Elena ouvrit ses jolis yeux avec difficulté alors que le soleil s'infiltrait par les persiennes de sa chambre, tel un intrus. La fatigue pouvait se lire sur ses traits. Les yeux cernés, elle faisait bien plus que son âge. Elle se leva paisiblement dans son appartement qui était bien plus grand que de raison. Est-ce qu'on avait besoin d'autant d'espaces quand on vivait seul ?
La jeune femme ne pensait pas mais elle se plaisait à croire qu'elle les méritait. Aprés tout, c’était une femme d'exception. S'asseyant à son bureau, une tasse de thé vert à la main, elle songea à cette journée du 9 Mai 2017 où elle avait vu Anja pour une rencontre qui était encore bien ancré dans sa mémoire. Elle mis en place son micro et posa sa tasse. Elle était prête à parler de ce qu'elle avait vécu en cette journée de printemps. Elle activa son magnétocassette.

"

Bonjour Anja, Bienvenue sur ta cassette.

J'étais jeune à cette époque. Non pas que je ne suis plus jeune à l'heure actuelle mais je crois que j'ai franchi un cap ce jour là. Je suis passé du stade de la jeune fille qui croit à des rêves à celle qui voit ses rêves s'approcher dangereusement. Peut-être trop dangereusement pour quelqu'un qui n'y est pas préparé ? T'as peut être démonté ma vie ce jour là.
Ce que je m'apprête à vous raconter n'est pas une chose aisée. On peut difficilement cerner ce qui change véritablement la vie des gens. Cet événement m'a marqué au fer rouge et depuis ce jour là je n'ai plus jamais été vraiment la même. Laissez moi vous conter un événement qui a fait de moi une personne d'une autre dimension. Plus que je ne l'étais déjà.

Ce jour là, je prenais le bus tranquillement vers le quartier général de Rosenrot. Sans me douter de ce qui allait m'arriver. Je lisais un livre en Anglais, je savais que j'avais besoin de m'améliorer dans cette langue car tout les sorciers ne parlaient pas allemand. J'ai a peine levé les yeux quand un homme m'a bousculé pour sortir du bus tandis que la voix robotique du bus m'annonçait qu'il restait 2 arrêts avant ma destination.
Mon livre refermé, je regardais le paysage et, en poussant un soupir, j'ai osé espéré que ma journée serait plus palpitante que celle d'hier où j'avais passé mon temps à m'ennuyer au QG.

Je marchais précipitamment. Je n'aimais pas perdre mon temps à observer la nature. Je voulais savoir ce qui allait m'arriver. J'avais perdu cette appréhension qui m'avait habitée pendant longtemps lorsque je passais le pas de cette porte où on m'avait parfois traité comme une moins que rien. Oh si j'avais su, si j'avais su, j'aurais fais demi tour, j'aurais dis que je n'avais pas besoin de ça. J'aurais laissé le monde en proie à la démence et je me serais terré dans la ferme de mes parents.


Quelques grognements mais pas de réponses franche. L'heure n'était pas franchement matinale mais pourtant le QG était désert. En ce moment plus personne n'était là, beaucoup de travail. Pourtant j'étais là, moi Elena. Je commençais à m'impatienter de tant d'attentisme. Dans une discussion j'entendis que Anja était présente au QG et qu'elle n'avait pas prononcé un mot.
A ce moment là, je m'étais simplement dit que tu devais avoir des affaires plus urgentes. Je ne m'étais pas dis que tu me ferais quelque chose. J'étais partagé entre le désir d'en savoir plus et ma discipline intérieure qui m'incitait à te laisser tranquille. J'avais décidé de pousser ta porte et lorsque je suis entré dans ton bureau, tu m'as semblé soucieuse. Tu avais juste une idée derrière la tête. Mo je me suis contenté de te parler d'une voix douce.



Oh, si tu avais pu me dire non à ce moment. Si tu avais pu me renvoyer d'où je venais , tu m'aurais fais le plus grand bien. Au fond de moi, j'espérais que tu me dises que je n'étais qu'une petite impertinente et que je serais punie de multiples corvées. Mais tu n'étais pas comme ça. Tu étais quelqu'un d'autre, quelqu'un à part. Etais ? Ou es. Je crois qu'on peut dire est. Anja, je crois que ce jour là tu as fais plus de dégat que tu ne l'espérais."

Elena coupa la cassette une seconde. Ses yeux étaient embués. Elle s'était promis de ne jamais ressentir le regret et pourtant elle avait du mal renier le sentiment. La jeune femme avait du mal à enregistrer la suite de la cassette.
Elle regarda l'extérieur à travers la grande fenêtre de son bureau. La pluie tombait et c'était bien sa seule compagnie.

Cela faisait bien longtemps que le bec de la plume n'avait plus traîné son encre sur le papier blanc. À peine une lettre et quelques signatures depuis quatre ans. La main n'avait plus l'habitude non plus de tirer ses boucles sur le grain blanc.
Mais il fallait transmettre.
Comme une bouteille à la mer.

Liebe Elaïa,

Quelque part j'espère que cette lettre ne te sera jamais utile. Que, lorsque tu seras grande et que je ne serais plus là, le monde aura changé. J'espère de tout coeur que l'idéologie à laquelle j'aspire, la beauté d'un monde sans mêlé et dans lequel les humains noirs dominerait, j'espère que ce rêve sera une réalité établie depuis longtemps et dans laquelle tu pourras t'épanouir. Je l'espère, mais, quelque part, je doute que cela arrive assez rapidement.
Le monde est si turbulent et capricieux.
Alors peut-être bien qu'un jour, un homme ou une femme viendra vers toi, une boîte entre les mains et un arbre généalogique dans la tête. Quelqu'un qui te parlera de Rosenrot et de ton héritage. Car c'est toi, ma fille, qui est destinée à me succéder.
Je ne veux pas que tu te retrouves comme moi, déstabilisée devant une organisation à laquelle tu n'appartiens pas, ayant été élevée par des membres de Croix. C'est pourquoi j'ai décidé de te laisser ces quelques lignes, ces messages pour te raconter, t'expliquer, te transmettre.
À toi décider ce que tu en feras.

La scène que je vais te raconter n'est pas sanguinaire comme d'autres, mais n'en est pas néanmoins essentielle. Il faut que tu comprennes, Elaïa, que dans ce monde tu ne peux faire confiance à personne. Et qu'il faut donc choisir avec soin les personnes dont tu t'entoures, en retenant celle qui auront le moins de chance de te trahir. Etrangement, et tu le comprendras peut-être de toi même avec l'âge, ces gens là ne sont pas forcément ceux qui ont l'air le mieux dans leurs bottes. Au contraire, même. Les déviants, les outsiders, sont souvent ceux qui te seront fidèles à jamais. Parce qu'ils sont si fous qu'ils sont prêts à te suivre n'importe où. Y compris en Enfer. Littéralement.

