Un joyeux bordel, voilà ce que c’était. Le Mystery Orphanage était dévoré par le feu, et déjà ce carnassier rongeait Little Angleton. Dans les rues habituellement paisibles résonnaient à présent des cris et pleurs étouffés par le crépitement incessant des flammes. Certaines personnes tentaient vainement de les contenir tandis que d’autres n’aspiraient qu’à sauver leur peau ou celle des autres. Mais ces héros étaient rapidement maîtrisés, écrasés comme de simples insectes.

Un mouvement à gauche. Louyse s’immobilisa et laissa son regard vagabonder dans la ruelle mal éclairée. Une ombre semblait la fixer avec un peu trop d’insistance. La sorcière fronça les sourcils et jeta un bref coup d’œil à son arme avant de s’avancer vers l’homme qui se tenait là. Sorcier, mêlé, humain, qu’importe, s’il tentait quoi que ce soit, elle prendrait un malin plaisir à le réduire en miettes. S’il ne bronchait pas en revanche, elle se cantonnerait peut-être à un simple coup dans l’estomac -par mesure de sécurité. Mais bien évidemment, la dernière option ne fut pas choisie. La silhouette eut un petit mouvement et Louyse échappa de justesse à la couche glissante qu’on avait créée pour la déstabiliser. En voilà un qui avait envie de mettre fin à ses souffrances.
Ce petit piège de débutant avait tout de même eu le don de la ralentir. Dire qu’elle aurait pu être abusée par un tour si peu sophistiqué. Louyse reposa ses yeux marron sur l’homme qui avait osé faire cela. Elle le trouva accroché à une façade le long de laquelle il s’était mis à grimper. Une petite araignée ? Bien, la jeune femme n’était pas arachnophobe. Bien au contraire, elle était plus habituée à écraser ces bestioles qu’à les fuir.

En un éclair, Louyse entra dans la maison abandonnée sous le coup de la panique occasionnée par l’arrivée des Sorciers Noirs dans le village. Le vide d’humanité en ces lieux était pesant. S’ajoutait à cela les effluves lourdes de souffre et de brûlé provenant de l’extérieur. Dieu qu’elle haïssait cette odeur ! Les escaliers, gravis à une vitesse impressionnante, la menèrent à l’étage supérieur. Il lui fallait trouver au plus vite un moyen de rejoindre le toit, elle ne pouvait se permettre de laisser s’échapper cet homme qui l’avait provoqué. M’enfin … elle avait pris l’initiative de se diriger vers lui, certes, mais à aucun moment elle n’avait fait preuve d’animosité avant qu’il ne joue à dame Nature en créant une couche de glace dans le but de la faire chuter. La véloce fit irruption dans ce qui semblait être une chambre d’enfant aménagée sous la charpente. Une petite lucarne lui permettrait de se rendre immédiatement sur les tuiles, parfait.
La sorcière se hissa à l’extérieur. Mieux valait éviter de dégringoler, le choc d’un corps tombant de cette hauteur contre le sol ne pouvant être qu’extrêmement douloureux. Aussi la jeune femme prit-elle grand soin de trouver un équilibre parfait avant de reporter son attention vers le congélateur vivant dont elle comptait refroidir les ardeurs et de s’avancer à nouveau vers lui.

Un projectile gelé frappa sa joue et lui entailla la peau. Louyse s’arrêta net et passa un doigt sur la coupure avant de lancer un regard noir à son adversaire. Ah, il voulait jouer ? Il allait trouver une rivale digne de ce nom. La jeune femme parcourut la distance qui les séparait en quelques fractions de seconde et lui assena un coup de poing dont il risquait de se souvenir quelques temps. Une violente décharge de douleur partie de ses phalanges et remonta le long de son bras. Elle secoua sa main endolorie et serra le poing. La première frappe était toujours la plus douloureuse, mais son corps s’habituerait bien vite à donner des coups. Et peut-être à en prendre.

