai l’impression que … C’est comme si j’allais plus jamais rire.

-Je ne sais pas où ils ont mis ton frère, mais j’irai me renseigner demain, je te le promets.

Il ment. Tu mens. Comme tous les autres. Ils s’en fichent. Ils s’en fichent tous. Pourquoi nous avoir séparés à la base hin ? POURQUOI ?!!! Je me débats, tant bien que mal, déchaîne mes poings contre le vide, et contre lui.

Il me lâche, rapidement, j’arrête de lui donner des coups, par contre il m’agrippe par les épaules avant de se baisser, j’ai la rage au ventre et le regarde extrêmement mal. Tu mens. Tu mens. Vous mentez tous. Des larmes de colère traverse mes yeux. Il m’attrape le menton et le force à le fixer, je montre les dents.

-Je suis ton cousin, Kelyann. Je m’appelle Allen.

… Cousin ?
… Famille ?

La haine s’essouffle. La rage s’en va. Les bras ballants le long de mon corps, je le regarde. Je ne comprends pas. Qu’est-ce qui se passe ? Cousin ?

La larme coule.

Je renifle. Passe mon sweat sous mon nez pour l’essuyer.

Cousin ?

Mon regard est toujours fixé sur lui.

Espoir ?

Je me réagrippe à son col. Mais plus doucement. Avec moins de colère. Les larmes reviennent dans mes yeux, ma vue est brouillée.

-Tu vas m’aider à le retrouver ?!

Ma voix est suppliante. Les larmes s’échappent. Je baisse la tête et tombe à genoux, les larmes ne tarissent pas et tombent sur le sol, sur mes mains, dès qu’elles sont formées. Je serre les poings. J’ai mal et je suis heureux en même temps. Mais c’est pas encore fait. Et j’ai peur, que se soit encore une illusion, qu’on me le rendra jamais. Je chuchote :

-Kilyann…

Ma voix tremble, tellement. Les sanglots sont là. J’ai tellement mal. Tellement mal de pas avoir mon frère avec moi. Comme si avec une aiguille, très longue, très fine, on transperçait mon cœur, sans relâche. Jamais au même endroit, je découvre toujours de nouveaux endroits qui font de la peine. Comment on peut encore souffrir alors qu’on a perdu son cœur ?

Je relève la tête vers… Mon … cousin… J’ai de la famille … Et je le regarde, implorant. Vraiment. Je raccroche une main à sa chemise, là où aurait dû être la cravate, et replonge mes yeux dans le plancher, et les ferme. Mon poing se serre sur les boutons de sa chemise, je m’en sers aussi pour pas tomber. Et je continue d’avoir mal. Si mal.

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MessageSujet: Re: Un trou au coeur   Un trou au coeur EmptyVen 16 Juin 2017 - 13:39

« Si nous pouvions tous revenir au moment de notre naissance. »

Oui, durant ces instants où nous vivions au jour le jour, seconde après seconde, dans le présent. Sans véritable conscience, sans peur et ignorant du monde qui nous entoure. Protégé par les bras de notre mère, le regard indéchiffrable de notre père. A une période où rien ne comptait, pas même notre propre vie. Il semblerait que la conscience soit notre pire ennemie. Elle nous ramène toujours aux responsabilités, aux mauvaises pensées, au temps qui passe, à notre condition de mortel. Elle nous lacère et nous attache à d’autres, parfois si violemment qu’une perte amène à un désespoir aussi puissant qu’un chef d’œuvre. On la déteste et on l’aime, on vit avec elle sans le savoir tandis que notre environnement humain, dicté par cette même conscience, chercher désespérément à nous mettre dans des cases, à nous recenser. « Tu seras ainsi » « Tu devras travailler » « Tu devras grandir » « Tu n’as pas le droit de faire ça » « Reste humble, penses à ceux qui n’ont rien ».
« Tu ne devrais pas t’amuser »
La vie est dure.