Rosenrot s'impatientait. Pendant plusieurs années, j'ai dirigé cette organisation, avec des bons résultats, presque toute seule. Les membres ne disaient rien, me respectaient, suivaient mes ordres. Mais depuis quelques temps des voix s'élèvent. Il y a peu, j'ai fait l'objet d'un traquenard - tu sais, je te l'ai raconté dans ma dernière lettre - et depuis ce temps là, des têtes puissantes de Rosenrot se sont levées. Il faut que tu comprennes que, malgré ma position de chef, je dois faire des concessions, et tu le devras également le jour où tu prendras ma place. Certaines familles nous donnent beaucoup d'argent et attendent un certain retour sur investissement. Une certaine sûreté également.
Certains estiment ainsi que je me suis trop mise en danger et que je ne peux plus rester seule à la tête de l'organisation. Il me faut un bras droit. Des noms se sont glissés, des noms de sorciers célèbres, qui ont consacré leur vie à Rosenrot et qui sont puissants. Vieux également. Et trop homme à mon goût.
Tout ce que je n'aime pas.
Bien sûr cela serait le choix de la raison. Qui calmerait les hautes têtes. Tu ne me connais pas vraiment Elaïa, mais je me dis que, si tu as lu mes autres lettres tu as déjà pu un peu me cerner.
Et tu sais que, évidemment, je n'étais pas pour cette idée.

J'étais plongée dans cette réflexion, lorsqu'une jeune femme a débarqué dans mon bureau. Cette jeune femme, presque encore une enfant, s'appelle Elena De Morin'Stal. Elle me rappelle un peu moi plus jeune, avec de la détermination dans les yeux. Et dans la voix :

- Anja. Je veux être quelqu'un.

Elle n'a pas tergiversé, allant droit au but, à l'essentiel. Je pouvais voir sa volonté de s'élever. Et tout d'un coup l'idée m'a paru lumineuse. Pourquoi pas elle.
Elena est jeune, c'est une femme et elle a bien peu d'expérience en comparaison des vieux habitués de Rosenrot. Mais elle a ce grain de folie nécessaire qui me séduit. Alors pourquoi pas ? Une association dirigée par deux femmes, aussi jeunes qui plus est. Le monde de la magie risquait de trouver cela scandaleux. J'ai tout de suite adoré cette idée.

- Serais-tu prête à sacrifier ta vie pour Rosenrot ?

Je l'ai fixé dans les yeux, mon regard froid tentant de prévenir le mensonge.
Elena me semblait être une solution évidente. Mon futur bras droit.

[...]

Les gestes sont naturels, les mots ont recommencé à tomber sur le papier comme des larmes. À un rythme effréné. Un sourire abimait les lèvres de la sorcière ; ça lui avait manqué.

Si Elena enregistrait tout ça, ce n'était pas dans un but de répéter qu'elle était une gloire vivante. Ce n'était pas également avec l'objectif de culpabiliser ceux qui pouvaient écouter ces cassettes. Tout n'était fait que pour se souvenir, se souvenir des moments passés et de transmettre un savoir qui restera gravé dans une cassette.
Elena s'éclaircit la gorge puis repris son histoire avec sa voix douce, parfois hachée.

"Anja. Tu es... Je vais dire tu étais parce que je ne pense pas que mes sentiments s'appliquent encore maintenant. Je ne vais pas dire que je ne te connaissais pas à l'époque. Mais je connaissais ta surface, ce que j'avais un peu gratté. En profondeur, je pouvais à peine deviner ce qui se cachait derrière cette carapace si robuste, si épaisse. Je crois que je n'aurais pu jamais deviner qui tu étais.
Le temps m'a appris.

- Serais-tu prête à sacrifier ta vie pour Rosenrot ?

Tu avais dis ça en me jetant un regard dont je me souviens encore. C'est un regard que je t'avais déjà vu lancer et à chaque fois il avait compté dans la discussion. A ce moment là, je me sentais à moitié tétanisé par tes yeux perçants mais aussi par la question. Je sentais que tu n'étais pas tout à fait normale, je n'ai pas souvenir que tu ait utilisé ce ton si impérieux, si intense.
Je regrette ce que j'ai fais, je crois que j'aurais pu faire mieux.
Bien que je me sentais me liquéfier face à toi Anja, j'ai tout fait pour rester droite et ne pas trembler. Tu as une puissance de feu derrière toi, un claquement de doigt et je disparais de ta ligne de vue. Je n'étais rien, ni personne. Il y a des gens bien mieux que moi pour occuper ton esprit et pourtant, c'était bien à moi que tu t'étais adressé.

Sacrifier ma vie ? Anja je n'étais pas prête. J'étais ambitieuse. Je voulais me prouver, je voulais m'élever, je vous être quelqu'un. Je ne voulais plus être cette fille que l'on regardait du coin de l'oeil. Cette fille dont on se moque.
Ils parlaient de bienfaits mais je ne vois que des méfaits.

- Pour Rosenrot mais surtout pour vous Anja. Je sacrifierais ma vie.

Je n'avais pas souhaité m'épancher sur ma réponse. J'avais peur que tu me reprennes. Quelle était la différence entre nous Anja ? Tu étais puissante bien entendu. Mais tu n'étais pas beaucoup plus âgée que moi. J'aurais pu te tutoyer et taper sur l'épaule affectueusement dans une autre vie.
A ce moment là, je sentais que j'allais regretter ma parole. Peut-être as-tu senti cette hésitation ? Un silence c'était installé dans la pièce. J'avais essayé d'ajouter une phrase sans trop monter la voix, presque dans un murmure.

- Nous en valons la peine.

Tu avais toute les armes pour me tuer. Pour me clouer sur place, pour t'imposer. Mais tu es quelqu'un d'autre Anja. Quoi de mieux que de jouer avec ses proies ? "

Elena se sentait mieux de parler de cette histoire. Les phrases s'enchainaient. La cassette serait longue. Il y avait beaucoup à dire sur cette histoire. Anja avait défini l'histoire de la jeune sorcière à partir de ce moment.

Les mots tombaient lentement sur le papier, délicatement. Quatre ans auparavant, Anja était pourtant habituée à gratter le papier à une vitesse effrénée, pour se débarrasser le plus rapidement possible des mots qui encombraient son esprit. Mais cette fois, sa main se mouvait lentement, savourant chaque syllabe, chaque lettre qui se posait sur le papier.
Déjà, elle n'écrivait pas pour la même personne.
Avant, c'était pour une morte. Ou plus exactement, c'était pour elle-même qu'elle écrivait, sachant pertinemment que sa mère ne pourrait jamais lire ses mots. Alors la sorcière noire écrivait pour extérioriser tout ce qui embuait sa tête.
Maintenant, elle écrivait pour Elaïa. Sa fille. Bien vivante. La jeune femme espérait qu'un jour son enfant parcourait ces lignes, éventuellement que cela pourrait même lui permettre de pardonner sa mère de son abandon. Anja croyait au pouvoir des mots.

[...]

