Elle écrase avec violence sa main sur son réveil. Il aurait été magique qu'il aurait sans doute couiné, mais il ne l'est pas et se contente de grincer sinistrement. Si ce n'était pas son argent qu'elle dépensait pour chaque réveil, elle en aurait sans doute cassé un par jour tellement la jeune blonde haïssait plus que tout au monde se faire réveiller. Les chiffres d'un vert lumineux heurtent avec violence les prunelles de Rhyan qui se retourne en grognant. Elle enfouit sa tête sous la couette en soupirant. Et oui, il va bien falloir se lever.

Un premier de ses pieds touche le sol mais elle reste assise. Elle pose même sa tête entre ses genoux dans un excès de feignardise et laisse ses bras pendre lamentablement. Les adolescents ne sont définitivement pas fait pour se lever aussi tôt. Quand elle arrive face à la glace, elle a juste envie de rire face à ses cheveux blonds touffus et en pagaille, sales. Elle se glisse sous l'eau brûlante qui au lieu de la réveiller la laisse patauger dans un état semi-conscient où elle est obligée de se tenir aux murs pour ne pas se laisser choir sous ce liquide réconfortant.

Bien, nous voilà une demi-heure plus tard, avec une Rhyan maquillée, coiffée, habillée, et après des tas de choses grasses, sucrées et énergétique dans le ventre, ainsi qu'un chocolat chaud. Elle s'amusait de voir Takeji râler sur son alimentation bordélique, ses grignotages, et son poids qui restait pourtant stable. Elle en aurait souhaité, des formes. Mais visiblement ça lui été totalement interdit. Soit.

L'adolescente remonte brièvement dans sa chambre et enfile un long collier qu'elle cache sous ses vêtements après y avoir déposé un léger baiser. Il est toujours là, caché, comme ses souvenirs. Elle ferme les yeux le temps de refouler la noirceur de son coeur et sort. Il faut bien qu'elle aille acheter ce foutu truc tôt, si elle veut pouvoir traîner avec les quelques jeunes du village le soir. Oh, et puis ça serait trop gênant de cacher quelque chose. Elle doit donc y aller avant le lycée, et c'est donc à sept heure trente tapantes qu'elle entre dans une étrange boutique. Elle cherche en théorie une lame mais n'est même pas sûre de pouvoir en trouver à cet endroit. Fatiguée, elle contemple des choses alignées qu'elle ne reconnait absolument pas, soupire de fatigue à de nombreuses reprises, soupire encore à l'idée de devoir aller en cours, et soupire une dernière fois en faisant jouer ses muscles encore douloureux.

Bref, c'était une journée fatigante avant qu'elle n'ait réellement commencée. Elle coince une mèche trop longue derrière son oreille, tic qu'elle tenait depuis le début de son enfance, et continue sa recherche. Ainsi qu'une lame, elle voudrait un objet, une breloque, un truc à serrer contre son coeur le soir, mais aussi un machin pour tester dessus des runes ou du genre.

..

Elle cesse de discuter tranquillement dans sa tête pour lever la tête et comprendre que de toute façon, il n'y a pas de vendeur.

- Excusez moi, commence-t-elle, y'a quelqu'un ?

« Colore ma vie du chaos des ennuis. »


Elle parcourait de ses yeux claires les oeuvres proposées. Bien sûr, elle appréciait le travail fournit, mais comme Rhyan ne serait pas Rhyan sans ses pensées intempestives, elle pensait à autre chose. Au bahut, à Shy, à Alfred ou encore à Jack. Enfin, à tout ça mais surtout à rien, ou .. ou seulement lui. C'en était devenue une habitude tellement récurrente que ça faisait parti d'elle. Longtemps, quand elle se réveillait, les muscles tendus et complètement effrayée dans son lit, elle souhait en finir avec ça.
Oublier.
Mais rapidement, c'était devenu d'un réconfort évident. Shybaï et Takeji l'aimaient beaucoup, et c'était réciproque. Bien sûr. Et même si ses parents, dans son souvenirs n'avaient jamais réellement fait attention avec elle, ça n'avait plus d'importance. Les jours passés où elle demandait de jouer avec eux et qu'elle ne récoltait que des échecs lui revenaient par vague, et elle, elle les combattait avec d'autres souvenirs. Un regard, un sourire et des gestes qu'elle savait emplis d'amour.
Elle suffoque un instant et s'appuie sur la table. Dire que Torin lui manquait était un euphémisme mais ça n'avait plus d'importance. Plus, aucune importance. Elle était là, elle était libre et vivante.
Vivante.
Parfois, elle en doutait.


