Je descends les escaliers quatre à quatre, gogogogogoggogo, on the move Rhy, je sais passer à travers les murs, jeter de la pluie sur les gens, et je sais, surtout, où est fucking Cyan, if you die on me my boy, I SWEAR TO GOD, god will have to answer to me.

Je file je vole, sors du bâtiment. Le chaos est toujour sprésent autour de moi mais les maquilleurs travaillent activement et il y a les pompiers aussi, bien évidemment. Je tripote la rune qui me relie à Cyan mais il n’y a plus de jus. Putain ! Je regarde autour de moi, aucun visage connu. J’aurais besoin qu’on me la retrace, avec de l’énergie. Mais quelle petite égoïste je ferais à demander aux gens de la police magique : excusez-moi, vous pourriez prendre une sec à arrêter de sauver des innocents ? S’il vous plaît c’est une urgence, mon gars, je ne sais pas où il est et j’ai un bad, bad feeling. Donc vous me rerunez car je n’ai aucun niveau. On fait comme ça ?

Je sais que je devrais être en train d’aider mais c’est compliqué. Je sais maintenant que j’ai eu les fantômes en dossiers et que rien n’a été fait pour eux. Ils sont morts, maintenant, et c’est d’une tristesse…. d’une tristesse sans nom…. que je n’arrive pas à ressentir, je suis désolée, j’ai enfin réussi à mettre la main sur un morceau de bonheur aux yeux ciel d’été, autant vous dire que je ne compte pas le lâcher. Je laisse mon pouvoir claquer au dessus de nos têtes cependant, la boule au ventre. Une pluie fine s’abat sur Londres, rabattant les cendres au sol. Une odeur de cadavre, super ; quand je vois,

je vous le donne en mille

non, pas Cyan,

non, pas Kurt non plus purée :



Tyr !

Il a absolument pas changé dis donc, c'est chaud ! Exactement la même tête les mêmes cheveux la même barbe ! Dis donc ! J'suis choquée ! Bon il a un peu vieilli, je sais pas depuis combien de temps on s'est pas vu mais ça fait pas assez longtemps. J'aurais bien encore attendu dix ans mais il est le candidat parfait. J'ai des relents de vieux souvenirs qui me reviennent et l'histoire de la dague et tout et j'ai la gerbe.

Quelle belle relation familiale ! Je suis sûre qu'on va bien s'amuser maaaais j'ai besoin de lui, allez, pour Cyan Rhyan, pour Cyan.



Je m’approche et me fait voir, j’espère qu’il se souvient assez ok de mon visage pour ne pas m’envoyer chier, et je l’attrape pas les deux épaules. J’adorerais être charmeuse ou ordonnatrice mais je ne suis que moi et je dis :

— Salut (ça m’arrache la bouche de dire ça mais j’ai besoin de lui) papa.

Ok c’était pas naturel but who cares.

— J’ai vraiment besoin de toi. Tu m’aides?

Go get your guns
'Cause you know you won't be judged
While California burns
And nobody ever learns

« C’est par le feu que ça a terminé ». Super, d’accord. Un incendie que s’affairent à camoufler des personnes de chez Orpheo je présume, des silhouettes qui ne semblent pas plus humaines que ça, et une phrase sortie de nulle part par télépathie bref, on part déjà sur une journée bien particulière, alors que j’étais juste venu ici pour affaire. Comme quoi, je ne devrais vraiment pas quitter ma campagne. La bonne nouvelle, c’est qu’il commence à pleuvoir, ce qui devrait disperser les curieux et par pitié, la foule de manière générale. Laissez-moi respirer dans ce dédale urbain ! D’un point de vue magique, les choses semblent se calmer. Plus de trace des deux… choses ? les pompiers sur place, les simples humaines qui semblent peu à peu se désintéresser de la scène, chose assez perturbante d’ailleurs, enfin j’imagine que les bonnes personnes sont en actions pour en arriver à ce résultat. Moi-même, ne pouvant pas faire grand-chose de plus ici, je m’apprêtais à reprendre ma route. C’est alors qu’elle arriva, me saisissant par les épaules.

- Salut papa.

