La peur poussait Harry au cul. C’était parce qu’il s’était vu mourir des dizaines de fois dans cet appartement, dans le sien aussi, sur la route et puis en Écosse, et puis au tourniquet, et puis avec Carla que la retombée était violente. Il avait mis sa vie sur sellette, donné le fil aux parques et cet abruti de Sebastian craque.

Mais craque pourquoi, au juste ?

Il avait un goût d’email dans la bouche et, logé sous la langue la rage muette de ceux qui savent bien inutiles leurs excès de colère. Lâche-moi Adelman. Il le lâcha. Sebastian Cross était toujours un Cross, et ce n’était pas une famille qu’on souhaitait réellement fâcher. Un jour, peut-être, elle serait au tapis : tous des déviants de toute façon. Il en avait encore démontré une des facettes. Harry recula donc, le dos rond, les yeux de serpents plus décidés que ceux du Basilique. Il jaugea l’autre, un sombre masque de mépris sur ses traits ; la fougue des fins de l’adolescence, que voulez-vous. Il n’était pas si impulsif habituellement, mais la mission avait cassé quelques barrières en lui, et elles seraient compliquées à réemmurer, ces émotions. Elle t’a promis quoi, Luka ? Il essayait de comprendre, à vrai dire. Comme un enfant à qui on aurait dit ouvre la porte et qu’on aurait giflé pour avoir ouvert la porte. 1 + 1 venaient de faire 5 et il n’y avait personne pour lui expliquer ça. Remettre à l’endroit les choses tombées à l’envers. J’essaie juste de comprendre comment on peut saboter le retour de la petite prodige ? Il leva le menton ; Luka Cross était-elle plus important que Sebastian Cross ? Que valaient-ils tous les deux ? Plus que Harry, certes. Mohammed était-il déjà au courant ? Une poignée d’heures suffiraient à ce que Croix sache, et Harry ne comprenait juste pas, impossible de faire le tour des actions de Sebastian et d’en tirer quelque chose d’utile. De viable.

C’était ça.

Le comportement du Cross n’avait rien de viable. La graine du poison se planta comme il faut dans le dos du plus jeune : lui avait-on fait faire tout ce cirque pour des raisons supérieures pour lesquelles il n'était pas mis au courant ? L'avait-on baladé pendant qu'une autre mission avait lieu, pour que Luka tombe tête baissé quelque part ? Est-ce que cette immense mascarade était autour de Ian Coley ? Pas du tout ? Carla avait-elle une importance ? Une quelconque importance ?

Et lui ?

Il songea que Mohammed aurait quelques unes de ces réponses, mais qu'il n'était plus vraiment son mentor, et qu'il était temps de trouver des réponses par soi-même. Quitte à se mettre en danger en plaquant l'autre abruti contre un mur ; il n'en avait rien à foutre, leurs pouvoirs étaient similaires, ils se feraient peut-être traverser l'un comme l'autre l'enfer, mais au moins ils seraient ensemble. Deux suppôts de Satan, l'un, ses émotions entières et l'autre, lié par le sang au diable lui même.

Ambiance.

Harry put lire le souffle dans le cerveau de Sebastian. Il savait que l’homme était egocentré, qu’il n’avait jamais pu s’ouvrir au reste, aux autres, qu’il avait pas été du genre à rire, à partager une salade de pâtes sur un immense banc après être allés nager, qu’on lui avait pas dit, si t’as pas envie t’es pas obligé, ou encore t’sais, c’est ton corps, il est qu’à toi, protèges le, kid.

Le feu fit reculer nettement Adelman qui en avait peur. Qui détestait cet élément débile qui ne servait qu’à détruire et faire bouillir. Il sentit les flammes lui griller le visage et se dit qu’il était bien fébrile, le frère du patron, bien fébrile pour quelqu’un qui n’aurait rien à se reprocher.