« Je suis à vous de suite mademoiselle »


Elle lève la tête au son de la voix masculine qui l'interpelle mais personne n'est encore visible. Alors elle se retourne et continue de regarder avec une patience mêlée d'ennui. Le lycée débuterait dans encore longtemps, et elle espérait choisir vite pour aller voir ces amis. James et Will l'attendaient sûrement sur le perron, ou près de la petite pelouse. Elle avait hâte de les retrouver.
Rhyan était le genre de fille qui préférait largement que ses amis ne soient pas au courant pour le Secret, et elle espérait qu'il en soit ainsi encore longtemps. Elle ne trouvait pas que cela creusait un fossé entre eux, non. Elle trouvait que ces gens là, normaux, l'éloignaient des horreurs passées. Mais si elle mentait sur sa vraie nature, combien d'autre en faisaient autant ?

« Que puis-je faire pour vous aider ? »

Cette fois ci, elle regarde l'inconnu. Elle le détaille avec un intérêt profond, fronce un peu les sourcils. Elle a l'impression vague de l'avoir déjà croisé mais ne dit rien, continuant sont analyse muette avant de laisser éclater un large sourire : elle se souvient de l'épicier qui s'était mit à faire l'idiot devant elle, déclarant qu'il devrait interdit de fixer de cette sorte des inconnus. Ce qu'elle fait tout le temps.

- J'voudrais une lame magique, lâche-t-elle, droite dans ses bottes.

Elle sait bien que l'homme est magique, - à moins qu'elle se soit trompée, et ça ne serait pas très très ça par contre - parce que c'est Taki qui lui a conseillé d'aller ici. Ses doigts se portent un instant sur un métal d'un noir luisant, avec un manche blanc et elle se demande comment diable une lame peut être de cette couleur.
Elle en voudrait une simple. Une jolie mais simple. Avec un T gravé sur la garde.. hum.. sans doute pas le nom complet, ça imposerait trop de question. T comme .. Elle pourrait dire que c'est en l'honneur de Takeji. Ca passerait bien pour les inconnus.
Parfait.
Elle tombe alors sur une dague, courte. La lame est bien droite et d'un éclat presque blanc. Courte et légère, elle semble parfaite dans sa main. Le manche est travaillé de manière fine et délicate, et est d'un noir opaque, sombre et pourtant poli.. on dirait une pierre.
Elle s'en saisit et s'approche de l'homme.

- Voilà, celle-ci est vraiment magnifique. Bien sûr, je paierai le prix. Est-ce qu'elle est hum .. déjà modifiée ?

Dans modifiée, elle entend évidemment magique.
Elle pense un instant à l'argent qui se dépose tous les mois sur son compte grâce à sa famille et sourit. Elle a largement de quoi s'en payer plusieurs, et elle en aimerait bien une plus longue, recourbée. Enfin. Une chose après l'autre.

- J'aimerai faire graver un T, sur le manche. Vous pouvez faire ça ? sourit-elle au forgeron.

Bien. Comme ça en plus de l'avoir dans son coeur, elle l'aurait sous la main et sous l'oreiller, pour se protéger. Pour qu'elle puisse se sauver la vie comme lui l'avait fait.

L'adolescente faisait tourner entre ses doigts la lame. Le manche glissait un peu mais Shy lui avait bien précisé qu'il fallait juste un enchantement pour que sa paume reste fixe sur le manche. Elle pensait déjà à s'en servir. Le prolongement de ton bras, avait précisé Taki, qui préférait les sabres. Pourquoi pas ? C'était .. glorifiant de tenir une telle merveille dans le bout de ses doigts. Une merveille qui pouvait tuer. Sans hésitation.
Elle sourit, et au moment où elle s'en rend compte, elle cesse. N'est-ce pas malsain de penser de la sorte ? Bien sûr que si. Toute personne normale trouverait ça excitant d'avoir un pouvoir entre les mains, mais de là à souhaiter tuer quelqu'un .. enfin bon. Certains auraient excusé Rhyan pour son passé, mais elle s'en blâme. Non. Elle n'est pas devenue le même monstre que ses agresseurs.

-Et bien… J’ai déjà vu des approches plus en douceur, mais j’ai peut-être ce qu’il vous faut oui.

Elle sourit. Certes, elle aurait pu.. Mais la jeune blonde est du genre rentre dedans, plutôt crue et sincère. Alors pourquoi tourner autour du pot ? C'est inutile, et ça cause de nombreuses pertes de temps trop stupides.. c'est comme dormir trop longtemps.
Non, c'était une blague. Dormir, c'est mieux que tout.
Sauf de vivre.

-Ravi de vous l’entendre dire, je la trouve moi aussi éclatante… Elle se nomme Snjár, Neige en vieux norrois, du fait de l’éclat de sa lame. Pour votre question, non, tout d’abord parce que laisser une arme magique à la portée de toute personne, simple humaine ou non serait bien trop dangereux, ensuite, certains clients désirent des enchantements bien spécifiques, et un enchantement ne peut pas être retiré, alors autant faire ceux que les acheteurs désirent. Enfin, je peux aussi apporter des modifications à la lame, et elles sont généralement plus faciles à faire quand cette dernière n’est pas encore indestructible et inusable.