L’homme se releva et reprit difficilement sa respiration. Il avait l’air de souffrir. Tant mieux, Louyse ne comptait pas s’arrêter en si bon chemin. Elle allait lui remettre les idées en place et lui rappeler qu’on ne s’attaquait pas à un sorcier noir sans en pâtir, quitte à y passer la nuit. La jeune femme fit un pas en avant lorsqu’une substance visqueuse et solide lui brouilla soudainement la vue. Une sensation étrange lui parcouru la colonne vertébrale. Instinctivement, la véloce s’éloigna de plusieurs pas et entreprit de retirer les morceaux de toiles qui lui collaient à la peau. Cette tâche s’avéra plus longue que prévue, il fallait bien avouer que ces saletés étaient résistantes. Louyse parvint enfin à se débarrasser des derniers fils écœurants qui l’aveuglaient et chercha immédiatement la petite araignée du regard. Elle la retrouva sur un toit voisin qui s’agitait ridiculement à la manière d’un pantin.

- Au fait, je m'appelle Logan si ça t'intéresse !

Non, son nom ne l’intéressait pas. Après tout, il n’était qu’un visage parmi tant d’autres, elle n’éprouvait par conséquent aucun intérêt à poser une dénomination dessus.

- Et je suis un mêlé !

Cette information en revanche était bien plus utile. Si Logan était un mêlé, elle n’aurait pas besoin de retenir ses coups et pourrait donc sans problème se débarrasser du résidu qu’il était. Il devait tout de même être sacrément inconscient pour lancer cela à un sorcier noir. A moins qu’il n’ait des tendances suicidaires ? Ou peut-être était-ce une preuve de courage … Mouais. En un battement de cil, la véloce se retrouva sur le toit qui précédait celui de Mr. Freeze.
Merde.

Encore un fichu piège, cette enflure avait bien profité de la désorientation dont elle avait fait les frais. Mais cette fois-ci, Louyse ne l’avait pas vu venir. Elle réalisa son erreur à l’instant même où son pied entra en contact avec la surface gelée. La jeune femme dévala la pente de la toiture. Elle stoppa sa dégringolade de justesse.
Si on lui avait dit un jour qu’elle se retrouverait suspendue à une gouttière, perchée à plusieurs mètres du sol avec la possibilité de s’écraser et de se rompre le coup, la jeune femme aurait pris la peine de s’entrainer. Comment avait-elle pu se faire berner aussi facilement ? Un juron s’échappa de ses lèvres. Des fourmillements commençaient à parcourir ses muscles. Alors quoi, ses bras s’ankylosaient déjà ? Merde. La sorcière essaya de trouver une solution pour se sortir de cette situation délicate et trop stéréotypée à son goût. Avec un peu de chance elle trouverait un moyen de remonter sur le toit avant que Logan ne vienne la faire chuter. Un renfoncement dans le mur, un balcon, une prise dans les briques qui lui permettrait de se stabiliser, n’importe quoi. S’il y avait un grand Horloger, il était temps qu’il se manifeste. Louyse expira profondément et tenta de se hisser sur les tuiles une première fois, une autre, sans succès. Le troisième essai fut concluant, la jeune femme était de retour sur le toit.
Louyse se redressa prudemment, sa cuisse la tirait. Elle avait dû s’ouvrir en glissant. Tant pis, elle s’occuperait de cela plus tard, pour le moment la sorcière avait un mêlé à exterminer. La jeune femme saisit son arme. Le cran de sûreté sauta, la balle parti et alla siffler comme prévu non loin de l’oreille gauche de Logan.

- Moi aussi je sais jouer à distance, connard.

Louyse baissa son pistolet, fixant toujours son opposant avec dédain, attendant une réaction de sa part. Réaction qui ne tarda pas.

- C'est de la triche, je n'ai pas d'armes moi !

- De la triche ? Tout de suite les grands mots …

Non, elle ne trichait pas, elle ne faisait qu’équilibrer la balance. Il avait la possibilité de la blesser à l’aide de projectiles givrés et tranchants. En retour, et à défaut d’avoir un pouvoir offensif, elle pouvait bien se permettre de lui loger une balle ou deux dans la boîte crânienne. Equilibrage, ni plus ni moins. Ils étaient donc à armes égales.

