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Sujet: Le gouffre qui avalait les gens Lun 24 Sep 2018 - 10:07
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Sujet: Re: Le gouffre qui avalait les gens Sam 6 Oct 2018 - 14:26
Le soleil tapait fort lorsque Carla rentra de la boulangerie. Son nouveau travail - enfin, elle avait terminé son apprentissage, trouvé une voie, un chemin - lui plaisait. Elle aimait confectionner des gâteau, caresser la pâte et sentir l’odeur du pain chaud gonfler dans le four. Quand elle se levait à l’aube, qu’elle parcourait à bicyclette les quelques kilomètres qui la séparait d’un petit village voisin où le boulanger avait bien voulu la prendre sous son aile, quand elle se glissait dans son tablier et qu’elle façonnait ces petits bout de rien avec des gestes qui étaient devenus son quotidien, elle oubliait tout le reste. Louis, les terroristes, le viol. Puis il lui fallait rentrer. Faire le chemin à l’envers sur son vélo, alors que le soleil dénonçait sa présence. Elle devait prendre les petites routes et glisser jusqu’à Little Angleton en tressautant au moindre bruissement de feuille qui aurait pur trahir la présence de quelqu’un. Elle dissimulait son vélo à l’orée du village et retournait chez elle dans les ombres, le cœur battant à chaque pas. La peur de tomber sur un homme au visage sombre et à l’arme au bout de bras. La peur de revivre le sang, les coups entre ses jambes, la haine et la mort.
Elle aurait pu quitter Little Angleton. Sylvester le lui avait conseillé et tout le monde avait fui. Désormais, c’était un village mort, un village où ne régnait que des fantômes. Celui de sa mère allant faire les courses au marché, ceux de ses amis courant vers la falaise, ceux de toutes ses âmes qu’avaient abrité le passé et qui à présent étaient mortes ou parties. Mais Carla était restée. Fermement, à attendre chaque jour le retour de Louis. Elle passait beaucoup de temps seule, à vivre presque en ermite dans l’appartement de son amant. Elle ne pouvait rien faire d’autre ; pas se battre ni aller le chercher. Sylvester avait promis qu’il retrouverait son apprenti, qu’il en avait les moyens et elle l’avait écouté. Elle attendait. Seule.
Souvent la nuit, elle entendait des cris venir de l’orphelinat. Alors elle cachait sa tête sous les oreillers et vissait ses écouteurs au fond de ses oreilles pour ne pas entendre. Ça lui rappelait les cris de ses parents lorsqu’ils s’engueulaient. Ça lui rappelait son petit frère qui venait se blottir contre elle la nuit. Seulement voilà, son frère n’était plus là pour prendre sa main et ses parents étaient partis, elle ignorait même où. Voilà bien longtemps qu’elle avait jeté son téléphone dans les toilettes, coupant toute communication avec le reste du monde. Ne lui restaient que ses yeux pour pleurer. Elle était seule.
Alors, comme tous les jours depuis désormais trop d’années pour les compter, elle rentra sur sa bicyclette, cacha l’engin dans des buissons, se laissa bercer contre les murs jusqu’à arriver chez elle, le cœur battant à tout rompre. Puis elle se laissa tomber, ne préparant pas de dîner, comme bien souvent à présent. Elle se laissait mourir à petit feu, touchant à peine à ses repas les midis, sous l’œil vigilent de son patron.
Mais ce soir c’était différent. Parce que ce soir, trois coups furent frapper à la porte de l’appartement, à la porte de son cœur. Trois coups qui firent naître la frayeur et l’espoir. Et si c’était Louis ? Et si c’était un terroriste ? Carla était lasse de se battre. Alors elle ouvrit la porte. Et si c’était un meurtrier, et bien tant pis. Qu’il la viole encore et lui mette une balle dans la tête. Qu’on en finisse.