Elena n'a pas tremblé devant mon regard froid. Pourtant, je pouvais voir dans son propre regard, un peu perdu, un peu égaré, qu'elle n'était pas tout à fait de marbre face à moi. Et cela me plaisait. Tu vois, Elaïa, les soldats doivent te craindre un peu pour te suivre. Sinon ils peuvent s'enfuir.
Un soldat doit te craindre et te respecter. T'admirer également. Voilà le succès de la réussite.
Tu me diras, qu'il y a un autre type de soldat qui est loyal. Le fou. Green. Green ne me craint ni ne me respecte. Et il ne m'admire pas vraiment. Ce sont d'autres sentiments qu'il éprouve pour moi. Une attirance et... un je ne sais quoi sur lequel je n'arrive pas à poser de mot. Mais je ne suis pas là pour te parler de ton père, mais bel et bien de cette rencontre qui allait changer Rosenrot.
Je me suis concentrée sur la réponse de la jeune femme devant moi :

- Pour Rosenrot mais surtout pour vous Anja. Je sacrifierais ma vie.

Réponse courte, directe. La vérité ? Je n'en était pas si sûre. La voix d'Elena ne tremblait pas, mais elle était jeune, si jeune... Encore plus que moi le jour où j'ai repris les rênes de Rosenrot. À peine plus que moi lors de mon premier contrat pour Croix. Mais moi j'étais différente. J'avais déjà de la folie en moi. Et de la haine, tellement de haine... Pour mon père, pour Diego, même pour ma mère. Et surtout pour moi-même. Je me sentais coupable de la mort de ma mère.
Maintenant encore je me sens coupable. Pour t'avoir abandonner. Mais en moi brûle l'espoir que tu auras une vie différente de la mienne, remplie d'amour. Mohamed est un homme au grand coeur, si différent du mien. Il serait prêt à tout pour toi, j'en suis certaine. Au moins tu ne grandiras pas dans un constant climat de haine.
Elena non plus n'a pas grandit dans la haine. Il est donc normal qu'elle ait peur à l'idée de devoir mourir pour ses idées. Elle changera avec l'âge.
Je n'ai pas commenter sa timide intervention, m'attendant à ce qu'elle complète. Elle l'a fait, dans un murmure :

- Nous en valons la peine.

Malgré le murmure, cette phrase là m'a semblé plus droite, plus honnête. Dans un sourire, j'ai rectifié :

- Nos idées en valent la peine.

L'idée d'un monde meilleur, débarrassé des mêlés et où les humains retrouveraient enfin la place qui leur est due. Nous servir, nous les sorciers.
Elena avait été élevée dans ces idées. Elle n'avait jamais connu que ça. Depuis toujours, ses parents lui ont appris à quel point notre race est supérieure et meilleure. Mais était-elle en accord avec ces idées ou les suivait-elle simplement, sans prendre la peine d'y réfléchir ?

- Et que penses-tu des humains ? Je veux dire, qu'en penses-tu vraiment, pas ce que tes parents ont pu te dire sur eux.

Encore un regard froid planté dans ses yeux chauds. Il était important que la jeune femme en face de moi me dise la vérité. Je dois pouvoir faire confiance aux personnes de mon entourage.

[...]

Anja se délecte. De savoir que sa fille, un jour, tiendra ces quelques feuilles entre ses mains lui berce le coeur. C'est un peu comme l'avoir devant elle.
Un contact si fin entre eux.
Le seul qui reste.

Qu'est ce que la mort ? La mort c'est une âme qui s'échappe d'un corps. Elle peut être lente et douloureuse, la personne peut sentir toute être s'échapper d'elle-même et se voir mourir à petit feu, avec un sourire désappointé de ce monde. Ou elle peut être très rapide. Des lames de rasoir qui s'enfoncent dans des poignets et du sang qui s'écoule comme un ruisseau, éclaboussant la blancheur du monde avec quelque chose que personne ne veut voir.
C'est ce que tu voulais Anja.
Elena parlait sans s'arrêter maintenant. Elle essayait juste de contrôler sa voix pour ne pas qu'on sente la haine s'échapper.

"Anja, toi comme tout les autres tu as participé à ça. Tu m'as trouvé là et tu t'es dis que tu pouvais changer la mise d'un jet de dés. Si je ne pouvais pas survivre à ce qui m'attendais alors tu en serais d'autant plus heureuse car tu te serais débarassé d'un soldat qui n'avait pas assez de puissance aussi bien mentale que physique à tes yeux. Tu t'en foutais, on étais tous de la chair à canon pour toi, des humains juste assez bon pour mourir toi et pour ta cause.
Ton âme est vide, Anja.

Tu étais ma chef et tu devais sentir que je devais te regarder avec de multiples sentiments dans le regard, crainte, défiance, admiration, envie de fuir. Tout se mélangeais dans ma tête, j'étais destabilisé par ta demande. A ce moment précis, je ne savais pas ce que tu voulais de moi mais toi t'avais qu'une idée derrière la tête. Tu me voyais tourner autour du pot et avec ton sadisme habituel, tu me regardais tranquillement.
J'étais sans oxygène. T'étais celle qui soufflait l'air chaud ou froid de la pièce.

- Nos idées en valent la peine.

J'avais acquiescé maladroitement, j'imagine que tu prenais ton pied. Dans ta tête, ça devait être le feu d'artifice, des explosions de toute part. Je me disais juste que peut-être tu m'apprécierais si j'essayais de te compléter.
Si j'étais ta pièce complémentaire.
Si j'étais ton yang.
Si j'étais ton... bras droit.

Je voulais être ça. Je sais pas si je le veux toujours. Je crois que je le veux. Putain, je te déteste Anja. Je te hais. T'as tout fait pour bouleverser ma vie. T'as tout fait pour que je sois à ta merci. Et c'est ce que j'ai fait. Je t'ai obéis. Je t'ai regardé. Je t'ai suivi.

- Et que penses-tu des humains ? Je veux dire, qu'en penses-tu vraiment, pas ce que tes parents ont pu te dire sur eux.

T'as voulu créer le feu ma chère chef et tu t'es brûlée avec. Tu es resté immobile alors que ce feu grandissait sous tes yeux, en te disant que tu allais le contrôler. T'as voulu t'échapper de la réalité alors que où que tu ailles je te suivais. J'étais peut-être ton espoir, j'étais peut-être celle sur qui tu comptais. Mais je n'étais qu'un lion, un corbeau, une hyène, un cloporte. Dans le désordre. Tu m'avais fait grandir et devenir ce que je ne voulais pas être. Ou peut-être l'ai je décidé.
La nuit où je t'ai rencontré.

- Seul les mêlés nous intéressent. On ne verse pas le sang humain.

La réponse t'avais plu. Je pense. Ça correspondait à ce que je pensais et ça correspondait à ce qu'on m'avait appris. Les deux convergent.
Comme nous, un peu.
Tu es comme ça Anja von Duisbourg. Tu connais à l'avance la réponse mais tu veux l'entendre pour asseoir ta domination. Pour écraser de ton poids les autres. Le poids de ton influence était loin d'être à son apogée, tu ne la connaîtrais que quelques années plus tard. Mais auprès de tes fidèle, tu étais la reine. Celle qu'on ne troublait pas, celle qui faisait s'incliner les autres, celle qui vous regardait de manière hautaine.
Tu espérais la mort.
Comme tous.