Non, plus il le regardait, plus Harry se coulait dans les fractures du crépit, les araignées et les coffres vides qui sentaient les absences. C’est quoi ton problème ? T’es amoureux ?
Absurde.
Abruti. C’était tellement improbable qu’il lui dise ça que Harry haussa simplement un sourcil, inspirant à fond. C’était interdit de fouiller dans la tête des supérieurs bien évidemment, et il se serait bien gardé de se la raconter à ce propos. Mais dis-moi, et peut-être je te répondrais ensuite, qu'est-ce qui te fait croire que j'ai simplement laissé partir Luka-la-prodige ? Le garçon détourna les yeux, humecta ses lèvres. La pression retombait face à l’attitude revêche de Sebastian. Il recula un peu par précaution — pas fou le sorcier — avant de laisser naître un sourire en coin sur son visage à peine adulte. Compliqué d’avoir des émotions, n’est-ce pas, chef ? Ironie.

Il jouait avec le feu.
Presque littéralement.
Sebastian comme pierre incandescente qui aurait pu l’abattre net ; Mohammed le protégeait sûrement par son statut.

Il secoua la tête doucement, ses cheveux bruns pour cacher ses yeux.C’est évident pour Luka. Sinon on aurait un rapport complet d’échec et pas tes flammes pour preuve coupable. Le timide et peu locace Harry se sortait de la boîte dans laquelle il était habituellement par colère ; un bon gros seum qui le rendait abruti mais pas inconscient.
Il tourna légèrement autour de l'autre, ses pensées faisant parties des plus bloquées, sombres et comme enfoncées dans une falaise. Pas très poreux, le Cross. Mais y'a personne pour m'expliquer quoi que ce soit. Personne à l'air de comprendre ce qu'il s'est passé. Harry avait encore du mal à lire le jeu des relations politiques et familiales au sein même de l'organisation, peut-être que quand Sebastian faisait de la merde, on lui pardonnait, peut-être que Luka avait des leviers et moyens de pression immenses dont il ne pouvait pas se douter. C'était pas un mauvais gars, Harry, mais c'était pas le genre de gars à rester avec un bandeau sur les yeux sans rien piger. Il était du genre à lever le voile, et tant pis s'il déterrait des histoires à cadavres.

Recule ta magie. La phrase lâchée doucha net le garçon qui sentit le seau glacé sur lui. Il avait été cramé, et il n’était pas mort. On va boire un verre. Harry ne savait pas s’il s’agissait d’un ordre direct — et dans ce cas là indiscutable — ou d’une fantasy de l’homme en face de lui — dans ce cas là, sûrement tout aussi indiscutable, mais d’un autre genre d’indiscutable.

Il hocha la tête avec beaucoup de prudence, se raidissant pour marcher à côté de l’homme qu’il avait côtoyé des tas de fois et qui restait pour autant un inconnu. Y’a un bar devant la mer. D’accord. Ils s’y dirigèrent côte à côte. Adelman savait bien pourquoi ils n’allaient pas au Dark Descent ; lui même n’y foutait pas les pieds. Il aurait fallu le payer pour y boire une bière, c’était le pire repère de sorcier noir, cliché, sale, dégueulasse même. On y trouvait Matthias avant et si Harry détestait quelqu’un de toute son âme, c’était bien Matthias.

Mais il n’avait pas d’âme, et même s’il était croyant, il savait qu’il n’était pas du bon côté du monde. Ça lui créait pas mal de questions existentielles, mais il s’était fait une raison : après la mort, il aurait sûrement très chaud, pendant très longtemps. Et ça serait peut-être même Sebastian en chef qui lui cramerait le cul, mais il en doutait. Y’avait bien pire dans ses cauchemars que Seb. Bien pire.

Largement pire, songea-t-il.

Ils prirent place sur une table, et Harry ne savait pas vraiment comment se comporter, qu’est-ce qui serait réellement répété à Mohammed. Seb dirait-il à Mohammed qu’il lui avait sauté dessus ?
Sûrement pas.