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Sujet: Re: Le gouffre qui avalait les gens Jeu 11 Oct 2018 - 17:09
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Sujet: Re: Le gouffre qui avalait les gens Dim 14 Oct 2018 - 14:56
Une déception traversa, l’espace d’un infime instant, le visage émacié de Carla. Louis n’était pas derrière la porte, avec son sourire railleur et doux de toujours. Ça, elle s’y attendait. Pourtant, elle espérait autre chose, bien pire. Elle voulait une arme, elle voulait des muscles, un visage mal intentionné contre qui elle n’aurait rien pu faire. Elle aurait voulu qu’enfin, quelqu’un débranche la machine qu’elle était incapable d’éteindre, parce qu’elle avait promis à Sylvester de ne pas s’ouvrir les veines, parce qu’elle ne voulait pas que Louis apprenne un jour qu’elle l’avait abandonné. Carla avait espéré la mort, mais c’est l’amitié qui la précéda. Rhyan, ses longs cheveux blonds, ses yeux malades et cet air vieux, tellement vieux qui défigurait son être et dans lequel l’humaine innocente avait l’impression de se retrouver. Reflet pâle de ce qu’ils étaient tous, les habitants de Little Angleton, depuis l’attaque du Mystery Orphanage ; des fantômes, tout juste capable de s’occuper d’eux-mêmes.
Carla aurait aimé être capable de laisser les larmes lui piquer les yeux, se laisser pleurer dans les bras de son amie perdue depuis longue date, seule preuve que tout ça, que son enfance, les sourires, les cours de récré, Louis, que tout ça avaient vraiment existé et n’étaient pas le fruit d’une imagination malade, dévorée par la solitude. Mais Carla avait trop pleuré et désormais, elle avait oublié. Alors les larmes restèrent en travers de son cœur et de sa gorge.
- Hé.
Carla ne répondit pas, les mots tout aussi coincés que les sanglots. Elle regardait loin, derrière Rhyan, incapable de fixer les yeux de son amie. Incapable de pleurer, incapable de parler, incapable de regarder. Jouet cassé.
- J’aurais espéré que tu me laisses squatter ton canap ou ton sol pour un petit bout de temps.
La jeune femme s’écarta alors de la porte, invitation sourde à entrer puisque les mots étaient incapables de parler. « Fais comme chez toi » aurait-elle aimé être capable de dire. Mais ce n’était pas chez elle, ça n’avait jamais été chez elle. Cet appartement, l’ombre qu’il portait et qui la dévorait chaque jour, tout appartenait à Louis. [i]Était-il seulement encore en vie ?[/color] Carla marcha ensuite jusqu’à la cuisine. Le frigo était vide et elle le savait, aussi ne prit-elle pas la peine de faire semblant et de l’ouvrir et se contenta-t-elle se sortir deux verres qu’elle remplit d’eau. Puis, saisissant une feuille, un filtre et un peu de tabac qui traînait sur le bar, elle commença à rouler une cigarette, qu’elle sembla mettre un temps infini à terminer puis à allumer, comme si ce simple geste quotidien lui demandait beaucoup trop d’énergie. Enfin, lorsque le bout de sa clope rougit alors qu’elle tirait dessus, elle osa relever les yeux pour les fixer dans ceux de Rhyan et put, comme si cela lui avait demandé un effort infini, ouvrir la bouche.
- Salut Rhyan.
Gorge noire et cendres sur les doigts, le monde entier lui sembla trembler alors qu’elle crachait ces mots.
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Sujet: Re: Le gouffre qui avalait les gens Dim 14 Oct 2018 - 23:28
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Sujet: Re: Le gouffre qui avalait les gens Lun 15 Oct 2018 - 4:43
Le silence était pesant dans la cuisine. Mais c’était un silence pesant, habituel, que Carla ne se sentait pas prête à remplir. Rhyan elle n’acceptait pas le malaise ambiant et ce fut elle qui finit par craquer :
- Louis n’est jamais rentré ?
Cette phrase, quelques années auparavant, aurait fait s’écrouler la jeune femme. Désormais elle ne fit que hausser les épaules, geste fataliste, ombre d’elle-même surtout. Elle s’était habituée à l’absence, à cette vie de vide et d’attente, l’attente de quoi ? De lui, de Sylvester, d’apprendre que Louis était mort. Comment pourrait-il être encore en vie ? Cela voudrait dire soit qu’il l’avait abandonnée, soit qu’il avait subi un sort pire que la mort. La jeune femme ne pouvait envisager aucune de ces deux possibilités, elle préférait encore qu’il soit décéder, enterré au cœur d’une forêt sombre. Ça valait mieux pour tout le monde.
- Et toi t’es pas vraiment restée.
