Sheryl laissa doucement glisser son livre jusqu'à terre. Elle était assise dans ce lit depuis plus de deux heures, et elle s'ennuyait ferme. Ce lit qu'on avait bien voulu lui donner, perdu au milieu de tant d'autres, dans cette immense chambre. En vérité elle se sentait seule. Très seule. Comme c'est le cas les premiers jours quand on débarque dans un nouvel habitat. Et, en l'occurrence, l'habitat était peuplé de sorciers et de fantômes – une raison de plus pour alimenter sa solitude. Cependant, elle ne se sentait pas d'humeur de faire connaissance ; d'ailleurs, elle n'avait croisé que très peu de jeunes de son âge. Toujours était-il qu'elle avait besoin de parler à quelqu'un, de tout et de rien, parce qu'elle commençait à en avoir marre de ce dortoir et de ce lit. Elle se leva donc, rangea son livre et sortit dans les couloirs, en quête de compagnie. A cette heure, il n'y avait pas grand-monde à flâner dans l'établissement : la plupart des gens était à table, au réfectoire. Elle, elle n'avait pas très faim. Au bout d'un moment, après avoir enfilé deux escaliers au hasard, elle aperçut quelqu'un adossé à un mur, le regard tourné vers une grande fenêtre qui donnait sur les grandes plaines du Landcastle. Il lui fallut quelques secondes pour le reconnaître, durant lesquelles elle resta interdite à quelques pas de lui. C'était un certain Takeji Kido, son prof de sabre – elle avait assisté à un de ses cours le matin-même. Elle le classa immédiatement dans la catégorie des marginaux populaires. Certes, ce n'est pas bien de juger les gens trop vite, mais tout de même, il n'y avait qu'à remarquer les habits qu'il portait. Il semblait sortir tout droit d'un film historique ; enfin, si on omettait ses cheveux, qui contrastaient fort avec l'époque attachée aux vêtements. Bref, elle n'avait pas l'intention de s'attarder trop longtemps à le dévisager, c'était assez impoli, d'autant plus qu'elle voulait faire bonne figure pour ses premiers jours à Mystery. Tout ce qui comptait, c'était que ce jeune homme lui avait paru ouvert et sympathique, même un peu gamin, lors de son premier cours. Tout en s'approchant, elle chercha désespérément un sujet de conversation – n'importe quoi! un motif, une raison, un prétexte pour l'aborder ; n'en trouvant pas, elle lança simplement un bonjour! hésitant, avec un air un peu perdu et un adorable sourire.