Il considéra donc que leur échange resterait discret parce que Sebastian n’avait aucun intérêt à dire les tenants et aboutissants de pourquoi Luka était à nouveau dans la nature. Il se permit donc de commander de l’alcool, (thug life) et il choisi un gin tonic. Sebastian rincerait, non ? Alors ? Curieux le garçon, curieux, curieux garçon. Il aurait donné cher pour qu’on lui donne une raison genre, une immense machination mais il le savait depuis longtemps maintenant, les Cross était assez ridicules en affaires de familles, de liens, d’amour. Des Cross s’étaient même épris de Grey — Carla avait dit ça non ? Luka GREY. Pas Cross. PAS CROSS HARRY LE RAVISSEUR ! Harry le vampire. Comme sur le dessin que j'ai gardé. Que j'ai gardé pour m'en souvenir, parce que j'ai peur d'oublier. Mais c'est pas sentimental c'est plus... sur un plan de ... la vie. Se souvenir des échelons qu'on a gravit. Carla avait été sa première fois sur un capot, elle avait jouit, lui aussi. Tomberait-elle enceinte ? Tomberait-il un jour amoureux ou était-ce réservé aux autres ? À tous les autres sauf lui ? Il eut un peu mal au coeur, se sentit très seul mais mis l’émotion dans une petite boite qu’il écrasa avec soin avec son talon mental. Luka ?

L’amerture du cocktail lui fit froncer le nez — il avait été élevé comme n’importe quel enfant, et personne ne l’avait giflé pour montrer un ressenti. L’amertume faisait plisser des nez partout dans le monde, les sorciers noirs auraient voulu oublier que leur corps n’était pas celui d’un robot : perdu. Après des mois en boite, la plupart d’entre eux pétaient des câbles et Harry restait ce qu’il était : maître de sa douleur, mais fucking douillé. Alors Luka n’est pas si simple à attraper. Il su alors, le garçon, que plus tard il pourrait détricoter les paroles des gens pour en extirper des pensées, avec plus d’entraînement, avec une magie plus épaisse dans ses artères ; le moment n’était pas venu. Mais si l’explication de Sebastian laissait à désirer, son agacement vis à vis de lui, pas du tout. Il n’insista pas. Tu sais, Adelman, pour quelqu’un qui semble énervé d’avoir mis sa vie en jeu pour rien, tu ne sembles pas trop avoir d’instinct de survie. Était-ce une menace ? Il aurait voulu le grommeler à voix haute mais n’en fit rien ; contrairement à ce que pensait le Cross, il savait où était sa place. Mais il savait aussi où étaient les limites et adorer flirter avec ces barrières invisibles. Que sais-tu réellement de Luka ? Bras croisés sur la table et regard vrillé dans le sien, Harry baissa les yeux. Qu’elle s’est livrée à Sarzeau, et qu’elle a pu repartir seule. La colère qui bouillait dans ses tripes se mua en une mélasse dégueulasse de mensonges. Croix était-il si imprenable que cela ? Que Laure réussisse à dégager au bras de Coley, surprenant déjà. Mais Luka, seule, quand tu es celui qui me donne les ordres ? Douter de la hiérarchie était rarement permis chez les noirs et finissait la plupart du temps dans un bain de sang. Mais Harry n’était pas avide de pouvoir, il ne voulait pas leur place, aux autres. Leurs trônes souillés ne le faisait pas rêver. Il se dit que Sebastian l’avait amené jusque là pour parler, comme s’il avait des choses à raconter, des suites de mots à faire plutôt que des enchaînements de coups. Le garçon songea à son holster et son arme loin de là, et de comment au corps à corps il n’était pas aussi doué qu’il aurait souhaité l’être. Tant pis. Si Sebastian le tabassait ici, ça ne pouvait pas être pire qu’être brûlé vif. Si ?

Sûrement pas.

Il but une nouvelle gorgée qui s’installa dans son ventre, doux l’alcool, doux, dans ses jambes l’alcool doux. Je suis étranger à vos histoires familiales mais pas à celle de l’organisation. Et quand je perds une partie, j’aime juste savoir pourquoi. Il renifla. J’aurais pu garder Carla plus longtemps. Coley m’aurait sûrement égorgé, but still. Il se demanda si elle était encore vivante et, plutôt que de penser qu’il n’en avait rien à foutre, il se dit simplement que ça ne le regardait pas. La vie ou la mort de Madame Lowett n’était ni de son ressort, ni de son rang. Les humains étaient sales et rien ne pourrait changer ça, même pas un dessin et deux canines pointues.