Carla tira longuement sur sa cigarette. Foutus mots en travers de la gorge, foutue gifle qui démangeait sa main et qui pourtant ne partait pas. De quoi se mêlait Rhyan ? Qu’est-ce qu’elle se permettait ? Elle ne savait pas. La terreur, l’odeur du sang dans l’orphelinat, la force entre ses jambes qui la dégoûtait et pourtant qui provoquait le plaisir. Le pire c'était ce plaisir.
- Et toi tu n’es pas morte.
Des mots suivis d’un silence. Un silence lourd de sens. Toi tu n’es pas morte et pourtant tu t’es barrée. Tu m’as abandonnée, exactement comme tous les autres. Tu n’as pas cherché à m’aider, à retrouver Louis, à me soutenir. Elle était pourtant pas difficile à trouver Carla, enfoncée dans son terrier. Des mots acides qui défigurèrent le cœur de la jeune femme. Et qui pourtant ne vinrent pas. Ne viendraient plus jamais.
Qu’est-ce qu’elle foutait là, Rhyan ? Pourquoi venait-elle remuer des fantômes du passé, soudainement, après toutes ces années passées sans être là ? C’était absurde de la voir ainsi dans sa cuisine, un verre d’eau à la main et des mots blessants dans la bouche. L’humaine serra sa cigarette un peu plus fort avant de la lâcher au-dessus de son verre d’eau auquel elle n’avait même pas touché. Le petit cylindre blanc plongea dans le liquide sans un bruit, à moitié consommé seulement, délaissé par sa propriétaire. Il flotterait là un moment avant de couler dans la transparence désormais grisée par les cendres.
- Tu peux prendre le canapé. Il fait lit.
Le regard de la jeune femme s’égara alors sur le meuble désigné, pendant qu’elle se remémorait sa bataille de chatouilles avec son copain - son ex ? - qui avait débouché sur leur première vraie nuit ensemble. Combien de fois avaient-ils fait l’amour entre ses murs ? Sur le canapé, sur le lit, contre une paroi ? Par terre, même, parfois. Pas assez, c’était jamais assez. Carla serait-elle encore capable de se laisser aller contre un homme maintenant ? Après tout ce qu’elle avait vécu, après la douleur entre ses cuisses, elle n’était plus sûre de pouvoir. Même si Louis revenait, arriverait-elle à l’aimer comme avant, avec le cœur et le corps ? Et lui, désirerait-il de ce corps souillé ?
Cette question n’importait pas vraiment ; Louis était sans doute mort.
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Sujet: Re: Le gouffre qui avalait les gens Mar 16 Oct 2018 - 15:43
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Dernière édition par Rhyan L. James le Jeu 15 Nov 2018 - 10:41, édité 1 fois
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Sujet: Re: Le gouffre qui avalait les gens Mer 17 Oct 2018 - 6:14
- Désolée.
Dans l’esprit embrumé de Carla, les excuses de Rhyan ne firent pas plus de bruit que l’incandescence de sa cigarette mourant dans son verre d’eau. Petite étincelle éteinte avant d’avoir atteint le fond. Noyade et suffocation. Déjà l’envie de rouler une autre clope la prenait. Il fallait occuper les mains pour pouvoir occuper l’esprit.
- T’es pas obligée de m’héberger si ça te saoule. J’étais pas venue pour faire chier. J’voulais juste savoir comment t’allais, j’sais pas.
Les yeux surpris de Carla se levèrent pour chercher ceux de son interlocutrice. Elle n’était pas sûre de bien comprendre ; désormais tout apparaissait comme derrière une brume. Elle ne comprenait plus les sous-entendus ou les reproches. Plus rien ne l’atteignait et ce n’était pas plus mal ; ça heurtait moins. De toute façon la douleur refluait aux confins de l’imaginaire après la bataille de l’orphelinat ; plus rien ne pourrait atteindre la honte, la perte, le goût du sang. C’était ça, d’avoir vécu l’horreur ; maintenant rien ne pouvait paraître pire. Tout était édulcoré.
- C’est pas mon appartement. Je ferme pas. Tu peux rester autant que tu veux.