Mon emmerdeuse de fille ! C’est quoi le plan ? Venir vers moi encore une fois pour me rebalancer que je suis le pire paternel du monde ? Sérieusement, depuis ma dernière faute, je me suis efforcé d’accepter la réalité, qu’il n’y aura jamais de relation saine et familiale entre-nous et bordel, ça m’a fait un bien fou ! J’ai me suis sorti de la tête l’idée de veiller sur elle ou même de la retrouver, ça ne doit pas être pour lui déplaire à elle qui me hait, alors qu’est-ce qu’elle fout, aujourd’hui, à me sauter dessus, alors qu’elle pourrait tout simplement m’ignorer dans la cohue ambiante ? Enfin bon, elle semble lutter contre elle-même pour ravaler son vomi en prononçant le mot papa, non-ironiquement pour une fois, alors peut-être va-t-elle me surprendre ?

- J’ai vraiment besoin de toi. Tu m’aides ?

Ben tient ! Évidemment ! Bien-sûr que c’est intéressé ! Il suffit de voir tout son corps qui lui hurle « fuis ! » alors qu’elle doit penser à la manière la moins douloureuse d’amputer ses mains qui sont rentrées en contact avec ma personne. Faites des enfants putain ! Et bien sûr que je vais t’aider gamine ! Mais ne pense pas me retrouver dans la position de victime cette fois-ci. Tiens, commence donc par composer avec mon grand sourire paternel.

- Tiens donc, ma fille adorée !

Je t’épargne la main sur la joue tant tu sembles déjà au bord de la syncope. Enfin j’ose espérer que tout cela n’est pas dû qu’à moi. Elle regardant mieux, elle semble essoufflée et même un peu paniquée. Bon ça va, j’ai compris, soyons un peu moins taquin et beaucoup plus sérieux. En y repensant, une explosion, des machins télépathes et ma fille déte… adorée qui déboule, ça fait beaucoup de coïncidences. A quel niveau est-elle mêlée à tout ça. Je regarde son visage et l’incendie tour à tour, encore et encore, avant de lui répondre, avec le ton le moins paternel possible.

- A ton avis ? Bon, qu’est-ce que tu as encore fait ? C’est toi la pyromane ?

Oups, raté, j’ai dû passer pour un papa qui gronde sa fifille. Bon tant pis, ça te fera les dents.

Au beau milieu de Londres, alors que tout est en flammes, il y a moi, qui veut sauver l’amour de ma vie ou au moins l’informer que si il balance une onde de choc, on va raser la ville et de l’autre, mon père, qui me regarde comme la dernière idiote de la planète. Réellement, alors que c’est la guerre limite, j’pensais qu’il dirait, u okay ? ou une merde dans le genre, mais non, c’est un sarcasme noir et brûlant qui m’arrive à la tête.

- Tiens donc, ma fille adorée !

Je reste totalement interdite à me dire : mais c’est incroyable, on nous casse les couilles sur la famille qu’on a, les liens du sang, les méchants et les gentils et j’ai sous mes yeux l’insensibilité même sous des cheveux et de la barbe. Je serre les dents.

La famille c’est celle qu’on choisit, la famille c’est celle qu’on choisit, la famille c’est celle qu’on choisit.

- A ton avis ? Bon, qu’est-ce que tu as encore fait ? C’est toi la pyromane ?

Je hausse un sourcil. J’entends les gens courir autour de nous, les maquilleurs de mon équipe qui travaillent à tout allure, pâlissant, saignant du nez, gerbant dans les coins.

— Euh, bah non ? Moi tu sais c’est le ciel, le soleil la pluie et les murs qui…

Qui fondent devant moi et c’est super, mais j’ai dit « tu sais » et c’était idiot, parce que je suppose que non, il ne sait pas. Je baisse les mains que j’avais agité devant mon nez dans une tentative d’explication de mes pouvoirs. Niania la fouuudre, I’M THOAR THE GOD OF THUNDER et je pense que j’aurais préféré être the god of mischief.

Bref.

— J’sais pas faire cramer les trucs.

Et surtout.

— J’fais partie de la team des gentils, t’sais, Orpheo ? On sort les gens des décombres, on les enterre pas.

J’sais absolument pas pourquoi j’essaie de me justifier. Depuis que je sors avec un Soul, j’ai l’impression de devoir mettre un point d’honneur à dire que moi c’est les gentils. Alors que moi, c’est aussi Alcott et le crâne perforé d’une de mes balles. Je tire une grimace de non-fierté.

— J’aurais besoin que tu me retraces une rune. Tu saurais faire ça ?