Je n'en avais pas fini. Je sentais que tu m'avais ouvert la voix à une conversation plus poussée pour la première fois avec toi. J'étais à la fois une aubaine mais aussi un casse-tête pour toi. Peut-être regrette-tu ce qui s'est passé plus tard. Peut-être vas-tu arrêter la cassette. Peut-être ne l'écouteras-tu jamais.

- Je suis qui pour vous Anja ? Un objet ou une missionnaire ?

A ce moment là de la conversation, j'avais repris confiance en moi. Je n'étais plus cette petite fille effrayé. Au fond de moi, j'avais tout de même un peu peur que tu te lèves, que tu me donnes une claque monumentale et que, rougie de peur, je ne t'adresse plus jamais la parole. Mais la confiance avait repris le dessus. Je me sentais fière face à toi. Je me sentais privilégiée. D'être là et de pouvoir m'exprimer. Et de pouvoir ressentir. Tout.

- Ou peut-être rien.

J'avais repris mon regard de braise. Pas celui qui cherchait à te dominer mentalement, celui qui cherchait à te montrer que j'étais déterminée. Je voulais que tu me montres qui tu étais et qui j'étais. Je voulais que cette conversation soit gravé dans nos mémoires. Je voulais que ça soit notre révélateur.
De nous.
De Rosenrot.
Et de moi-même."

La voix d'Elena commençait à s'emballer et partir dans les aigus. Elle ne sentait même pas ses lèvres qui tremblaient. Son esprit se libérait, comme s'il s'agrandissait.
Game changer.

Les lettres lui permettaient d'échapper un peu au monde réel et de verser, pour une fois, dans les sentiments qu'Anja refoulait en temps normal. Sur le papier, son pouvoir ne pouvait pas se manifester. Ce n'était que des mots étalés là, inoffensifs.
Pas tant que ça en fait.
Les mots pouvaient blesser, faire tomber amoureux, tuer. Anja le savait. Aussi les choisissait-elle avec encore plus de soin.

[...]

J'attendais la réponse d'Elena avec une certaine importance, me demandant quelles pouvaient être ses pensées profondes. Avant de pouvoir la nommer officiellement devant le reste de Rosenrot, je dois encore la faire passer par un lecteur de pensée. Ils sont devenus tellement précieux en ce moment... Je redoute les espions plus que toujours depuis l'invasion du Mystery Orphanage et la prise de pouvoir de Rosenrot et de Croix alors je redouble d'attention.
Tu verras ma fille, lecteur de pensée est un don bien précieux... À ne surtout pas sous-estimer. Certes, il n'est guère utile dans un combat - en tout cas bien moins que de pouvoir lancer des objets et des flammes sur son adversaire -, mais il est terriblement utile dans une organisation. Je serais fière si tu acquérais un jour ce don. Je serais fière quel que soient les pouvoirs que tu acquières.
Mais revenons à Elena, elle m'a livré sa réponse sous la forme de ces quelques mots :

- Seul les mêlés nous intéressent. On ne verse pas le sang humain.

Cette fois-ci, j'ai retenu une grimace. Certes, les humains n'étaient pas directement visés, mais leur mort n'était jamais attristante. Ils n'ont de la valeur qu'en leur qualité d'esclave. Rien de plus. Alors s'il faut verser leur sang, que ce soit nécessaire ou par inadvertence... cela ne m'a jamais dérangé. Bien sûr, les mêlés sont prioritaires. Mais les humains sont également dégoûtant et impurs.
Mais ce qui m'avait le plus dérangé dans cette réponse, était le fait que, justement, ce n'était pas une vraie réponse. Plus un mantra appris par coeur. Elle ne me disait pas ce qu'elle pensait des humains. Elle ne me disait pas "ils me dégoûtent et je les hais". Ni "ils ne me dérangent pas". Elle se focalisait sur les mêlés parce qu'elle savait que c'était ce que nous exécrions à Rosenrot.
Pas de véritable réponse donc.
Au moins était-elle douée pour esquiver les questions. Avait-elle fait exprès ? Si oui, cela pouvait se révéler être un don utile pour être mon bras droit.
En attendant, c'était son tour de m'interroger :

- Je suis qui pour vous Anja ? Un objet ou une missionnaire ?

J'étais étonnée. Surprise. Je n'avais pas l'habitude qu'un de mes soldats s'adresse ainsi à moi. En tant normal c'était moi qui posait les questions. Surtout face à quelqu'un d'aussi jeune. D'autant plus qu'elle ne me laissa pas le temps de répondre, ajoutant :

- Ou peut-être rien.

Son regard brûlant percutait mes yeux de glace. J'étais étonnée, mais j'étais également disposée à lui répondre. Décidément, Elena était de plus en plus... surprenante.

- Tu es un soldat. Au même titre que les autres. Et ne pense pas que ce substantif ou cette généralisation soient la marque du rien. Je respecte mes soldats et je ne les abandonne pas. C'est votre loyauté en échange de la mienne.

Tu comprendras peut-être cela un jour Elaïa. Un général n'abandonne pas ses soldats au combat. Je ne dis pas que je suis prête à me sacrifier pour eux et encore moins à sacrifier Rosenrot. Mais je ne les laisserai pas tomber pour autant. Jamais. Mes soldats ne sont pas des simples jouets de plomb que j'envoie valdinguer sur le terrain de la guerre. Ils sont précieux et importants. Et s'ils sont prêts à mourir pour notre cause, cette cause en laquelle je crois si fort, alors je suis prête à leur envoyer des renforts en cas de pépin.
Ne crois pas que j'éprouve quelque chose pour eux, ce n'est pas le cas. Mais c'est simplement un échange de bon procédé. Une promesse. Et la certitude qu'ainsi ils me seront fidèle. Un bon leader doit également savoir faire cela. Rassurer. Assurer.

- J'aimerais que tu deviennes plus que cela.

Aura-t-elle la force pour être mon bras droit ? Sera-t-elle capable de tenir tête au grandes pontes de Rosenrot comme elle a tenté de me tenir tête à ce moment ?

- C'est pourquoi je réitère ma question. Que pense tu des humains ? Que t'inspire-t-il ?

Cette fois-ci je ne voulais pas un mantra appris pas coeur et enfoncé dans sa tête d'enfant à grand recours de leçon par ses parents. Non, je voulais quelque chose qui sorte des tripes, son âme véritable, dépourvue de retenue. Je voulais la voir quasiment nue, sans possibilité de replis. Je voulais voir ce qu'elle avait vraiment au fond d'elle. Savoir qui se cachais derrière ces boucles brunes et ce regard parfois rageur, parfois effacé.
Qui est véritablement Elena De Morin'Stal ?

[...]

