Jeudi soir. Dans ce fameux café du bord de route qui mène de l'orphelinat jusqu'à ma maison.
Quelle journée! Voici maintenant deux ans que j'enseigne à Little Angleton, ce petit patelin paumé situé en Écosse. Je m'y plais bien. C'est calme et animé à la fois.

Je rentre donc par cette soirée plutôt fraîche pour un mois de mai, plutôt épuisé par une journée forte en sensation. Passant la porte du café, je me dirige vers le bar. La serveuse a l'habitude de me voir traîner à cette heure-ci dans ses locaux, et je suis toujours fidèle à mon poste.
Ma petite valisette à la main, je m'assis au coin droit du fond du café. C'est chouette. Aujourd'hui, il n'y a pratiquement personne. Du moins, aucun de mes élèves. J'aime ce moment de calme. La petite musique de fond qui passe sans que personne ne s'en rende compte. Il n'y a pas trop de bruit, cette soirée-là. La musique est donc encore plus basse que d'habitude. Dans ma tête, j'imagine les notes de musiques. C'est toujours plaisant à faire. Et ça m'a toujours relaxé.

Mais j'ai du boulot en retard. Et ce soir, je n'ai pas le temps de rêver. Je n'ai pas besoin de faire ma commande à la serveuse, elle sait parfaitement que je prend du café. Tant mieux, ce sont de précieuses secondes en moins à faire quelque chose d'autre que du travail.
Ouvrant ma petite valise, je sors mon ordinateur portable, ma souris, met mon coude sur la table, ma main en appui pour ma tête, et affiche un mine sérieuse et concentrée.
J'ai des cours en retard, et même encore aujourd'hui, c'est encore difficile de parler de "Comment se métamorphoser?" en version théorique. Moi, j'ai appris toutes mes formes au fur et à mesure du temps, à force de pratique et d'entraînement. Les cours de musique sont plus faciles, et les élèves, plus concentrés, puisqu'il s'agit d'une matière facultative, et puis là, la théorie concerne le solfège.

Je suis concentré. Si concentré que je n'aperçois pas une de mes élèves qui entre dans le café. Qui me remarque, qui ne dit rien. Qui hésite et qui se détourne.
La serveuse m'apporte mon café.
Je lève les yeux.
Mon regard se porte vers la jeune élève. Je la reconnais. C'est Hayley, l'une de mes élèves les plus talentueuses en musique. Je souris.

-Viens t'asseoir ici, Hayley. lui lançai-je alors.

Il fait un peu froid pour une journée de Mai. Il est exactement 18h. Le sol est humide dehors tandis que je me dirige vers THE LONELY GHOST. J'y entre rapidement en poussant la porte, de l'air tiède vient me caresser le visage. L'atmosphère y est agréable ce soir, la musique n'est pas très forte ce qui signifie donc qu'il n'y a pas beaucoup de monde dans cet endroit habituellement encombré de personnes d'humeur joyeuse.

J'avance vers le comptoir, puis je remarque soudainement une "connaissance" assise à une table. Le professeur Takahata, Ren Takahata, mon prof de musique, je l'apprécie beaucoup, sur le plan intellectuel et musical il est vraiment doué et c'est un réel plaisir de parler avec lui. Mais je ne dis rien, et après une petite hésitation, je me détourne et continue mon chemin vers le comptoir.
-Une citronnade s'il vous plaît, demandais-je.
J'attends que mon rafraichissement arrive. Ça y est, il est servi.
-Viens t'asseoir ici, Hayley. me lançai alors la voix du professeur Takahata.
Je me tourne vers lui, il affiche un sourire.

Alors je prends mon verre remplit de ce liquide jaune clair qui ondule à chacun de mes pas. Je m'assied à sa table avec un sourire et je dis.
-Je ne pensais pas tomber sur vous, monsieur. A vrai dire, j'étais venue pour faire mes devoirs et écrire des compositions, c'est une drôle de coïncidence.
Je sort alors des feuilles vierges et d'autres un peu griffonnées. Sous le regard de mon professeur, je continue de faire un exercice de maths très compliqué dont le problème est sur le point de me livrer la vérité.

