C'EST VOUS !

C'était pas lui, mais le fantôme face à lui avait l'air d'y croire dur comme fer, et avait même ajouté :

CA SENT COMME VOUS !

C'était déjà plus proche d'une peut-être vérité et ça avait ajouté :

CROIX !

Et là, l'immeuble avait pris feu, mais pas Harry, Harry avait rampé en dehors et s'était fait transpercer de part et d'autres par tout ce qui s'effondrait, ça avait lourdement atteint sa cuisse mais surtout ses abdos, et il avait pris peur, une peur immense qui lui avait bouffé le bide. Il avait réussi à sortir, sanglant (il savait la douleur mais il espérait passer entre les gouttes de la mort) et avait compris qu'il n'était pas le seul à mourir et hurler : bordel dans la ville à côté de la ville en feu. Ca arrivait sans cesse ces derniers jours, sans, fucking, cesse et l'IBMM était surchargé, il y avait eu des morts dans les couloirs, et quand il avait réussi à se repérer il n'avait pas hésité. Il était venu voir Carla ici : les vétos. Il connaissait le neutre qui tenait ça. Il était 18h passé, est-ce que c'était fermé ?

Il ne réfléchit pas à vrai dire et brisa la vitre, et entra à l'intérieur. Ca lui éviterait Alec, Ian peut-être, le fait que non, on ne soignerait pas un Croix en priorité si on le reconnaissait.

Les mains pleines de sang à essayer de garder tout le sang dedans, la peau pâle et les yeux cerclés de souffrance, il débarqua au milieu du cabinet vétérinaire.

J'ai à peine eu le temps de me remettre de mes blessures. C'est encore tout écorché que je suis retourné au cabinet. Je ne sais pas ce que voulaient ces fantômes. Je ne sais toujours pas si c'est un problème que pour Orpheo ou pour d'autres. Ils ont tout fait exploser. Tout. Les pompiers sont intervenus. Les maquilleurs. Les téléporteurs. Les médecins des IBMM. Tout le monde était sur place. Peut être que j'ai bien fait de ne pas me rapprocher davantage. Toujours est-il que me voilà de retour au cabinet. Parce que les gens comptent sur moi. Ils comptent sur moi pour soigner un membre de leur famille.

J'entends un bruit de vitre brisée. Je pense « pas encore ». Pourquoi les drogués viennent essayer de me voler ? Et puis ce n'est pas comme si la porte était ouverte... Je me dirige donc vers l'entrée, voit un homme qui saigne de toute part. Je le regarde, hébété, je ne soigne pas les humains. Je ne sais pas soigner les humains. Je ne suis pas guérisseur. On est pas dans un film où les vilains viennent se faire soigner chez le vétérinaire. On est pas dans une série où le vétérinaire s'y connaît en art obscur et sur comment soigner les loups garous.

« Bonjour monsieur. Je suis désolé, je suis vétérinaire, je ne soigne pas les êtres humains mais je serais ravi de vous appelez une ambulance pour que vous puissiez rejoindre l'hôpital le plus proche. »

Et vite, vu la quantité de sang qui sort de lui. Vu toutes les traces qu'il laisse sur son passage. Je l'accompagne tout de même en salle d’auscultation pour au moins mettre des compresses sur ses plaies, le temps que l'ambulance arrive.

« Carla ? S'il te plaît, tu peux appeler une ambulance ? »

Je lance à la cantonade, espérant qu'elle ne soit pas en pause. Espérant qu'elle ne soit pas en train de fumer sa clope à l'arrière du bâtiment.

- Passe une bonne soirée meuf !

