Enfin ! Je l'ai trouvée.
Ça fait un mois que je reste cloîtré dans ma cabine, laissant le commandement du Harpia Roja à Josepe. Un mois à rester assis en tailleur pendant tout la journée, jusqu'à avoir aussi mal au cul que si un éléphant...
Bref.
Il y a un mois, mon don m'a révélé une information des plus intéressantes. C'était à un moment où je passais beaucoup de temps avec Hans auprès de Rosenrot, lorsque notre organisation tentait encore de se rapprocher de Croix, après l'infiltration de Mike au Mystery Orphanage.
Anja m'avait envoyé pour une mission conjointe qui consistait à aller assassiner un exorciste qui nous faisait pas mal chier à ce moment là. Ayant appris qu'il était parti chasser les Poltergeist dans l'Atlas, je me suis envolé pour le Maroc avec une très jolie fille de Croix.
On s'est installés au milieu de la forêt pour l'attendre, dans une petite cabane. Une très très petite cabane en bois, avec un seul lit... mais ça ne nous a pas trop gênés, et puis on avait pas mal de temps pour nous.
C'est très dommage qu'elle soit morte... on aurait pu démarrer une magnifique histoire d'amour et Anja aurait été heureuse de cette liaison avec Croix. Mais cet enfoiré d'Exorciste était bien entraîné, et je dois avouer qu'on s'en est pris plein la gueule.
Mais bon c'est pas grave hein. Le plus important, c'est qu'en utilisant mon don dans l'intimité de notre couche, j'ai pu apprendre des tas d'informations sur elle, et plus généralement sur Croix. Et c'est là que j'ai appris Son existence.
Une femme, ou plutôt une entité maléfique, prisonnière dans le corps d'un jeune homme, lui-même enfermé dans le manoir des Cross. Un pouvoir si puissant avait mieux à faire que de moisir dans un vieux cachot ! Je ne peux laisser passer un gâchis pareil.
Malheureusement, la fille est morte avant que j'ai pu apprendre l'emplacement du manoir. Il faut dire que... c'est un secret extrêmement bien gardé. Il m'a fallu presque deux semaines pour découvrir où il se trouvait. Deux semaines de concentration intense sur ma magie. Car mon don de connaissance se fait de plus en plus précis lorsque je m'approche de la vérité. Et pour cela, il faut que je sois géographiquement proche de l'information, ou d'une personne qui la connaît.
Peu de gens savent où se trouvent le manoir des Cross, et ceux qui le savent gardent leur secret profondément enfoui dans leur esprit. D'où la difficulté. Il a fallu que je fasse appel à mes corps secondaires. Pendant que j'utilisais mon don avec Hans, dont la position parmi les sorciers noirs l'amenait parfois à côtoyer des Cross, j'ai fait revenir Ali de Russie pour capturer un membre de Croix. Le réseau de mercenaires, mafieux et terroristes que j'ai tissé autour de lui a rapidement eu raison du pauvre sorcier noir.
J'ai particulièrement aimé l'interroger, celui-là. Enfin... je ne lui ai pas posé directement la question hein ! Imaginez qu'il se soit enfui ! Il aurait pu tout répéter à Croix ! Non, il s'agissait juste de le blesser par ci par là, de l'affamer... tout plein de méthodes pour lui affaiblir l'esprit ! Grâce à cette technique, je peux tout apprendre de quelqu'un... même des choses qu'il ne sait pas lui-même.
N'étant pas un Cross lui-même, il en connaissait néanmoins plusieurs... je sentais que je m'approchais peu à peu de la vérité....
Et la certitude m'est venue comme ça, un matin. Le manoir des Cross se trouvait non loin de Sarzeau, un petit village de Bretagne qui accueillait également le QG de Croix. Hans avait déjà été envoyé au Dark Descent porter un message, mais j'étais bien loin de penser que les Cross étaient stupides au point de cacher leur manoir secret à seulement une demi-heure de leur quartier général... je les ai peut-être surestimés finalement.