La possibilité d'une lettre amuse Anja. Elle sait que, le jour où Elaïa tiendra ces feuilles entres ses mains, Elena De Morin'Stal aura déjà été montrée depuis longtemps comme son bras droit. Aura-t-elle fait ses preuves ? Sa fille le saura sûrement. Peut-être que la jeune femme aura été d'une brillance sans pareil, manigançant aussi bien que la reine et loyale jusqu'au plus profond de son âme. Ou peut-être aura-t-elle échoué, lâché, trop faible pour supporter la pression sur ses épaules. Peut-être même aura-t-elle trahi ?
C'est ironique.

Avoir une éducation est un élément déterminant dans notre vie. Il peut influer toute le cours de notre vie. Comme une seule phrase peut changer l'avenir de l'humanité "Nous ne voulons pas de toi". Elena a été forgée et élevée dans cette tradition qu'on ne devait pas aimé les mêlés. Mais sur les humains, seul l'expérience du terrain lui avait appris qu'on devait les mépriser. Elle n'avait pas ressenti à prime abords une haine particulière.

Elle était venu, un matin de mars 2016. Alors qu'elle effectuait une mission de routine qui consistait à exterminer un groupe potentiellement menaçant pour une autre mission, Elena s'était vite rendu compte qu'il ne s'agissait pas uniquement de mêlés mais aussi d'humains. Des humains doués, évidemment. C'est lorsqu'elle manqua de se prendre un coup de couteau entre les côtes par un de ces humains, qu'elle se rendit compte qu'ils ne valaient pas plus que les mêlés.
Échapper à la mort l'avait frappé.
Comme un coup de foudre.
Dans le mauvais sens.
Avec le temps, elle avait fini par se demander pourquoi ils n'étaient pas exterminés plutôt que de les asservir à Rosenrot. Puis elle en aperçut l'utilité. Et elle renonça à déclarer qu'elle n'aimait pas les humains et qu'elle souhaitait juste les tuer. Par peur de froisser la hiérarchie.

"Je te mettais au révélateur Anja. Tu semblais comme surprise. Tu t'imaginais sans doute que ma jeunesse était ma faiblesse et que je n'oserais pas m'élever contre toi. Alors, en vérité je n'ai pas tenté de m'élever contre toi mais j'ai bel et bien tenté de te tester. De savoir jusqu'où tu irais sans m'arrêter. Ta réputation te précédait et ça serait mentir que de dire que je n'avais pas entendu parler de comment tu pouvais traiter certaines personnes. C'était ta manière.
Ça passait ou ça cassait.

Pourquoi au départ j'essayais de m'échapper de tes questions qui étaient un peu profondes ? Parce que même si c'était de l'idéologie basique, je ne voulais pas que tu me possèdes. Je ne voulais pas que tu me cernes entièrement. Même si je ne te connaissais pas à 200%, je sais que tu étais une influence néfaste pour ma progression. J'avais à apprendre de toi sur certains aspects mais je ne voulais pas que tu comprennes que tu allais être mon piédestal sur le devant de la scène.
Je ne voulais pas que tu me possède.
Je voulais que tu me considères.
Me haïsse.
Que je fasse bouger ton cœur en te voyant.
Que tu ne restes plus impassible.
Anja, tout ça, ça t'as échappé.

- Tu es un soldat. Au même titre que les autres. Et ne pense pas que ce substantif ou cette généralisation soient la marque du rien. Je respecte mes soldats et je ne les abandonne pas. C'est votre loyauté en échange de la mienne.

Je me souviens avoir fait la moue sans le vouloir. Peut-être ne l'avais tu pas vu sur le moment car je ne me souviens pas que tu aies changé d'expression subitement. Tu n'avais pas compris. Je n'étais pas TON soldat, je n'étais pas n'importe qui. Pour l'instant, je l'étais peut-être à tes yeux. Ce que tu n'avais pas saisi c'est que je n'étais pas tout ceux qui t'entourait. Oui j'étais là pour te servir et pour servir Rosenrot mais dans ma tête il était clair, même à ce moment là, que je ne m'entêterais pas à faire ton sous fifre pendant des décénnies. Je ne suis pas destiné à être une image dans une vidéo. Je suis destiné à être un personnage décisif qui apparaîtra dans toute les scènes.
J'agissais dans la postérité pour montrer la prospérité.

- J'aimerais que tu deviennes plus que cela.

C'était le point de départ, Anja. Le point de départ de notre relation, mon point de départ. Qu'est ce que tu as pu modifier avec tout ça ? L'avenir d'un être, l'avenir de deux êtres, l'avenir d'une organisation, l'avenir de la magie, l'avenir d'un monde... J'aurais pu être personne, j'aurais pu être un simple soldat. Et au lieu de ça, tu m'as elevé. Je l'ai voulu je sais mais j'aurais aimé que tu me freines. Je n'aurais pas fait tout ce que j'ai fais. REGARDE... Regarde... Regarde ce que j'ai fais, admire ce sang qui a coulé. Contemple la haine que nous avons deversé. Est-ce que nous déchirer aura valut le coup ? Voilà où on en est.
J'avais tourné le dos à ce moment là. Je ne souhaitais pas que tu vois mon expression de triomphe.


- C'est pourquoi je réitère ma question. Que pense tu des humains ? Que t'inspire-t-il ?

Des milliers de questions me torturent et toi tu es celle qui tiens les outils. Cette question tu me la pose encore pourquoi ? Parce que tu sais qu'elle est décisive. Au fond tu le savais, tu n'avais pas besoin de ma réponse. Je n'avais plus tes yeux gêlés pour me glacer le sang. Ton regard était posé sur mon dos quand j'observais la pièce, comme gênée.

- Je les hais viscéralement.

Cette fois la phrase était brève. Je n'avais pas envie de te faire une dissertation de pourquoi la terre est ronde et pourquoi je détesterais toujours les humains. Je n'avais pas cette capacité à partir dans le long discours. J'avais dis la phrase avec beaucoup plus de sincérité.

- S'il n'y avait que moi, je les tuerais pour le plaisir. Je m'efforce de respecter votre volonté néanmoins et celle de Rosenrot.

Il est fort possible qu'à ce moment là, j'ai perdu un bout de langue. J'ai senti le liquide chaud s'échapper doucement dans ma bouche. Je restais le dos tourné. J'en avais trop dis et je sentais ton regard inquisiteur pénétrer mes entrailles. La terreur avait de nouveau repris dessus.
Ta puissance m'envahissait.
J'avais envie de devenir grande mais j'étais encore si petite face à toi. Tout ce que je pouvais faire c'était me raccrocher à des paroles, me raccrocher à mon regard, ce regard terrifiant que je savais lancer quand je sentais que les choses ne tournaient pas en ma faveur.
Ça ne marchait pas sur toi.

- Si je ne suis plus un simple soldat, je veux que notre relation évolue.

Serrant le poing, j'avais peur de prononcer les prochains mots. Peur que tu me rejettes, peur que tu me ries au nez. Tu étais si jeune et moi si facilement impressionnable. On avait quelque chose en commun, notre mental d'acier : nous avions toute les deux la même capacité à éviter de montrer ses sentiments. Bien que je la maîtrisais sûrement moins que toi.
La peur me retournait les intestins.
Et les papillons s'envolaient dans mon estomac.
Je m'étais retournée.