Carla tira la langue à Liam qui lui glissa un clin d'oeil avant de sortir du cabinet. Un animal était très malade et elle s'était donc retrouver de permanence pour le soir même, en tête à tête avec Newt. Or, si elle était très reconnaissante à son patron de l'avoir engagée en stage, elle devait également avouer que les conversations avec lui n'était pas vraiment les plus passionnantes. Elle allait donc surtout passer le temps à fumer des clopes dans l'arrière cours ou le nez dans mon bouquin.
L'apprentie vétérinaire soupira puis commença à nourrir les animaux qui passaient la nuit là, avec une caresse et quelques mots doux pour chacun. Elle aimait bien les animaux ; pas de drame, pas de complication, pas de mots. C'était simple et doux. Puis, après avoir fini son tour, elle s'allongea sur la table d'examen - son livre au dessus d'elle. Un coup d'oeil à sa montre ; même pas encore 18h, ils avaient fermé depuis à peine une demi-heure et la soirée promettait d'être longue et peu intéressante. L'étudiante se plongea alors dans son récit, rythmé par quelques miaulements ou aboiements.

- Carla ? S'il te plaît, tu peux appeler une ambulance ?

L'héroïne de son récit venait de réussir à faire décoller son avion lorsque la voix de Newt l'interrompit. Surprise, elle mit quelques secondes à refermer le livre et à se redresser.

- Une ambulance pour l'hôpital vétérinaire ? Je ne savais pas qu'il avait des ambu...

Mais sa voix se coupa soudain en voyant que celui qui accompagnait son patron n'était ni un chien, ni un chat, ni un quelconque autre animal de compagnie. C'était un fichu vampire aux longues dents et qui semblait s'être pris un camion dans la figure.

- Ha... rry ?

Elle aperçu Newt du coin de l'oeil en train de sortir des compresses pour endiguer l'hémorragie. Tout le sang qui coule la submerga un peu et ce fut avec la nausée dans le coeur et les mains qui tremblaient légèrement, qu'elle finit par sortir son téléphone afin de composer le numéro des urgences.

Ils parlaient autour de lui mais l’inconscience menaçait de l’envelopper. Il s’échoua sur un pan de mur. Les ambulances ? Oh, ils pouvaient, dehors il y avait déjà des morts et des gens à recoudre, il n’y aurait personne au bout du fil pour venir le sauver. Il le savait, il y aurait des choix à faire pour les urgentistes et c’était quelque chose de sale ; les jeunes, les puissants, les riches, les premiers à appeler ? L’inconnu presse des linges contre ses plaies quand Carla arrive ; le garçon en a marre d’être sur les rives de la mort il aime bien vivre il voudrait vivre, il n’y a pas Ian pour le sauver cette fois et le prénom s’échoue sur ses lèvres : Ian. Ha... rry ? Carla.

Il ferma les yeux, le corps en état de choc et le cerveau a plein régime, il n’allait pas encore être dépendant des autres, si ? D’Alec, du bon vouloir de cette policière du démon, de tout le reste. Il aurait voulu Mohamed auprès de lui, oh qu’est-ce qu’il aurait aimé avoir son mentor, mais c’était un grand garçon désormais, aussi décevant que soit cette affirmation, décevant, décevant, décevant. Il n’avait personne sur qui s’appuyer parce qu’il était adulte et les adultes étaient les béquilles des nécessiteux (à condition qu’ils soient sorciers et purs et noirs et en bonne santé) et pas l’inverse. Personne ne viendra c-c-c-‘est il se pencha, siffla de douleur, papillonna vers la lumière parce qu’il ne comprenait pas tout, et repris après avoir hoqueté du sang, encore, que de drames et de morts dans la vie, chez Croix, chez les sorciers noirs, le feu, les enterrements, les cercueils vides parce que le corps est sous les décombres, les traditions pour faire son deuil comme si un deuil ça se faisait, comme si ça existait, comme si ça arrêtait de faire mal un jour, et une moue vint s’agripper à ses lèvres, c’est le chaos dehors, dit-il posément.

C’était le chaos dehors, dedans, partout, mais peut-être qu’au moins, s’il mourrait, il rejoindrait ses parents.