Voilà déjà quelques minutes que Hayley est plongé dans son exercice.
Jusqu'à présent, je l'observais en silence, ma main soutenant toujours ma tête, l'air indifférent. Quand elle jetait un coup d'oeil vers moi, je me contentais alors de sourire ou de lui expliquer ce qu'elle ne comprenait pas. Ces exercices n'étaient pas sensationnels, et je l'aidais lorsqu'elle se trompait de résultat.
C'était amusant. Mais rapidement lassant.

Je soupire. Cela fait déjà vingt minutes. Ma tasse de café est vide, Hayley n'a pas terminé son devoir de maths, et je n'ai toujours pas commencé mes propres devoirs. Je me détourne d'elle. Relevant le clapet de l'ordinateur, j'ouvre mes multiples dossiers. Puisque les cours de métamorphose n'existent pas chez les humains normaux, je ne peux pas m'aider d'internet. Je dois donc totalement inventer mes cours. C'est tantôt amusant, tantôt ennuyeux. J'appuie sur les touches du clavier en silence et commence ma leçon de métamorphose.
Le début est plutôt dur. Je patauge en me répétant. Puis, l'incompréhensible devient compréhensible. Les bruits de touches sont de plus en plus rapides, sur le rythme de la musique de fond.
Puis, la jeune élève termine son exercice. Je lève à peine les yeux, emporté dans ma folie. Hayley s'anime.
Mon regard dévie à nouveau vers elle, et se concentre sur les deux partitions. Le fait d'avoir la forme fusionnelle d'un félin, et une passion incontestable pour la musique me permet de voir une partition à des kilomètres. C'est assez amusant. Je soupire de nouveau.
Décidément, ce soir ne semble pas être le jour où je vais rattraper mon retard.
Puisque j'ai vu une dizaine de classe aujourd'hui, je questionne Hayley :

-Je t'ai donné quoi comme devoirs pour demain?

Voilà ma phrase. Une phrase simple mais pleine de sens. J'aime bien écrire. Alors je vais l'aider. Même si c'est moi qui lui ai donné ces devoirs. J'espère juste qu'elle voudra bien.
En dehors de l'école, je suis une autre personne. Pas l'homme qui peut paraître sévère, pas le professeur de métamorphose.

Juste moi. Juste un homme qui vit sa vie, et qui vit ses rêves.

La réponse c'est 41636,45. Quel calcul! Je m'impressionne moi même, en 30 minutes seulement. Enfin, après un gros effort cérébral, j'attrape mon verre et commence à siroter ma citronnade encore fraiche. Mr Takahata me regarde.
-Je t'ai donné quoi comme devoirs pour demain? me demande-t-il soudain.
J'étudie la question et attends 7 petites secondes pour parler, le temps de réfléchir.
-Écrire une chanson. Et visualiser le rythme et le tempo si elle avait été mise sur une bande sonore. Ensuite la chanter a capella.

Il me regarde toujours, puis une petit sourire se forme sur ses lèvres. Je continue de siroter calmement mon breuvage. Je commence à m'ennuyer réellement, j'étais venue au LONELY GHOST pour travailler, je n'ai plus de travail. Je vais écrire une nouvelle, un poème ou bien encore une chanson pour faire passer le temps et pour mon simple plaisir.

Je me lance, prenant une des feuilles vierges que j'ai sortie tout à l'heure et l'inspiration me vient, c'est une nouvelle, ça parle de nature, une forêt, grande, verte, un ruisseau, une pente légère, de la brume, des petits animaux, les rocheuses de l'État de Washington.. C'est comme ça que je visualise ce que j'écris. J'ai toujours une image précise dans la tête, si elle devient floue c'est que mon idée change et devient encore meilleure. Vous trouvez cela bizarre? Je fonctionne comme ça. Un raclement de gorge m'interrompt, je sors le nez de ma feuille déjà bien entamée maintenant.

-Qu'y a-t-il? demandais-je à Ren Takahata.

Elle reste immobile quelque secondes, puis me répond :

-Écrire une chanson. Et visualiser le rythme et le tempo si elle avait été mise sur une bande sonore. Ensuite la chanter a capella.

