Il a l’impression que cette journée ne s’en fini pas. Ils étirent des banalités à longueur de semaine, des coups et du sexe, pas de mots mais des regards crus, acérés, du sexe encore et puis de l’absence. Beaucoup.

Il l’a suivi sans savoir vraiment pourquoi et Anja, à présent, le laisse rester à ses pieds sans raison non plus. Tout se distant, temps relatif qui n’en peut plus de rester à l’arrêt. Si ça ne tient pas debout, ce n’est peut être pas leur faute mais une fatalité, le destin, la vie.
Peut être ne sont-ils pas faits pour être ensemble. Green pince ses lèvres; il ne croit pas en une destiné unique, il a cru à sa famille, il a cru en Bleu, il a cru pour Chloé une suite possible. Il a imaginé un avenir avec Myaw, il s’est imaginé Elaïa dans ses bras.

Jamais Anja.

- Je sais pas ce qu’on imaginait.

Rien, justement. Il n’y a pas eu de préméditation, dans ses rêves, Green ne baise pas Anja. Il ne le peut pas, il n’en a pas le droit, toujours pas, et ce n’est qu’au réveil qu’il se rend compte du corps étendu, comme une autre vie différente. Séparé en deux, l’éducation qui délimite trop bien les droits et qui ne cède pas, maintenant qu’il peut.

Il attend comme un vampire sur le pas de la porte.

C’est bon maintenant, Green, tu peux faire revenir tes sentiments. Tu peux faire revenir tes mots, personne ne te demandera de les reprendre, personne ne te frappera pour avoir glapit de douleur.

Personne.

Sauf Anja ?

Elle se penche avec douceur et légèreté. Il ne sait pas d’où il vient, ce mouvement aérien entamé comme si rien n’avait eu lieu. Il se sent perdu mais il laisse venir, coups et blessures, baisers et sensualité peu importe, ça vient d’Anja. Il la déteste, la méprise, l’aime, la veut, la repousse, elle le dégoûte mais elle l’attire.

La mouche dans la toile, le papillon dans la flamme.

Et puis alors.

- J’abandonne

Ce matin, elle a dit « tu m’as manqué » et maintenant elle pensé « j’abandonne ». Comme ça, en quelques heures, quelqu’un a soufflé sur le château de cartes et il s’est effondré. Mais Green transporte sur ses épaules toutes ses contradictions et il fronce les sourcils, levant ses yeux blessés vers la blonde. Ses sourcils sont haussés, plissés dans cette expression de peine.

Voilà, c’est ça. Il a de la peine, son coeur se serre.

Lui qui essaie, qui pense vraiment qu’il essaie, il regarde avec un pieu au coeur la jeune femme baisser les bras. La moitié de lui est trop vieille pour réagir, l’autre est trop fatiguée.
Il ferme les paupières mais quand il regarde à nouveau Anja, c’est avec le menton levé plein de défi.

- Non.

Et puis c’est tout. Il est hors de question de tout recommencer, de serrer quelqu’un d’autre dans ses bras, d’apprendre à embrasser d’autres lèvres, il est hors de question d’apprendre d’autres courbes dans la noirceur d’une autre chambre, de connaître les préférences, de savoir si l’autre sucrera ou pas. Il en a assez de devoir se trouver un autre chemin, pour une fois il veut savoir ce qu’il y a au bout. C’est injuste, pourquoi est-ce qu’il devrait arrêter tout ça ?

Parce que ça fait mal ?
Parce que cette fois, ça fait un peu trop mal ?

Elle a osé lui mettre cette pensée dans la tête, une télépathie pour mieux ancrer le propos, mais têtu et buté le garçon, une moue en colère sur le visage, continue de parler :

- M’abandonne pas. T’as même pas essayé.

Il sait que c’est méchant mais n’en a plus rien à battre. Peut être qu’elle lui a tendu des perches, peut être qu’il a été aveugle.

- Comme avec Elaïa. T’as même pas essayé de la garder.