Carla arrive bien vite et cela me soulage. Elle, sait mieux parler aux êtres humains que moi. Je suis doué d'empathie, lors de la perte ou de la maladie d'un animal, aucun soucis. Je souffre tout autant qu'eux, presque. Mais les humains... C'est compliqué. C'est pas facile. C'est pas inné. Alors que se rouler sous de la fourrure et comprendre les autres, ça c'est facile. Comprendre un être qui ne parle pas, c'est facile. Naturel. Magique.

Le cadavre ambulant sort le nom de Ian. Ian ? J'espère que c'est une coïncidence. Je me détrompe bien vite étant donné que Carla sort le prénom de l'homme que je porte à moitié. Homme qui énonce le prénom de ma stagiaire.

Comme ça, ils se connaissent. Pourquoi il vient dans une clinique vétérinaire ?

« Personne ne viendra c-c-c-‘est , c’est le chaos dehors »

Je fronce les sourcils. Je ne sais pas soigner les humains. Et pas parce que je veux pas. Pas parce que j'ai pas la capacité, recoudre, c'est recoudre. Mais j'ai pas les connaissances.

Une artère est une artère, non ? Un foie est un foie. Et il vient falloir faire quelque chose pour cet homme qui se vide de son sang.

Procède méthodiquement Newt. Quand un chat vient d'être renversé par une voiture, comment tu fais pour le soigner ? Je lui pose la question.

« Commencez par nous dire ce qu'il vous est arrivé. »

Je l'allonge sur la table. Les compresses sont posées mais je sais qu'il va falloir faire bien plus que cela. Il va falloir connaître la tension, le pouls, le taux d'oxygénation. Est-ce qu'un organe est touché ? Y a-t-il une hémorragie ? Une fracture ? Qu'est-ce qu'il faut soigner ?

« Carla. Amène le matériel nécessaire pour les mesures. »

Un prénom échoua sur une rive morte.

- Ian.

Elle serra la mâchoire, un voile tombant brièvement devant ses yeux.

- Carla.

Mais ce n'était pas le moment de s'attarder sur les blessures de sa tête ; Harry avait des béances partout dans le corps. Que fallait-il faire ? Que fallait-il faire pour qu'il ne meurt pas ? Et pourquoi le sauver alors que lui l'avait enlevée avant de lui tirer dessus, alors que lui n'hésiterait pas à la massacrer pour parvenir à ses idéeaux ? Qu'il était une menace pour absolument tous ses amis dans cette guerre qu'elle ne saisissait pas entièrement ? Pourquoi sauver Harry ?

- Personne ne viendra c-c-c'est...

Ses mots ont la couleur du sang.

- c'est le chaos dehors.

Mais c'était Harry, c'était un vampire et il n'avait reçu aucun pieux dans le corps. Il ne pouvait pas mourir, il n'en avait pas le droit. Le cerveau de Carla essaya de s'activer, de trouver une solution alors qu'elle essayait tout de même d'appeler les urgences.

Toutes nos lignes sont actuellement saturées, merci de rester en ligne, nous prendrons votre appel dans les plus brefs délais.

À quel moment les urgences étaient devenues le service après-vente d'une boîte de téléphonie ? La situation devait être catastrophique de l'autre côté des vitres. Elle ferma les yeux un instant, réfléchissant au plus profond d'elle-même. Comment s'appelait cet homme déjà ? Celui qui lui avait trouvé des clopes à l'hôpital ? Alex... Alec... quelque chose comme ça. Mais comment le joindre ? Ian semblait le connaître. Mais Ian ne voudrait jamais l'aider à sauver Harry.
Que dirait-il, hein, s'il savait ce qui se passait dans le cabinet vétérinaire.

Laissez le crever.

- Commencez par nous dire ce qu'il vous est arrivé.

Newt allongea le blessé sur la table alors que le sang continuait à se déverser. Boucherie plus que cabinet vétérinaire.

- Carla. Amène le matériel nécessaire pour les mesures.