J'ai aucune idée de son niveau en rien ; théoriquement il est vieux donc il devrait être puissant, mais je sais pas si s'auto former ça compte, ou si être reclu dans une grotte ça compte. Il avait l'air badass en armes (des gens lui en commandent ? Est-ce qu'il a une meuf ? Est-ce qu'il habite toujours à l'autre bout du monde ?) et je me mets à me demander si je suis pas tombée amoureuse du joli blond aussi pour ça. Une famille un peu identique qu'on ne comprend pas, qui ne nous comprend pas, des ponts impossibles à lancer de l'autre côté de l'océan pour les atteindre. Je regarde Tyr, et comme toujours quand je croyais m'en foutre, j'me sens comme une merde et j'ai de la peine.

Avec le recul, difficile de penser que dans le passé, j’ai pu me confondre en excuses auprès de Rhyan pour ne pas avoir été présent à ses côtés, tentant de me justifier et de lui parler de sa mère. Cette pensée me laisse encore un goût amer dans la bouche. La dureté de ses mots, l’injustice, la colère, la peine et encore beaucoup d’autres sensations qui s’entremêlent dans mon esprit et qui, aujourd’hui, m’amènent à reconsidérer ma façon de voir et d’aborder ma propre fille. Pourtant, face au visage décontenancé de Rhyan, j’en viens à me demander si j’ai fait le bon choix. Je n’avais vu dans son visage que du dégoût et de la rancœur, mais en la regardant plus en détails, il n’y avait pas que ça. Panique, épuisement, détresse et plus encore se lisaient sur son visage, son beau visage, le même que sa mère… Merde, ça fait toujours aussi mal...

- Euh bah non ? Moi tu sais c’est le ciel, le soleil, la pluie et les murs qui… J’sais pas faire cramer les trucs. J’fais partie de la team des gentils. T’sais, Orpheo ? On sort les gens gens des décombres, on les enterre pas.

Un grognement inconscient fit trembler ma cage thoracique. Les « gentils », oui, et en face les « méchants » évidemment Tous des anges chez Orpheo, et tous des tortionnaires sanguinaires de l’autre côté. C’est à peu près ce que je me suis dit toute une partie de ma vie. C’est encore ce que je pensais il n’y a pas si longtemps que ça, alors que j’arpentais la Norvège en quête de vengeance pour tous les gentils tués par les méchants. C’est d’ailleurs en tant que gentil que j’ai défoncé la porte d’une maison isolée du reste du monde afin que ma hache de gentil puisse sectionner le cou de cette méchante de Rosenrot. C’était une très belle méchante d’ailleurs. Rousse, les yeux verts, même s’ils étaient un peu révulsés du fait du flux de sang qui s’échappait de son corps. Il y avait son fils dans un coin de la pièce. Il avait l’air un peu meurtri par la scène à laquelle il avait assisté. J’espère qu’après avoir été libéré de sa méchante mère, il deviendra un gentil dans le futur. Son père, un autre méchant de chez Rosenrot, semblait lui aussi un tantinet abattu par la situation. Et puis il m’a expliqué qu’ils ne voulaient pas être des méchants comme leurs parents. Que c’était pour cela qu’ils s’étaient exilés, pour vivre leur vie tranquillement loin des conflits de ce monde de tarés et que tout se passait bien jusqu’à mon arrivé. Mais non voyons, j’étais le gentil et eux les méchants, donc en toute logique je ne devrais pas, encore aujourd’hui, revivre cette scène chaque putain de nuit en entendant les pleurs du môme entremêlés aux sanglots du père, alors que s’estompaient les gargarismes de la mère qui achevait de s’étouffer avec son propre sang. Je n’aurais pas eu à remettre toute ma vie et mes convictions en question. Je devrais être en paix avec moi-même aujourd’hui comme le gentil que je suis… Enfin je ne te juge pas Rhyan, j’ai pensé comme toi pendant longtemps, beaucoup trop longtemps. J’ai été zélé dans mes convictions, que j’ai appliquées au fil de tueries « pour le bon camp ». Puis j’ai compris que de ce conflit, il ne ressortirait que du sang et qu’il serait rouge dans tous les cas, peu importe des artères de qui il s’échappe. Putain mais qu’est-ce que j’en ai marre de tout ce sang, de ce conflit qui persiste depuis tellement longtemps que personne ne sait vraiment pourquoi il demeure. Chacun se contente d’être du bon côté et d’affronter les méchants. Même un jeu d’échecs est plus nuancé. J’en ai assez de revoir ces scènes en ayant les yeux fermés, et de réentendre les cris de douleur, de rage ou de désespoir quand mon marteau ne martèle plus mon enclume. Je n’ai même plus envie de forger des armes même si j’adore ça. Plus le temps passe et plus je ne rêve que de forger une énorme armure pour chacun afin que la seule interaction possible entre les êtres soit le dialogue !
Je m’efforçais de rester impassible alors que le flux d’émotions me submergeait une nouvelle fois, comme souvent. Je pense néanmoins que c’était peine perdue. Avec tout ça, je ne suis même pas certain d’avoir entendu les dernières paroles de Rhyan. Que je te trace une rune ? Oui quand même, ça devrait être à ma portée. De retour à la réalité, je remarquai que ses yeux étaient posés sur moi. Encore une fois, ce n’était pas la même expression que les autres fois. Je me rappelle un mélange de dédain, de haine et d’une certaine incompréhension. Là, je ressens surtout de la tristesse et de la peur, et malgré mes efforts pour maintenir cette distance entre-nous, Rhyan, une partie de moi me hurle de te prendre dans mes bras pour te consoler et te dire que tout va bien se passer. Je n’en ferai rien, mais je laisse, moi aussi, baigner mon regard dans le tiens.