C'est vrai, je me souviens de ça.
Mais c'est alors que Hayley change d'activité. Elle se met à écrire. Je ne cherche pas à lire. Mais je sais qu'elle ne fait pas ses devoirs. Et ça, automatiquement, ça se répercute sur mon rôle de professeur. Mais je ne veux pas paraître désobligeant, alors je me tais.
Elle écrit vraiment vite. On dirai que les idées viennent d'elles-mêmes. J'essaye alors de me concentrer à nouveau sur mon ordinateur. Je suis aussi plein d'inspiration, et commence à écrire à mon tour.
Une fois cela terminé (et ce fut relativement rapide), je jette un nouveau coup d'oeil vers Hayley. Elle écrit toujours. Une page entière terminée et la voila qui la retourne et continue.
Attirant son attention, je me racle la gorge. Elle lève les yeux et me demande ce qu'il y a.

-J'ai confiance en tes capacités, mais je doute qu'avec le temps qu'il te reste, tu puisses faire tes devoirs aussi rapidement que tu peux le penser.

Elle n'eut pas l'air de comprendre. Je soupire.

-Ce que je veux dire, c'est que je vais rentrer chez moi, alors j'espère pour toi que tu feras tes devoirs pour demain. lançai-je avec un clin d'oeil amical.

Décidément, même si je ne le faisais pas paraître, j'étais toujours aussi irrité à l'idée de penser qu'une fille aussi talentueuse que Hayley bâcle son travail de musique. Mais je n'aime pas stresser les gens. Et puis, même si ma discussion peu prouver le contraire, je n'aime pas trop parler.
Hayley me regarde. Lassé et un peu fatigué, je me lève et range mon ordinateur portable.
Il faut que j'aille dehors, car l'air ici devient suffoquant.

Je le regarde se lever et ranger son matériel, il se dirige vers la sortie. J'avais envie de l'interpeler, peut être voulait-il rester seul.. Décidée à continuer ma nouvelle, je continue à écrire pendant quelques secondes pour finir totalement cette histoire. J'écris mon nom pour signaler que j'en suis l'auteur. Je le donnerais à Nérys pour qu'elle puisse le lire aux petits de l'orphelinat, c'est à peut près à ça que servent la plupart de mes histoires et de mes poèmes.

Puis je me lève et rattrape rapidement Mr Takahata à quelques mètres de la sortie.
-Attendez, vous avez oublier de payer, lui rappelais-je.
Il me regarde avec étonnement et se tape le front avec le plat de la main. Je l'entraîne vers le comptoir. Ayant déjà préparé mon dû, je pose 1.30£ dans une coupelle prévue au paiement et j'attends que mon professeur fasse de même. La pendule derrière le bar sonne, il est 19h, le soleil est toujours présent et n'a pas encore commencé à disparaître. Ren Takahata dépose 2.15£ au même endroit que moi, nous gratifions Sophia, la serveuse, de remerciements chaleureux et d'une bonne soirée avant de sortir.

Je tire la porte du café, un léger courant froid y entre en me gelant le bout du nez qui devient rouge sur le coups avant de reprendre sa couleur blanche habituelle. Le prof de musique habite juste à côté du Mystery, dans une petite maison aux allures bien sympathiques. De vant le café, je le regardais.
-Monsieur, je vouais vous dire au sujet de tout à l'heure, que j'avais déjà terminé mon travail, mais après tout, merci de vous en soucier, même si c'est votre travail, souriais-je amicalement.
Il me regarda quelques instant avec un visage de pierre puis me rendit mon sourire.

-Excusez moi de vous dire ça mais vous avez l'air un peu fatigué aujourd'hui.ajoutais-je un peu confuse.

Il fait bon dehors. Un peu froid, mais j'y suis habitué. Alors qu'elle n'est pas tournée vers moi, je baille d'un seul coup.
Puis, elle me rassure à propos de ses devoirs. Tant mieux. Je lui sourit. Enfin, elle finit par me demander :

-Excusez moi de vous dire ça mais vous avez l'air un peu fatigué aujourd'hui.

Ça pour être fatigué, je ne le suis pas à moitié. M'empêchant de bailler de nouveau, je lui réponds simplement :

-On va dire que la journée a été plutôt chargée aujourd'hui. En plus, le froid me casse encore plus.