Il fallait occuper les mains pour pouvoir occuper l’esprit. Carla les sentait qui commençait à trembler, énervée, délaissée. Mais le goût du tabac flottait encore dans l’air et rouler une cigarette ne rimait plus à rien. Ouvrant un placard, la jeune femme attrapa un vieux paquet de farine ainsi qu’un sachet de levure. Grand verre d’eau pour délayer cette dernière. Puis saladier afin d’y verser le reste des ingrédients et commencer à mélanger, pétrir avec attention, conviction. Gestes mécaniques pour sauver le quotidien.
- T’aimes le pain ?
C’était sans doute une question idiote ; qui n’aimait pas le pain ? Cela avait un goût facile à appréhender et Carla ne pouvait pas imaginer son amie - étaient-elle réellement amies ? - refuser un bout de pain. Mais peut-être que Rhyan était intolérante au gluten ? C’était presque devenu une mode à présent. Qui sait ? Carla savait si peu de chose sur elle. Sur tout le monde, en fait.
Qu’étaient-ils devenus, tous ? Ange, Luka, Hayley, Ian. Ses amis. Comme toujours ils avaient disparu ; ils étaient les rois pour ça. Luka était déjà partie une fois pour sa mère. Ange pour Luka. Hayley dieu sait où. Et Ian ? Ian avait toujours été là pour elle, mais pas elle. Mauvaise amie. Voilà trois ans qu’elle avait balancé son téléphone au fond des toilettes sur un accès de rage ; il ne lui servait plus à grand-chose de toute façon ; elle avait arrêté de payer la facture en 2014. Amie de merde. Un goût amer dans la bouche, Carla continua à pétrir sa pâte. C’était idiot tout ça. Idiot le monde, les malheurs, la vie. À quoi ça servait au fond ? On naissait, on souffrait, on mourait. On tombait amoureux, mais l’amour tombait. On avait des amis, mais ils décevaient. Ou on décevait. C’était idiot et absurde. Et on finissait, inlassablement, par se retrouver dans sa cuisine à pétrir du pain et à ne pas savoir quoi dire à une amie-inconnue. Ou peut-être que ce n’était que Carla. Badant. Absurde.
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Sujet: Re: Le gouffre qui avalait les gens Mer 17 Oct 2018 - 23:38
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Sujet: Re: Le gouffre qui avalait les gens Mar 13 Nov 2018 - 15:35
- Oui ?
Carla ignora l’intonation interrogative dans la voix de Rhyan - ou peut-être qu’elle ne la remarqua même pas - et continua à pétrir sa pâte avec des gestes précis et mesurés. Des gestes qui étaient devenus des habitudes à force de travail et de patience. Les doigts qui pénètrent dans la mixture, qui s’enfoncent, puis remonte avant de recommencer, éternel manège laissant un sentiment non pas de plénitude à Carla, mais plutôt de vide. Il fallait faire le vide pour oublier. Et recommencer.
- J’ai pas de nouvelle des autres.
La boulangère ne leva pas les yeux de son pain.
- T’as des nouvelle des autres ?
L’humaine ne répondit pas tout de suite, toujours entièrement consacrée à sa pâte, qui était désormais assez pétrie. Elle la sépara par la suite en plusieurs morceau avant de les peindre à l’aide d’un couteau de cuisine avec un peu d’eau - elle n’avait pas d’œuf - et d’y disposer des graines qui traînaient dans ses placards. Puis elle les disposa sur une plaque qu’elle enfourna au four. Tout en réglant la chaleur, elle ne put retenir une justification :
- Normalement il faut laisser lever la pâte, mais là c’est une recette spéciale quand on veut gagner du temps.
Elle se releva ensuite, pris le temps de ranger et de nettoyer son plan de travail puis les instruments qu’elle avait utilisés. Enfin, quand ces derniers reposèrent sur l’égouttoir, elle s’assit sur le bar et regarda Rhyan dans les yeux.
- Il pourrait bien être mort que j’en aurais aucune idée.
Soupir. Les mains de Carla n’avaient plus rien à faire et pendaient dans le vide, incapables de se satisfaire de leur condition. Peut-être que la jeune femme devrait prendre un chat ? Un être qui l’attendrait le soir, au moins pour être nourri, qu’elle pourrait caresser, aimer. Quelle idée stupide ! Un chat ne resterait pas dans cette ville déserte, pas plus que les humains ; seuls pouvaient demeurer des fantômes. Une partie d’elle était partie avec Louis. Était-elle un fantôme désormais ?
- Ma famille non plus, j’ai pas de nouvelle. Et toi ? Comment vont les Kido ?