Je ne suis pas de ces personnes qui assomment leur entourage de méfiance, de concessions, d’abandon. Non, on nous rabâche que la vie est unique, qu’elle n’arrive qu’une fois et que, telle qu’elle nous a été donnée, elle nous sera reprise. Nous redeviendrons un rien sans fond, un atome qui n’Est pas. Nous nous ficherons du monde et de ce que les humains en feront après nous. Nous existerons via nos enfants comme une mémoire génétique qui ne vit pas, qui ne prévient pas, qui ne veilleras pas sur eux comme le véhicule pourtant tant de religions. Ce serait un sommeil, un sommeil éternel sans rêve et sans avenir. Un point terminal d’où personne ne revient mais où chacun termine.

J’ai besoin de vivre. J’ai besoin de ne pas hurler mes regrets sur mon lit de mort. Je veux être ce que je veux, vivre heureux comme un homme qui a accompli ses propres aspirations et transmettre cette nécessité d’Être, ce besoin d’exister.

Alors, quand je regarde Kelyann, quand ses beaux cheveux platine et son visage colérique s’agitent pour montrer son désespoir, pour faire réagir son interlocuteur, je ne peux m’empêcher d’être pris d’une douleur brève mais violente à la poitrine. Il me renverse mes affaires et même si ma colère monte, je sais que ce n’est pas sa faute. Qu’à force d’être empoigné comme un cartable de maisons en maisons, sans explication, sans oreille attentive, le gamin n’a d’autre choix que de s’exprimer ainsi. La joie est l’humeur de base d’un être humain. Il y reviendra toujours s’il n’est pas soumis à des pressions externes. Toujours. Mais ça, visiblement, peu de personnes en ont véritablement conscience et le stress, la dépression finit par apparaître comme une maladie banale réglée à coup de médicaments, enrichissant l’industrie de la pharmaceutique par la même occasion. Réglé ou pas, d’ailleurs.

J’empoigne Kelyann par le sweat et le force à me regarder. Je me surprend à espérer ne pas me présenter trop tard. A pouvoir gérer la douleur dans son esprit, la pointe qui perce son cœur. Je ne suis pas empathe mais sa gestuelle est si intense et ses cris intérieurs si articulés qu’il me fait de la peine. Une sensation presque paternelle, si éloignée de ma première attitude face à cet enfant. Je suis son cousin mais c’est pour moi une simple excuse pour l’aider, rendre la monnaie à cette famille admirable, morte sans raison. Parce que Sven et Wilma ne peuvent plus les aider, c’est à présent mon rôle et je jure de m’y tenir.

Ses épaules s’affaissent, son regard se noie dans une mer salée et j’incline légèrement la tête, un demi-sourire soulagé illuminant mon visage allongé. Il se calme. Il me croit. Sa naïveté me fait un temps envie. C’est comme s’il avait toujours voulu entendre ces mots. Pas de savoir s’il avait toujours de la famille, non, mais de savoir qu’enfin, quelqu’un le prenait au sérieux, quelqu’un lui tendait une main robuste et l’aiderait à sortir la tête de l’eau. Je sais qu’il ne veut que Kilyann, je me doute que ma révélation ne le touche pas autant qu’elle me touche moi personnellement. Je ne lui demande pas de devenir son père ni de me substituer à son frère. Un tuteur au mieux. Une aide au pire. Les possibilités sont infinies mais le destin seul décidera.

-Tu vas m’aider à le retrouver ?!

La pression sur mon col se fait plus douce. Telle une plainte, comme un espoir, il me semble jouer un rôle de bouée de sauvetage. Voir d’une ancre dont il serait un bateau luttant contre la marée montante. Il pleure et déverse dans chacune de ses larmes les trop nombreux appels à l’aide envoyés au large sans réponse. J’approche ma main de son visage et décale une des mèches platine venue s’y coller. Mon semblant de sourire ne me quitte pas et j’écoute ses plaintes, je les laisse tomber sur le sol, patiemment, compréhensif. J’encadre ses mains dans les miennes, plus grandes – malheureusement guère plus chaudes.