Logan ne semblait pas décidé à bouger. La sorcière avait l’impression d’avoir en face d’elle une personne passive. Il avait été le premier à avancer un pion, mais depuis il ne faisait que s’éloigner un peu plus, essayant tant bien que mal de la distancer. Il voulait sauver sa peau ? Oh, c’en était presque attendrissant. Louyse avança à nouveau vers le petit mêlé qui passerait bientôt l’arme à gauche. Avait-il compris ce qui l’attendait ? Réalisait-il enfin qu’il ne s’en sortirait pas vivant ? Il restait là, planté sur ce toit, parfaitement immobile. Un peu trop même …
Un hurlement. Et apparurent subitement des stalagmites tandis que des pics et morceaux de glace s’écrasaient sur le toit. Il s’en fallut d’ailleurs de peu pour que la véloce ne meure broyée par l’un d’entre eux. Il avait réussi à frapper fort. Au final elle préférait lorsque Logan restait tranquille. Elle l’avait sous-estimé, un peu trop même. Si son père avait pu voir la scène, il ne se serait pas gêné pour coller à la jeune femme une paire de claques mémorable. Oui, à 26 ans, sa suffisance avait failli lui coûter la vie, une connerie impardonnable que jamais son éducation ne lui aurait permise. Elle recula d’un pas dans l’espoir de s’éloigner ne serait-ce qu’un peu de cette zone instable et trop dangereuse à son goût. Un nouveau pas en arrière, encore un. Un autre bloc de glace, immense cette fois-ci.
Et la toiture s’effondra sous leurs pieds.

Louyse reprit difficilement ses esprits dans cette atmosphère poussiéreuse et glacée. La charpente était en ruine. Les poutres s’étaient brisées et des éclats de bois menaçaient d’empaler la jeune femme au moindre mouvement. Elle ouvrit les yeux. Mais … Mais merde mais il était malade ! Ce fou furieux avait failli les tuer tous les deux ! Il avait appris à maîtriser ses pouvoirs en lisant le dos d’une boîte de céréales ?! S’il n’était pas capable de contrôler ses émotions, il n’avait pas à s’en servir pour influencer ses capacités. Saleté de mêlé.
La sorcière expira furieusement. Elle se concentra pour évaluer l’ampleur des dégâts, quelles parties de son corps elle ne sentait plus. Ou plutôt, quelles parties de son corps elle sentait anormalement. Sa cuisse la tirait toujours, mais la douleur n’était que minime, voire inexistante. L’entaille n’était même pas profonde, juste de quoi déchirer la chair sur quelques millimètres –ou peut-être bien centimètres, quelle importance ?- de profondeur. Mieux valait ne pas se focaliser là-dessus. Et puis, elle avait connu pire. S’ajoutaient à présent une hanche douloureuse, mais surtout un mal de crâne du Diable. La jeune femme glissa sa main dans ses cheveux. Un liquide poisseux commençait déjà à les rougir. Un mêlé, un moins que rien, un résidu de la société, se permettant de faire couler le sang d’une sorcière comme elle ? Non, là c’était impardonnable. Ce type commençait sincèrement à lui taper sur les nerfs et un –une en l’occurrence- Creutz énervé n’augurait jamais rien de bon.

Un bruit de pas hasardeux un peu plus loin, puis le trou béant laissé à la place du toit se retrouva peu à peu recouvert de filaments épais et gluants. Bah tiens, c’est qu’elle était originale cette petite araignée. La brune se releva tant bien que mal. Un vertige la pris. Elle ferma les yeux et fronça les sourcils le temps que la douleur passe. Elle avait dû se cogner plus fort qu’elle ne le pensait, ça craignait. La véloce pesta. Elle avait lâché son Desert Eagle durant sa chute, et avait à présent tout intérêt à le retrouver. Par chance, le petit bijou ne se trouvait qu’à quelques mètres de l’endroit où elle se tenait. Arme récupérée, la sorcière s’extrayait enfin de la carcasse boisée, épousseta ses vêtements, en retira les toiles qui s’y étaient attachées, avant de se reconcentrer sur sa cible.

Sa cible … Un peu plus loin, sur un nouveau toit, encore. Cette fois, le vide qui les éloignait était bien plus conséquent qu’à l’habitude. Un fossé de cinq mètres, voire plus, séparait les deux bâtiments ; et plus ou moins sept mètres les séparaient du sol. Logan n’aurait pas pu se contenter de se faire taper dessus dans une ruelle ? Non. Il fallait qu’il joue au héros façon film d’aventure ou Assassin’s Creed -au choix- en grimpant jusqu’aux tuiles. Louyse en avait assez des toits. Et elle en avait assez de ce village aux maisons trop éloignées les unes des autres. Cet endroit n’était pas le genre de terrain de jeu sur lequel elle jouait en général, et cela se ressentait.
Plusieurs options permettaient néanmoins de résoudre la situation. Premièrement, il était possible de redescendre au sol et de rejoindre Logan en passant par la maison sur laquelle il se trouvait. Mais le risque de laisser cet homme s’échapper était bien trop grand dans ce cas. Ou alors, elle pouvait sauter. Ou sinon … il y avait à quelques pas de là des petits fils tirés au-dessus de la rue. Une sorte de voie, destinée à un funambule, qui était restée là. Restée, ou laissée ?