Small talks et immense effort pour Carla. Paraître normale, civilisée. Prendre des nouvelles des autres, forcer sa mémoire à se rappeler que Rhyan vivait, auparavant, chez les Kido - pourquoi exactement, elle n’avait jamais vraiment compris et Ian avait toujours été assez évasif à ce sujet. Elle se rappelait néanmoins bien de cette famille heureuse ; deux jeunes professeurs du Mystery Orphanage avec des jumeaux en bas âge - ils avaient dû grandir à présent - et un chat. Étaient-ils encore en vie à présent ? Peut-être avaient-ils eux aussi succombé à l’attaque terroriste, comme tant d’autres... Après ce jour terrible, Carla avait scruté les journaux, persuadée qu’ils en parleraient, attendant avec appréhension une liste des victimes. Mais aucune information n’était apparue. Rien. Elle aurait pu croire avoir rêvé, si les gens n’avaient pas commencé à fuir Little Angleton. Si ses amis n’avaient pas disparu. Qui avait survécu ? Qui avait succombé ?
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Sujet: Re: Le gouffre qui avalait les gens Jeu 15 Nov 2018 - 10:42
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Sujet: Re: Le gouffre qui avalait les gens Sam 17 Nov 2018 - 16:31
Carla pourra-t-elle un jour être heureuse ? Saura-t-elle oublier Louis et s’offrir à quelqu’un d’autre, acceptera-t-elle d’ouvrir l’intimité de ses cuisses à une autre personne, qui la touchera là où le feu brûle encore, qui la caressera au même endroit où les griffes ont pénétrées ? La jeune femme n’a jamais vraiment rêvé de la vie classique - maisons, enfants, chien -, mais parfois elle s’interroge sur son futur. Restera-t-elle toute sa vie, seule, à Little Angleton, à survivre jusqu’à ce que, enfin, la mort daigne l’emporter ? Ou parviendra-t-elle à s’extraire de ce malheur, à rencontrer quelqu’un d’autre et à se laisser couler dans un bonheur auquel elle n’estime pourtant pas avoir le droit. L’ombre de Louis règnera, pour toujours, dans son cœur et dans sa vie, mais saura-t-elle fermer les yeux en faisant l’amour à un autre, parviendra-t-elle à se pardonner à elle-même d’aimer quelqu’un d’autre ? Carla n’en sait rien. Pas maintenant, c’est certain. Mais peut-être que plus tard elle prendre le chemin des Kido, aura une maison ravissante, des bambins courant dans son jardin et un gros chien nommé Patapouf. Elle ne serait rien d’autre de plus qu’une de ses mamans qu’on croise dans la rue et qui a l’air heureuse, même lorsqu’elle se plaint que l’aînée peine en géographie et que le dernier ne fait pas encore ses nuits. De l’extérieur tout aurait l’air normal et pourtant, même les gens heureux ont leur part de malheur. Dans les cernes de Carla ne résidera pas que les nuits trop courtes, mais également le fantôme d’un amant. Est-ce que les Kido aussi ont souffert ? Certainement. Ils ont dû perdre des élèves, des collègues, des êtres chers. Ils ont dû laisser derrière eux leur maison et peut-être leur chat. Mais ils s’aiment et l’amour dépassent tout n’est-ce pas ? Sauf quand il disparaît.
- Ça va, je suppose. J’ai pas vraiment de nouvelle, je..
Un soupir échappa aux lèvres de Carla. Au final Rhyan ne devait pas être si différente d’elle. Aussi paumée. Aussi seule.
- J’suis pas très douée pour garder les gens proches de moi.
Hochement de tête, Carla comprenait. Ces paroles lui semblaient être la chose la plus sensée que sa visiteuse ait dit depuis son arrivée. Non pas qu’elle la connaissent assez bien pour la juger, mais parce que, elle-même, était pas plus douée. Parfois il fallait juste savoir abandonner.
- Moi non plus.
Elle haussa les épaules et dévissa son regard de celui de son interlocutrice, le laissant se perdre sur la table et ses verres d’eau, dont l’un dans lequel flottait le corps à moitié immergé de sa cigarette. Elle observa la cuisine, sa nudité, le manque de nourriture ou d’objets personnel ; tout était à Louis ici ; les photos sur le mur, les livres dans les étagères, les quelques bibelots éparpillé à travers la pièce. Tout lui appartenait, y compris son cœur. Arriverait-elle un jour à le libérer ?