-Kilyann…

Je ne ferai pas plus de remarques à propos d’Orpheo je crois, même si MH m’assure qu’une liste longue comme deux fois la cathédrale de Notre-Dame est prête à être lue. Il sanglote continuellement sans parvenir à se calmer mais je ne le juge pas. Pourquoi faire ? C’est légitime. J’aurais très certainement retourné terre et ciel à sa place. Mais nous n’avions pas le même âge, pas les mêmes possibilités. Il n’avait aucun pouvoir, aucun choix. Il s’exprimait comme il le pouvait. Je retourne un peu sur mes pas après m’être relevé et prend le paquet de mouchoir – par terre – pour revenir vers lui et lui en tendre un.

-On va le retrouver. J’ai accès à bon nombre de documents et notre filiation peut suffire à me rendre de droit votre tuteur. Même s’ils sont réticents, ils ne pourront pas me faire opposition bien longtemps.

Orpheo les méchants. Plus le temps passe et plus j’ai l’impression de défendre une mauvaise cause. Avec ces conservateurs, la guerre, les pensées sous-jacentes remontent et leur lot d’injustice avec. Mes opinions personnelles ne changent pas et pourtant, le QG est plus tendu, moins solidaire. Je n’aime pas ces tensions et renforce comme jamais les liens entre mes collègues, entre mon entourage proche et moi. Le plus grand nombre sera toujours plus fort que la place occupée et son pouvoir. Si l’on s’en donnait les capacités, n’importe qui tomberait face à la masse. Le gouvernement par exemple.

Je recentre mes prunelles sur Kelyann pour reprendre le pas sur la situation actuelle et les questions germent les unes après les autres. Son état, ses pensées actuelles, le moyen de retrouver son frère, les conditions de séparation, tout ceci se mélange et s’ordonne dans une suite logique et la moins violente pour l’esprit du jeune garçon. Finalement, mes mots percent la barrière de mes lèvres :

-Est-ce que tu es fatigué ? J’aimerais te poser des questions sur Kilyann, que tu me racontes comment vous vous êtes retrouvés séparés, mais je ne te force à rien. Je te montrerai ta chambre si tu souhaites d’abord te reposer.

Ma voix est douce, presque murmurante. J’apprécie ce rôle de protecteur. J’essayerais de t’aider Kelyann. Pour tes parents, pour ton frère et pour toi. Tout ce que je te demande, c’est qu’au final, tu puisses sourire et me remercier.

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MessageSujet: Re: Un trou au coeur   Un trou au coeur EmptyJeu 22 Juin 2017 - 1:30



Sa main se pose doucement sur ma joue. Sa main est fraîche, trop fraîche, mais ça fait du bien. Le contact est froid, mais le geste est chaud. Ya plus de colère dans son cœur. Plus. Et je ne peux m'empêcher de ressentir tellement d'espoir. Comme si mon cœur renaissait. J'ai peur d'être déçu. Tellement peur. Tellement peur qu'il mente, tellement peur qu'il ne puisse au final, rien faire, et que je reste à jamais séparé de mon frère. Je ne pourrais pas le supporter, ça fait presque déjà quatre ans. Ou trois. Je sais plus. J'en sais rien. Compter fait mal. Trop mal. Mais tous ces jours font de plus en plus mal. Toujours plus.

Il déplace une de mes mèches, complètement humide à cause de la sueur, la rage, les larmes. Sa deuxième main se pose sur ma joue.

Rassurant.
Apaisant.