- Probablement oui. Dis-m’en plus, je te prie.

Je me suis efforcé de prononcer ces paroles sur un ton calme, rassurant, mais surtout pas paternel ou protecteur. Au fond de moi, j’espère sincèrement qu’elle ne va pas me demander une rune pour nuire à quelqu’un. Je n’ai vraiment pas envie de faire ça après ce qu’il vient de me traverser l’esprit.

Il devient extra-chelou et moi, extra-rigide. J’attends plus ou moins patiemment en scrutant what the fuck is going on, en me demandant si je pourrais pas ramener Ian pour lui faire sentir les trucs à l’intérieur de mon géniteur, mon essayer de comprendre. Et puis, parce qu’il le faut bien, je me ressaisis : pourquoi tu veux comprendre déjà, Rhy ? Pourquoi t’irais rameuter un pote, lui prendre de son temps, pour fouiller dans ce… dans ce, ça ?

Get your shit together s’il te plaît LYVIE JAMES.

Je repense brièvement à Torin ; puis à Simje, juste après. Il m’a dit de tracer une rune « famille » entremêlée de « home », entremêlée de « belong & safe » avec « together ». Et je lui dis mais enfin, polopolonais, c’est débile, c’est pas ma famille. Et il m’a dit que les runes, ça marchait pas comme ça. Que si on me runait familles maintenant, ça n’irait pas à mon père, il aurait fallu écrire un truc genre « sang » et « liens » et « passé » et « génétique » ou « généalogie ».

Ma famille, maintenant c’est Cyan.

Et Shybaï, et les enfants, et parce que je suis marraine maintenant, et Takeji, et ceux que je choisis. La rancoeur retourne à sa place, la culpabilité d’être dans les bassesses des émotions humaines aussi. J’devrais comprendre et pardonner, nianiania, mais les fois où j’ai faillis mourir, dieu sait que y’en a eu beaucoup, la fois où j’ai trahi Orpheo, la fois où j’étais inconsciente à l’arrière de la caisse d’un Soul, pour dire vrai, Tyr ne m’a, jamais, traversée l’esprit.

Juste, jamais.

Ahhhhrg, je déteste que ça soit aussi compliqué, putain.

- Probablement oui. Dis-m’en plus, je te prie.
— Ok cool, je dis.

Je dévoile la rune. Elle est à la base de mes cheveux et court sur sur mon trapèze et je m’entends dire, complètement conne :

— C’est home contre les cheveux et ça enchaine jusqu’à l’épaule, t’as qu’à retracer si tu connais pas, y’a safe au milieu elle doit être abimée j’arrive pas à |

Et tu comptes expliquer ça jusqu’à « famille », ma belle ? Bien sûr que non. Princesse requin est bien bien connue aujourd’hui, love. Je jette un regard gêné à mon père, lui tend une lame courte de mauvaise qualité mais aguisée comme jamais, et reprend d’une voix blanche :

— Faut juste repasser s’il te plaît sur ce qui est déjà visible. J’ai besoin que ça resaigne pour l’utiliser.