Je connaissais donc l'endroit où se trouvait Djibrïl Halliwell. Ce n'était pas énorme, mais bon... quand on en sait trop, ça ne laisse plus aucune place pour l'improvisation. Et puis... les précisions viendraient toutes seules à moi à mesure que je m'approcherais de mon but. En revanche, il fallait que j'en sache plus sur cette fameuse Kara. Car je me doutais qu'une telle noirceur pouvait être dangereuse pour moi...
J'ai amené le Harpia Roja près des côtes bretonnes. La proximité géographique aiderait un peu. Et j'ai continué de me concentrer. Et de manger, pour combler l'énorme gouffre énergétique généré par la magie. Je vous jure, en deux semaines j'ai du bouffer à peu près autant que tout l'équipage réuni pendant un an ! Heureusement qu'on s'était ravitaillés chez les grecs avant de partir...
J'aime la tapenade et la mozzarella.
Je n'ai pas tardé à comprendre que Kara était dépendante des émotions de Djibrïl, mais aussi de son corps. Elle peut faire du mal à mon esprit, mais seulement si Djibril est en colère contre moi. Et dans ce cas-là, il suffisait que je trouve un moyen de le calmer, ou de l'éloigner de moi.
Par ailleurs, mon propre esprit est divisé entre mes différents corps. Kara ne pourrait donc pas l'atteindre dans sa totalité. Et tant qu'il reste une partie saine en moi, elle pourra toujours régénérer celle avait été atteinte par sa noirceur.
Je compte également sur mon don pour m'avertir du danger, comme c'est le cas avec le reste de l'équipage. C'est pour ça qu'aucune mutinerie n'a jamais abouti : j'ai toujours été prévenu avant qu'elle démarre. Et là, il suffit de sortir le rhum pour qu'elle soit aussitôt oubliée.
C'est donc en pensant que je pourrai contrôler Kara que je marche tranquillement vers le grand manoir qui s'élève loin à l'écart de Sarzeau. J'ai choisi la nouvelle lune pour bénéficier d'une obscurité presque totale. Je m'attends à des pièges, évidemment, mais bon, je verrai sur le moment. Et puis j'ai posté Loreleï à l'extérieur, avec un sac bourré de dynamite. En cas de pépin je ferai joliment exploser le portail pour faciliter ma sortie...
J'arrive au niveau de la grille, mais quelque chose me dit de ne pas la toucher. Elle doit être protégée par je ne sais quel rune bizarre, et personnellement, à l'heure actuelle j'ai plus envie de manger un bon méchoui que de devenir méchoui moi-même.
Je grimpe donc à un arbre, et avance en équilibre sur une branche qui passe au-dessus des piques. Ça me rappelle un peu les séances d’acrobaties sur le Harpia Roja... Puis je saute silencieusement de l'autre côté. Trop facile.
Merde. J'ai peut-être parlé un peu trop vite.
Des dizaines de personnes envahissent le jardin. Les esclaves des Cross s'éparpillent dans tout l'espace, balayant le terrain de leurs torches. J'ai pas eu le temps de faire un geste qu'une grosse lumière m'arrive pile dans la gueule.
Dommage.
Foutue magie ! Aucun humain normal ne m'aurait trouvé aussi vite !
Les deux bouffons qui m'ont débusqué me sautent dessus sans attendre les autres. Eh bien tant pis pour eux.
Je sors mon épluche-légume.
Le premier esclave se prend mon arme en plein dans l’œil. Je tourne un peu pour agrandir le trou avant de la retirer. Il sera bientôt vidé de son sang.
Le deuxième braque un flingue sur moi. Je me laisse tomber et roule dans sa direction pile au moment où il tire. Je lui attrape sa jambe et le fais basculer sur le sol avant de lui planter mon économe dans la main qui tient le pistolet. Mais je me prends aussitôt son autre jambe en plein dans la tempe.
Je vois plein d'étoiles tout à coup, c'est assez sympa. Par contre ce qui l'est moins c'est que mon ennemi a eu le temps de dégainer un poignard. Je me jette en arrière pour l'éviter, mais il arrive quand même à m'entailler la cuisse.
Aïe.
Bon, il est temps d'en finir.
Nouvelle roulade. Je me jette sur sa main pour récupérer mon économe, et le flingue par la même occasion. Je me relève, je tire. C'est pas super classe, mais bon j'ai pas le temps là. Les autres esclaves rappliquent déjà.