On a repris les cours. Enfin, très exactement les élèves ont repris les cours, et moi je recommence à les donner. C'était bien les vacances... Surtout parce que ça permettait de se lever à des heures que je ne citerai pas. Mais maintenant faut mettre le réveil, et surtout l'entendre. Il a de la chance ce réveil. Je suis bien trop dans le gaz quand je me lève pour lui exploser la tronche. D'ailleurs, je crois que je l'électrocuterais, plutôt que de l'exploser. Mais déjà que je peux pas mettre un pied devant l'autre quand je me lève, alors essayer d'électrocuter quelque chose... J'ferais sauter mon appart', c'est tout ce que j'y gagnerais. Ah nan, je me ferais sacrément rabrouer aussi. Donc je ne lui ferai rien, jusqu'à la fin de sa vie.
Tant mieux pour mon réveil, tant mieux pour mon porte-monnaie aussi au final.
Nan mais sérieusement, quand je pense qu'on paie pour obtenir ces appareils sortis tout droit des enfers. Qui en est l'inventeur d'ailleurs? Je veux savoir à quoi il pensait en faisant ça. Il a bien fait de rester anonyme celui là.
J'ai un peu dérivé du sujet principal qui était la rentrée. Juste un peu. Quoi que le réveil en fait quand même partie. Bon stop avec cette histoire d'appareil de torture. J'en ai oublié ce que je voulais dire sur la rentrée... Ptêt parce que j'avais rien à dire en fait, pour une fois. Ou alors trop à dire et ça m'est sorti de la tête, au choix. Ouais, seconde option. J'aime bien donner des cours de sabre aux élèves, ça les défoule et moi aussi. Mais j'adore aussi les cours de téléportation, même si on pourrait aussi renommer ça cours de concentration. Surtout dans les débuts. Quand on ne maitrise pas, suffit de penser à autre chose et pouf, disparu on ne sait où. Et après faut les retrouver. Voilà pourquoi je suis bon à cache-cache.
Tout ça pour dire qu'il faut être concentré, et surtout pas perturbé par n'importe quoi, ou avec une tendance à penser à tout et à rien. Comment ça je décris mon contraire? Faites ce que je dis et pas ce que je fais. Tout du moins au début. Une vraie excuse de prof ça.
Après ça devient un tel réflexe de se téléporter... Comprenez, c'est instantané, suffit donc de fournir les deux secondes d'attention demandées. Tout un art de placer ça au milieu d'un débat intérieur sur faudrait-il oui ou non se décider à changer mon placard de place. D'ailleurs la conclusion du débat a été: non j'ai trop la flemme et pas la place de le mettre ailleurs.
Bon pas la place c'est peut être pas tout à fait vrai... Disons que je ne veux pas voir la place, ça donne une excuse à ma flemme. Et puis, c'est mon problème si je me prends la tête dedans régulièrement. Ça se trouve, ça serait pire en le déplaçant.
Bref. La journée de boulot est finie, et j'attends que le chat se pointe au milieu d'un couloir. Oui c'est un endroit stratégique pour ne pas le louper. Enfin, y'a pas de raison que je le loupe puisqu'il sait qu'il doit se ramener ici et me voir. On va aller faire un tour à la salle avec le piano tous les deux. Une fois qu'il se sera ramené. Je sais pas quelle heure il est, mais il ne devrait pas tarder. On est liés par la pensée alors je le sais.
Ouais bon ok c'est pas vrai. Ptêt qu'un jour si j'arrive à me métamorphoser moi aussi... Mais ça serait certainement pas en bouffeur de poisson. Un chiot super-actif peut être? Ouais, et puis ça serait trop terrifiant le chiot qui se téléporte et lance des éclairs comme Pikachu. Notez l'ironie.
N'empêche qu'un chiot c'est mignon au moins. Nah.
Maintenant que j'y pense, je ferais très bien l'anguille aussi... Mais c'est moins mignon.
Un bonjour sort de nulle part et me tire de mes pensées en me faisant tourner la tête. Tiens, ne serait-ce pas une de mes nouvelles élèves? Son nom... Son nom est Sheryl, j'en suis sûr. Oui, je m'efforce de retenir les noms à la première rencontre même si j'ai du mal. Elle a l'air légèrement perdue. C'est vrai qu'elle est nouvelle, j'espère qu'elle n'aura pas de mal à s'intégrer parmi les autres. Mais ils sont tous très sociables pour la plupart, alors y'a pas de raison.

- Bonjour... Sheryl c'est ça? Tu te perds dans les couloirs? Je demande gentiment.

Premier étage?