Je me calme, petit à petit, même si les larmes sont toujours aussi abondantes. Mais la rage s'est évanouie. La bête est partie. C'est la première fois qu'elle part aussi vite. C'est un peu la première fois que je ressens que quelqu'un est sincère avec moi aussi. Il a pas l'air si méchant que ça au final … Mon cousin. Cousin. Ce mot résonne en moi. Avec Kily on a toujours cru qu'on était seul. Si seul. Juste nous deux. Pourquoi il a pas essayé de nous retrouvé plus tôt ? Il avait l'air d'être au courant, pour l'incendie, alors pourquoi il est pas venu ? Il nous aurait épargné tellement de malheur. Je sanglote, encore. Il a quand même l'air sincère. Faut que je me concentre sur le positif, non ? Il va nous aider. Il va nous aider. Mais pourquoi ? Et puis, je suis dépressif depuis des années maintenant. Je me demande dans quel état est mon frère. En combien de morceaux je vais le récupérer. Même moi je ne suis pas complet. Je serais jamais complet sans lui de toutes façons. Parce que il sera toujours la part manquante de moi : mon cœur. C'est mon frère qui compose mon cœur.

Il me lâche mais revient vite, en me tendant un paquet de mouchoirs. Qui était par terre. Forcément que c'était par terre. C'était sur la table. Ya plus rien sur la table. Tout est par terre. Je me sens un peu honteux d'avoir fait ça. Je venais juste d'arriver. Mais il a pas l'air de vouloir me chasser au moins. C'est déjà ça. Je rougis, je suis gêné de l'avoir dérangé comme ça. Je m'assoie en tailleurs, en évitant son regard, prenant un mouchoir, évacuant tout ce que j'ai dans mon nez. Je renifle, prends un deuxième mouchoir pour terminer. Un troisième pour essuyer mes yeux. Qui coulent toujours un peu.

-On va le retrouver. J’ai accès à bon nombre de documents et notre filiation peut suffire à me rendre de droit votre tuteur. Même s’ils sont réticents, ils ne pourront pas me faire opposition bien longtemps.

Espoir.
Tellement d'espoir.
Tellement. Tellement.

Je pince les lèvres. Les larmes reviennent dans mes yeux. Mon cœur se gonfle. Ma gorge se serre. Je le regarde dans les yeux. Il sent que je le supplie ? Est-ce qu'il le sent ? Parce que c'est vraiment ce que je fais en ce moment. Je le supplie des yeux. Et j'espère vraiment, du fond de moi même, qu'il ne me ment pas, et qu'il m'aidera, et que je ne serai pas déçu, à la fin. A la fin, quand je partirai de chez lui. Peut être sans mon frère. Dans maximum trois semaines.

-Est-ce que tu es fatigué ? J’aimerais te poser des questions sur Kilyann, que tu me racontes comment vous vous êtes retrouvés séparés, mais je ne te force à rien. Je te montrerai ta chambre si tu souhaites d’abord te reposer.

Fatigué. Oui. Je baille. Longuement. Je donnerai cher pour avoir une peluche. Mais je l'ai perdu, lors de mes premiers transferts, déjà qu'elle n'était pas en bon état. Enfin, je qualifierai plus ça de doudou, et plutôt même de torchon usé jusqu'à la moelle. C'était une vieille robe de Kily. Que j'avais pris pour habitude de garder près de moi. Et ils ont dû me la jeter. Un jour. Forcément j'avais piqué une colère. Mais ils s'en fichaient tous. Tous. Ya que Allen qui, bizarrement, veut faire quelque chose pour moi. Ya que lui qui m'écoute. Ya que lui qui a l'air de tenir à moi, depuis trois quatre ans, c'est le seul qui fait quelque chose pour que je me sente mieux. Pourquoi ya pas plus de gens comme lui ? Pourquoi … Pourquoi on est si seul. Pourquoi on est séparé. Pourquoi ils s'en fichent autant du malheur des autres ? Pourquoi le monde est-il si égoïste ?

Du coup je n'ai plus rien à serrer pour essayer d'apaiser mes peines. Je m'efforce de sentir Kily et je m'endors, épuisé, en pleurs, parce que je n'ai pas pu l'atteindre. Parce que rares sont les fois où je l'atteins. Il est si loin.

Inatteignable.
Injoignable.
Irrécupérable.

Seul.
Je suis si seul.
Seul.