Elle hoche simplement la tête. Oui, sa question était absolument stupide et presque insensée. Réfléchit un peu, quand tu parles, se dit-elle intérieurement.
Son coeur bat dans sa poitrine de manière douloureuse. Ah, elle les connait tellement bien ces moments là ! C'est dur de les combattre, à un point tellement avancé qu'elle serre les points. Le monde semble aller trop vite et elle perd pied.
Je m'appelle Rhyan, Lyvie, James.
C'est facile ça non ?
J'ai dix huit ans. Mon maître est Shybaï et elle est mariée avec Takeji.
Bien, continue.
Alfred est mon chat. Jack est le cactus des amoureux.
Elle souffle.
Ils ont deux enfants, Jace et Hanna.
Déglutit.
Et si je l'ai laissé, c'est pour vivre.
Elle serre les dents et se laisse retomber dans la réalité, loin des vertiges. Elle sait que la la plupart du temps ces moments là passent sans que les autres ne le remarque. Comment pourrait-il en être autrement ?
Sourire.

-Pas de soucis, je vous fais ça tout de suite si vous le voulez, venez je vous prie.

Elle le suit sans hésiter et se retrouve un peu plus loin dans le magasin, totalement excitée à l'idée de montrer son bijou à son maître. Ses doigts tremblotent encore un peu et elle les entrelace pour cacher cette faiblesse soudaine.

-Comment voulez-vous que je grave le T ? Verticalement juste sous la garde ?

Elle prend place sur la chaise proposée en lissant les plis de la robe de laine qu'elle porte, et laisse un de ses doigts s'enrouler dans une mèche blonde qui pend sur son épaule. Son cerveau se met en marche. Juste sous la garde.. il faudrait que cela soit totalement symbolique et ça.. ça lui paraissait trop banal. Trop pas elle.
Pas eux en tout cas.

- Non. Excusez moi. Je voudrai le T sur la lame, devant la garde. En plein dans son centre.

Parce qu'elle vit grâce à lui, elle veut continuer à le faire. Si elle doit tuer quelqu'un pour survivre, alors elle le ferait, un nom en tête, un visage dans le coeur et une lettre sur la lame. Sa lame.
Peut être qu'elle ne lui conviendrait pas .. ? Non. On était pas dans une histoire d'Harry Potter et de baguette. Snjàr était déjà à elle. Sans aucun doute.

Elle tend le bras pour montrer précisément où elle souhaite l'inscription et la manche de sa robe se relève pour dévoiler un morceau de tatouage. Elle en sourit en contemplant la petite clée encrant son poignée.
Elle en avait parlée brièvement avec Shy qui n'avait pas été contre. Bientôt, elle en aurait d'autres. Encrer sa peau avec des souvenirs était quelque chose qui lui plaisait particulièrement.

-Ca risque de prendre un petit instant. Voulez-vous boire un verre et manger quelque chose en attendant ? Je n'ai pas grand-chose, surtout en boisson, aimez-vous l'hydromel ?

Elle hausse les sourcils, se demandant si c'est une blague.. mais visiblement.. Non. Elle sourit franchement alors en tirant une moue d'amusement. Elle n'avait goûté qu'une fois à ça - et outre avoir un goût qu'elle n'affectionnait pas particulièrement comme la plupart des alcools - il est sept heure du matin.
Boire, de l'alcool, à sept heure du matin n'est pas une priorité.

- Je.. hum, pas vraiment.. il est super tôt. Vous auriez juste un café ?

Environ quarante cinq minutes avant d'aller en cours ? Elle doute qu'il ait finit en si peut de temps et qu'il n'ai pas du tout de travail au point de s'en occuper immédiatement, mais soit. Soit. Elle attendrait.



" I don't need you at all. Please. Leave me now, stupid pain. "

" y'a rien à dire,
Y'a rien à faire pour eux. "


L'adolescente un peu volage reste là, assise sur un tabouret. Ses pouvoirs la rendaient plus forte que ce qu'elle était. Ils lui donnaient un sentiment de toute puissance absolument dévastateur qui la laissaient sourire. Elle était invincible grâce à ça, elle pouvait fuir de n'importe où. Bien sûr, quelque part dans ce monde des sorciers savaient tracer des runes qui l'empêcheraient d'être magique mais elle savait se battre à présent. Des gens normaux, simples ouais, ne pourraient plus rien contre elle. S'évader de murs de pierre, de béton, d'acier, peut importe.