La journée fut plutôt tranquille. Quelques nouveaux venus dans les classes, mais une majorité de têtes connues. C'est plutôt bon signe, car j'ai dû mal à retenir les prénoms. Et en tant que professeur, c'est un comble.
Aujourd'hui, j'ai rendez-vous avec mon meilleur ami à la salle de piano. Ça peut sembler inutile, mais en fait, on va certainement s'entraîner pour le groupe. Et puis, ça fait toujours du bien de parler entre amis, et d'échanger du savoir-faire. Peut-être va-t-on faire une gigue ou un quatre-mains? J'en sais rien, et pour le moment, je ne pense pas vraiment à ça.
Vous avez déjà fait les présentations un premier jour de cours? C'est barbant. Il faut sourire, alors qu'on est pas super heureux d'être là. J'ai compté jusqu'à mon dernier jour de vacances pour me reposer, mais là, c'est réellement la rentrée. J'y crois pas. En plus, en général, les amis se retrouvent, pour ceux qui sont partis quelque part pendant les congés scolaires, et il faut accompagner les nouveaux pour leur permettre de bien s'accoutumer à l'orphelinat. Certains sont tout juste orphelin, et encore sous le choc, dans ce cas, c'est difficile de les calmer, tandis que d'autre restent indifférent à leur drame, et ça, ce sont les plus dangereux, car ils peuvent devenir subitement nerveux, et c'est encore plus difficile à contrôler. Tout ça pour dire que le premier jour n'est pas une partie de plaisir. Oh, bien sûr, il y a les anciens élèves qui viennent te voir, te demandent comment se sont passées tes vacances, sans se soucier de la relation profs/élèves. Et d'ailleurs, c'est en général ce qui fait bizarre aux nouveaux élèves. On est comme une grande famille, et c'est plutôt sympa. De toute façon, je n'aime pas les cours magistraux.
Quoiqu'il en soit, l'heure du repas a sonné. La fin de la rentrée aussi. C'est pour ça que je vais revenir chez moi après ce petit intermède au piano. Et puis, je pourrais aussi l'inviter à manger chez moi, qui sait? Ça se trouve il n'a rien à faire.
Actuellement, je déambule dans les couloirs. Take m'a demandé qu'on s'y retrouve, mais n'a pas précisé quel couloir. Et il y en a beaucoup dans l'orphelinat. Alors, on fait marcher la cervelle, et j'en déduis qu'il se rend forcément dans les couloirs près de la salle de piano, au rez-de-chaussée.
Manque de bol, quand je m'y rends, il n'y a personne en vue. Et ça, ça a le don de m'énerver. Je passe une main nerveuse dans mes cheveux, et réprime un juron. On va pas jouer à cache-cache quand même. Où est-ce qu'il peut bien être, celui-là? Quoiqu'il en soit, je fais une halte par ma salle pour héberger mes cours déjà préparés et me préparer un café. Je ne sais pas combien de temps va durer ce rendez-vous à la salle de piano, mais autant me préparer à avoir faim. Et le café moi, ça me la coupe. Comme il reste encore un peu de temps, je fais du rangement dans les cours de l'année dernière, et sort en refermant la salle à clé.
Bon, maintenant qu'il reste pratiquement 10 minutes, il va falloir chercher le monsieur. et pour m'éviter de monter et descendre les escaliers, je vais faire les étages un à un. Je connais le rez-de-chaussée comme ma poche, et je connais les endroits stratégiques où Take à l'habitude de s'installer. Il n'y est pas. J'imagine qu'il ne se trouve pas au premier, étant donné qu'il n'y a rien d'intéressant. Tout du moins, rien qui nécessiterait qu'il y soit. Surtout aujourd'hui et à cette heure-ci.
C'est ce qu'on a tous cru. Il y est. Et il parle avec un jeune fille. Son visage ne me dit rien. Ce n'est pas une de mes élèves, et certainement une nouvelle. Take à cependant l'air de la connaître. J'en déduis qu'il l'a à son cours. Reste à savoir lequel. Je souris et m'approche lentement, histoire que les personnes me voient arriver sans sursauter.
La jeune fille lui lance un bonjour, et Take y répond gentiment, en appelant son nom. Sheryl? C'est toujours bon à savoir.
Quand à moi... eh bien, je demande, sans faire réellement attention à la jeune fille :

-Take! Qu'est-ce que tu fiches ici? Tu joues à cache-cache ou quoi? morigénai-je.

Je le regarde d'un air lassé et pose enfin mes yeux sur la jeune fille. Je lui souris chaleureusement et la salue.

-Bonjour. Je ne crois pas te connaître? Tu es?

Je déporte mon regard sur Take et l'observe bizarrement. Qu'est-ce qu'ils fichent tout simplement ici? Cet étage est plutôt réservé aux jeunes enfants. Très jeunes.

Sheryl allait répondre à ce Takeji Kido que non elle n'était pas assez cruche pour se perdre dans les couloirs (quoique en vérité si, elle passait sa vie à se paumer, même pour aller aux toilettes, mais bon son égo ne lui permettait pas de l'admettre) quand une voix dans son dos la fit sursauter.

-Take! Qu'est-ce que tu fiches ici? Tu joues à cache-cache ou quoi?

Celui qui lui avait fait rater sa réplique était un jeune homme - à peu près du même âge que son professeur de sabre - assez grand, également asiatique. A la façon familière dont il avait apostrophé Takeji, elle se doutait qu'ils étaient amis - et surement proches. Cependant elle ne l'avait jamais vu. En même temps, il n'y avait rien d'inquiétant à cela, étant donné qu'elle ne connaissait pas le trois quarts de cet orphelinat.

Le dernier arrivé se tourna alors vers la jeune fille, et, sans attendre la réponse de son ami, lui adresse un grand sourire.

-Bonjour. Je ne crois pas te connaître? Tu es?

