Il avait revêtu un costume blanc pour l'occasion. L'âme blanche aimait s'habiller avec sa propre couleur, tout comme l'âme rouge aimait le sang ou l'âme argentée se jeter des poudres pailletées dans le nez. Dans une main, il avait une mallette que lui avait confiée Anja von Duibourg. Dans l'autre main, un drapeau blanc. Drapeau bianco. Bien sûr, Orpheo avait été prévenu de son arrivée, mais c'était pour le geste.
Les traits d'humour version Soul.
Bianco n'avait pas peur. Il ne trembla pas en pénétrant dans le bâtiment imposant. Ce n'était pas un sentiment qu'il connaissait, la peur. Ni sur les champs de bataille, ni dans les recoins de la politique. Il savait que cette journée serait à marquer d'une pierre blanche dans sa carrière ; un tournant qui lui vaudrait les faveurs du père et d'Anja s'il parvenait à négocier. Peut-être qu'Allen Soul prendrait enfin conscience de l'erreur qu'il avait faite en voulant faire marier Anja à Green. Le frère vert qui n'était qu'une éternelle déception pour la famille.
Heureusement qu'il était là pour recadrer l'armée arc-en-ciel.

La sorcier noir avança dans l'immeuble et, sur son passage, vit les exorcistes se retourner, probablement éberlués par sa présence et par ce qu'il dégageait. Courez courez, petites chèvres, le loup est dans la bergerie.
À l'accueil, il posa le tissu blanc sur le comptoir et sourit aimablement à la personne qui lui faisait face. Un sourire de serpent.

– Bianco Soul. Je viens pour les négociations.

Il entendait le cœur de l'autre battre depuis où il était alors que son collègue avait déjà le téléphone collé à son oreille, sans doute afin de prévenir tout le bâtiment de sa présence. La dame de l'accueil finit par déglutir et se relever, avant de l'accompagner jusqu'à une salle de réunion vitrée.

– Je vous remercie.

Elle acquiesça vivement avant de disparaître, le laissant poser sa mallette sur le bureau. Le drôle de jeu pouvait commencer.

Un homme pressé

Ni Alicia, ni Selena n'avaient cru ou même osé imaginer voir venir ce jour. Elles avaient rendez-vous, ainsi que d'autres chefs de QG et exorcistes ayant travaillé de près sur le dossier Rosenrot, avec Bianco Soul. Un dignitaire assez haut placé dans la hiérarchie de l'organisation noire. Le fils d'une grande famille bien connue à présents des services militaires et de renseignement d'Orpheo. Il avait dirigé le Mystery Orphanage pendant l'occupation de celui-ci, on le décrivrait comme un homme froid et sans grands états d'âme.

Aujourd'hui toutefois, il ne posait pas le pied dans le QG londonien d'Orpheo pour lui-même. Il venait parler pour sa cheffe, sa maîtresse. Anja Von Duisbourg.

Alors que les deux femmes étaient debout, derrière une table en bois et en verre, elles le virent entrer, vêtu de blanc -on disait en effet que la famille Soul avait le sens du symbolisme- et tenant d'une main une malette, de l'autre, un drapeau tout aussi immaculé. Bianco Soul, se dit Selena. Une âme blanche. Ce n'était pas du tout ce qu'évoquait ce jeune sorcier -il n'avait pas plus de quarante ans- dont on avait entendu parler des crimes, de l'absence de "travers" contrairement à d'autres membres de la fratrie. On n'aurait su déceler une faiblesse chez lui.

Et maintenant il était là. On venait de le faire entrer, dans cette salle de réunion sobrement décorée, où les deux femmes se tenaient, une expression ferme sur le visage de Selena, celui d'Alicia simplement fermé, dans le regard simplement les morts causés par eux. Ceux que représentait actuellement ce grand brun, trop beau et propre sur lui pour être sain.

Elles ne souhaitèrent pas la bienvenue. Selena désigna simplement une chaise de la main et lui adressa un signe de tête.

"Bonjour" fut le seul mot prononcé par les deux femmes.

Sans se concerter, l'économie de mot était apparue comme la situation la plus judicieuse. Tout était beaucoup trop inhabituel et dangereux pour risquer le moindre rapprochement avec l'ennemi. Surtout en présence de l'autre partie de la bête. Cormag Scrimgeour, représentant les conservateurs, mais, de façon plus importante, le QG d'Orpheo Allemagne, pays d'où était originaire l'organisation, qui, aujourd'hui semblait vouloir se rendre. Il avait donc des droits tout à fait légitimes d'être présent et devrait contribuer à l'accord final tout autant que les autres personnes présentes dans cette pièce. Ils n'étaient pas très nombreux, histoire de ne pas compliquer le processus, mais leur responsabilité était immense.