- Apprenez moi."

Un long voyage sans obstacles, sans joies, sans rebondissements, sans pleurs n'existe pas. C'est une utopie.
Les utopies ça n'existe que dans les rêves de ceux qui croient à la société.

Anja se rappelait avec amusement l'air effronté Elena, son goût pour chercher l'affront sous ses airs innocents, son envie de reconnaissance. La jeune femme, à peine sortir de l'enfance, pensait tout savoir, être au dessus de tout.
C'était la qualité de la jeunesse.
En grandissant, il fallait faire face à ses obligations et reconnaître que tout ne vous était pas dû. Anja en avait fait la dure expérience plus vite que ce qu'elle n'aurait voulu en devenant chef de Rosenrot. Elle avait dû grandir d'un coup. Ce n'était pas agréable, mais la finalité en était des êtres encore plus fort et d'autant plus dangereux, car connaissant leurs faiblesses. Un peu moins fous et fougueux également.
Elena risquait d'en faire l'expérience rapidement, en devenant le bras droit de Rosenrot.

[...]

Ma propre expérience m'a appris une chose essentielle Elaïa ; ne jamais sous-estimer les êtres qui t'entourent. Tu peux les mépriser, les haïr, vouloir les voir plus bas que terre, mais il ne faut jamais les sous-estimer. Sinon tu cours le risque de te faire avoir à ton propre jeu.
Prenons Dorian Cross par exemple. Sous ses airs de lourdeau dragueur et incapable de faire preuve de la moindre finesse, il est tout de même le chef de Croix. Rien que ça c'est un indice. On ne prend pas la tête d'une organisation aussi puissante en étant dépourvu de méthoque. Il faut savoir creuser sous l'homme violent qui viole et massacre pour y voir le stratège capable de pousser ses pièces au suicide. Ne jamais le sous-estimer. Toujours se méfier.
Par conséquent, je ne sous-estime pas Elena non plus. Elle est jeune, mais l'âge ne veut rien dire pour moi. Bien au contraire, il permet des choses que la sagesse encrasse. Je ne sous-estime pas son sexe non plus ; les femmes doivent se montrer bien plus malignes et fortes que les hommes pour s'élever. Elles doivent se battre deux fois plus, avant pour monter et après pour garder leur place. J'en suis la preuve vivante.
Je ne sous-estime pas Elena. Sinon nous n'aurions pas eu cette conversation. Je l'aurais simplement renvoyée dès ses premiers mots, envoyée balader.

À un moment, Elena s'est retournée. Juste après que je lui ait annoncé que je voulait qu'elle devienne plus qu'un simple soldat. Pensait-elle une seule seconde réussir à me cacher ses émotions ainsi ?
Elle était jeune, elle avait le temps d'apprendre. Mais rapidement je devrais lui rappeler de ne pas sous-estimer les êtres en face d'elle. Qu'ils soient amis ou ennemis.
Leçon n°2 : Personne n'a de vrai amis. Il ne faut faire confiance à personne.

Ma question restait toujours en suspens. J'attendais, me concentrant non plus sur son visage que je ne pouvais plus apercevoir, mais sur sa voix. Une voix qui pouvait trahir tout autant qu'un sursaut du sourcil ou que le redressement d'un coin de lèvre.

- Je les hais viscéralement.

Cette fois-ci elle avait été honnête. Je pouvais sentir la haine dans sa voix et dans ses mots. Ce n'était pas une mélopée apprise par coeur, mais quatre mots jetés devant soit. Une phrase courte, brève, directe. Et surtout honnête.
Cela me plaisait de plus en plus.

- S'il n'y avait que moi, je les tuerais pour le plaisir. Je m'efforce de respecter votre volonté néanmoins et celle de Rosenrot.

Les mots, crachés comme du venin, provenaient directement de ses entrailles. Et cette haine me plaisait, validant ce que je pensais. Elena était faite pour le pouvoir. Faite pour m'accompagner sur la voie tortueuse de Rosenrot. Elle avait tout pour ça, il suffisait de canaliser cette haine, de la rediriger, de savoir la tarir pour mieux la faire exploser au moment voulu.
Un diamant brut à tailler.

- Si je ne suis plus un simple soldat, je veux que notre relation évolue.

Un poing qui se serre, une volonté de fer. Le diamant se réveille, brille de mille feux, supplie la lame qui le taille. Plus le temps passait, plus je trouvais la jeune femme intéressante.
Tu sais Elaïa, si tu reprends un jour Rosenrot, toi aussi tu seras peut-être amenée à faire ce genre de choix. Le choix d'un bras droit. Probablement on te proposera des noms de grands sorciers, influents, riches, beaux. Peut-être même te proposera-t-on de te marier avec eux. Tu ne dois pas les écouter. Ton choix doit venir d'ailleurs, de l'instinct. De l'inattendu.
De la similarité.
Et puis j'ai aplani le terrain devant toi ; Rosenrot à l'habitude de mes décisions alambiquée, mais qui pour l'instant ont toujours porté leur fruit. La réunification avec Croix venait de moi. L'attaque de l'orphelinat également. En faisant mes preuves j'ai préparé la suite pour toi.
Alors soit forte également et ne te laisse pas manipuler par ceux qui pensent en savoir plus simplement parce qu'ils sont plus âgés.

Elena s'est retournée avant de balancer deux mots qui avaient l'air de lui peser infiniment.
Lourdeur des mots.

- Apprenez moi.

Un sourire s'est dessiné sur mes lèvres alors que je me levais enfin pour m'approcher de la jeune femme. Nous devions faire à peu près la même taille. Regard de braise contre regard de glace. Je me suis arrêtée lorsque je n'étais plus qu'à quelques centimètres d'elle. Tout près, si près.
Lui apprendre.
Comme on apprend à une fille, comme je le fais pour toi via ses lettres. Ou comme on apprend à une petite soeur. Ce qu'Elena aurait pu être après tout, de par notre écart d'âge. Oui, dans une autre vie j'aurais pu être l'aînée et elle la cadette. Je lui aurais appris la vie, la méfiance envers les hommes, les batailles, le sang qui coule.
Mais ce n'était pas à une fille ou une soeur qu'Elena me rappelle.

- Tu me rappelles moi à ton âge.

Les similitudes me sautaient aux yeux. L'accès au pouvoir était certes différent. Moi ça m'était tombé dessus un peu par hasard, dans un square à Little Angleton, un héritage. Je n'avais pas dû demander pour l'acquérir, ni me battre pour ça. Mais j'avais dû me démener pour le garder. Mordre, montrer que ce n'était pas mon âge ni mon sexe qui me retenait de faire aussi bien voir mieux que mes prédécesseurs. Dès le début, j'avais été forcée de frapper plus fort, de faire couler plus de sang, de tuer plus. Il n'y avait que comme ça que je pouvais acquérir la validation et le respect des autres membres de Rosenrot.
Elena elle avait pris son courage à deux mains et était venue me voir. La chance qu'elle avait c'était moi, justement. Un Dorian Cross lui aurait rit au nez. Une Anna Campbell ne l'aurait même pas écouté.
Mais moi je voyais sous les apparences, sous la jeunesse. Je voyais la même détermination qui brillait dans mes yeux presque six ans auparavant, lorsque j'avais pénétré pour la première fois dans le QG de Rosenrot.
Je voyais le diamant potentiel sous la pierre terne.
Je me voyais moi.