Dans son ancien orphelinat, Sheryl avait coutume de traiter ses professeurs avec familiarité - un peu trop même au goût de certains... Familiarité qui frisait souvent, voire toujours, l'insolence. Mais quoi! elle les connaissait depuis le berceau, ils l'avaient vu grandir, elle les avait vu vieillir, et la froide politesse entre profs et élèves lui paraissait absurde. Toutefois cette attitude lui avait plus d'une fois valu les foudres du règlement et des montagnes de punitions. C'est pourquoi elle avait pris la résolution de se comporter tel l'élève la plus sage et exemplaire avec ses professeurs de Mystery, histoire de ne pas se forger une mauvaise réputation dès les premiers jours. Mais voilà... Ces gens lui paraissaient très sympathiques dès le premier abord, alors elle trouvait absurde de faire semblant d'être une petite fille timide et polie. Elle se tourna vers le jeune homme et lui rendit son sourire.

-Bonjour! Je m'appelle Sheryl. En fait, je ne suis pas tout à fait paumée... La vérité c'est que je viens de débarquer ici et que je ne connais personne et... Je m'ennuie. Il n'existe pas des activités ? Je ne sais pas, musique par exemple?

Ben oui, autant dire la vérité. Et puis à St Fox, elle squattait souvent le club musique de l'orphelinat, et ça lui manquait un peu.

Oh mais qui voilà? Reen! Ha, vous voyez, c'était un endroit parfait pour l'attendre.

-Take! Qu'est-ce que tu fiches ici? Tu joues à cache-cache ou quoi?

Ou pas. Mais dis moi, qu'est ce que tu fiches ici toi, hein? Allez, l'endroit était bien choisi et c'est tout. Je serais très curieux de savoir par où il est passé avant quand même... Quoi que non, je serais capable d'en tirer un peu trop de satisfaction personnelle, et c'est pas bon du tout.
Moralité, la prochaine fois on se téléphone.
Je ne réponds pas à Ren et lui envoie juste un grand sourire avant qu'il ne se tourne vers Sheryl.

-Bonjour. Je ne crois pas te connaître? Tu es?

Ah? Il n'a pas Sheryl dans ses élèves? Non mais ça m'étonne parce qu'il a quand même une bonne partie de l'orphelinat parce qu'il est prof de musique, et en plus de métamorphose. Sheryl ne se métamorphose pas, mais je ne sais pas trop pourquoi, elle a une tête à savoir chanter ou peut être jouer d'un instrument. Enfin, c'est peut être moi qui m'imagine des trucs hein.

- Bonjour! Je m'appelle Sheryl. En fait, je ne suis pas tout à fait paumée... La vérité c'est que je viens de débarquer ici et que je ne connais personne et... Je m'ennuie. Il n'existe pas des activités ? Je ne sais pas, musique par exemple?

Pas tout à fait...? Dis moi, est-ce que tu serais dotée d'un sens de l'orientation défaillant comme une autre personne de ce couloir -que je ne citerai pas-? C'est terrible comme truc... Et assez -ok, très- chiant.
Nan mais ceux qui n'en souffrent pas ne peuvent pas savoir pour le coup. Franchement, tout le monde s'est perdu au moins une fois dans sa vie, hein? On va considérer que oui -sinon je vais déprimer-. Bah imaginez être dans cet état à chaque fois que vous sortez de chez vous -j'exagère quand même-. Des fois c'est marrant, mais d'autres fois ça l'est beaucoup moins. Bref, fin de l'histoire des paumés de nature.
Ha, j'avais raison, musique. Mais par contre, qu'est ce qu'elle appelle activités? Un truc qui ressemblerait à des clubs? Je ne crois aps qu'il y ait ça ici. Mais ça n'empêche pas les élèves de se réunir pour faire ce qu'ils veulent après tout.

- Musique? Beaucoups jouent d'un instrument ou chantent ici, et la salle avec le piano est toujours ouverte. Sinon, lui -je désigne Ren du menton- c'est le prof de musique. Tu joues d'un instrument?

Je vais laisser Ren enfiler son rôle de prof et parler de ses cours, parce que le prof de musique ça reste lui.
Tu vois le chat, j'ai trop bien choisis mon lieu d'attente, t'as gagné une potentielle future élève. Puis ça t'aura entrainé à cache-cache. Nan mais.
Enfin je dis ça, mais il m'a jeté un regard très étrange en arrivant. Genre "nan mais franchement, qu'est-ce que tu fous là?". Je lui exposerai mes arguments.
Après.
Si je les ai pas oubliés d'ici là, mais j'en inventerai d'autres, c'est pas un problème.
Oh tiens, j'ai oublié de demander quelque chose à Sheryl.