Soudainement, je tourne la tête. Il me semble avoir entendu quelque chose. Un petit cri, très certainement d'animal. Je me tais. Si je me transformais, je pourrais tout entendre à des kilomètres à la ronde, mais je n'avais pas envie de le faire devant une élève. Je fis donc semblant d'être indifférent, simplement silencieux, mais en réalité, j'utilisais mon don télépathique avec les animaux. Je n'étais pas très doué avec ce don, et je ne pouvais interroger que les animaux des cent premiers mètres. Silencieux, je ferme les yeux.
Ce n'est rien. Rien du tout. Je suis rassuré. Hayley me regarde avec étonnement. Je me détends, et la regarde sans expression. Quand la nuit vient, je deviens toujours un peu distant, parce que c'est dans ma nature. Et puis, ça fait longtemps que je ne me suis pas transformé. J'ai donc un grand besoin de liberté. J'aimerais éviter de discuter encore longtemps.
Mais mes manières restent cependant polies. Je demande :

-Tu veux que je te raccompagne?

Rien de plus. Qu'elle dise "non" m'arrangerait. Mais puisqu'il est déjà 19h, je devrais la raccompagner chez elle, puisque j'habite juste à côté.
Je reste silencieux, imperturbable. Mon envie de me transformer devient un besoin. Mais je peux le stopper encore quelques minutes.
Hayley ne réponds pas, et je finis par me demander si elle fait exprès. Je ne suis pas méchant, mais je peux m'énerver si je suis impatient.

Soupirant, je n'attends pas sa réponse et tourne les talons. Si elle a envie de me suivre, qu'elle le fasse.

-Tu veux que je te raccompagne?

Je ne réponds pas, j'hésite. C'est très poli et gentil de la part de Mr Takahata de me demander ça, mais se serais impoli de ma part d'accepter. Je suis consciente qu'il me demande ça parce que nous avons je même chemin et je me suis aussi rendu compte qu'il avait envie de rentrer chez lui au plus vite. Le professeur de musique n'attends finalement pas ma réponse, il arrête de me regarder puis change de cap et commence à partir.

Je reste là toutefois, j'ai du temps, même si j'ai envie de retourner au Mystery, j'ai beaucoup de temps, pas la peine de s'affoler. Je me demande si je ne vais pas reprendre une citronnade, l'idée me paraît alléchante, je pourrais tout aussi bien continuer d'écrire.

Soudain, je ne comprends pas, une vitre du bar explose, projetant des milliers de petits ou gros bouts de verre un peu partout. L'un deux me frôle la joue en y plaçant une fine coupure.

-Merde mais quesqu'il se passe! POURQUOI PERSONNE NE ME VOIT!!! Je suis là!!! Je suis là. Mais bordel... Je suis là...

Je me retourne et aperçois un homme à genoux sur le sol, en larmes. Un fantôme.

Alertés par le tapage, les gens sortent du bar et d'autres regardent par leur fenêtre. Tout le monde se connaît ici, donc tout le monde me connaît assez bien pour savoir que je ne casse pas de vitres pour le plaisir, et que je ne casse pas de vitres du tout. Après avoir constaté, tout le monde rentre gentiment dans le bar tandis que les autres referment leurs fenêtres comme si c'était naturel que les vitres explosent. Normalement, d'ici demain, tout le village parlera de moi, en bien ou en mal. Je repayerais cette vitre je pense, je ne vais pas laisser Sophia prendre ça sur son salaire.

Je m'approche doucement de l'homme qui continu de pleurer comme si personne ne l'avait vu.
-Excusez moi, qu'est-ce qui ne va pas? Je peux vous aider? demandais-je prudemment.
Il lève la tête vers moi avec un regard plein de reconnaissance. Mais j'entends derrière moi les pas de quelqu'un d'autre venir à grandes enjambée.