Ils sont nombreux.
Un autre groupe arrive par derrière.
Très nombreux.
Je regarde à droite, à gauche. J'hésite un moment. Puis je pars en courant sans demander mon reste. J'ai jamais compris les gens qui refusent de fuir. Toutes ces histoires de courage, d'honneur. Quand t'es mort, t'en a plus rien à foutre.
Je cours comme un dératé. J'ai mal à la jambe. En fait j'avoue, je douille ma mère. Mais je continue de courir, de toute façon il y a pas grand chose d'autre à faire. Heureusement j'ai une bonne vitesse. Mais il doit bien y avoir un de ces crétins qui court plus vite que moi... Il faut que je me grouille de trouver une solution.
Je fais appel à mon don. Plein d'informations sur les lieux me parviennent en même temps. Beaucoup trop d'informations.
L'herbe a été tondue la semaine dernière.
Un écureuil a caché des noisettes sous le chêne, là-bas.
Il y a une rune dangereuse cachée à dix mètres devant moi.
Un mec bourré a vomi dans les marguerites.
Il y a exactement vingt trois techniques officielles pour gober un flamby.
Il y a un puits à quinze mètres sur ma droite avec un passage qui mène sous le manoir.
Il y a deux-cents trois ans, le grand père de Dorian s'est tapé la cuisinière derrière le saule pleureur.
Un des esclaves derrière moi a un grain de beauté sur...
Attendez. Je crois que j'ai quelque chose là. Je tourne à droite vers le puits qui s'élève au milieu de la pelouse. Ça y est, je tiens ma porte de sortie. Ou d'entrée.
Est-ce que c'est une connerie ? L'avantage quand on improvise comme ça c'est qu'on a jamais le temps de répondre à cette question. Je me tape un dernier sprint héroïque et plonge la tête la première dans le trou obscur.
Il doit bien se passer cinq secondes avant que je heurte la surface de l'eau. BIM !
Je me retourne et bats des jambes pour remonter respirer. Je ne vois absolument rien. Par contre, je sens l'odeur immonde de putréfaction qui se dégage de l'eau. Ça ne me dit vraiment rien de bon.
Les parois du puits ont disparu...
« TAGADA TSOIN TSOIN. »
« TSOIN... »
« TSOIN... »
Bon, bah je suis dans un grand truc en tous cas. Une sorte de nappe phréatique je suppose. Bref. Il faut que je bouge.
Heureusement, j'ai pas perdu tout mon sens de l'orientation. Comme j'ai rien de mieux à faire, je nage dans la direction du manoir. En évitant de trop respirer par le nez.
Je ne tarde pas à avoir pieds. Le sol s'élève devant moi, jusqu'à ce que je sorte totalement de l'eau. Je fais quelques pas... et je shoote dans quelque chose. L'espèce de craquement me fait frissonner. Je me baisse en tâtonnant le sol autour de moi...
Dégueulasse. Il doit être ici depuis un bon moment ce cadavre-là. J'aime de moins en moins ça. Il faut que j'interroge mon don.
" En 1872, la quatrième pandémie de choléra arrive en Bretagne française. Si la tragédie a épargné la famille Cross grâce aux compétences magiques de leurs médecins, elle n'a en revanche pas lésiné sur les esclaves, qui ont été frappés de plein fouet par la maladie. Ne voulant pas s'embêter avec ça, les Cross se sont contentés de jeter les corps dans le lac souterrain qui s'étendait sous le domaine. Ils n'avaient cependant pas pensé que le puits dans le jardin plongeait justement dans ce lac.
C'est ainsi que les Cross perdirent tous leurs esclaves en moins d'une semaine. Mais ils ne tardèrent pas à en trouver d'autres... "Choléra. Merde.
J'ai pas peur, non. Je suis probablement trop fou pour ça. Pour l'instant je me demande surtout si la maladie a pu survivre ici aussi longtemps...
Eh bien ! Je ne vais sûrement pas attendre là pour savoir. Il faut que je me grouille de rentrer sur le Harpia Roja pour me faire examiner. Surtout que ma blessure à la jambe va très vite s'infecter... ça risque d'être chaud.