- Je veux que tu deviennes mon bras droit.

Ma main a caressé sa joue, dans un geste presque maternelle. Puis, aussi brusquement que mon geste avait été doux, je saisi son menton, le relevant avec force pour la forcer à me regarder droit dans les yeux et à ne pas trembler.

- Et je veux que tu arrêtes de me sous-estimer.

[...]

Un diamant sous la pierre.
Une Anja sous l'Elena.

Elena n'était plus triste ou même paniquée. Elle avait retrouvé le calme qui la caractérisait quand elle était à son apogée à Rosenrot. Au souvenir de son temps où son sang-froid était légendaire, sa patience éternelle et ses assauts particulièrement incisifs.
Bien sur, en racontant cette histoire elle se rendait bien compte qu'elle avait fait des erreurs et qu'elle était particulièrement hautaine à cette époque là. Elle avait parfois même un peu honte.
Mais la sorcière n'était pas la seule en tort. Ses parents étaient en tort, son frère était en tort, ses connaissances étaient en tort, l'univers était en tort.
Anja était en tort, plus particulièrement. Elena prit une profonde respiration.

"Anja, avec le recul je ne sais pas quoi te dire sur cette cassette. Tu vois, on a vécu beaucoup de choses. Des positives, certainement. Mais aussi beaucoup de négative. Notamment quand la chute arriva. Personne ne m'avait préparé à ça. Ou même nous je crois, car tu étais aussi désarçonnée que moi.
On nous apprends souvent à conquérir, à gagner, à écraser tout le monde. Mais est-ce qu'on nous apprends à perdre ? Moi, on ne m'a jamais appris. C'était comme si j'étais tombé de tout en haut. Maman m'avait prévenu : le jour où je me prendrais une bonne baffe dans la gueule, je ferais moins la maline et je retrouverais le sens des réalités. C'est vrai que ce ne fut pas des temps faciles.

Je ne sais pas si je t'avais surestimé Anja. Je ne sais pas si j'attendais trop de toi. En fait, je crois que sais. Je t'avais surestimé et par conséquent j'attendais trop de toi. Tu étais comme ma bouée de sauvetage dans un océan d'ambitions. La bouée qui m’emmènerait droit au sommet en me faisant confiance et en me portant. J'avais pas les yeux en face des trous, ça c'est sur. Jamais tu n'aurais abandonné ta place et si tu avais senti que je pouvais te faire de l'ombre, tu m'aurais anéanti d'un geste de la main. Ou peut-être... Ce n'aurait pas été si facile, chère cheffe. Je ne pars jamais sans un combat.

Suite à mon "Apprenez moi", tu t'es levée. Je me souviens que la confiance m'avait de nouveau quitté pour faire de nouveau place à la terreur que tu générais : tu pouvais décider de me tuer pour mon langage un peu trop... "ambitieux". Ça n'aurait pas été justifié. Et maintenant que je connais la suite, je peux juste dire que tu cherchais à m'impressionner. Ah, c'est sans doute dur d'impressionner une jeune femme de 18 ans. Tu t'amusais comme toujours. Comme un chat avec sa proie agonisante.

Tu étais si prés que je pouvais sentir ton souffle contre moi. Ton souffle chaud mais je sentais surtout ton parfum. C'est drôle mais c'est une odeur qui m'a marqué. Trés agréable. Pour moi, tu sentais la violette avec une note de fond en camomille. J'avais presque eu envie de sourire en sentant ça. La jeunesse me frappait en plein visage. Tout comme, l'age adulte me rattrapait.
Violence.

- Tu me rappelles moi à ton âge.

Là aussi, tu m'as marquée Anja. Au fer rouge. C'est la phrase qui a fait de toi ma muse. Mon inspiration. Mon ambition. Mon envie. Mon avenir.
Pour moi, tu étais un ciel inatteignable. Quand tu as dis cette phrase, j'avais presque eu les larmes qui m'étaient montées aux yeux. Je m'étais retenue. Pour mon avenir. Je savais que tu ne voulais pas d'une faible, de quelqu'un qui montrait ses émotions.
Les arcs-en-ciels explosaient dans mon estomac. Mon cerveau me criait d'arrêter ses signaux que tout mes sens ne cessaient de m'envoyer. J'ai peut-être louper ton regard à ce moment là.
Tu m'avais presque fait un compliment. Je crois que tu es plutôt avare de ce genre de petites attentions. Pour toi ce n'était peut-être pas un compliment. Tu étais désormais la personne la plus importante de ma vie. Je n'avais presque pas d'attaches, ma famille ne me considérait plus pareil. Tu étais ma reine. Tu étais celle qui me fallait. Anja, je t'aimais.

- Je veux que tu deviennes mon bras droit.

Tu avais caressé ma joue à ce moment là. Anja, je n'ai plus tout à fait le même age maintenant mais cette caresse.. Je me demande toujours ce qu'elle veut dire cette caresse. Sur l'instant, j'ai bien cru que tu allais m'embrasser. J'étais folle et déconnectée de la réalité. Si j'avais pu léviter à cet instant, je crois que j'aurais pu décoller, transpercer le plafond, faire 351 fois le tour de la terre et revenir à la position où j'étais. Je ressentais le bonheur qui coulait dans mes veines et s'éparpillait dans tout mon corps.
Le bonheur, c'est au final quelque chose d'assez abstrait. Mais ce bonheur, je ne l'ai jamais ressenti à nouveau. Cette ultime phrase était la conséquence de tout mon travail, la conséquence de mon ambition et des gens que j'avais pu tués.
J'étais quelqu'un.
Tu étais mon toi et mon moi.

- Et je veux que tu arrêtes de me sous-estimer.

Tu avais fait ça d'une voix beaucoup plus incisive et en me serrant le menton. Je crois que tu m'avais fait mal. Je ne sais pas si c'est l'avalanche de toutes ces émotions mais je crois qu'une perle salée avait roulée toute seule le long de ma joue.
Et mon pouvoir s'était enclenché. Sans d'autres paroles de ma part, j'avais était frappé par la magie. Une vieille plaie sur mon doigt s'était rouverte et le sang s'était écoulé avant que de la puissance sorte de mon corps. Je ne m'étais rendu plus compte de rien. Je me souviens avoir vu certains objets s'envoler avant de fermer les yeux et de laisser les enfers se déchaînait. Mon pouvoir avait pris le meilleur sur moi et je ne le contrôlais plus. Je sentais le bonheur argenté s'infiltré à travers moi, il me donnait de plus en plus envie de laisser aller mon corps afin de laisser la magie faire son oeuvre et tout détruire autour de moi.
Comme l'apocalypse dans un monde bruyant.
Comme l'hystérie d'une femme silencieuse.
Comme une musique sans ailes.