La jeune naïve était loin des réalités de la vie. Mais si elle s'en était préoccupée, elle n'aurait plus pu vive. Personne ne pourrait. Parce qu'elle était de ces personnes là qui savent que ça n'arrive pas qu'aux autres. Non. Ca avait par ailleurs, une fâcheuse tendance à n'arriver qu'à elle.

-Joli tatouage mademoiselle, vous n’avez pas trop lutté auprès de vos parents pour pouvoir vous le faire faire ?

Elle serre un peu les dents en levant les yeux. Oui, Rhyan est une fille naturellement ouverte, souriante et même spontanée. Mais sa vie est sa vie, son passé est ce qu'il est; hors de question de laisser quiconque s'y introduire. Shybaï et Takeji inclus. Ils avaient d'ailleurs eut le tact extrême de ne jamais tout demander, jamais de précisions. Jamais de questions à vrai dire.

- Non. Ils étaient d'accord.

Son ton n'est ni sec, ni méchant. Non. Il est doux et exactement comme précédemment. Ne rien faire paraître, jamais. Toujours laisser un léger doute sans jamais le laisser s'installer, contrôler le silence et ne jamais le laisser tourner dans les questions intempestives. Elle sourit un peu plus franchement avec de souffler, se rappelant d'un souvenir qui panse toujours mieux ses blessures.

- Je pensais que ça ferait mal, mais ça allait. Mon père était là pour me tenir la main.. vous dire s'ils sont conciliants.

Elle repense brièvement à Takeji qui ne lui tient pas du tout la main. Non, elle se souvient du jeune homme en train de se foutre de sa tête parce qu'elle meurt de trouille et qu'elle ferme les yeux, alors que le poignet n'est pas une zone sensible. Elle repense aussi au brun en train de hurler parce qu'elle lui demande d'en faire autant, mais qu'il ne veut pas parce que ça fait trop mal. Ouais, de bons souvenirs.
Bien sûr que non, elle ne pourrait jamais considérer les deux jeunes gens comme ses parents. Ils étaient bien trop jeunes et rien que de manière biologiqe, elle n'avait même pas dix ans d'écart avec Shybaï. Bref, ça ne collait donc pas. Mais elle s'en foutait, parce que face à cet inconnu, il était hors de question de passer pour cette fille paumée qu'elle était souvent. Cette fille jamais modelée avec de vrais repères, cette fille qui s'était toujours sentie absolument mal aimée. Pas d'attention, pas d'amour ou d'affection. Des cadeaux. Ah, ça lui faisait une belle jambe ces cadeaux ! Elle s'en fichait.
Normale.
C'était bien un mot qu'elle n'avait jamais côtoyée. Jamais.
Elle trempe ses lèvres dans le café en vérifiant dans son sac que oui, elle a des chewing-gum et en boit une vraie gorgée. Il est bon. Pas aussi bon que son chocolat chaud ultra crémeux du matin, mais bon quand même.

-Souhaitez-vous une calligraphie particulière pour le T ?

Elle réfléchit un instant. Comme choisir une calligraphie ? Il fallait être précis, clair, net. Elle visualisa quelques secondes dans sa tête ce qu'elle voulait. Tout d'abord elle se demanda si elle voulait un truc entrelacé, pas très visible, avec des symboliques plus ou moins fortes. Mes ils n'étaient pas ça, avec le jeune homme. Torin était - est ? - ce gars simple, droit et protecteur. Elle pince ses lippes rosées et réfléchit encore quelques secondes. Puis lâche doucement.

- Je voudrai .. Une calligraphie très simple, épurée. La barre du t .. je la voudrai parfaitement droite, et légèrement effacée là où elle rencontre la barre horizontale. La barre du dessus, j'aimerai une courbe légère à la gauche.. Hum..

Elle attrape dans son sac un carnet de feuilles et trace grossièrement ce qu'elle veut ave un crayon de papier. . Satisfaite du résultat, elle tend le morceau de papier à l'homme pour qu'il puisse visualiser ce qu'elle voudrait.

- Je ne m'y connais pas encore des masses et.. qu'est-ce qu'on pourrait appliquer comme runes dessus ?

Parce que Shybaï a beau lui expliquer des tas de choses, pas tout ne rentre, et puis son apprentissage est bien loin d'être terminé. Très, très loin.



" Et puis parfois, je pense à toi. En bien, en mal, ça dépend. Je me lasse entraîner par une vague de nostalgie quand je repense aux bons moments, et de haine mais je me souviens de comment tu m'as laissé. Abandonnée. Blessée. Ouais, à vrai dire, ça ne dépend pas du tout. Je hais tout ce qui t'appartiens. "

Rhyan était cette fille plutôt jolie. Des pommettes hautes surmontée de yeux bleus immenses et sublimes, eux même encadrés de cils fins qu'elle noircissait. Elle était fine et si elle n'était pas très grande elle s'en fichait car elle portait des talons. Oui, elle était cette petite fille entourée de deux parents aisés. Et elle avait longtemps cru que c'était ça, le bonheur. Avoir tout ce qu'on pouvait avoir, et ne pas espérer plus. Mais elle se trompait. Une vie plate, lisse, n'est pas surmontée de ces pics qui nous font vivre, vivre vraiment. Pas seulement exister comme ces gens qu'elle croisait dans la rue.