J'étais en route. Quelques minutes avant de rentrer chez moi. Je ne suis déjà plus devant le bar. J'ai déjà marché quelques centaines de pas.
Plus beaucoup de temps. Dans très peu de temps. Je pourrais me transformer. Être seul avec la nature, sentir le parfum des fleurs de mai, toucher l'herbe fraîche sous mes coussinets sensibles, avoir le pelage a découvert, face au vent.
Tout cela dans très peu de temps. Hayley ne m'a pas suivi. Tant mieux. Je n'ai pas envie de discuter. Mon esprit animal se réveille, conscient qu'il sera bientôt lâché.
Je marche. Un pas. Deux pas. Trois.
Lentement, très lentement, mon pas se fait plus lourd. Ma tête s'allonge un peu et se rapproche du sol. Je n'aurai pas le temps d'attendre la maison. Avec le peu de temps qu'il reste, je pose ma valisette sur le sol, me change rapidement, faisant une boule avec mes vêtements, et me transforme totalement. Saisissant la poignée de la petite valise et la boule de vêtements, je m'élance à l'abri des regards.
Auriez-vous déjà vu un léopard sourire? Eh bien, c'est ce que je faisais.
Les sensations étaient énormes. Le souffle long et profond, je courre sans m'arrêter. Je ne vais pas rentrer maintenant. C'est trop agréable, et le fait de porter mes vêtements et ma valisette n'est pas déplaisant. En fait, j'ignore totalement que j'ai quelque chose dans la bouche.

Soudain, mes oreilles se dressent. Un bruit de verre. De verre cassé. Rien n'échappe à mes oreilles. Je situe l'endroit. je suis à mi-chemin entre la maison et le bar. Le bruit vient du bar.
Décidément, ce n'est pas mon jour. Résigné et un peu inquiet, je reprends forme humaine et me rhabille. Baillant un bon coup, je courre vers le "The Lonely Ghost". Mes sens ne m'ont pas trompés. Il y a réellement une vitre cassé. Et devant cette vitre explosée de toutes parts, il y a des débris au sol, et à côté de ceux-ci, Hayley.
Je l'observe. Elle est aux côtés d'un fantôme. son visage est un peu erraflé, mais je suis rassuré à l'idée de ne voir aucun bout de verre qui est resté planté. J'entends le fantôme récrier :

-Merde mais qu'est-ce qu'il se passe! POURQUOI PERSONNE NE ME VOIT!!! Je suis là!!! Je suis là. Mais bordel... Je suis là...

Et puis, Hayley lui répond :

-Excusez moi, qu'est-ce qui ne va pas? Je peux vous aider?

Je souris. Elle est si gentille. Je m'approche à pas précipités, marquant réellement ma présence (cacher sa présence est chose facile pour un métamorphe dont la forme fusionnelle est un félin).
M'approchant des deux, je vois Hayley relever la tête vers moi. Interloqué par les évènements, je demande et morigénai aux deux :

-Que s'est-il passé ici, bon Dieu?

The heart of death remains and the tears of the alive fall down.



C'est Ren Takahata qui revient. Sûrement alerté par le bruit de bris. Le fantôme ne m'a toujours pas répondu, il me regarde, larmes aux yeux.
Je m'essuie la joue pour en enlever le mince filet de sang qui y coule, je constate que j'y ai maintenant une grande trace de sang séché. Je dois avoir l'air miteuse. Je regarde successivement Mr Takahata et le fantôme.

Je perçois en son regard les signes d'une infinie tristesse. L'incompréhension se sent, son expression ne ment pas, il est en colère et désemparé. Je voudrais l'aider.
-Je pense que c'est une forte colère qui a briser cette vitre. dis-je après quelques secondes de calme.

Ce que je dis est complètement inutile, je crois que mon professeur a déjà comprit, quoiqu'il a l'air un peu dépassé par les évènements. Il acquiesce ma réflexion avec un sérieux désemparant sans rien dire. Je m'agenouille aux côtés de cet homme encore en pleurs.
-Quelles sont les raisons de votre mort?
Il ne me répond pas, comme si il ne comprenait rien. Comme si il ne savait pas qu'il était mort. Pauvre homme. Ne pouvant rien faire de plus, je lance un regard à Mr Takahata pour qu'il me vienne en aide. Pas de réaction. Le clocher de l'Église sonne, il est 19h15.

J'aimerais bien rentrer au Mystery, mais je voudrais aussi aider ce trépassé. Je ne vais pas laisser le professeur de musique faire ça tout seul.
-Vous avez une idée? lui demandais-je

-Vous avez une idée?