Il se sent enflé d’une colère qui ne s’apaisera pas mais ne le montre pas. Seules ses joues se colorent d’un rouge vif. Il a quand même bien envie de hurler que si Anja n’est pas capable d’essayer plus fort alors il ne la connait pas, alors ce n’est pas celle qu’il a baisé sur son bureau, celle à qui il a fait un enfant.
Mais si Green sait taire les mots qui feraient du bien, il sait aussi tuer ceux qui feraient du mal.
Il vrille ses prunelles dans celles bien trop connues de sa reine.

- S’il te plaît.

Il souffle.

- Laisse-nous recommencer à trois.

Qu’en dirait Allen ? Arya ? Les Souls ? Cyan ? Olive ?
Bleuann ?
Qu’ils parlent, Green a été sacré roi, on n’enlève pas la couronne de la tête de celui qui peut nous la trancher.

Elle ne dit rien. Qu’attendait-il ? Des mots cernés d’acceptance ? Anja n’est pas de ces femmes là - elle ne ressemble à aucune autre. Peut être le brun aurait-il apprécié de retrouver des motifs semblable à ce qu’il a connu mais elle se révèle toujours ailleurs. Il n’a qu’au lit qu’il la sent humaine, les lèvres mordues ou les yeux clos.

Donc, Anja ne réagit pas. Visage fermé, lèvres scellées. Elle ne dégage aucune magie quand elle fait ça, reine de glace dans son château. Ne voit-elle pas qu’elle est à ses côtés ? Green n’en sait rien, si la reine divorce du roi, le roi reste-il roi ? Peut être est-ce la petite princesse blonde qui va choir de son trône. Il n’est pas intéressé par le pouvoir, et encore moins dirigé une guilde et fous - et pas d’assassins fins et puissants, non, juste des drogués à la violence et au contrôle. Mais que ne ferait-il pas pour tenir la petite Elaïa dans ses bras ?

Il n’en sait rien.

Sa ligne du dos s’est abaissée, toujours reine mais moins dictatrice, peut être la fatigue prend-elle enfin le dessus, la lassitude venue d’en bas qui prend les rênes et qui lui dit que s’en est assez.

Alors elle sourit.
Green secoue immédiatement la tête - qu’elle se retranche donc derrière son masque de plâtre, il a déjà vu ce qu’il y a derrière de toute façon. Qu’elle joue à ce jeu là, elle n’a qu’à y perdre. Peut être qu’Anja n’apprend jamais finalement. Green a plus de pouvoir que ce qu’elle soupçonne et s’est en l’éloignant, en le rendant plus aigri, plus en colère que peut être qu’un jour il sera celui qui lui crèvera le coeur.

Peut être est-ce déjà fait.

Alors les yeux, ces si jolis yeux bleus.

Si Anja ne le laisse pas entrer dans son château, peut être y mettra-t-il le feu. Il sent la colère lui chauffer le sang et lui comprimer les veines mais il ne dit rien, son instant de parole est passé, il a trop parlé visiblement. Elle ne sait pas ouvrir les portes quand finalement il laisse couler ce dont elle a besoin. Fière et déterminée, sans âme ni logique.

Aucune, logique.

Sauf celle d’arriver à ses fins ? Mais quelles fins ? Le bonheur est exclu, mais celui de sa fille aussi. Il s’imagine un moment lui attrape le bras jusqu’à lui faire bleuir la peau pour lui dire « tu sais bien qu’elle ne peut pas grandir dans ce monde là. Ne la laisse pas vivre ça. » Mais est-ce que la reine se soucie réellement de sa progéniture ? Elle ne souhaite visiblement pas qu’Elaïa prenne sa suite, mais visiblement pas non plus pour la fillette un avenir heureux, radieux, libre. Avec les gènes Von Duisbourg et Soul, Elaïa est condamnée.

- Rentrons.

Green expose à Anja un immense sourire, radieux de celui qui laisse tomber, qui abandonne pour cette fois parce qu’il sait qu’il a encore le temps. Il a encore le temps et puis surtout, il se rend compte que l’araignée qui le retient prisonnier dans sa toile n’a plus vraiment envie de se battre pour le garder. Qu’elle est lasse elle aussi et que de se fait, il se pourrait bien qu’il finisse par tomber. Il espère dans un sens que ce n’est pas la fin avec Anja, il sait bien de quoi il est capable. Il imagine qu’Allen ne serait peut être pas compte le renversement de la belle blonde et que par conséquent il aurait l’appui de ses frères et soeurs, imprévisible fratrie qui sait rayer les choses d’une carte.
Comme Chloé.
Une fille de plus sur le tableau, rayée par des mâles pour le pouvoir des mâles. Peut être que Green est son seul appui stable, mais si la reine souffle elle même son château de cartes, pourquoi ne pas en profiter pour la noyer dans ses douves ?