S’il y avait bien quelque chose que le brun ne comprenait pas, c’était les Cross. La plupart des Cross étaient une espèce bien à part qui se pensait extraordinairement plus importante que le reste de la planète, avec des embrouilles banales, de familles banales, avec des ennemis jurés! des traumas immenses, des pouvoirs qu’ils croyaient donnés des dieux.

Ou pas loin, j’exagère quasi pas. Tout est plus grave quand il s’agit d’eux, tout semble avoir plus d’impact genre il y a des noeuds familiaux compliquéééés on essaie de rattraper les déviaaants, et tout. Si les Souls sont tout aussi compliqués, ils sont moins… imbus de leur propre histoire. Il pensait à ça lorsque Sebastian lui répondit, prenant, à l’étonnement absolu du garçon, la responsabilité : Luka s’est livrée à Sarzau et elle a pu repartir seule. Elle a pu repartir parce que je l’ai laissé partir. Il s’en doutait bien, Harry, mais que l’autre dise la vérité le laissait pantois. Et suspicieux. Tu n’as pas perdu la partie Adelman, moi oui.

Ça lui réchauffa net le ventre d'une chaleur diffuse qu’un supérieur admette que lui, avait fait bien. Petit toutou à qui on patpat la tête, Harry le regarda plus posément, moins rageux. Il n’avait pas être frappé au bout d’une laisse pour quelque chose qui n’était pas de son ressort. D’accord. Mais il n’en restait pas moins que parler comme ça, faisait dire au Cross qu’ils ne faisaient pas partie de la même équipe, somehow. Si Harry n’avait pas perdu mais que Sebastian oui… Le concerné vida son verre et le plus jeune se redressa avant de s’appuyer sur le dossier de sa chaise. J’ai merdé, continua-t-il. T’en fais pas, j’en payerai le prix. Harry hocha vaguement la tête mais il peinait à s’imaginer Sebastian payer le prix de quoi que ce soit, surtout de ses erreurs. Qui irait lui taper sur les doigts ? Sa conscience ? Dorian ? Sûrement pas. Le chef suprême était aux abonnés absents — et ça l’arrangeait bien. S’il comprenait que Dorian était une sorte de génie pour avoir monté l’organisation et tout tenu d’une main de fer, il était un génie et un tyran, une peau de cruauté et une aura de pourri circulait derrière lui. Mais Luka a retenu quelque chose de ce petit épisode. Elle n’est pas intouchable. Intouchable ? Sebastian parlait de la Cross comme une véritable personne ; elle n’était pour Harry qu’un nom, quand Laure avait pu incarner un réel quelque chose pour lui. Et qu’a-t-elle retenu ? Il termina lui aussi son verre. Je… ne comprends pas que vous lui courriez tous après. Je sais que c’est un pion important, mais elle semble être bien, bien plus qu’un pion. Le bruit du verre du la table, ses pieds qui se croisent sous sa chaise. Sans que personne ne l’admette vraiment. Le gin dans son ventre qui fait son lit, ses doigts paresseux qui caressent le tatouage en relief sur son bras : SNCL.

Smile now cry later.

N'est-ce pas Sebastian ?

Il se retenait d’aller dans le crâne de l’autre. Faiblesse, chaleur et colère l’avaient rendu poreux et il retenait sans cesse les piques magiques lancées à l’égard du Cross. La patience de Sebastian avait des limites mais Harry aussi, et l’alcool ne l’aidait pas. Ce fût par ailleurs ce qu’il se dit « tu t’aides pas gros. tu t’aides pas. »

Le gin lui ramena une vague de souvenir, ça disait
« mais ils sont de quelle couleur tes yeux ?
j’sais pas, des fois ils sont bleus, des fois gris, des fois verts.
on a qu’à dire qu’ils sont… blierts. Ou griereus

sourire.
une photo de prise.

pour ta gouverne, sur celle-ci ils sont gris bonne soirééééée »