Bien sûr que j'en ai une. Évidemment. Mais tout a basculé sans que je n'ouvre la bouche. Une seule phrase suffit alors.

-Quelles sont les raisons de votre mort? demanda alors Hayley.

Dans un geste furtif, je soupire. Je croyais qu'on apprenait aux exorcistes à ne pas affoler la victime. Après tout, celle-ci ne pouvait pas savoir qu'elle était morte. Je ne peux rien faire en l'état actuel des choses.
Tandis que mon cerveau se remettait doucement en marche, se heurtant à des conclusions hâtives, le fantôme commença à hésiter. Il ne fallait pas que ça arrive.
Je soupire à nouveau. Ma journée n'allait pas se terminer de sitôt. Il faut que je fasse quelque chose.
Je me rapproche alors du fantôme. m'accroupissant à ses côtés, je m'apprête à parler, pour rattraper le coup malheureux de Hayley. Un peu de finesse, que diable!
Le fantôme ne me laisse pas le temps de parler, et me rattrape dans mes paroles:

-Mort? Mais je ne suis pas mort! Que se passe-t-il?

De plus en plus difficile. Je lui demande de se calmer. Il ignore mes recommandations. le manque d'attention m'a toujours autant énervé, et c'est avec un ton grave et étonnement fort que je lui hurle :

-Maintenant, vous allez vous calmer, Monsieur!

Hayley sursaute. C'est vrai que je ne me suis jamais énervé en public jusqu'à présent. Puis, ayant attiré l'attention que je voulais sur l'homme, je reprend plus calmement :

-Bon, cher Monsieur. Vous vous demandez certainement comment se fait-il que personne ne vous voie à part nous deux ici présents, n'est-ce pas?

Il acquiesce, les yeux à moitié baignés de larmes. Je baisse la tête, inspire un grand coup, et la relève, en déclarant :

-J'aimerais savoir d'où vous venez. Pourquoi vous êtes ici actuellement, et ce que vous avez fait juste avant de prendre cette apparence spectrale.

Mieux vaut y aller doucement. Le fantôme ne comprend pas sa position, et c'est le plus embêtant. Je l'encourage d'un sourire amical et attend qu'il me déroule son histoire.

And always, we make mistakes.


Boulette, boulette, boulette. Je n'aurais pas dû prononcer cette phrase. "Quelles sont les raisons de votre mort?" On nous a appris à ne pas être trop direct avec les fantômes, c'est sûrement à cause de la fatigue que j'ai dit ça. Il est 19h30 maintenant, j'ai raté le début du dîner, ça m'ennuie un peu. Heureusement que l'on a jusqu'à 20h30 pour manger.

Mr Takahata essaye de rattraper mon malheureux faux pas. Ce type peut devenir un poltergeist si il est trop "bousculé", ou pas. Oui, tous les fantômes choqués, désemparés, etc, ne deviennent pas forcément des poltergeists, ce qui est plutôt rassurant.

-Bon, cher Monsieur. Vous vous demandez certainement comment se fait-il que personne ne vous voie à part nous deux ici présents, n'est-ce pas? dit le professeur de musique.
Je les regarde successivement, le fantôme paraît plus calme.
-J'aimerais savoir d'où vous venez. Pourquoi vous êtes ici actuellement, et ce que vous avez juste avant de prendre cette apparence spectrale.
Il ne s'y prend pas mieux que moi. Si l'homme ne sait pas qu'il est mort, il ne peut pas savoir ce qu'il a fait avant de mourir... Je réfléchi plutôt vite ce soir. Je décide de rattraper le coups et d'être plus précise dans notre demande.
-Qu'est-ce que vous avez fait ces dernières vingt-quatre heures?

Nous sommes dans une impasse. Moi, je me rate avec cette phrase stupide, et ensuite Ren Takahata qui se méprend lui aussi. Nous sommes tous bien fatigués ce soir. Il faut que je rentre, je n'ai pas envie de rater le dîner, j'ai faim. Et puis ensuite j'irais dormir. Mais avant, il faut aider ce pauvre homme.