Oui je suis fatigué. Mais je veux qu'on retrouve mon frère. Et je m'en fiche de pas dormir avant des heures si c'est pour avoir plus de chance de le retrouver, au plus tôt. Rendez moi mon frère … Pitié … Pitié...

Un autre sanglot. Encore. Toujours. Mes activités préférées depuis la séparation. Pleurer, détruire, crier, déprimer. Un cycle infernal, infini.

-Quand ils ont attaqué l'orphelinat, les grands nous ont aidé à nous enfuir. Avec des professeurs. On est allé dans une grotte, en Islande. A un moment Orpheo est venu. Ca faisait des allers retours au début. Et puis des gens qu'on avait jamais vu sont venus. Orpheo, ils connaissaient les adultes. Mais ils devaient prendre les petits, nous. Pour nous dispatcher, parce que c'était trop dangereux qu'on reste tous ensemble ici. En plus c'était pas très confortable. Alors je …

Sanglot.

-J'ai attrapé Kily de la main. J'lui ai dit qu'on resterait ensemble, pour toujours, à jamais. Qu'il pourrait jamais nous séparer.

Mes paroles deviennent incompréhensibles sous mes pleurs. Je revis la scène comme si c'était hier. Cette cicatrice si profonde. Je sais même pas si c'est une cicatrice. Non. C'est une plaie. Béante. Qui saigne, continuellement depuis des années.

-Kily il avait peur. Il avait si peur. Si peur. Je sentais toute sa peur, je pouvais pas le rassurer. Je pouvais pas. J'avais jamais vu ses gens et ils avaient l'air moins commode que …

Reniflement.

-Les autres de d'habitude. Et, et, et... Et ils sont venus vers nous.

Explosion. J'arrive plus à respirer. Ou presque pas. J'essaie de reprendre mon souffle. C'est important. C'est important. C'est pour retrouver mon frère. Kily...

-Alors moi, j'les ai mal regardé. Je savais pas ce qu'il voulait. Et,

Reniflement.
Sanglot.
Larme qui s'écrase sur le sol.

-Et je sentais toujours la peur de Kily. Ils pouvaient pas nous séparer. Ils pouvaient pas. Ils avaient pas le droit. On est jumeaux. On est jumeaux. Et il a rien dit, il a juste détacher nos deux mains...

Boule dans la gorge.
Sanglotements.

-Alors j'ai commencé à vouloir récupérer Kily. J'ai commencé à leur cracher dessus, à me débattre, à les taper, à les insulter. Celui qui tenait Kily il a fait à un autre gars de me retenir. J'l'ai mordu. Il a saigné. Il m'a giflé, les autres qui nous connaissaient ont essayé de s'interposer, je crois. Mais les vilains ils se sont pas laissés faire. Comme quoi ils étaient en charge ou je sais pas. Je criais, je tapais, les murs tremblaient, ya même des pierres qui sont tombés du plafond. Les autres enfants avaient peur. Mais je m'en fichais. Je voulais juste qu'on me redonne mon frère. Et ils l'ont emporté. Devant moi.

Je m'effondre. Je murmure.

-J'ai même pas pu lui dire au revoir...


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Allen Kristiansen
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MessageSujet: Re: Un trou au coeur   Un trou au coeur EmptyJeu 29 Juin 2017 - 19:02

« Ça n’a jamais été facile de réparer un miroir cassé, alors un enfant brisé… »

J’aimerais tant lui venir en aide, effacer la douleur sur son cœur. Je me sens mal, coupable de cette ignorance bien trop longue. Je n’aime pas l’injustice et la déteste d’autant plus qu’elle touche mon entourage proche, même redécouvert il y a peu. Est-ce si dur de comprendre à quel point deux frères peuvent s’aimer et vivre ensemble ? Je ne crois pas. Surtout pour des jumeaux. Surtout pour des orphelins. Ayant vécu de nombreuses années à l’orphelinat Mystery, je sais combien ces enfants ont soit tendance à ne pas s’accrocher ou bien au contraire à trouver une ancre qui, sans sa présence, mène à la dévastation. Des jumeaux. Quelle idée, Orpheo, non mais vraiment. Comment peut-on être à ce point idiot ?