Elle se pince un instant l'arrête du nez, se sentant dans une vague de souvenir, et les laisse repartir comme ils sont venus. Une vraie marée de nostalgie. Il lui fallait cette bouée pour se raccrocher à la réalité. Une bouée qui sache flotter mieux qu'elle.

-C’est très gentil à votre père de vous avoir accompagné jusqu’au bout. Certains laissent leur enfant y aller seul, quand il ne leur interdise pas tout simplement de se faire tatouer. Des parents compréhensifs, l’idéal…

Elle laisse un sourire divaguer sur son visage. Elle n'avait pas de parents. En avait-elle eut un jour ? Sûrement pas. L'adolescente s'humecte discrètement les lèvres avant de laisser sortir ces phrases qu'elle savait d'une ironie puissante, mais que personne d'autre ne pouvait comprendre.

- Oui. Depuis toujours, ils me poussent à prendre mes propres décisions.

Son sourire s'élargit tandis qu'elle rajoute.

- Déjà toute petite ils m'engageaient à faire comme bon me semblait, et quand je leur ais parlé du tatouage .. oh, après tout ce n'est qu'un début, achève-t-elle.

Une fois, un homme lui avait dit que les tatouages c'était comme une maladie. Rapidement, on veut tout porter sur notre peau, on veut que nos sentiments soient étalés là sur notre enveloppe charnelle. On ne s'arrête jamais parce qu'on veut revoir chaque souvenir à chaque fois qu'on baisse les yeux. On veut des mots bourrés de sens, on veut des dessins symboliques et des tâches qui nous ramènent à ce qu'on a vécu. On a tendance à embellir le passé.

Elle soupire légèrement en se disant qu'elle aimerait pouvoir croire à ses mensonges. En faire des réalités, et les laisser exploser dans son monde. La réalité est un endroit vraiment adorable, mais la jolie Rhyan ne voulait pas vivre là. Bien entendu, beaucoup se réfugient dans le passé, ou dans les souvenirs. Elle ne pouvait que se battre contre ça. Comme elle pouvait tout du moins. On ne peut rien face à la puissance douloureuse des souvenirs. Lorsqu'on nous frappe, on peut frapper en retour. Lorsqu'on nous insulte, on peut répliquer. Lorsqu'on se dispute, on peut claquer la porte. Mais lorsqu'on est assailli de souvenirs, que faire, à part encaisser? Que faire, sinon se rouler en boule et pleurer, le temps que ça passe?

Elle opine alors de la tête, face au dessin à la craie fait par le forgeron.

L'homme se mit alors à tracer. Il est habile, et elle ne peut qu'admirer la précision de ses gestes. Elle regarde donc l'homme courir sur la lame pour y dessiner son passé, son présent, son futur. Malgré tout, elle est un peu distraite. Bientôt les entraînements, bientôt.. bientôt un peu tout. Bientôt la fatigue, et puis toujours cette envie qui l'épuisait. « Il faut lutter pour ses rêves, mais il faut savoir également que quand certains chemins se révèlent impossibles, mieux vaut garder son énergie pour parcourir d'autres routes. » Rhyan ne savait rien du tout. Et luttait, luttait corps et âme. Bref, comme toujours, elle avait l'esprit ailleurs. Mais quand Tyr lui montra l'oeuvre, elle ne put qu'être subjuguée par ce qu'elle croyait être des courbes raides et laides. C'était de l'art, un art puissant qu'elle reconnaissait à présent. C'est magnifique, se dit-elle, mais n'ose rien dire de peur de le déconcentrer.

-Eh bien, il y en a beaucoup trop pour que je puisse tous vous les dire comme ça. Pour simplifier, on peut diviser les enchantements en deux catégories, d’abord les runes « actives », celles qui vont utiliser votre énergie pour fonctionner. Celles-ci ont généralement un effet… matériel, je ne sais pas si je m’exprime bien, ce sont les runes qui vont créer quelque chose, mais ne vous attendez pas à des effets démesurés, je vous rappelle qu’elle utilisera votre énergie, alors même si elle ne vous videra pas de vos forces, sa puissance dépend de la vôtre, et même quelqu'un de surpuissant ne verra pas sa lame d’enflammer par exemple. Ensuite, les runes « passives », qui ont pour caractéristique de modifier les propriétés d’un objet, le rendre incassable par exemple, mais cela fait partie du maximum possible, et c’est assez long et difficile à mettre en place. Je vous propose de me dire les enchantements que vous aimeriez avoir, je vous dirai s’ils sont possible, et sinon une alternative possible.