Tu n'avais pas bougé. Impassible. La décharge d'émotion que tu m'avais donné était tellement considérable que je n'avais plus été en mesure de me contrôler. Ce moment n'avait pas duré longtemps, peut être quelques secondes mais lorsqu'une avalanche d'énergie se déclenche autour de nous, on est pas toujours capable de garder son sang froid. Quand j'avais enfin repris mes esprits, j'avais écarquillé les yeux de stupeur face à ce que j'avais accompli. La pièce n'était pas dans le meilleur état.
J'avais mis un genou à terre.

- Votre bras droit, madame. Un honneur. Je serais à la hauteur.

Je n'avais pas baissé la tête. Bien au contraire. J'étais fière comme jamais et bien que j'avais un genou à terre pour te montrer mon allégeance, je continuais à te regarder bien dans les yeux. Je continuais à me percuter au mur de glace que tu étais. Tu étais définitivement impressionnant à ce moment là Anja, facile avec une jeune inexpérimentée.

La fierté m'avait envahi à ce moment. Je m'imaginais déjà qu'on ne m'appelerait plus Elena mais Mme De Morin'Stal.
La jeunesse est autant un avantage qu'un inconvénient. On est une tête brûlée, sans expérience, et on ose beaucoup plus que si on avait une sagesse entassée par des années d'expériences. Non, je n'étais définitivement pas comme ça, Anja et tu le sais. C'était de cette fougue que tu voulais.
Pour ruiner ma vie."

Elena arrêta la cassette. Cela ne servait à rien d'en dire plus. Quand Anja l'écouterait, si elle l'écoute un jour, elle se rendrait compte de l'erreur qu'elle avait commise.
Elle se rendrait compte que ce diamant était en fait une rose bien fragile sur lequeul tu as mis le poids de tes doléances sans queue ni tête jusqu'à ce que, malgré sa réputation, elle se brise en mille morceaux et perde toute confiance en elle.
Pour la pousser jusqu'à la mort.

Plus Anja repensait à la jeune femme qui était venue, le matin même, dans son bureau, plus elle voyait les ressemblances entre elles deux. Cela lui permettait d'autant mieux de voir les défauts de son nouveau bras droit, qu'ils avaient été les siens à un moment.
Et la chef de Rosenrot était bien décidée à former la jeune femme à son image.
Droite, dissimulant les ressentis et les défauts sous un air de pierre, aucun sourire ou tressaillement. C'était ainsi qu'Anja était parvenue au plus haut et c'est ainsi qu'elle espérait faire monter Elena. L'améliorer... La sorcière noire caressait cette idée du bout des doigts. Elena était sa nouvelle poupée, son joujou personnelle... Si ses soldats étaient de plombs pour jouer à la guerre, Green le fou pour la tourner en bourrique, Elena était elle une poupée de chiffon entre les mains d'une enfant cruelle. Anja rêvait de l'habiller, de la bercer, de la tordre à son image.
Et ce que reine veut...

[...]

Sous mes mots et mon geste, une perle salée à coulé le long de la joue d'Elena. Encore un défaut à rectifier pour qu'elle devienne comme moi. L'âme d'un chef ancré en elle.
Mais je n'ai pas eu le temps de me concentrer sur ma joue que j'ai senti les objets trembler et se mouvoir autour de moi. Ce n'était pas mon pouvoir, non, la force émanait de la jeune femme devant mes yeux. Ce n'était pas comparable à la tempête qui avait dévastée mon bureau quatre ans auparavant, lors de la venue de Green - tu dois t'en souvenir mieux que moi, ayant sans doute lu cette lettre écrite il y a quatre ans juste avant celle là - mais c'était tout de même puissant et intéressant.
Intéressant parce que, une fois de plus, on aurait dit moi.
La moi qui ne contrôlait pas encore ses sentiments et son pouvoir. J'avais dû travailler d'autant plus afin de prendre l'ascendant sur ma télékinésie qui faisait trembler les choses à la moindre frustration. Cacher mes émotions n'était pas un simple jeu, mais une nécessité.
Il en allait de même pour Elena.

Décidément, je trouve cette jeune femme de plus en plus intéressante. Je ne sais pas ce que tu en penses Elaïa, mais elle me plaît. La connaîtras-tu dans le futur ? M'imagines-tu un peu mieux grâce à la comparaison entre elle et moi ?
J'espère au moins que tu n'es pas jalouse. Je ne porte pas de l'amour pour Elena. Juste un regard intrigué et intéressé. Je sais qu'elle peut m'être utile et je sais comment l'utiliser parce qu'elle me ressemble. Mais je ne l'aime pas. Elle me dégoûte tout comme je me dégoûte.
Je ne souhaite à personne de me ressembler.
Et surtout pas à toi Elaïa. Alors n'essaie pas. Ni de me ressembler, ni de ressembler à Elena. Elle ne pourra pas connaître le vrai bonheur, celui que je te souhaite de tout coeur. Non, elle elle sera juste forte. Impassible. Capable de maîtriser son pouvoir et ses émotions.

Je n'ai pas bougé d'un cil lorsque son pouvoir s'est déchaîné, me contentant d'éloigner les quelques objets qui se dirigeaient vers moi d'un revers de mon pouvoir. Me contentant d'observer ses yeux fermés, son doigt qui avait l'air de saigner de plus en plus intensément, les sentiments que je pouvais lire sur son visage.
Soudain elle est tombée, un genoux à terre et la tempête s'est calmée.

- Votre bras droit, madame. Un honneur. Je serais à la hauteur.

D'un geste de la main, je l'ai autorisée à se relever. J'ai retenu ma joie jubilatoire également, ne la laissant pas couper mon visage d'un sourire ignoble et trop humain. J'ai repoussé ces sentiments, hochant simplement de la tête à ses mots avant de retourner à mon bureau.

- Soit. Dans ce cas je préviendrai Rosenrot. La cérémonie aura lieu à la prochaine pleine Lune, comme le veut la coutume.

Je me suis rassise, saisissant la cloche en bronze renversée sur mon bureau qui me servait à appeler un esclave. Il fallait bien ça pour remettre un peu d'ordre dans la pièce. La conversation était close.
Cependant, juste avant d'agiter l'instrument, j'ai suspendu mon geste afin d'ajouter quelques mots pour mon nouveau bras droit :

- Il va falloir régler ce problème de pouvoir. Rejoins moi tous les samedi matin dans la salle d'entraînement.

Puis j'ai ajouté la cloche avant de commencé à rassembler les quelques papiers encore éparpillés sur mon bureau. C'était un rapport d'un de mes soldats, un certain Mike O'Callaghan. Enfin ça, c'est une autre histoire ma très chère fille.
Mais j'espère que cette histoire là, celle d'Elena De Morin'Stal, aura su te faire comprendre Rosenrot et ta mère.

Ich liebe dich.
Deine Mutti

Reine l'obtient.