Il frissonna ; repousser sa magie lui faisait toujours ça : un withdrawal violent qui l’emmenait dans le passé. Que tu peux la chercher par la peau du cul ? Il cilla, revint au présent et immédiatement, Harry roula des yeux, spontané jusqu’au bout des ongles. Mal formé. J’ai ramené une humaine par la peau du cul god knows where, si ç’avait été Luka, l’histoire aurait été différente. J’suis pas vous. Vous, les Cross, les sangs parfaits, les psychopathes, les retournés du buble, les assassins parfaits. Il était fort mais pas fou. C’était tout le problème. Le sang est tout. Well, ça, il avait bien compris. S'il y a une chose que nous faisons, c'est ça : le sang. La famille. Luka est le sang. Luka n'a pas le choix. Et nous non plus. Rien d'autre ne rentre en compte. Le garçon hocha lentement la tête, il avait bien compris l’obsession de Croix pour le sang mais ça ne faisait toujours pas rentrer le rond dans le carré.

Point.

Je n’ai rien d’autre à te donner. Le garçon termina son verre, lâchant au passage : mais elle ne veut pas, de ça. et vous ne la tuerez pas. comment est-ce que vous comptez la forcer à rester ? Le ressenti de Mohammed lui revint sur les épaules. Si Mohammed avait choisi une autre femme, consentante genre, il aurait encore ses mômes. Harry se fit la réflexion que si il était forcé d’être marié à une Orpheo, il ferait tout pour se barrer aussi, pour toujours, et que si il réussissait pas à emmener les enfants, que sûrement, il les buterait plutôt que les laisser aux mains de ces malades mentaux. Ils vivraient médiocres et malheureux, envoyés comme de la chair à pâtée. Il se souvenait de la charpie de l'équipe polonaise et avait trouvé le côté des gentils drôlement méchant et prétentieux, ça l'avait refroidi sur ses notions d'empathie pour un bon petit bout de temps. Les gentils, les gentils.... Pas vraiment.

Même si supprimer ses propres enfants… il n’était pas père, mais se doutait bien qu’on avait une vision différente quand on en avait. Il pria mentalement que Carla ait bien pris une pilule du lendemain — ou qu’elle soit morte ; une solution comme une autre à ses problèmes.

Sebastian avait l’air de ceux qui savent. C’était, en tout cas, ce que Harry s’était dit toute sa vie : Mohamed, Sebastian, Natasha, Dorian, tout le reste de la petite tribu : ceux qui savent. Et de l’autre côté il y a avait ceux qui ne savaient pas, et donc qui obéissaient, parce que s’ils ne savaient pas les grands desseins sombres et utiles, eux, ils savaient cependant ce qui était for the best. L’histoire aurait été différente. Mais des histoires comme Carla, on peut en créer plein. Le garçon fronça les sourcils : Mohamed avait aidé à commanditer ça, et Sebastian avait tout fait c a p o t e r. Et maintenant il dit on ? On peut en créer plein ? Dois-je être flatté de faire partie de l’équipe du Cross ou bien souillé, alors qu’il n’a pas levé le petit doigt de l’opération — enfin, si, pour en faire une boulette de papier — de se sentir concerné par Carla ? .

Mais tout s’effrita subitement au visage du brun, qui regarda son supérieur éclater un verre. Un sourire moqueur se dessina en grand sur sa face ; il se mordit la lèvre pour s’empêcher de redire c’est toujours pas ça les émotions hein ! non ?! parce que ça demande à être ressenti et visiblement ça rend Seb un peu colère hein ! non il la boucla, pas certain d’avoir été remarqué en train d’ironiser sur la situation. Et pourtant, c’était quelque chose de banal, des missions, Luka Cross qui faisait de la merde, c’était de l’ordre du quotidien. Harry se surpris à ressentir le manque de Dorian : avec lui les choses étaient claires et supérieures et visiblement, Sebastian n’avait que l’air de ceux qu’ils savent. Une façade, un masque qui se disloquait quand un adolescent posait deux pauvres questions parce qu’il a été pris pour un con.