- Tu sais, tes petits pièges ont peut-être fonctionné une fois, mais il ne faut pas en abuser non plus. Ce que je te propose, c’est de venir régler ça de femme à homme. Je te casse la gueule, te réduis en miettes, et on en parle plus. Ironisa-t-elle. Tu finiras tranquillement au paradis, ou alors tu te réincarneras, c’est comme tu le sens, et moi de mon côté je retournerai à mes occupations habituelles et j’irai encore exterminer quelques spécimens de ton espèce avant le lever du jour. Sa voix se fit plus grave. Ou alors on peut continuer à se regarder en chiens de faïence. Mais à ce moment, je préfère te prévenir. J’ai encore pas mal de munitions, et mon jouet a une plus longue portée que tes petits cure-dents.

Le faire descendre par quelque moyen que ce soit, là était l’objectif. S’en approcher au maximum pour le faire passer par-dessus la gouttière et le rejoindre enfin sur la terre ferme. Louyse se devait de reprendre l’avantage. Elle ne pouvait se laisser mener par le bout du nez par un simple … simple … ça.

- Allez Logan, je te promets d’essayer d’abréger rapidement tes souffrances.

Elle essaierait.

Toujours pas d’avancée. Il était vraiment buté ce mêlé quand il s’y mettait. S’il ne voulait pas faire d’efforts, Louyse emploierait les grands moyens. On est jamais mieux servi que par soi-même. Soit. Deuxième solution, sauter.

La sorcière se tenait à présent à l’extrémité inverse du toit. Une course en ligne droite, lancée à pleine vitesse. Réalisable, totalement réalisable. Elle devait simplement faire attention à quelques petits détails. La toiture sur laquelle elle se trouvait été devenue réellement instable. Les dernières poutres tenant encore en place par on ne sait quel moyen risquaient de se dérober au moindre appui un peu trop brusque. Les rares tuiles qu’il restait tombaient une à une. Une piste bien fragile, en somme. Sans compter son mal de crâne qui empirait. Mais tant qu’elle ne perdait pas l’équilibre, tout irait bien. Et puis, il y avait les petites lances de glace qu’avait fabriqué le Congélateur d’en face. Mais tout irait parfaitement bien !
Une grande inspiration, et déjà Louyse filait droit. Elle était rapide, elle l’avait toujours été. Peut-être pas autant que ses frères, mais elle savait atteindre une vitesse tout à fait convenable. Elle sauta. L’impression de voler ? Elle s’en fichait pas mal. Seule la volonté d’atteindre l’autre toit l’habitait à cet instant. Une volonté folle, mêlée à une rage grandissante.
Une surface solide, sous ses pieds, un choc foudroyant qui se répercuta dans tout son corps. Elle avait réussi ? Bordel de Dieu, elle avait réussi !

Louyse esquissa un sourire arrogant avant de considérer Logan d’un regard méprisant. Elle était en un seul morceau, et sans javelot planté à un quelconque endroit. A dire vrai, elle ne savait même pas si le mêlé avait jeté un de ses pics, tant mieux pour elle après tout. En attendant, mieux valait retourner aux choses sérieuses. La brune se reconcentra et vida un premier chargeur sur son adversaire. Il fallait qu’elle le touche, qu’elle l’affaiblisse, qu’elle le remette à sa place.
Sans même réfléchir, elle se précipita en sa direction et lui éclata le canon de son arme sur le visage. Mhm, ça devait faire bien mal tiens … Elle le frappa une nouvelle fois, l’abdomen encore, et le plaqua sur le toit.

Il avait cru qu’il pourrait s’en tirer ? Il avait cru qu’il pourrait la tuer ? Sincèrement ? Elle était une digne sorcière noire, descendante d’une lignée pure, future Cross, future mère, et il avait cru qu’elle mourrait par sa faute ? Non, elle n’était pas Anne, elle n’était pas Romain, elle n’était pas Arthur. Elle, elle ne se laisserait pas crever par une moitié de sous-espèce.

- J’espère que tu as dit adieu à tes proches avant de venir. Elle glissa ses lèvres à son oreille. Ce serait vraiment malpoli de les quitter sans un dernier au revoir.