Ils pouvaient arrêter une partie de la guerre qui durait depuis plus de cinq ans. Maintenant.

Ils avaient tous reçu le message. Rosenrot envoyait un délégué pour négocier sa reddition. Cormag avait des termes, oooooh qu'il en avait, probablement trop par rapport à d'autres qui étaient dans la salle. Il voulait tous les exterminer. Voilà quelles étaient ses conditions, à lui. Nul doute que cela ne se passerait pas de cette manière, il le savait, d'où les négociations. Il espérait juste que celui qui était envoyé savait faire. Il aurait préféré Anja elle même, mais elle ne serait probablement pas ressorti du bâtiment. Du moins, pas vivante.

Dommage que ce Bianco Soul ait dû faire tout ce chemin jusque Londres alors que... Le QG Orpheo de Berlin était tout près du leur, n'est-ce pas ? Enfin, c'était symbolique de venir dans le plus grand des QG. Au moins, ça voulait dire affaire sérieuse. Il appréciait que l'ennemi prenne les choses au sérieux.

Le soldat rentra dans la salle où tous l'attendait déjà. Alicia, Selena et quelques autres lui dirent bonjour, là où Cormag ne fit qu'un signe de tête pour le saluer, le visage fermé. Il posa son drapeau immaculé sur la table, ainsi que sa mallette. Le directeur allemand lui laissa le temps de s'installer.

– Vous vous doutez que nous avons nos termes de négociations. Mais je voudrais d'abord savoir quels sont les vôtres.

Cette réunion n'avait pas été préparée, et cela était bien dommage. Il ne fallait pas que l'ennemi voit de plein front les dissociations au sein d'Orpheo. Ainsi, il se rangerait à la majorité. Mais il voulait d'abord savoir ce que ce Bianco avait à proposer. Rien ne lui ferait plus plaisir que la tête de leur cheffe. Sauf qu'elle serait bien vite remplacée. Et ensuite ? On recommençait. Il fallait donc quelque chose de plus fort, de mieux. Qu'avait-il ?

« Capitulation »

C’est censé être le maître mot de cette réunion totalement extraordinaire. Rares sont les fois où un sorcier noir pénètre dans l’enceinte d’un QG en s’étant annoncé précédemment à l’accueil. Je grince doucement des dents en songeant à tout le mal que cette organisation – entre autres, et Croix ont fait au monde magique ces dernières années. A leur montée en puissance et leur décadence progressive, au prix de nombreuses vies. Pour que la douleur se fasse sentir jusque dans mon cœur, c’est que Rosenrot a su semer les graines de la discorde au-delà de l’Atlantique. Difficile de cacher les souvenirs et les pleurs sous une chemise repassée et une veste aux couleurs de la nuit.

Lorsque le sorcier se présente face aux quelques dirigeants d’Orpheo présents, je sens passer un goût amer sur ma langue. Du blanc. Du blanc immaculé sur ses habits, sur le drapeau qu’il tient. L’envie d’aller acheter un pot de peinture rouge pour le lui envoyer en ajoutant un « porte ce qui te va. » me titille mais je reste imperturbable. Bianco Soul. Est-ce que la notion même de son prénom n’est pas une insulte faite à tout le monde magique ? Les Soul font partie des familles les plus actives chez les noirs. Chacune des têtes colorées est mise à prix, certaines même précisées de la mention « mort ou vif ». Apporter un drapeau blanc, paraître propre et net sur soi n’effacera pas la douleur des familles.

Parce que la directrice du QG d’Angleterre prend la peine de le saluer, j’en déduis que les familiarités sont dès à présent closes. D’ailleurs, mis à part Cormag, personne ne semble vouloir intervenir. Sa réponse me laisse cependant pantois. Pantois du personnage normalement si intransigeant. Demander au Soul d’annoncer les termes de son contrat ? Pourquoi s’embêter ? Rosenrot est en train de péricliter, l’issue de la guerre est décidée et nous nous permettons finalement d’écouter soigneusement les revendications des perdants ? Pour une fois qu’Orpheo peut et doit se montrer inflexible, voilà que son représentant le plus extrémiste montre patte blanche.
Nous gagnons. Le Soul, dans sa mise en scène, affiche clairement un désir de pourparlers. Qu’elle soit honnête ou non, c’est malgré tout l’intérêt de cette réunion. Je comprends qu’il sera plus aisé de comprendre leurs motivations, exposer leur faiblesse par les choses qu’ils protègeront en premier mais le sentimental est complexe à passer en arrière-plan lorsque sous les pores de ces mains immaculés s’étale le sang de milliers d’innocents.