À cet appel, l'étudiante reprit contact avec la réalité et se focalisa sur la scène. Après tous les humains aussi étaient des animaux. Elle avait bien aidé à procéder à une césarienne - vers l'anus, pour diminuer le risque que les organes s'échappent - sur une éléphante. Les humains devaient être bien moins compliqués à gérer.
Ne pas penser que le pachyderme n'avait pas survécu à l'opération.

La jeune femme ramena précipitamment les instruments ainsi que ce qui lui tombait sous la main devant le vétérinaire, plaçant déjà les machines sur le sorcier, en essayant d'éviter son regard. Ne pas penser que c'était lui, ne pas penser qu'elle avait cette vite entre les mains, que la moindre erreur pouvait le faire verser à l'extérieur de son corps.
Comment faisaient les médecins pour survivre à la pression ?
Mais, incapable de l'éviter trop longtemps, les yeux de Carla rencontrèrent soudain ceux de Harry. Et, mue par son instinct, elle caressa, presque tendrement, la joue de l'homme en fixant ses prunelles.

- Si tu meurs, je pourrais pas te tuer. Alors fais pas le con.

Résiste. Merde Harry, résiste.

Pour la deuxième fois, il était en train de mourir en peu de temps. Comment savoir s’il était censé s’habituer à ça, ou lutter contre les gens qui voulaient le tuer parce que lui même essayer pas mal de les tuer également ? Une fois, Ian Coley l’avait sauvé avec un monsieur-magie sorti de nulle part, cette fois fallait-il que l’humaine innocente s’en charge ? Il essaya de s’enfoncer ses ongles courts dans sa paume pour essayer de faire affluer la douleur ailleurs mais rien ne comparait avec sa cuisse. Commencez par nous dire ce qu'il vous est arrivé. Il le regarda, les pupilles complètement dilatées et la gorge vraiment sèche, trempé de sueur de la nuque au bas du dos. Carla. Amène le matériel nécessaire pour les mesures. Et il répéta Carla comme une ligne de vie sur laquelle on tire, mais pas trop fort, de peur qu’elle se brise ou se dénoue pour vous laisser ses noyer. Il avait un peu envie de sangloter, mais il savait faire, ça, retenir les larmes. Écrasé, ça s’effondre dehors, il frissonne subitement sur la table, les yeux rivés sur l’inconnu qui lui a dit qu’il soignait pas les humains, mais n’est-il pas une bête lui aussi ? Un chat percuté par des décombres lui ayant déchiré le corps. Il allait crever comme un clebs et personne n’y trouverait rien à redire si ce n’est Mohammed, peut-être, et encore, il encaisserait peut-être ça comme une nouvelle déchéance et il croisa il prunelles de Carla. Sa main sur sa joue eut l’effet d’un douloureux frisson de fièvre qui met la peau au supplice. Si tu meurs, je pourrais pas te tuer. Alors fais pas le con. Et il grommella me tuer pour quoi ?

Il essaya de remettre ses mains sur ses plaies, encombrées des mains des autres parce que le sang s’en va de lui, le fuit et il se souvient d’une chanson qui disait i’ll go with you, my blood, i’ll go with you, et c’était stupide parce que plus personne n’était de sang de toute façon et qu’il aurait pu avoir un enfant avec Carla, Carla, Carla ; il délirait mais ne pouvait pas s'empêcher d'essayer de survivre et survivre ça passait pas mal par garder son sang à l'intérieur de son corps.

Il se demanda si ses tatouages seraient déformés, si ses traumas gonfleraient la peau au point d'en laisser des choses indélibiles si il aurait pu s'échapper si les fantômes étaient un karma super violent s'il allait mourir ici et maintenant sous les mains de gens qui le connaissaient pas vraiment aussi bien qu'il l'aurait voulu, parce qu'il aurait voulu mourir avec les siens, et les siens il n'en avait plus, et ça tournait en rond alors que sa sueur gouttait dans son sang, diluant de translucide l'hémolobine par terre et ça sentait les animaux terrifiés et malades et les propriétaires trop tristes et tout le reste.