Encore un coup, et encore un. Là, ça devenait personnel.

Les jointures de ses mains commençaient à s’habituer aux chocs. Et pourtant, la sorcière n’y allait vraiment pas de main morte. Mais Logan l’avait cherché. Ce n’était pas tant le fait qu’il soit un mêlé qui avait réussi à l’énerver -bien que ce point soit non-négligeable-, c’était plutôt le fait qu’il se soit permis de la provoquer, de la toucher, de la blesser. Sans doute trop orgueilleuse, la jeune femme et son égo ne pouvaient accepter et admettre qu’on les malmène si facilement.
Il résistait bien, mine de rien, ce petit élémentariste. Peut-être avait-il été habitué à cela … Louyse fronça les sourcils. Elle connaissait généralement au moins quelques détails sur les personnes qu’elle comptait réduire au silence. Toujours plus intéressant de jouer sur une torture mentale en complément d’une torture physique. Mais dans le cas actuel, elle ne savait rien de la personne à terre. Et c’était étrange, cette sensation. Celle de se sentir tel un automate qui se serait lui-même poussé à haïr machinalement les humains et mêlés. Tuer un individu de ce genre était devenu une action quasi-mécanique qui ne faisait plus éprouver de remords à la jeune femme. Bien au contraire. Elle voulait mettre fin à la vie de Logan, et elle parvenait à en sortir une satisfaction certaine.

L’araignée avait peur. Louyse le savait, même sans être empathe. Ils avaient toujours peur, tous, sans aucune exception. C’était sûrement une réaction naturelle face au danger. La peur et les réactions stupides. Comme toute personne craignant pour sa vie, Logan fit quelque chose d’idiot, ou peut-être bien de fou, il se défendit. La sorcière noire n’aperçut que trop tard la batte givrée. Cette dernière la frappa de plein fouet avant de voler en éclat au contact de sa tête. Une violente explosion de douleur parti de sa nuque pour se propager à son corps entier. Elle eut un haut-le-cœur, sa vision se troubla. La véloce n’eut pas le temps de retrouver ses esprits qu’un grand nombre de pics fonçaient droit sur elle. Elle les esquiva tant bien que mal, réprimant un râle lorsque l’un d’eux se planta dans sa cuisse alors qu’un autre écorchait son flanc.
Louyse lança à son adversaire un regard assassin. Elle le vit s’approcher à nouveau, un imposant marteau en guise d’arme. Mais ses mouvements se faisaient plus lents, plus pénibles. Il peinait. C’était bon à savoir. La jeune femme était endurante. A celui qui craquerait le premier, elle était sûre de gagner. Un coup de pied la déstabilisa, une couche de glace la fit chuter. Elle ne parvint pas à se rattraper à une quelconque gouttière cette fois-ci. La brune se retrouva au sol, ce putain de sol qu’elle voulait tant retrouver. Elle n’avait juste pas espéré le retoucher de manière si brutale.

Par un étrange sortilège, aucune douleur ne se fit ressentir face à cette chute pourtant conséquente. Son corps n’avait pas encore réalisé à quel point le choc fut violent, il ne s’était pas encore rendu compte que le pic de glace s’était enfoncé plus encore dans ses chairs. Mais la jeune femme redoutait déjà le moment où il en prendrait conscience. L’esprit était plus fort que le corps, n’est-ce pas ? C’était l’occasion parfaite de prouver tout cela.
Elle bouillonnait, de colère, de haine. Mieux valait pour Logan qu’il ait déguerpit. A l’instant même où elle reposerait la main sur lui, elle lui ferait regretter chaque seconde de sa misérable petite existence. Louyse se redressa. Douleur … douleur.? Douleur ! Déferlante de douleur. Putain de … ! Son corps, éveillé, s’était mis à trembler de rage, sous ce mal envahissant qui l’affaiblissait. Les nerfs à vif, son rythme cardiaque s’accéléra, sa respiration se fit irrégulière. D’accord. Là … là elle souffrait vraiment ! Ses doigts se posèrent sur l’un des raisons principales de son mal. Elle resserra sa prise sur ce morceau givré, inspira, tira d’un coup sec, plaqua sa main sur sa bouche et se mordit l’intérieur des joues pour étouffer un cri. L’esprit est prompt mais la chair est faible ? On se fichait bien du monde. Louyse jura, pesta, cracha un chapelet d’insultes plus ou moins agréables à l’égard de Logan.
Elle désirait limiter ces blessures qui mordaient sa peau, faisaient tressaillir ses muscles. Elle l’avait déjà fait, il y a quelques années. Mais vu son état, la chose se révélait totalement impossible. Hors de question de faiblir plus encore. Tant pis, elle ferait sans sa vélocité, et en souffrant. Délicieux amalgame ! Ses doigts glissèrent brusquement jusqu’à son arme. Le contact glacé du métal la rassura. Elle poussa un soupir de soulagement. Voilà au moins un avantage qu’on ne lui retirerait pas. A condition de retrouver Logan, bien évidemment.