Il en vient même à presque rire, acide, acide, acide alors qu’il siffle.

- C’est toi qui vois

C’est une phrase en suspend, pas une interrogation ni une affirmation, juste un flot de mots qui montre enfin le vide dans son corps, son âme, son corps, sa reine a décidé de faire table rase et étrangement il sent que lui aussi est sur la liste des choses à balayer. Mais tant pis, n’est-ce pas, c’est trop tard désormais. Il a fait son trou, son tas, il a mis son odeur partout, sur les habits sur les portes et sur le lit, il lui a fait l’amour et elle l’a enivré, il a laissé des morceaux de lui dans la salle de bain et sur la table à manger, il a mis son coeur dans des plats et son âme dans les draps et Green, il sait bien comment ça marche Green. Il sait la solitude et les jours où on tourne en rond, il sait qu’on ne dirige pas des hommes seulement avec sa tête et sa logique, Que si Dorian mais sa folie sanguinaire et sa violence dans ses actions Anja y met son coeur et son passé.
Alors bon, peut-elle vraiment fermer la porte et jeter la clé sans perdre ce qui fait ce qu’elle est aujourd’hui ? Croit-elle pouvoir vider les pièces, virer le roi et la princesse mais garder ses alliés politiques ? Brûler les meubles mais sauver le plancher ?

Ironie.

Il n’a pas envie de la menacer, Anja est plus fine que ça. « Garde tes ennemis près de toi » ugh ? Green n’a pas envie d’être l’éborgné de la nuit. Mais il sait désormais qu’elle n’est plus imprenable, qu’en cachant ses faiblesses elle les exposera au grand jour. Il n’a pas non plus envie de la contraindre « moi j’vais récupérer Elaïa » et comment ? Qu’est capable de faire la sorcière pour empêcher Elaïa de partir ?

Pour de bon ?

Et Green ?

Un goût de vengeance sale ses lèvres ourlées qu’il a si souvent posées sur celles d’Anja. Il a tellement envie de l’atteindre que ça en est ridicule, il la préfère apeurée, jalouse, amoureuse, violente, atroce qu’indifférée. Voilà ce dont il a vraiment peur, du mur de glace qu’elle lui oppose mais il a bien compris la leçon, les mots ne marchent plus, les actions non plus, pas plus que les silences.

Allons bon.

Quelles options lui restent-il ?

Tout son monde est tellement abimé qu’il croyait finalement avoir trouvé un petit coin qui allait, un endroit qu’il aurait voulu garder à tout prix et qu’il regarde maintenant Anja saccager avec rage et stupidité. Et c’est bien le problème, il peut pas se tirer de sa réalité parce qu’elle est toujours là à l’attendre, tous les matins.

- Mais j’suis pas sûr de pouvoir te laisser partir.

Voilà, au moins c’est sincère et cruel, ça sonne comme ça devait sonner et c’est tellement, mais alors tellement vrai. Si il veut l’atteindre il peut l’atteindre, par Allen, par ses frères, par Elaïa, il peut l’atteindre en lui coupant la gorge dans la nuit ou en lui soufflant qu’il l’aime le matin. Comment a commencé cette journée déjà ?

Pas si mal.

Il ne peut pas la laisser partir, c’est tout.
C’est tout et c’est bien trop.

Bien sûr qu'elle n'a rien dit, elle a dit rentrons, nous, rentrons, comme si il y avait une maison au bout mais Green n'est pas idiot et le sourire de sa belle a tout dit déjà. Ce n'est plus sa belle, c'est Anja ç nouveau, capable de le faire dormir sur le canap et prétendre devant les autres. Divorcer même si ça lui chante, défier Allen, le passé, l'amour, la haine, tout.
Mais Anja est plus petite que ce qu'elle le croit et Green bien plus en colère que ce qu'il aurait pu imaginer.