Qu’importe, sans doute est-il préférable de se ranger aux côtés de Cormag, pour une fois. Il sera toujours possible d’intervenir par la suite.

Il avait passé des nuits blanches sur ce dossier. Anja et lui, dans l'espace de son bureau, celui qui puait les souvenirs de Green. Il avait des choses à reprocher à sa cheffe, mais pas son organisation et les dossiers qu'elle avait rassemblé toutes ces années. La reine noire ne fonçait pas la tête baissée dans le tas ; elle cherchait d'abord à tout savoir, tout connaître de l'ennemi pour mieux infiltrer la fourmilière.
Lors des heures blanches qu'ils avaient partagées pour bosser sur la rédemption de Rosenrot, elle lui avait sorti les informations réuni sur plusieurs directeurs d'Orpheo ; ceux qui seraient probablement présents. Ceux qui ne viendraient sûrement pas également, elle ne voulait pas qu'il puisse être pris au dépourvu.

Bianco avait assimilé les renseignement méthodiquement. Les noms, l'expériences, les avis. Où appuyer selon la personne à qui il s'adressait. Où se cachaient les failles même d'Orpheo, les balafres qu'ils tentaient de cacher sous leur prétendu éthique.

- Bonjour.

Les deux femmes s'étaient exprimées d'un ton neutre alors que les hommes présent préféraient se contenter d'un hochement de tête. Le Soul leur sourit, de ses dents blanches et aiguisées. Sourire de démon sur gueule d'ange.

– Vous vous doutez que nous avons nos termes de négociations. Mais je voudrais d'abord savoir quels sont les vôtres.

C'était Cormag Scrimegeour, directeur d'Orpheo à Berlin qui venait de s'exprimer. Anja avait prévu qu'il rentrerait tout de suite dans la négociation, sans avoir la patience d'essayer de réfléchir ou de tendre des pièges. L'homme était peut-être ici leur pire ennemi comme leur meilleur allié ; borné dans ses convictions de conservation, assez fou pour se laisser convaincre. Les autres voudraient probablement surtout éviter les bains de sang.
Cormag voudrait sûrement la tête de la reine, ça aussi Anja l'avait prévu. Et elle lui avait passé la mallette pour contrer cette proposition. Mais Bianco espérait que l'homme insiste tout de même ; il semblait déterminé, sanguinaire, volontaire pour réduire au néant ses ennemis. Des qualités très recherchées à Rosenrot. Peut-être que leur employeur n'était pas le même, et pourtant il était dans la pièce celui duquel le sorcier noir se sentait le plus proche.
Dommage qu'il ait mal choisi son camp.
Le Soul n'ouvrit cependant pas la mallette. Ce serait pour plus tard.

- Une trêve de dix ans, renouvelable. Vous laissez Rosenrot tranquille et nous nous ferons oublier. Plus d'attaque sur les innocents ou sur vos agents. Nous ne pouvons, évidemment pas agir à la place de Croix, mais nous nous désolidariserons de leurs agissements. Bien sûr, les mandats d'arrêts sur nos membres seront levés.

Toujours commencé haut, pour mieux retomber sur ses pattes blanches, tachées de sang.

Militant quotidien de l'inhumanité

Scrimgeour demande des termes, Declan et Allen se taisent. Bianco expose. Une trève. C'est simple. Le sang d'Alicia bout dans ses veines. Elle le sait, Selena aussi, elles sont en position de force. Elles se sont déjà accordées avant pour demander plus.

Selena respirait profondément, en contrôle. Elle n'avait pas les mêmes choses que Berlin en tête, elle en était certaine. Elle était également sûre que ce ne serait pas le Soul, mais son homologue, qui poserait le plus de problèmes. Ce que proposait Bianco était un premier pas. Mais tout ceci était loin d'être fini. La quinquagénaire était debout, le bout de ses dix doigts posés sur le bois ciré de la table. Elle hocha la tête.

- Je vois. C'est une proposition très intéressante que vous nous présentez, M. Soul. Je crains toutefois qu'elle ne soit pas suffisante dans l'état actuel des choses. Mon QG ainsi que le conseil restreint aimerions y ajouter d'autres conditions.

Elle jeta un regard vers Alicia, dont le regard s'était enflammé. En couple avec un ex-esclave, humaine elle-même, famille innocente, cette thématique était son cheval de bataille. Selena se tut pour la laisser parler.

Le poing de la jeune femme se posa sur la table, doucement, à côté de la main de sa supérieure.

- Libération inconditionnelle de tous vos esclaves. Aucune exception.