- Mais j'y pense... Sheryl, tu sais où est la salle en question?

Elle est arrivée y'a pas si longtemps que ça, elle a le droit de ne pas savoir hein. L'orphelinat n'est pas gigantesque, mais ça fait un paquet de salles à retenir en arrivant quand même.

Cours de musique?

Je concentre mon regard sur Sheryl, mais finit par dériver sur les yeux de Take. Je le fixe un moment sans rien dire, cherchant désespérément la cause de sa venue ici. C'est vrai qu'il n'y a rien à faire à un étage où ne vivent que des enfants. Aucun intérêt. Même pas le moindre instrument pour se dégourdir les doigts. Inutile. Je fonctionne comme un prof de musique, et j'agis en tant que tel. Ceux qui ont quelque chose à redire le dirons plus tard. Sheryl prend alors la parole :

-Bonjour! Je m'appelle Sheryl. En fait, je ne suis pas tout à fait paumée... La vérité c'est que je viens de débarquer ici et que je ne connais personne et... Je m'ennuie. Il n'existe pas des activités ? Je ne sais pas, musique par exemple?

Elle s'ennuie? Il y a pourtant beaucoup de choses à faire. Après, il faut faire le tri et trouver ses activités préférées. Et puis, les cours suffisent amplement pour remplir une journée. Et c'est fatiguant pour les profs de faire des heures supplémentaires après les cours pour aider ou simplement organiser un club. C'est comme une grande famille, mais où les parents travaillent toujours et peuvent faire des nuits blanches. Ça m'est déjà arrivé. Mais je dérive un peu du sujet principal. Je suis honorée qu'elle se porte au hasard sur la musique. Peut-être que ça l'intéresse?
Je m'apprête à parler pour lui proposer mes services à propos de la musique, mais Takeji me devance :

- Musique? Beaucoup jouent d'un instrument ou chantent ici, et la salle avec le piano est toujours ouverte. Sinon, lui c'est le prof de musique. Tu joues d'un instrument?

Tu m'indiques du menton? Sympa... Bref, j'oublierais ce détail assez vite. Ouais, autant dire que c'est venu par un œil et ressorti par l'autre (nouvelle expression made in moi). Je soupire, relève une mèche tombée devant mes yeux avec ma main droite et acquiesce d'un signe de tête avant d'ajouter :

-Oui, je suis le professeur de musique de l'orphelinat, mais je m'occupe aussi des métamorphes. Si tu as des questions, tu n'as qu'à venir me voir.

Je lance un sourire bienveillant. Certains élèves ont du mal à s'approprier le fait qu'ils vivront ici quelques années, voir toute leur jeunesse, pour les petits enfants. D'autres désespèrent parce qu'ils le savent. C'est un gros paradoxe humain. Mais c'est comme ceci que naît les relations affectives.
Take n'a pas l'air d'avoir terminé de parler, car il continue :

- Mais j'y pense... Sheryl, tu sais où est la salle en question?

Je lève un sourcil. Tu es sûr que tu es en bonne posture pour parler, monsieur le téléporteur qui peut pas être à l'heure à un rendez-vous? C'est un comble. Je pose mon bras sur l'épaule, et m'appuie sur cette dernière. Je m'approche de son oreille, mais parle à haute voix :

-En parlant de piano, tu ne crois pas qu'un détail t'est passé au-dessus de la tête?

Je patiente un instant, et reprend mon attitude habituelle, les mains dans les poches. Je baisse la tête et me recule un peu du duo. Je lance un regard étonné vers mon ami et poursuit :

-Et tu ne m'as toujours pas dit ce que tu fiches ici. Le piano est au rez-de-chaussé, je te signale. en tant que téléporteur, tu devrais avoir quelques capacités pour te repérer et ne pas foncer dans un mur, mais il faut croire que tu fonctionnes uniquement à l'instinct. Tu es irrécupérable. Bien sûr, je retire tout ce que j'ai dit si tu me trouves une explication digne de ce nom.