Bon, mais si les gens jetaient leurs corps ici, c'est qu'il doit y avoir une sortie. J'avance à tâtons dans le noir, jusqu'à toucher la paroi de la grotte. Je la longe vers la droite. Je sens bientôt sous mes doigts qu'elle se transforme en un mur de pierre alignées. Bon signe ça.
Je ne tarde pas à arriver à un vieil escalier en bois. Je monte les marches en boîtant, jusqu'à une vieille porte pourrie. J'ai l'impression d'être retourné sur le Harpia Roja...
Tout à coup j'ai un mauvais pressentiment. Qu'est-ce qu'il va se passer si je pousse cette porte ?
En fait, j'en sais rien et je m'en fous. Je sais juste qu'il va se passer quelque chose, mais j'ai pas le temps de chercher plus loin. Je passe en mode "homme préhistorique". Je vais ramasser le cadavre qui traîne au bord de l'eau. Je le balance sur la porte et me couche tout de suite au sol.
J'ai bien fait, car le cadavre passe en volant au-dessus de ma tête, accompagné d'un bruit sourd, d'une vive lumière et d'un courant d'air brûlant. C'est ce qu'on appelle une explosion je crois...
Eh bien... ils font pas dans la dentelle chez les Cross.
Je me relève en vitesse et passe à travers l'ouverture.... pour la traverser aussitôt dans l'autre sens. Il y a trois gardes armés de pistolets qui courent vers moi en tirant à l'aveuglette.
Je m'autorise un petit soupir de soulagement avant de reprendre le travail.
Je me cache sous l'escalier pile au moment où les trois zigotos passent par l'ouverture. Venant d'une pièce éclairée, ils ne doivent absolument rien voir dans cette obscurité. Mais comme c'est un peu des gros buffles ils réfléchissent pas et descendent quand même. Avantage.
Dès qu'ils sont arrivés en bas je sors de ma cachette et me jette à leurs pieds. Ils m'ont pas vu venir et trébuchent tous contre mon corps pour venir s'écraser dans l'eau dégueulasse juste devant eux.
J'attends pas qu'ils se relèvent. J'en plante un vite fait avec mon épluche-légume et pars en clopinant du mieux que je peux dans l'escalier. Arrivé en haut, je me retourne. Il doit bien y avoir un moyen de le virer ce truc .
Cette fois j'attrape un couteau plus grand qui pendouille à ma ceinture et m'attaque à la fixation de l'escalier en bois. En bas, j'entends mes adversaires grogner en se relevant. Il faudrait que j'accélère un peu... Je donne quelques coups de pieds de ma jambe valide. Les planches pourries craquent... et l'escalier s'effondre. Parfait. Ils vont avoir du mal à remonter.
Par contre moi je me sens de plus en plus faible. Le sang qui s'écoule de ma blessure n'arrive pas à coaguler. Je déchire une bande de tissus dans ma chemise et la serre très fort autour de ma cuisse. Ça devrait au moins ralentir un peu l'hémorragie.
Je me retourne en grimaçant. Je suis tout au bout d'un couloir faiblement éclairé par de vieilles ampoules électriques. Des grilles s'alignent à intervalles réguliers le long des murs...
Enfin une bonne nouvelle !
Il est là, j'en suis certain.
J'avance comme dans un rêve, me laissant guider par mon don. Je sais où il se trouve.
Derrière moi, j'entends les gardiens qui commencent à s'énerver. Tant mieux.
Je me sens étonnamment absent...
Je m'accroupis devant la grille et agrippe les barreaux. Le jeune homme est assis sur sa couchette et me regarde. Aucune trace de la fille.
« Djibril Halliwell ? Es-tu intéressé par un poste sur mon navire ? »
Direct. Ouais. Il va pas falloir s'attarder ici de toute façon. Et je commence à avoir sérieusement mal à la jambe.
« Je peux ouvrir ta cellule, mais il va falloir que tu m'aides à sortir d'ici. J'ai eu quelques... complications. »
J'ai la tête qui tourne.
Il faut que je tienne bonJe transpire.
Je tremble.