Je me suis toujours demandé qu’est-ce qui donnait ses couleurs au ciel à l’aube et au crépuscule. Sûrement que la réponse se trouve quelque part sur internet, mais je préfère formuler des hypothèses fantaisistes à la réalité froide de la science. L’ignorance ne m’a jamais empêché d’apprécier les couchers et les levers de soleil après tout, ni de retirer ce privilège à d’autres pour toujours. Il n’y a pas grand-chose à comprendre à la guerre au bout d’un moment, non ? Pourquoi la personne en face mériterait la mort alors qu’elle ne nous a jamais rien fait personnellement ? J’ai cessé de questionner les ordres quelque part au milieu des années, passant en autopilote, peut-être dans un réflexe d’auto protection.

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Il balance ses jambes dans le vide, assis au bord d’une falaise alors que le Soleil se lève et commence à lécher la Terre de ses rayons. Son regard se porte sur une de ses mains, paume vers le ciel. Malgré le port répété de gants, elle est devenue caleuse, chaque vie prise ayant tracé un sillon de plus dedans. Il approche de ses trente ans mais c’est comme si il en avait le double, la lassitude se lit dans son regard. Oui la guerre est en train d’être gagnée il semblerait, mais à quel prix ? On ne réchappe pas indemne d’autant de morts, de destruction, de haine sans but, sans objectif, aveugle et brûlante. Toutes ces vies, ces existences, ces espérances, ces peines, ces bonheurs, gâchés, gâchés gâchés gâchés. Quel gâchis, voilà ce qu’il en reste.
Enfin, ce n’est pas tout à fait vrai.
Il y a cette petite vie, lumière au milieu d’un abysse de morts, sauvée et préservée, adoptée en remplacement… Non, pas en remplacement, adoptée par responsabilité au début et maintenant gardée par amour. Jamais rien ne remplacera l’enfant qu’ils ont perdu avec Shybaï, peut-être la perte la plus lourde de toute la guerre pour lui. Une double perte, en réalité. Un petit bout de lui-même s’est brisé et est parti le jour où Shybaï l’abandonné et l’a laissé incinérer leur bébé mort-né seul. Il en a passé du temps à rationaliser, il comprend, il comprend pourquoi elle a agi ainsi. Qui est-il pour juger de comment quiconque fait face à sa peine ? Mais il ne peut empêcher cette amertume qui se rappelle à lui de temps à autre. Pourquoi n’était-il pas suffisant, nécessaire, à panser ses blessures ? A quel moment a-t-il échoué, que n’a t-il pas bien fait, pour que sa propre femme décide que le fuir était le meilleur moyen pour se préserver et soigner sa peine ?
Il ne le lui dira jamais. Cette peine est pour lui, tout comme sa peine était pour elle.
Et Ren. Son meilleur ami, son gros chat, son fidèle compagnon. Lui aussi est parti sans un regard en arrière, sans un mot. Tajeki a été le chercher bien sûr, il s’est mis en colère évidemment. Il s’est mis en colère pour masquer sa peine et peut-être sa rancœur. Comme pour Shybaï, il comprend, mais il ne comprend pas. Où a t-il failli deux des personnes les plus importantes de sa vie ?

La prise du Mystery a été tout aussi douloureuse, le lieu qui renfermait tant de bonheurs entre ses murs n’était plus qu’un pâle souvenir de ce qu’il avait été. Là aussi, Takeji est passé en pilote automatique. L’objectif était la reprise de l’orphelinat, il a œuvré en ce sens. Non sans mal la victoire a été acquise, mais là aussi à quel prix ? Un autre petit morceau de son cœur est parti ce jour-là, devant les cadavres d’enfants dans les cachots, devant la vue de son ancien appartement saccagé, envolé avec l’innocence qui se trouvait en ces lieux autrefois. Il ne redeviendra jamais professeur ici, sa peine est trop grande, la boule dans sa gorge trop douloureuse pour accepter d’y remettre les pieds à nouveau.

Peut-être est-ce la punition pour avoir pris toutes ces vies pendant la guerre. Qui est-il, après tout, pour juger de qui doit vivre et qui doit mourir.

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Oups, je crois que j’ai encore eu une absence, non ? Ça m’arrive de temps en temps. Peut-être que je devrais voir un médecin ? C’est probablement ce que dirait Shy, si elle savait. Mais je crois qu’elle ne sait pas. Je ne veux pas l’inquiéter, elle n’a pas besoin de savoir que j’ai probablement dû me cogner la tête une fois de trop quelque part au milieu d’un combat. Tant qu’il n’y a pas de témoin, pas vu pas pris comme on dit.

Oh.
Vous êtes là ?
Ça fait longtemps.
J’ai presque eu le temps de me sentir seul dites-donc. Ne dites rien à Shy, hein ? Elle n’a pas besoin de ça.
Je me relève en époussetant la poussière sur mon pantalon. Je devrais rentrer, Shy va finir par s’inquiéter les enfants vont se lever. Trois bouches à nourrir, on est pas trop de deux moi je vous le dis. J’étais venu ici pour réfléchir à la proposition que m’a faite Orphéo à la base mais, évidemment, je n’en ai rien fait. Edwin m’a proposé, au titre de mon investissement dans la guerre, une position au sein de la police secrète, avec un salaire qui pourrait me faire rougir tellement il compte de chiffres. Quand il me l’a annoncé je l’ai regardé de haut en bas avant de lui demander si il pensait vraiment que j’avais la dégaine d’un agent secret. Et après, juste pour l’embêter, j’ai rajouté que si il voulait m’ajouter dans un truc avec Kurt il fallait que je demande la permission à Shy avant mais que eh pourquoi pas, j’ai toujours été curieux. Il a soupiré et m’a viré de son bureau après ça, mais je vous jure que j’ai cru entendre sa porte ricaner. Il passe trop de temps dans son bureau, ses pouvoirs sont en train de déteindre sur son mobilier. En partant sous les moqueries de sa porte, il m’a dit de prendre le temps de réfléchir et que rien ne pressait. Donc je vais faire ça. J’y réfléchirai demain, à tête reposée.

Même si ça fait plus d’un mois maintenant que demain est étrangement repoussé tous les jours.