- Désolée, je suppose.
Les mots sonnaient mal dans sa gorge. Elle les avait un peu craché comme ça, par convenance, parce qu’il le fallait bien. Mais elle était lasse de tout et avait envie de s’allonger, oublier, mourir. Toujours mourir. À défaut de savoir vivre.
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Sujet: Re: Le gouffre qui avalait les gens Lun 19 Nov 2018 - 22:25
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Sujet: Re: Le gouffre qui avalait les gens Dim 25 Nov 2018 - 23:08
L’odeur du pain commençait lentement à gonfler dans la cuisine. Si Carla n’était pas - plus.- douée en relation humaine, elle l’était néanmoins pour son travail. C’était donc des effluves gourmandes qui entouraient les deux jeunes femmes, face à face presque incapables de respirer. Des effluves qui portant ignorait l’estomac de l’humaine, désormais aussi fermé que son cœur.
- Faudra peut être garder ça pour Ian.
Les yeux de Carla vrillèrent dans ceux de Rhyan alors qu’un sourire - le premier depuis si longtemps - éclorait sur ses lèvres. Ian était donc vivant ? Cet ami si particulier, qu’elle avait dans le sang et sur la peau, cet être si cher à son cœur capable de la deviner d’un seul regard n’avait pas succombé. Ian était vivant et Carla se surprit à s’en réjouir, comme une lumière vacillante au cœur de la tempête. Ian, peut-être Ange, Luka, Hayley... L’espace d’un instant elle entrevit une vie animée, avec ses amis, entourée par des êtres si chers avec qui elle avait grandi. Dans un ailleurs différent, sans fantôme ou alors plus diffus, des arrières fonds présent pour ne pas oublier, mais non pas pesant. Puis l’espoir s’évanouit en même temps que son sourire. Elle savait qu’ils ne suffiraient pas. Malgré tout l’amour qu’elle éprouvait pour eux, ils ne pourraient jamais comblé le creux béant dans son cœur. Ainsi ses mots furent un simple constat :
- Ainsi il est vivant.
Le silence retomba encore un peu, à peine entrecoupé par leur respiration. Puis, presque brusquement, Rhyan le rompit :
- Je suis pas très douée pour donner des conseils non plus.
Carla acquiesça ; elle n’en cherchait pas de toute manière. Quel genre de conseil aurait pu l’aider à aller mieux ? À surmonter la perte de l’amour de sa vie ? À oublier le feu entre ses cuisses ? Elle n’avait pas besoin de conseil, elle n’avait pas besoin de mots. Elle avait besoin de Louis. La minuterie du four éclata douloureusement dans l’atmosphère. Sans commentaire, Carla se glissa derrière le comptoir, enfila un gant et sortit le pain du four. Il était doré, croustillant, parfait. Si différent d’elle. Elle posa la plaque encore chaude sur le plan de travail et recula, se dirigeant lentement en direction de la chambre, comme si elle était seule, comme si elle ne venait pas de faire cuire du pain pour un absurde repas. Ses pas glissaient sur le sol, lascivement, échos de ce qu’elle n’était plus. Et l’odeur du pain qui trainait derrière elle comme un mauvais sort.
- Tu peux te servir. Je crois qu’il y a du miel dans un des placards. Fais comme chez toi, pour le lit aussi. Il y a des draps dans l’armoire de l’entrée.
Se rendait-elle seulement compte à quel point elle laissait la situation transparaître de la manière la plus absurde qu’il soit ? Ne voyait-elle pas sa propre asociabilité ? Sans doute pas, elle avait trop vécu toute seule, trop longtemps. Et pourtant, sur le pas de la porte, Carla se retourna comme prise d’un sursaut de conscience.
- Tu sais Rhyan, je comprendrais si demain tu n’étais plus là. Pas besoin de laisser un mot, c’est de ma faute après tout.
Elle referma ensuite la porte, toujours avec cette même lenteur qui la caractérisait, puis se glissa à travers les draps, non sans avoir avalé un somnifère au préalable. Peut-être rêverait-elle de Ian.
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Sujet: Re: Le gouffre qui avalait les gens Lun 4 Mar 2019 - 14:55