Logan, Logan … La brune s’adossa au mur le plus proche, reposa sa tête contre la pierre. Elle devait bien se rendre à l’évidence, il lui serait impossible de rejoindre le Congélateur en chef. Il avait dû continuer tranquillement sa route, se félicitant d’avoir échappé à une fin certaine, valsant de toits en toits. Ou … non, justement ! Il fatiguait ! Elle l’avait vu fatiguer. En toute logique, il n’avait pas pu aller bien loin. Ne restait plus qu’à espérer qu’il ait rejoint l’asphalte.
Louyse saisit son pistolet, échangea le chargeur vide pour un plein, avant de se remettre en route. Elle grimaça. Son crâne pouvait bien exploser que l’effet en serait le même. La douleur devenait une torture. Oublier, oublier que son corps morflait. Contournant la maison de laquelle elle avait chutée, la jeune femme se retrouva devant la porte d’entrée. Elle en recula, tendit l’oreille. Un bruissement, à droite. C’était inespéré. Visant à peine, elle tira. La balle toucha la cible. Ca y est, elle croyait aux miracles à présent !

- Vraiment ? Tu as vraiment cru que tu pourrais t’en tirer aussi facilement ?

Elle s’approcha, plaqua Logan au sol, l’y maintint, posa sa main sur la blessure qu’elle venait d’occasionner, se concentra. Oublier à quel point elle avait mal devenait une nécessité. Allez Louyse, fais abstraction de tout ça. Un picotement familier parcourut son corps, se déplaça jusqu’à son bras et se concentra dans sa main pour aller refermer le trou laissé par la balle. Elle retira sa paume, posa le canon à l’endroit-même où la peau s’était renouvelée, pressa la détente, recommença cette opération de guérison. Elle savait bien ce qu’elle faisait en jouant avec les nerfs de Logan. Si la blessure disparaissait, la douleur restait puisqu’elle se cantonnait à une guérison superficielle. Un sourire carnassier se posa sur ses lèvres.

- Et devine quoi ? Je peux jouer à ce petit jeu toute la nuit.

Oui, d’accord, elle hyperbolisait probablement la situation. Mais  si elle pouvait faire croire à Logan que son calvaire était loin d’être terminé, elle gagnait déjà une bataille.

Logan ne semblait pas comprendre le geste de la guérisseuse. N’était-ce pas évident pourtant ? La brune ne cherchait qu’à l’affaiblir psychologiquement pour mettre fin à ce jeu. Bientôt. Ce jeu prendrait bientôt fin, elle le voyait, elle pouvait le sentir. Et d’une certaine manière, elle avait besoin que cette partie s’arrête. Ses blessures la rappelaient à l’ordre, et la fatigue commençait à se faire ressentir. Elle n’était qu’une mortelle, après tout.

Louyse posa sa main sur l’épaule de l’araignée. Elle se promit de fixer une limite à son sadisme lorsque les morceaux seraient recollés une dernière fois, lorsque la chair de son ennemi serait ressoudée une dernière fois. La même énergie galvanisante traversa son corps. Alors qu’elle s’apprêtait à la canaliser dans sa main, un bloc de glace vint geler le mouvement. Une violente explosion de douleur déferla dans sa mâchoire. La jeune femme chancela, perdit sa cible de vue une fraction de seconde. Un bruit insupportable résonna dangereusement à ses oreilles alors qu’elle réalisait que ses os venaient de se briser sous la torsion effectuée par le mêlé. Immédiatement, un coup placé entre les côtes la rabattit au sol. Une quinte de toux la prit. La véloce se releva difficilement, Dieu qu’elle avait mal ! La douleur devenait pratiquement insupportable, et chaque respiration, chaque tressaillement musculaire lui étaient intolérables. La sorcière porta sa main valide à ses lèvres pour en essuyer un filet de sang.