Je l'accuse de quelque chose, c'est certain, mais quoi, ça reste à savoir. L'explication la plus logique correspondant à Takeji serait très certainement qu'il s'est téléporté en m'attendant, et qu'il avait l'intention de redescendre au bon moment. Lui qui aime se téléporter, ce serai absolument logique. Mais après, ce ne sont que de simples suppositions. Alors, je garde le silence. J'ai l'impression de mettre Sheryl à part, me concentrant uniquement sur Takeji. Et pour lui éviter d'en penser davantage, je pivote mon regard sur elle un bref instant. Impossible de savoir si elle s'ennuie ou non. En tout cas, si elle n'a pas de question sur ma matière, je ne vais pas pouvoir vraiment lui parler. Et puis, Take lui a posé une question. Ça doit faire bizarre par rapport aux autres établissements de voir deux profs plutôt jeunes se chamailler et montrer leur affection en public. C'est vrai après tout, dans les établissements publics, les profs ont tendance à ne montrer que la facette sadique et stricte. Je ne suis pas partisan de ce genre de méthode. Il faut que les élèves se sentent bien en cours, et je pense que c'est le principal.
Je n'oublie cependant pas cette possible nouvelle recrue en mon cours de musique.

- Musique? Beaucoups jouent d'un instrument ou chantent ici, et la salle avec le piano est toujours ouverte. Sinon, lui c'est le prof de musique. Tu joues d'un instrument?

Prof de musique? Tiens, marrant, ça lui allait super bien. Ne demandez pas pourquoi.

-Oui, je suis le professeur de musique de l'orphelinat, mais je m'occupe aussi des métamorphes. Si tu as des questions, tu n'as qu'à venir me voir.

Ah non, pas de question pour l'instant. Mais elle y penserait.

- Mais j'y pense... Sheryl, tu sais où est la salle en question?

L'autre ne lui laissa pas le temps de répondre et commença un sermon à l'intention de Takeji Kido. En attendant, elle réfléchit plus sérieusement à la question des cours de musique.

Musique. Elle avait dit ça comme ça, mais pourquoi pas envisager sérieusement d'adhérer au cours. Il fallait bien qu'elle se trouve des activités à faire, dans cet orphelinat. Bien qu'elle se savait pertinament dénuée du moindre talent musical... Elle leva le regard sur les deux jeunes hommes qui lui faisaient face, et soudain, son expression changea, comme si elle venait d'être frappée par une incroyable révélation. Ces deux personnes, à qui pour le moment elle ne trouvait rien à dire, allaient immanquablement faire partie de sa vie jusqu'à la fin de son adolescence - et peut-être même au-delà! Immanquablement, oui, parce que Mystery était un petit orphelinat, où tout le monde croisait tout le monde tous les jours, où tout le monde - ou presque! - se reconnaissait et échangeait quelque complicité avec tout le monde. Et à présent elle faisait partie de ce monde étranger, avec tous ces gens, puisqu'elle habitait avec eux! Certes, tout cela n'était qu'évidence et futilité, et c'était tout à fait débile de s'en rendre compte seulement maintenant, et surtout de s'en trouvé à ce point étonnée. N'empêche, tous les jours de l'année, toutes les années jusqu'à l'âge adulte - ce qui faisait un paquet de jours - elle vivrait au quotidien avec, entre autres, ces deux personnes - et là, elle ne trouvait toujours rien à leur dire! D'un coup, ce qu'on appelle un gros coup de bad s'abattit sur son humeur. Elle avait l'horrible et oppressante impression que toute sa vie était à ce jour tracée, emprisonnée entre les quatre murs de cet orphelinat, enbrigadée au milieu de tous ces gens qu'elle ne connaissait pas, isolée sur la pointe de cette lugubre falaise. Quelle joyeuse perspective. Mais le pire, vraiment, le pire restait qu'elle ne voyait pas par quel moyen elle pourrait se fondre au milieu de tous ces gens, habitants de Mystery, personnes surnaturelles aux lourds secrets et héroïques pouvoirs, elle, petite fille banale et exaspérante. La preuve : elle avait devant elle ce Takeji Kido et ce euh prof de musique anonyme qui ne s'était même pas présenté à sa possible future élève, elle savait qu'elle allait devoir les cotoyer le restant de son adolescence, et elle ne trouvait rien à leur dire! En même temps, c'était difficile de ne pas se sentir de trop tant ils avaient l'air complices. Un peu gamins, même, il faut l'avouer. Ils s'envoyaient des piques, ils s'échangeaient des coups d'oeil, limite ils chahutaient. Et elle, à côté, elle se sentait seule au monde, seule à en crever. C'est ça d'être orphelin, de ne pas avoir de familles... Au moins, à St Fox, elle avait des amis, des tas et des tas d'amis sur qui elle pouvait compter. Alors qu'ici, elle ne se sentait pas d'humeur à se lier d'amitié avec quiconque. Ils étaient tous... bizarres.
C'est donc avec une voix de déprimée (ce qui s'appelle un caractère lunatique) qu'elle répondit sèchement :