Ma figure paternelle s’affiche naturellement et je questionne doucement Kelyann sur son frère. Sans le brusquer. Ce serait mal avisé de ma part, après ce qu’il a subi. Je ne veux même pas savoir. Juste connaître les circonstances de leur séparation et trouver un vrai coupable. Plus précis que l’immense organisation Orpheo. Je fronce les sourcils, soucieux, lorsque l’enfant se met à pleurer. J’ai l’impression d’avoir gaffé, ayant bien plus l’habitude de m’adresser à des personnes majeures et bien souvent peu émotifs qu’à de jeunes enfants ballotés par le temps et les sentiments. Je songe rapidement à lui dire d’oublier tout cela et d’en discuter plus tard mais il ne m’en laisse guère le temps, débutant la série d’un long monologue.

-Quand ils ont attaqué l'orphelinat, les grands nous ont aidé à nous enfuir. Avec des professeurs. On est allé dans une grotte, en Islande. A un moment Orpheo est venu. Ca faisait des allers retours au début. Et puis des gens qu'on avait jamais vu sont venus. Orpheo, ils connaissaient les adultes. Mais ils devaient prendre les petits, nous. Pour nous dispatcher, parce que c'était trop dangereux qu'on reste tous ensemble ici. En plus c'était pas très confortable. Alors je… J'ai attrapé Kily de la main. J'lui ai dit qu'on resterait ensemble, pour toujours, à jamais. Qu'il pourrait jamais nous séparer.

Ses pleurs se mêlent à ses mots et je lutte pour rester concentré sur le fil de ses paroles. Je connais cette histoire-là. L’Islande, le rapatriement des orphelins, l’envoi dans les familles d’accueil. Ce n’était vraiment pas une bonne période. Je me souviendrais de l’effervescence qui avait régné le jour de la prise du Mystery. Nous l’avions appris en soirée. Ça avait été le début des tensions et des troubles au sein d’Orpheo. J’avais reçu quelques lettres de placement d’orphelins et j’imaginais bien la catastrophe des autres pays, bien plus proches. Je crois que c’est à ce moment que les premières mesures de protection des données ont été entreprit. Quelques mois de travail acharné pour construire des barrières de runes infranchissables, former les chercheurs et exorcistes aux potentielles attaques. Le précédent directeur n’avait pas du tout protégé son QG et je me sentais, il est vrai, plutôt éloigné des conflits. J’étais jeune, je venais tout juste de fêter mes deux années en tant que directeur. Ça avait été ma première grande mission et ça m’avait considérablement renforcé.

-Kily il avait peur. Il avait si peur. Si peur. Je sentais toute sa peur, je pouvais pas le rassurer. Je pouvais pas. J'avais jamais vu ses gens et ils avaient l'air moins commode que… Les autres de d'habitude. Et, et, et... Et ils sont venus vers nous.

Je m’imagine sans peine le peu de commodité des exorcistes à cette période. Il fallait faire vite et nous avions somme toute peu de moyen, occupés à régler les différends et tenter de récupérer le Mystery. Les orphelins avaient été baladés comme des sacs avant d’être considérés comme des humains car le temps pressait. Alors oui, ce n’était très certainement pas si facile de faire plaisir à tout le monde. Mais ça n’expliquait pas cet acharnement. Ils se tenaient la main et les familles auraient très bien pu accueillir deux enfants. Que leur était-il passé par la tête ? Je ne parviens pas à saisir la logique de l’instant mais garde le silence. Je sens qu’il n’a pas fini de me parler.

-Alors moi, j'les ai mal regardé. Je savais pas ce qu'il voulait. Et, et je sentais toujours la peur de Kily. Ils pouvaient pas nous séparer. Ils pouvaient pas. Ils avaient pas le droit. On est jumeaux. On est jumeaux. Et il a rien dit, il a juste détacher nos deux mains...