Demander beaucoup, pour obtenir moyennement, ou un peu plus. Telle était la stratégie qu'elles avaient décidé d'adopter.

- Et insertion de tous les orphelins issus de Rosenrot au Mystery Orphanage ou autres institutions d'Orpheo, ajouta Selena, d'une voix sans appel, extrêmement posée. Ne rien laisser paraître. Dominer la situation.

La victoire par l'idéologie. Le "soft power" comme diraient les diplomates innocents. Les enjeux humanitaires, ce que privilégiait le duo de femmes à la tête de Londres-Paris. A voir ce qu'ajouteraient Ottawa, Belfast-Edimbourg-Cardiff et Berlin-Copenhague. Ils n'auraient certainement rien à redire sur le principe. Mais il était fort possible que Cormag ait d'autres priorités.

Alicia envoyé un regard chaleureux à Declan, qu'elle tenait en haute estime et qu'elle considérait comme un véritable ami, bien que ne parvenant pas à le saisir complètement. Elle connaissait moins Allen, trop peu d'occasions de travailler ensemble encore, à part Tokyo. Il avait plus été en contact avec Selena. Cette dernière savait qu'ils approuverait ses idées.

Piper Caldwell avait approuvé à l'avance, tout comme Amaterasu Mystery, qui n'était pas présente aujourd'hui mais avait laissé un mémo, au cas où. Les autres membres du conseil restreint de l'ordre s'étaient sentis représentés avec l'assemblée telle qu'elle était actuellement. Cinq directeurs de Q-G, une sous-directrice. Deux rapporteurs. L'événement était historique, il était indispensable de le documenter. Ils attendaienty en suspension devant leurs ordinateurs, qu'une parole nouvelle soit prononcée, qu'un nouveau geste soit esquissé. Une pluie de frappe au clavier étaient tombées aux paroles de Mrs Deslilas et maintenant, c'était le silence.

–Une trêve de dix ans, renouvelable. Vous laissez Rosenrot tranquille et nous nous ferons oublier. Plus d'attaque sur les innocents ou sur vos agents. Nous ne pouvons, évidemment pas agir à la place de Croix, mais nous nous désolidariserons de leurs agissements. Bien sûr, les mandats d'arrêts sur nos membres seront levés.

Pour sûr que si on était progressiste, c'était tentant. Cormag était de l'autre bord, dommage. Il voulait la mort de chacun des membres, idéalement. Les personnes en âge de les venger, et avec ce désir de vengeance, tués eux aussi, les enfants mis à l'abri, dans des institutions saines, qui les remettrait dans le bon chemin.

Et tant qu'à faire, pourquoi pas tendre un piège à Croix ?

Peut être penser différemment donc. Se faire un « allié » pour avoir Croix si eux se tenait effectivement bien. A voir, des questions seraient posées.

–Je vois. C'est une proposition très intéressante que vous nous présentez, M. Soul. Je crains toutefois qu'elle ne soit pas suffisante dans l'état actuel des choses. Mon QG ainsi que le conseil restreint aimerions y ajouter d'autres conditions.

Un plaisir d'avoir préparer cette réunion à l'avance, vraiment. Se mettre d'accord, pour faire face, pour faire front. Cormag était seul avec des progressistes, Eli n'était pas là pour calmer ses ardeurs, il devait donc le faire seul. Se ranger à l'opinion majoritaire, ne pas faire d'esclandre, se serait perdu et cela donnerait une bien mauvaise image.

Impassible.

–Libération inconditionnelle de tous vos esclaves. Aucune exception.

Il se contenta d'hocher la tête.

–Et insertion de tous les orphelins issus de Rosenrot au Mystery Orphanage ou autres institutions d'Orpheo

Nouvel hochement de tête.

Personne d'autres ne prit la parole. C'était donc son tour.

–Votre proposition est bien belle mais … Qu'allez vous donc faire si vous ne massacrez plus d'agent d'Orpheo ni d'innocents ? Cela n'est-elle pas votre raison de vivre ? De plus, si ne serait-ce qu'un seul de vos membres, ou soyons fous, l'intégralité de vos membres, venaient à violer ce traité, que proposez vous à la place ? On retourne à l'état dans lequel nous sommes aujourd'hui ? Vous vous rendez complètement ? Et certes, vous ne parlez pas au nom de Croix, je suppose donc que vous vous désolidarisez d'eux. Est-ce que vous nous proposez quelque chose vis à vis de cette organisation ? Par exemple, en toute théorie, est-ce que vous nous aideriez à nous débarrassez d'eux ?

Nul doute que les réponses appelleraient à d'autres questions.