Je sais qu'il s'y connait un minimum en runes, et vu ce qu'il dégage ça devrait pas bien le déranger de me charcuter. C'est tout con mais j'porte pas de soutif et un t-shirt à large encolure que je tire pour dévoiler la rune, et j'me sens super pudique alors qu'en temps normal ça va. Mais j'ai pas trop le choix, l'horloge tourne et je veux juste savoir qu'on ne m'a pas tiré le tapis de sous les pieds une troisième fois.

Elle me regarde. Toujours de ce même regard. Je serais bien en peine de le décrypter exactement. Du dédain ? De la haine ? De la pitié ? Un peu des trois et plus encore ? Oui, probablement cette dernière option. En même temps, mon évolution n’est pas des plus glorieuse. Ponctuée de sang, de morts, de larmes… Pour Rhyan, je ne suis probablement qu’un géniteur indigne qui l’a abandonnée au pire. Pour moi-même, je ne suis qu’une épave, une coquille vide qui ne fait que remettre en question son existence jusqu’à ce que cette dernière s’achève. L’un d’entre-nous a-t-il seulement raison ?
Cet instant durait. Un long moment de réflexion personnelle et d’introspection. J’imagine qu’il se passait à peu près la même chose sous la chevelure claire de Rhyan. Mais merde, qu’a-t-elle bien pu traverser ? C’est encore une gamine… Comment se serait passer les choses si Anna n’avait pas été tuée ? Si nous n’avions pas été séparés ? Putain, ça commençait vraiment à être long là… Bien heureusement pour moi – pour nous – Rhyan, d’une phrase austère, mis fin au silence. Se retournant, elle découvre son dos, ornementé d’une rune estompée qui ne dégageait plus grand-chose.

- C’est home contre les cheveux et ça enchaine jusqu’à l’épaule, t’as qu’à retracer si tu connais pas, y’a safe au milieu elle doit être abimée j’arrive pas à |

De nouveau un petit rire. Nerveux certes, mais sincère également. Clairement, ce ne sont pas les runes que j’ai l’habitude d’utiliser. Les miennes sont plus simplistes, plus brutes. J’ai cependant quelques bases sur les pratiques plus… modernes, et je comprends très bien ce que signifie ce que j’avais sous les yeux. Tu as une famille Rhyan ? Je m’en doutais, mais je suis heureux d’en avoir la confirmation, en dépit de cette lourde sensation qui vient d’apparaître dans mon ventre, un peu comme si tous mes organes étaient tiraillés à l’aide de tenailles rougies à blanc. Certes, ce n’est pas agréable, voire passablement frustrant, mais quel père ne s’attend pas à voir sa fille quitter le foyer parental pour fonder sa propre famille ? Bon certes, la situation actuelle est quelque peu plus nuancée, mais le résultat reste que je suis soulagé de savoir ma fille entourée. Reste à savoir si c’est en bien, et c’est justement ce que je ne saurais probablement jamais. Rhyan, quant à elle, semblait presque gênée par la situation. Surprenant, j’aurais sincèrement pensé qu’elle serait impassible à l’idée de me signifier une nouvelle fois que je ne suis plus sa famille. Comme quoi…

- Faut juste repasser s’il te plaît sur ce qui est déjà visible. J’ai besoin que ça resaigne pour l’utiliser.

Elle ponctua cette phrase en me tendant un couteau, s’efforçant de ne laissait transparaitre aucune émotion dans sa voix. Je pense me garder de lui signaler que si sa voix était impassible, tous les muscles de son dos se contractaient nerveusement. Disons donc que la situation l’incommode. Je saisis l’outils en grimaçant. Qu’est-ce que c’est que cette dague de merde ? La trempe est de piètre qualité et la forme brouillonne. Il n’y a vraiment plus d’artisans capables de nos jours. Cependant, j’ai clairement le souvenir d’une dague forgée par mes soins pour Rhyan. J’espère qu’elle ne l’a pas égarée, je trouverais ça frustrant. Je préfèrerais encore qu’elle l’ait balancée au fond d’un lac car elle provient de moi… Bon, l’opération ne va pas être agréable pour elle, tant mentalement que physiquement, alors autant améliorer ce dernier point. Je pris la pointe entre mes doigts, et m’efforçai de la rendre encore plus dure, pointue et tranchante. C’est toujours délicat de changer la forme d’un objet en plus de ses propriétés, mais là il ne s’agit que de la pointe, donc cela passe encore. Débute alors la partie la plus difficile de l’opération.