- Non, je ne joue pas d'instrument. Je fais du théâtre. C'est tout.

Elle leur lança un regard qui s'accordait avec le ton de sa voix et ajouta :

- Je veux bien voir cette salle de piano.

Salle de piano. Le nom évoquait quelque mystère, et puis quelque mélodie qui laisseraient sans voix les auditeurs. D'autre part, vu le fric de cet établissement, il ne serait pas étonnant qu'ils possèdent un piano à queue. Elle l'imaginait immense, majestueux, avec un semblant de noblesse, de grandeur et de mystère ; un peu délabré, où la peinture s'écaillerait par endroit, qui aurait perdu de son vernis, mais rien de son éclat ; et qui semblerait renfermer derrière ses touches, dans son lourd corps d'instrument ancestral, tous les secrets de la vieille salle de piano. Et oui, Sheryl avait beaucoup d'imagination...

Ren s'appuie sur mon épaule. Je sens venir une réprimande. Ôtes tes pattes de là, toi.

-En parlant de piano, tu ne crois pas qu'un détail t'est passé au-dessus de la tête?

Au dessus de la tête? Nan j'ai rien vu passer. Attendez... Nan, nan, rien n'est passé. M.Détail n'est pas venu faire coucou.
Vous croyez que je devrais lui dire que je l'attendais ici justement pour aller jouer du piano? Héhéhé.

-Et tu ne m'as toujours pas dit ce que tu fiches ici.

Et tu sauras pas, niark.

- Le piano est au rez-de-chaussé, je te signale.

Je sais.

- En tant que téléporteur, tu devrais avoir quelques capacités pour te repérer et ne pas foncer dans un mur, mais il faut croire que tu fonctionnes uniquement à l'instinct.

PEUH! Déjà. Et puis, saches que je suis déjà rentré dans un nombre de murs compris entre beaucoup et plus l'infini en utilisant la téléportation. Ha ha, tu le savais pas hein?

- Tu es irrécupérable. Bien sûr, je retire tout ce que j'ai dit si tu me trouves une explication digne de ce nom.
- Ou pas.

Je lui souris simplement en me retenant d'ajouter quoi que ce soit.
Même pas vrai que tu vas tout retirer. Tu m'aimes trop pour le retirer, qui aime bien châtie bien. Nah. Voyez, il essaie de me râler dessus, mais en fait...
Il prouve juste qu'il m'adore. Ren quand même, t'as pas besoin d'élaborer des trucs pareils pour montrer ton affection. Regardes, je m'en sors sans un mot moi, suffit que je te saute dessus pour un câlin. Enfin, pas tout de suite au milieu d'un couloir et devant une nouvelle élève. Elle va croire qu'elle a atterri dans un hôpital. Avec des monsieur en blouses blanches et d'autres gens qui ont l'air d'avoir mis leurs vêtements n'importe comment alors qu'en fait c'est vraiment comme ça que ça se met. J'interdis à quiconque de dire que ça sent le vécu parce que ça n'en est pas. Croyez quoi, ils m'auront pas comme ça.
Je sais pas quoi te dire Ren. Enfin si, je sais. Mais vois-tu, y'a quand même mon élève juste là. D'ailleurs tu viens de casser une bonne partie de mon image en quelques phrases. Quoi, quoi, quoi? Quelle image? Eh bah sachez qu'il y a moyen de s'appeler Takeji et d'impressionner les nouveaux arrivants. Maintenant, c'est mort. Pas grave, c'est Ren, t'es pardonné.
Mais du coup, faut pas que j'ouvre la bouche pour émettre un son. Si je lui tire la langue, ça marche? Reste à le faire discrètement sans se faire voir. Sauf par l'intéressé bien entendu.
Ouais nan, je trouverai autre chose plus tard. Ça sera pire.
En attendant, je retourne mon attention vers Sheryl, parce qu'avant que le chat ne s'incruste, on parlait. Tiens, elle a une drôle d'expression sur le visage. Mais alors de là à dire ce que ça signifie...