Kelyann ne parvient pas à articuler et se stoppe dans sa phrase. Je sens la tension émaner de son corps. Il doit se remémorer chaque passage. J’aimerais le rassurer et lui parler mais rien ne me vient dans l’immédiat. Je suis touché par ses mots, par sa douleur et ce sentiment d’amour pur lorsqu’il parle de son frère. J’envie un peu cette relation si fusionnelle et la fuit en même temps. Cette douleur doit être insupportable.

-Alors j'ai commencé à vouloir récupérer Kily. J'ai commencé à leur cracher dessus, à me débattre, à les taper, à les insulter. Celui qui tenait Kily il a fait à un autre gars de me retenir. J'l'ai mordu. Il a saigné. Il m'a giflé, les autres qui nous connaissaient ont essayé de s'interposer, je crois. Mais les vilains ils se sont pas laissés faire. Comme quoi ils étaient en charge ou je sais pas. Je criais, je tapais, les murs tremblaient, ya même des pierres qui sont tombés du plafond. Les autres enfants avaient peur. Mais je m'en fichais. Je voulais juste qu'on me redonne mon frère. Et ils l'ont emporté. Devant moi.

Voilà. Une séparation simple. Pour que ce soit plus facile à dispatcher à travers les familles. Un lien brisé, des années de douleur pour de la paperasse. Nous ne vallons pas mieux que les sorciers noirs pour avoir ce genre d’attitude. Quelle idée de séparer deux enfants purement et simplement liés jusqu’à se débattre pour ne pas être séparés ? C’est immonde et il est temps que je répare cette erreur. J’ai été ignorant bien trop longtemps.

-J'ai même pas pu lui dire au revoir...

J’incline légèrement la tête et l’entoure de mes bras.

-Ça ira. On le retrouvera. Je demanderai à Londres de me rapatrier Kilyann.

Après cette petite étreinte, je m’éloigne un peu et essuie une de ses larmes du pouce. Un sourire plein d’espoir illumine mon visage et je tente de rassurer mon très jeune cousin comme je le peux, en restant calme et posé. J’aimerais lui éviter une affluence d’émotions supplémentaires. Quelque part, je me dis que le hasard fait vraiment bien les choses. Que nous aurions très bien pu ne jamais nous rencontrer. Et pourtant. Pourtant, il se trouve devant moi, presque comme un spectre de mon passé proche. C’est mon devoir de l’aider. Je suis peut-être sa seule famille, maintenant. Mais il est épuisé pour le moment. Il tient à peine debout et ses larmes sont certainement aussi dues à ce trop-plein. Je pousse un soupir et lance en me relevant et lui tendant la main.

-Merci d’avoir été aussi fort tout ce temps. Maintenant, repose-toi et laisse-moi me charger du reste.

Profite de ta présence ici pour te calmer, pour cesser de survivre et commencer à vivre. Je retrouverais Kilyann et vous serez à nouveau ensemble. Mais tu dois regagner des forces avant. Tant qu’Orpheo ne sera pas revenu sur le devant de la scène, tu devras toujours craindre les sorciers noirs. Je ferai tout pour vous protéger toi et Kilyann, mais tu dois aussi pouvoir te défendre et défendre ton frère. C’est comme ça que ça fonctionne et que ça fonctionnera toujours.

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MessageSujet: Re: Un trou au coeur   Un trou au coeur EmptyMer 5 Juil 2017 - 11:48

Je sens des bras m'enserrer alors que je suis plus bas que terre. Ce contact me surprend, je relève un peu la tête. Allen. Cousin. Famille. Je profite alors de ce bref élan de compassion. Ca fait longtemps, très longtemps, trop longtemps que je n'en ai pas eu. Et je pleure toujours. Et plus bas que terre, ça fait bien longtemps que j'y suis. Toujours en train de creuser, toujours plus profondément. Je ne sais même pas comment je pourrais remonter cet énorme trou dans lequel je me suis engouffré. C'est à peine si je vois le ciel d'ici. Le ciel, avec le soleil. Tout ça c'est Kily. J'ai faillit à ma tâche. Je n'ai pas su le protéger. Je l'ai abandonné. J'ai rompu toutes nos promesses comme quoi on se quitterait jamais. Il doit m'en vouloir, tellement. J'ai pas réussi à le récupérer quand les vilains me l'ont pris. J'ai pas réussi. J'étais trop faible. Si faible. Oh Kily...