- D'accord. Je voudrai une rune qui soit apaisante, un truc qui fasse que je me sente bien, courageuse quand j'ai cette lame entre les mains. Qu'elle me vide la tête de tous ces trucs malsains pour y laisser une sérénité parfaite. Voilà et hum.. peut on.. Ca va vous paraître bizarre mais est-ce qu'on peut faire remonter un souvenir grâce à une lame ? Sinon, pour les runes passive, il faudrait qu'elle soit incassable et inaltérable. Je ne veux pas qu'elle soit plus légère par contre. .. Voilà. Merci beaucoup, achève-t-elle en souriant, consciente de ses demandes chiantes longues et excentriques.

Elle boit deux bonnes gorgées du café avant de regarder l'heure. Oh. Le temps défile bien vite. Plus que vingt minutes avant qu'elle ne doive rallier son établissement, et l'envie n'était pas extrêmement présente.

- .. Vous avez des enfants ?

Bim badaboum.

L'adolescente opine finalement face à ce que lui répond l'homme, avant de répondre que ça lui va. Après tout, si le reste n'est pas possible alors que pourrait-elle dire ? Taper un scandale alors qu'elle n'y connaît pas grand chose ? Sûrement pas. Et puis ses souvenirs resteraient bien au chaud dans sa tête. Dans son coeur. Marqués, gravés sous sa peau.

-J’ai eus une fille, une très jolie fille qui ressemblait à sa mère, et elle était ma vie. A l’époque, j’étais persuadé que ce qu’il fallait à ma fille, c’était des ressources, afin qu’elle fasse ce qu’il lui plaît de sa vie, et qu’elle soit un maximum heureuse, alors du coup, je la délaissais, me disant que je rattraperai le temps perdu plus tard. Mais au final, ma femme a été tué, et j’ai faits en sorte que ma fille ne reste pas à mes côtés, afin qu’elle ne subisse pas le même sort que sa mère… Voilà, j’aimais ma fille plus que tout, et pourtant je pourrais compter sur les doigts d’une main le nombre de fois où je l’ais prise dans mes bras…

Elle ferme les yeux. Elle sait pertinemment que du vent à du se mette à souffler dehors. Tellement liée à son don qu'elle sait qu'en cédant au ravage que laisse un discours de la sorte, elle provoquerait un orage puissant, un début d'inondation avant de tomber dans le coma, ou quelque chose de ce goût là. Alors elle vide ses pensées. Elle a l'impression de mettre chaque découverte, chaque relent de son humanité de côté. De pendre, de poser. De prendre, de casser.
Laissez la respirer.
Elle déglutit et ses pensées se battent un long moment. Il ne lui a suffit que de fermer ses yeux pendant quelques secondes pour se rappeler de cette voix. Oui, cette voix à laquelle elle s'était raccrochée avec un désespoir constant quand elle était encore petite. Jeune. Innocente et naïve. Elle laisse le mensonge jurer sur son visage en souriant. Un sourire clair, et même s'il reste tout mince, elle ouvre les yeux avant de lâcher, glaciale.

- Oh, Eden. Alors comme ça, Anna a finit par crever ?

La jeune blonde se mord avec tellement de force sa langue qu'elle finit par sentir un filet âcre couler dans sa bouche. Un goût de fer tout autant que d'amertume. Elle ne savait même pas ce qu'elle ressentait. Tout se mélangeait dans son coeur et elle n'arrivait plus rien à dicerner. Etais-ce là de la peine ? De la tristesse ? Une vieille rancoeur ? Et là.. étais-ce vraiment du soulagement ? Une vengeance quelque part ? Mince alors. Très mince. Ouais, ce désespoir se mit à la ronger avec toute la colère qui menaçait depuis toujours d'exploser. Mais elle contient tout ça, cette violence, cette tristesse. Tout ça.
Tout ce manque.
Jamais comblé. Toujours creusé.
La haine qu'elle ressent coule seulement dans ses veines. Elle reste souriante, aimable, et garde ce masque de réjouissance. Elle ne pense tellement pas ce qu'elle a dit qu'elle pourrait exploser de rire là, comme ça. Parce que c'est absurde et que Anna reste sa mère et que putain, encore un mort sur la route ! Encore quelqu'un qui la laisse stupidement, et dramatiquement. Tellement dramatiquement qu'elle ne veut pas savoir pourquoi. Plus de mère.
Plus rien.
Alors elle se contente de tirer la seule flèche capable de blesser son père. Pour pouvoir être sûre de le blesser autant que lui l'a fait.