Son supérieur revint avec avoir nettoyé, sa main, la table, son oesophage également visiblement. Tu me fatigues, Adelman. C’est l’effet que je fais, souvent, chef. Je ne sais pas. Je ne suis pas Dorian. Le garçon hésita à jouer avec le feu, et lâcher un « en effet » cruel qui aurait sûrement eu pour effet son propre décès. Heureusement que le Cross n’était pas lecteur de pensées. Il dit sobrement : s’il ne revient pas, tu seras bien obligé de devenir Dorian. Et si Dorian avait bien réussit à buter quelque chose, c’était ses sentiments. Toi ou un autre. Il n’y avait pas de menace dans ses mots ; juste un fait. Si Dorian se faisait tuer ou ne revenait jamais pour x ou y raison, ça serait la fin de la partie pour beaucoup de sorciers noirs, sacrifiés sur l’autel de l’ambition. Qui jouerait des coudes pour prendre le pouvoir ? Qui jouerait de la lame pour que le sang, rien que le sang pur, ne coule ? Beaucoup ; sûrement pas Harry. Il savait où il appartenait, et il préférait l'ombre, l'action, les missions, les jeunes femmes qu'on baise sur des capots et une distance raisonnable entre lui et les supérieurs qui pétaient les plombs au moindre questionnement.

Harry avait un certain sens du timing et une lucidité sociale qui l’avait souvent éloigné et empêché d’avoir des amis. Beaucoup passent outre les quelques malaises, les failles des outres ; lui, il avait du mal. et quand ça tombait sur un supérieur… untrustworthy.

Alors, comment on fait, ugh ? You can’t trust and I can’t be trusted anyway !

Il chassa ce souvenir de ces pensées, revint sur Sebastian qui disait Dorian reviendra avec un aplomb absolument absurde. Il ne pouvait pas en être certain, et être comme un enfant qui souhaite des choses ne ferait pas revenir leur supérieur. Le garçon haussa les épaules en regardant ailleurs, mal à l’aise. Je n'ai aucune velléités au trône cependant. Personne d'à moitié sain d'esprit n'en aurait. J'espère que tu n'es pas des fous... Il ne savait pas ce qu’il convoitait, à vrai dire, Harry, passionless Harry, mais clairement pas le trône. Le pouvoir décisionnaire ne l’avait jamais attiré : il était de ceux rebutés par l’échec, les responsabilités trop lourdes et les fautifs à qui on coupe la tête. Il fronça le nez alors que l’autre, le Cross, l’inconnu, le fou qui avait laissé partir Luka ajoutait : Si tu continues à encastrer les gens dans des murs, peut-être que tu feras partie des fous. Des décédés, ouais, grommela Harry de sa lente diction paresseuse. C'était un brin d'ironie mesquine envers lui-même, une blague en cadeau de départ pour espérer ne pas se faire briser la colone d'une balle dans le dos lors d'une sortie assumée. Il se leva avec le plus d’ingénuité qu’il pouvait trouver en lui, comme c’était normal de s’auto-disposer d’un supérieur, d’un Cross de surcroît qu’on avait agressé dans un coup de colère.

Il n’était plus en colère et avait envie de rentrer à l’abri, quelque part où un sentiment de sécurité pourrait l’envelopper, n’importe où… avec ses animaux, entre ses murs, avec l’amertume d’avoir raté la mission, avec Carla encore au bord des lèvres. Mmmh. Il se débarasserait bien un jour de la sensation et oublierait ce que ça avait fait, parce que ça avait fait trop et c’était idiot. Elle avait flirté, il avait pris (il apprendrait plus tard qu’elle ne prendrait plus, qu’ils joueraient un jeu con, et qu’il perdrait).

Mais Harry était de ceux qui perdent.

Une question de génétique, de destin, de karma, qui sait ? Tout le monde s'en tapait, dans la vie, il y avait ceux qui ne réussissaient jamais. Il n'était pas malheureux pour autant, mais il était seul ! Qu'est-ce qu'il était seul !

Aussi seul que ceux qui perdent tout le temps.

Qui survivent mais qui perdent every fucking time.

Il s’humecta les lèvres. Merci pour le verre, ajouta-t-il prudemment avant … de … s’éclipser. S’il faisait aveuglément confiance à Mohamed, il venait d’apprendre le couperet de la solitude, du sang, et le prix que payaient les Cross à leurs pouvoirs et leur position : l’inconstance.