Son regard détailla impunément Logan, et notamment l’éclat métallique qu’il avait en main. Une arme, son arme, son jouet, son bébé. Un délicieux sourire fendit les lèvres de la jeune femme.

- Tire. Vas-y. Fais-le, tu en as l’occasion. N’hésite pas une seule seconde, n’hésite jamais. Nous parlons de ta vie, ou plus précisément de ta survie. Pose-toi cette question : toi, ou moi ? Ma vie vaut-elle plus que la tienne ?

Oui. La vie d’une sorcière de sang pur et d’une future Cross valait tant de fois celle d’un mêlé. Un rire dédaigneux la pris. Elle connaissait le schéma que vivait actuellement Logan par cœur, pour l’avoir si souvent éprouvé. Le rythme cardiaque accélérait dangereusement alors que la notion d’extérieur disparaissait totalement. Ne restaient alors que trois protagonistes. Le vivant, l’arme, et le prochainement-défunt. C’était une sensation follement enivrante que de se savoir en possession du droit de vie ou de mort. On se mesurait à Dieu, on s’essayait à lui être supérieur. Dès lors arrivait l’interrogation fatale. Appuyer ou non ? Ou plus précisément Prendre une vie ou non ?. Une personne normalement constituée et non-soumise à une autorité jugée légitime abandonnerait sans doute. Mais qu’en était-il de ceux qui se laissaient charmer par le désir irrésistible de voir soudainement jaillir des rubis …

La jeune femme avança lentement vers Logan. Elle ne cessait de le toiser. Qu’elle ait peur ou non, seule l’impression qu’elle laisserait à son adversaire comptait. Elle ne courberait pas l’échine et ne se jetterait pas à genoux pour l’implorer de lui laisser la vie sauve. Au contraire, elle cherchait à le provoquer.

- Laisse-moi te donner un conseil qui pourrait se révéler déterminant dans ton choix. Pose ta troisième phalange sur la queue de détente et appuie lentement. Tu vas sentir une résistance. Le cran d’arrêt. La dernière résistance.

Elle gagnait chaque fois quelques centimètres. Logan avait sûrement remarqué qu’elle se rapprochait, mais qu’importe.

- Que faire à présent ? Augmente progressivement la pression exercée par ton index, et maintient-la jusqu’au départ de la balle. Ah, le départ de la balle … Il entraînera tout naturellement un recul plus ou moins important que tu as tout intérêt à combler. Pendant ce temps la balle continuera son chemin, brisant l’air. Elle percera la couche de vêtements qui me protège du froid. Arriveront ensuite les cinq couches qui composent notre peau -il me semble qu’il y en a cinq, tu me pardonneras de ne pas les citer. Puis, couverte de sang, de fibres, elle ressortira ou non. Et alors mon corps inerte s’effondrera, et tu continueras à vivre comme si rien de tout cela n’était arrivé.

Elle s’immobilisa. D’un mouvement sec, sa main gauche attrapa le bras armé de Logan, le tira vers elle de sorte à faire avancer le Congélateur tout entier. Elle dirigea tout naturellement le pistolet vers son cœur. Le canon était si proche qu’elle pouvait le sentir encore tiède des coups tirés précédemment. Elle craignait d’avoir fait une énorme connerie. Oui, Louyse avait peur, à cet instant précis. Peur de la mort, peur de ce qui l’attendrait de l’autre côté, peur de la vie éternelle, peur de retrouver sa famille.

- Dernière chance de ressortir vivant de tout cela.

Et s’il la tuait ? Qu’adviendrait-il ?

- Mais tu n’as pas été dressé pour tuer, n’est-ce pas Logan ?

Sans réellement réfléchir, la main gauche lâcha le bras du mêlé pour finir sa course sur son nez qui se fractura dans un craquement sourd. Louyse récupéra d’un geste expert son jouet de métal. Mais, elle, n’hésita pas une seule seconde. Une détonation se fit entendre alors que l’abdomen de Logan se retrouvait couvert de joyaux.

Pas de dernier regard, pas de remord. Louyse ne prit même pas la peine de lâcher un commentaire désolé. Peu lui importait qu’il souffre ou qu’il meure lentement puisqu’il allait mourir. Il lui faudrait un miracle pour survivre. Or, dans son monde, les miracles n’existaient pas.