Je ne me suis jamais demandé à quoi ressemblerai nos retrouvailles entre ma fille et moi, si retrouvailles il y a. Me sauterait-elle dans les bras ? Pendant une période, je l’avais espéré, avant de me rappeler qu’elle me détestait… Cependant, les années ont passées, peut-être aurait-elle changée.., mais ce ne fut pas le cas, ce fut pire que ce que j’avais imaginé…

- Oh, Eden. Alors comme ça, Anna a fini par crever ?

Ma main se contracta si fort sur mon marteau que je crus que le manche allait se briser, mais je devais rester calme ! Bon, Rhyan a découvert que j’étais son père, en même temps je n’avais pas faits grand-chose pour le dissimuler finalement, peut-être était-ce ce que je voulais au fond de moi… Oui mais voilà, je me suis préparé à deux réactions de sa part, la joie ou la colère, mais envers moi, et la voir parler ainsi de sa mère me fit l’effet d’un coup de poignard dans le cœur en plus de me déstabiliser…

-Je…

Non ! Je ne dois pas être hésitant, elle a trouvé, elle a le droit à la vérité, et moi, je dois garder ma décence et ma droiture, son père est fort, putain… Alors je posai mes outils, plongeai une fois de plus mon regard dans le sien, dans celui de sa mère par la même occasion, et lui accorda même un léger sourire de lassitude, mais aucune joie…

-Eden ? Voilà bien longtemps que l’on ne m’avait pas nommé ainsi… Ça n’a jamais été mon prénom, ainsi que Trees n’a jamais été mon nom. Mon vrai prénom, c’est Týr, Eden appartient au passé. Et oui, ta mère est morte, elle a été tué par les sorciers noirs, sous mes yeux, dans notre maison, tu sais, les sorciers noirs, ceux qui t’ont enlevé ! Ils m’ont fait croire que tu étais morte, avant de l’assassiner.

Mon ton avait un peu haussé vers la fin, je n’étais pourtant pas énervé, mais ressasser ces douloureuses choses du passé était une épreuve incroyablement déséquilibrante.

-Tu as grandi, Rhyan, tu ressembles à ta mère.

C’est vrai que je me revoyais enfant, jouer avec cette fille, Anna Lyvie James, dans la cours de l’orphelinat… Les souvenirs m’assaillent, plutôt des souvenirs horribles, mais aussi cette période avant, celle où nous étions à l’abri, insouciants… Cette vague de nostalgie me perturba au début, je pensais tous ces souvenirs enfouis à jamais, masqué par la mort et le désespoir qui a forgé ma vie, comme je forge l’acier aujourd’hui… Cependant, je finis par me plonger tout entier dans ces souvenirs heureux, et alors, je pu sourire, pour de vrai cette fois-ci, j’avais retrouvé ma fille, enfin parti comme ça l’est, je ne risque pas de la garder longtemps, mais qu’importe, je me sens de nouveau père aujourd’hui, et cette sensation m’avait vraiment manqué tout au long de ma vie… « Excuses-moi Rhyan, tu n’imagines même pas à quel point j’aimerais tout recommencer avec toi, pouvoir ramener ta mère, et que rien de tout ceci ne se produise, que l’on puisse vivre heureux, comme une famille normale, loin de la guerre et de la mort… » Je le pensais tellement fort, j’aurais tant voulus lui dire, mais mes mots ne passèrent pas mes lèvres, il est encore trop tôt, je ne pouvais en dire que trois.

-Excuses moi Rhyan…

Hors rp:

" I don't care. My past sucks, and you're inside. "

Etre adolescent, c'est un mélange de tout. Les émotions vous arrivent en pleine gueule, de manière tellement douloureuse parfois, et tellement prenant que ça vous laisse là, sur le bord de la route. Fatigué de pas comprendre votre état. Rhyan ne comprenait pas. Pourquoi est-ce qu'elle ne s'effondrait pas ? D'un geste simple, elle pourrait se laisser sur le sol. Parce qu'elle avait beau dire qu'elle n'avait pas d'autre famille que Shy et Taki et les jumeaux, c'était faux. Il lui restait cette infime partie dans le coeur réservée à ses vrais parents.
Mais ça n'avait plus de raison d'être n'est-ce pas ? Son père était tout près d'elle tout ce temps mais n'avait pas daigné la voir, c'était ça ? Et sa mère était morte, morte, partie ! Loin. Tous ses espoirs s'effondraient dans un fracas qui lui hurlait dessus. Elle en rêvait toujours, de ces retrouvailles. Sa mère aurait longtemps pleuré, et Rhyan aussi. Elle aurait trouvé la plus belle excuse du monde, et la jeune blonde aurait pardonné parce qu'au fond, elle l'aimerait toujours.
Mais non.
Plus de rêves possibles.