- Non, je ne joue pas d'instrument. Je fais du théâtre. C'est tout.

Brusque changement d'humeur. On a fait quelque chose de mal?
Pas d'instrument, mais du théâtre. Une élève de Shy alors. Je me demande si elle chante du coup, à la place de jouer d'un instrument. Le rapport entre ça et le théâtre? Ça semble logique de savoir chanter en faisant du théâtre.

- Je veux bien voir cette salle de piano.

J'ira bien lui demander ce qui ne va pas, mais vu sa tête c'est peut être pas tout à fait le moment. Ce qui n'empêche pas de le faire plus tard.
Sheryl veut voir la salle? On va la lui montrer alors. Comme ça cet espèce d'animal déguisé ne pourra plus râler sur l'endroit où on se trouve.

- C'est juste à l'étage en dessous.

Je souris gentiment à Sheryl avant d'envoyer rapidement un regard à Ren qui signifie que oui, je sais parfaitement où est la salle, et que ça ne m'a pas empêché d'attendre là. Bref, arrêtons avec cette histoire de salle et de premier étage.
Je me déloge de mon mur parce que j'avais pas vraiment bougé depuis le début, et commence à avancer légèrement.

- Vous venez?

La salle au piano

Takeji me lance une petit « ou pas », mais je fais semblant de l'ignorer. Alors, une élève potentielle? Déjà que j'ai la moitié de l'orphelinat à mes deux cours, je finis par m'y habituer. Sheryl s'apprête alors à répondre à la question de Takeji :

-Non, je ne joue pas d'instrument. Je fais du théâtre. C'est tout.

Pourquoi s'exprime-t-elle subitement aussi sèchement? On a rien fait... Quoiqu'il en soit, je me fiche du ton, interprétant sa réponse comme étant le plus important. Du théâtre? Une élève de Shybaï alors? C'est bête qu'elle ne joue pas d'instrument, mais ça s'apprend. Alors, je ne perds pas espoir et patienterai jusqu'au moment où elle se décidera.

-Je veux bien voir cette salle de piano.

Ah oui, c'est vrai que c'est le sujet même de ma présence ici. On devrait pas être là, et tout ça c'est la faute à Takeji. Je l'observe d'un regard blasé et soupire profondément. Nous devions faire un duo entre nos cours, et finalement ce sera un trio. Enfin, si Sheryl ne sait pas faire de piano, ça va vite l'énerver de nous entendre jouer. Si nous jouons, bien sûr.

-C'est juste à l'étage en dessous.

Alors t'a pas oublié? Je croyais que si. Enfin, je vais pas faire chier avec ça. Alors, je ne sors pas la pique qui nait sur le bord de mes lèvres. Et puisque je vais devoir dire autre chose pour éviter de débiter des conn*ries, je m'adresse à Sheryl :

-Tu n'as donc jamais fait de piano? Ou tu sais quand même jouer au minimum au clair de la lune?

Parce que tout le monde s'est amusé, même quand il ne savait pas jouer, à tenter de faire « Au clair de la lune » au piano ou « j'ai du bon tabac ». C'est connu. Donc il est possible qu'elle ai déjà tentée une première approche avec ce monstre colossale qu'est cet instrument.

-Vous venez?

Pour ma part, j'arrive. Pour les autres, je ne sais pas vraiment. J'ai envie de t'appeler petit-frère, Take. Ça te pend au nez, et ça serait une réponse idéal à mon surnom de boule de poil. C'est vraiment tentant. Et puis, ça instaurerait un doute aux élèves. Tout ce que j'aime. Alors, je ne me retiens pas, et lui sourit aimablement :

-Je te suivrais jusqu'au bout du monde, petit frère.

Et j'accentue bien cette dernière parole. Et pan, dans les dents. T'as pas intérêt à répondre que c'est faux, sinon je te tape. C'est marrant d'instaurer le doute. Et encore plus de le faire sur une longue durée. Ouais, dans ces cas-là, l'expression « les blagues les plus courtes sont les meilleures » ne s'applique pas.