- Je vais devoir poser mes mains sur toi. Ne sursaute pas, respire et essaye de ne pas vomir.

Des mots provocants pour masquer le fait que je redoute énormément ce contact. Pour elle vis-à-vis de ce que je représente, pour moi car elle me rappelle Anna. Un moment d’hésitation, un deuxième et je saisis délicatement sa chevelure pour la passer devant ses épaules avant de poser ma paume sur sa nuque afin de tendre sa peau.

- Je commence

Délicatement, je glissais la pointe sous sa peau en suivant le tracé précédent. Une première goutte de sang perla sur sa nuque, jusque dans son dos. Mâchoire contractée. Ce n'est pas spécialement agréable de charcuter son propre sang. J'imagine au moins qu'elle fera en sorte de rester impassible. Pour le moment, je me concentre sur l’opération, je verrai l’enchantement après.

- Je suis heureux de te savoir une famille. Sincèrement.

Pas de précisions supplémentaires. Au mieux, cette phrase apaisera peut-être l’atmosphère. Au pire… je ne suis plus à ça près.

Il attrape la lame que je lui tends. J’essaie de revenir à ce que je connais, de m’ancrer dans mes certitudes. J’ai besoin d’avoir les choses dans des boîtes pour qu’elles restent claires et définies. Ce que je suis et ce que je ne suis pas. Les choses dont j’ai fait le deuil et les autres. Je le vois tripoter la lame et je me dis que finalement, la seule chose qui fait que nous ne sommes pas des étrangers est un lointain passé. Quelque chose de longtemps disparu. J’ai envie de lui retirer le couteau des mains désormais et d’aller demander à n’importe qui d’autre de me rendre ce service. Ils le feraient ; les gens aident les gens lorsque ça ne leur coûte rien. Lorsqu’ils n’ont pas été assez aigris, assez trompés, assez déçus.

- Je vais devoir poser mes mains sur toi. Ne sursaute pas, respire et essaye de ne pas vomir.

J'hésite à aboyer "ne me prend pas pour une conne". Mais je me tais.
Il pousse mes cheveux, tend ma peau. Ce ne sont que des mains, ce ne sont que des doigts. Mes certitudes tremblent dans le panthéon de ce que je crois savoir et je me rappelle de la première fois que Cyan m’a touchée, à la librairie. Peau claire, yeux clairs, cheveux clairs. Le méchant, le soul qui justement n’en a pas une, d’âme. Jamais de dégoût pour lui, jamais de sursaut, jamais de souci à toucher un gars qui torture et abat.

Mais mon propre père me colle l’estomac contre la glotte et je déglutis.

- Je commence

Il enfonce la lame dans mon dos et l’habituel pincement vient siffler à mes oreilles. Rien qui n’ait pas été déjà fait des milliers de fois, encore et encore et encore.
Plus le sang cool plus le pouvoir de la rune revient à moi et avec elle, la certitude ténue que Cyan est vivant. C’est tout ce qu’il me faut. La seule chose que je ne peux pas perdre.

- Je suis heureux de te savoir une famille. Sincèrement.

J’essaie de laisser les mots couler sur moi. Quelque chose qui ne m’importe pas, qui n’a jamais été dit pour moi. Heureux. Heureux que j’ai quelque chose quand il ne m’a rien laissée. Hors de question de retomber dans la fosse aux lions : et pourquoi t’es pas venu, et pourquoi tu ne m’as pas aimée assez, et pourquoi est-ce que tu, toi, l’autre. J’ai arrêté il y a longtemps, et les questions en « je » m’ont poursuivie. Et pourquoi est-ce que je n’étais pas assez, et qu’est-ce que j’ai fait de mal, pourquoi est-ce que je n'étais pas digne de l'amour de mon géniteur. Je lève le menton, inspire.

- Moi aussi.

Parce que j’ai eu l’égoïsme de bâtir de mes petites mains quelque chose qui compte plus que la justice, que la paix, que mes valeurs, que tout. Je me suis choisie moi, Papa, au point de coller une balle entre les deux yeux d’un collègue.

J’me suis choisie moi parce que tu ne l’as jamais fait.