Et pourtant, la jeune femme se tenait là, sans broncher, des atrocités sortant de sa bouche pincée. Elle ne savait pas pourquoi elle faisait ça. Ou plutôt si. Eden - Tyr ? - la blessait. Elle faisait tout pour lui envoyer en retour ces piques qui lui meurtrissaient le coeur. Oh, et puis tant qu'à faire, il était celui qui l'avait laissé pourrir dans sa prison d'horreur, et elle rêvait tellement se venger. Se, venger. De manière absurde ou pas, elle n'en avait plus rien à faire. Son coeur restait droit tandis que son âme chutait.
Jusqu'à toucher le fond.

-Je…

Elle sent ses lèvres s'étirer. Alors, ça fait mal hein ? Est-ce que tu sens ton coeur se déchirer alors que ta fille te montre l'étendu de son mal être, de sa haine, et de son horreur ?

-Eden ? Voilà bien longtemps que l’on ne m’avait pas nommé ainsi… Ça n’a jamais été mon prénom, ainsi que Trees n’a jamais été mon nom. Mon vrai prénom, c’est Týr, Eden appartient au passé. Et oui, ta mère est morte, elle a été tué par les sorciers noirs, sous mes yeux, dans notre maison, tu sais, les sorciers noirs, ceux qui t’ont enlevé ! Ils m’ont fait croire que tu étais morte, avant de l’assassiner.

Elle se mord la lèvre. Sincèrement ? Voilà, voilà ! Elle a envie de hurler toute sa peine. Un père, comment un père peut croire une telle chose sans l'avoir vu de ses propres yeux ? Comment un père peut laisser tomber après qu'on lui ait dit ? Non, sincèrement ? Et comment a-t-il pu croire cela alors que les cassettes continuaient de lui être envoyer ? Tyr ? Il lui a menti ?
Elle souffle, doucement.
Touchée. Jamais coulée.

-Tu as grandi, Rhyan, tu ressembles à ta mère.

Elle déglutit et secoue la tête. Un rire nerveux manque de lui échapper des lèvres mais elle l'avale. Hors de question de pleurer, de rire ou de hurler. Laisser tout dedans. L'enfermer.
Le laisser éclater ?
Pousser la boîte cadenassée. La pousser loin, dans un coin.
Hurler ? Pleurer ?
Prendre une couverture et la poser dessus.
Rire ? Se laisser mourir ?
Couvrir la couverture de tous ces moments. De Torin. De Shy. De Taki. D'Hana et Jace, et du chat, du cactus.
Sourire.

-Excuses moi Rhyan…

Elle souffle doucement pour ne pas hurler, s'insurger, le tuer, ou tout casser autour d'elle. Elle sent sa magie d'agiter et elle devine le temps gris qui doit couvrir le ciel. Un coup d'oeil à sa montre et elle sait qu'il lui reste encore cinq bonne minute avant qu'elle doive rallier son bahut mais elle s'en fou. Définitivement. De tout.
Absolument tout.

- T.. Tu crois que tes excuses me font quoi, Eden ?

Elle insiste bien sur le prénom.

- J'm'en fou. Mon passé craint, et t'en fais parti. C'est pas important. C'est plus important, ce qui se passe avant, et un " excuse moi " ne suffit pas, ne suffira jamais. J'ai envie d'être odieuse avec toi, mais tu l'mérites pas. Tu mérites rien de ma part. Comme visiblement, j'ai jamais rien mérité de la tienne. Alors si tu veux bien, j'vais m'éloigner le plus loin possible de ce .. truc qui te sert de magasin. Tu feras passer la lame à mon père, je lui demanderai de passer.

Elle tourne les talons en attrapant son sac à la volée. Ses membres tremblent, ses mains tressautent et elle a beau serrer les poings. Elle tourne à l'opposé de son lycée, et marche rapidement jusqu'à une dalle. Elle sait qu'en dessous, il y a une vieille cave scellée qu'elle a aménagé il y a peu avec un canapé, un lit, un tapis et une lampe à huile. Elle laisse son don la faire passer à travers et elle s'écrase au sol. Ses paumes saignent mais elle s'en fou. Ses mains viennent se poser contre son visage inondé tandis que des sanglots lui arrachent la gorge. Ca fait trop mal. C'est humain seulement d'avoir si mal ?
Ses ongles se plantent dans sa chair tellement fort que des perles écarlates perlent à leurs coins. Sa respiration se fait sifflante, rauque et douloureuse.

Voilà.

Maintenant.

Il ne lui restait qu'à survivre.

Je m'appelle Rhyan. J'ai dix-huit ans. J'vis chez les gens les plus adorables que j'ai jamais connu. Et.. et ma mère et morte, mais.. ça n'a plus d'importance.
Plus d'importance.