-Ça ira. On le retrouvera. Je demanderai à Londres de me rapatrier Kilyann.

Il s'éloigne, je relève la tête vers lui, des étoiles plein les yeux. Il peut faire ça ? Vraiment ? Ramener mon soleil, ma terre, mon oxygène, mon univers ? Il peut le ramener avec moi ? Vraiment ? Des larmes reviennent embuer mes yeux, de bonheur cette fois ci. J'ai envie de lui sauter au cou, pour lui exprimer toute ma gratitude. Mais je me retiens. Je ne le connais pas encore assez. Et j'ai peur que se soit mal vu. Je veux pas … être chassé. Surtout qu'il a l'air d'être si gentil avec moi. Oh bien sûr, d'autres avant lui ont été gentils avec nous, avant de montrer leur véritable visage : des démons. Des gens qui n'en avaient que pour leur intérêt personnel, sans compassion pour nous. Alors nous avons fui, toute notre vie. Même à l'orphelinat nous avons finalement dû fuir. Tu nous feras pas fuir Allen, hein ? Dis Allen, t'es un gentil toi, sur qui on peut compter, pas vrai ? S'il te plaît … J'en ai tellement marre de fuir, d'être déçu, je suis épuisé par tout ça. Je veux juste retrouver mon frère et qu'on vive heureux... Sans avoir peur à chaque minute. La peur de se faire juger, la peur de se faire taper, la peur de se faire chasser. Je veux retrouver... Un vrai foyer. Avec des gens prévenants, qui nous aime et qui prennent soin de nous.

Mon cousin, cousin, c'est assez étrange de penser en ces mots à cet homme qui se tient face à moi, homme que je ne connais que depuis quelques minutes et qui pourtant, en connaît bien plus sur moi que toutes les autres familles d'accueil réunies. Je disais donc, mon cousin me sourit. C'est tellement... Rassurant. Apaisant. Il ne manque plus que Kily ici, et se serait peut être parfait. Peut être parce que j'ai toujours peur du futur. Le futur n'est jamais bon avec nous.

Il se lève en un soupir, me tendant une main que je m'empresse d'attraper, que je serre fort. Comme pour faire passer un message. S'il te plaît... Ne m'abandonne pas. Ne nous abandonne pas.

-Merci d’avoir été aussi fort tout ce temps. Maintenant, repose-toi et laisse-moi me charger du reste.

Je me relève en prenant appui sur cette main forte, douce, froide et pourtant si agréable. Je baille encore plus fort. Je suis épuisé. Je tangue un peu mais cette main que je n'ai pas lâchée me permet de rester debout. Dormir. Oui, j'aimerais bien dormir. Je me frotte les yeux et hoche la tête. Oui, dormir.

Allen me guide donc à l'étage, prenant mon sac quand on passe devant, et nous arrivons très vite dans une chambre avec un lit. Pour moi. Il sort alors des draps d'une armoire et les pose sur le lit qu'il entreprend de faire. Je me décide à aller l'aider. Je me mets rapidement en pyjama avant de me couler sous les draps propres. Je me fais une boule avec à serrer dans mes bras. Allen est sur le pas de la porte, à l'air d'hésiter avant d'annoncer :

-Bonne nuit, n'hésite pas à me dire si quelque chose ne va pas. Je suis dans la chambre d'en face. Les toilettes sont à côté.

Je hoche la tête, aucun son ne sort de ma bouche, je suis trop épuisé. Il ferme la tête et je me rallonge.

Kilyann, peut être que j'ai trouvé quelque chose. Où es-tu ?

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