Je me tape le front. J'y suis allé un peu précipitamment, c'est vrai. Mais ce qui m'énerve encore plus, c'est qu'une élève me rattrape. Et ça, c'est comme un coup de poing.
J'écoute Hayley lui demander ce qu'il a fait durant les vingt quatre dernières heures qu'il a vécu (sans le préciser, car il est inutile de l'affoler davantage). Je soutiens les paroles de Hayley en un acquiescement silencieux de la tête. Le fantôme nous regarde, sans comprendre. Je soupire. Je sens que ce n'est pas gagné et ma folle escapade dans l'herbe ne m'a calmé qu'à moitié. Je sens à nouveau une lueur d'animosité dans mes yeux. Je me masse alors les tempes. Le fait que je sois fatigué n'arrange rien. Mais il ne faut pas que je perde mon sang-froid. Et puis, en tant que professeur, il faut j'aille en aide aux fantômes, et non pas les élèves eux-mêmes. Ce serai méchant de ma part de m'en aller, la laissant seule.
Finalement, je finis par déclarer, soucieux de mon état, mais sans le montrer :

-Tu sais, Hayley, je peux m'en occuper. Va donc te coucher. Il est tard, et je serai responsable s'il t'arrive malheur sur le chemin du retour.

Bon, d'accord, ça s'appelle presque de la méchanceté pure et dure. Je tiens à sa sécurité uniquement parce que si elle se fait agresser, ce sera sur moi que ça retombe. Mais bon, je n'y peux rien. Moi fatigué, ça fait des réflexions pas forcément plaisantes. J'aurais préféré avoir affaire à un sorcier noir plutôt qu'à un fantôme gentillet qui ne se rend même pas compte qu'il est mort.
C'est affreux, j'ai l'impression que ma tête va exploser. Et puis, Hayley qui ne répond pas. S'en devient oppressant, à tel point que j'ai l'impression de faire la conversation tout seul. Si ça continue, je vais vraiment m'énerver sur ce mec.

Cool, calme-toi...
C'est pas si grave. Il me faut quelques secondes pour reprendre mes esprits. Avec un effort surhumain, j'arrive à afficher une mine véritablement soucieuse des deux personnages en face de moi.

-Bon, alors? Tu te décides?

je repensais aux mots que la directrice de l'orphelinat m'avait déjà dits, à savoir que je pouvais être aussi mauvais qu'un sorcier noir si je le voulais. Je frissonnait, et cela me permis de remettre mes idées en place. Le fantôme restait les yeux fixés sur moi, sûrement parce que je parlais trop. Hayley se demandait à mon avis ce qui me pressait autant, car elle savait pertinemment que je n'étais pas le plus bavard des profs de l'école. je me concentrais, et m'adressai alors à l'homme, lui offrant un sourire doux et encourageant :

-Et vous, Monsieur, pouvez-vous me conter votre histoire?

Je n'aurai pu en dire plus. Le fantôme s'en était rendu compte, c'était ce que j'attendais. Je ne savais plus quoi dire. En guise de réponse, j'acquiesçai lourdement et gravement. Un sourire aurait été encourageant, mais plutôt inappropriée à la discussion actuelle.
Sans un mot, je fixai les yeux du fantôme. Il ne disait rien, certainement trop choqué pour parler. Quand à moi, la fatigue avait commencé à m'envahir, et je commençais à avoir envie de terminer cette discussion au plus vite, sinon ça risquerai de dégénérer rapidement.
Me tournant vers Hayley, je lui murmurai :

-Je pense que c'est terminé. Tu peux rentrer à l'internat, sinon tu risques de rater le repas du soir, et je n'ai pas l'intention de te faire faire à manger chez moi.

Hayley acquiesça, me soutenant du regard. Je lui sourit brièvement. Je la vis partir plutôt rapidement, disparaissant brutalement dans l'obscurité de plus en plus opaque. Ses cheveux rouges furent les dernières choses que je vis d'elle. Au moins, elle n'aurait de pas de problème en chemin, puisqu'elle ne rentre pas si tard que ça. je m'en serais voulu si quoique soit lui était arrivé.
Soupirant, je me tournais vers le fantôme. Un nouvel exercice pour vérifier si je suis encore assez bien expérimenté en tant qu' exorciste. Je sourit à cette pensée, et fixai les yeux du fantôme.

Bon, allons-y.