Espionner pour attiser l'attention. [PV Asling]

Sujet: Espionner pour attiser l'attention. [PV Asling] Dim 11 Sep 2011 - 15:50

La vie est drôle parfois,
mais son humour n'est
pas toujours à mon goût.

Gaël Cross m'a ordonné d'aller espionner Santiago. Enfin, espionner, un bien grand mot, juste voir s'il n'y a pas d'agitation particulière. Et je ne suis pas sensé être discrète, il veut que l'on me remarque, qu'on sâche d'où je viens. Sans me faire capturer évidement. De toutes façons ça foutrait Croix sur leur dos et je ne pense pas qu'ils le feront. En tout cas ça doit être pour attirer l'attention, dire que Croix les surveilles. Peut être à cause de la visite de cet homme étrange. Je ne me souviens pas de son nom et je ne crois pas d'ailleurs qu'il ait été évoqué. Mais tous savent qu'il a discuté avec Natasha Cross et qu'il venait de Santiago. Je n'en sais pas plus. En tout cas j'ai dû prendre le premier vol pour Washington histoire d'aller poser un message à un petit quartier de Croix qui avait tendance à se laisser aller, et direction l'Amérique du Sud, San Salvador.

J'arrive et il pleut. Super. Une petite bruine fine me couvre le visage. L'eau est si fine qu'elle me parait presque inexistante. Mais je ne m'attarde pas. Je sors de l'aéroport sans qu'on m'ait fouillé une seule fois. Orpheo a beau contrôler les aéroports, ils ne savent pas faire leur boulot. N'importe quel sorcier ou humain doué peut apparemment passer avec des armes. Suffit d'avoir des contacts. Et des armes qui ne bipe pas. Et aussi ne pas passer le contrôle. Ca aide beaucoup. La ville est un drôle de mélange. Ici on respire un air lourd. Marche dans les rues et plus j'avance, moins je me sens à l'aise. Même dans les quartiers sensé ne pas craindre. Contrairement à Sarzeau, cette ville sens le mal. Enfin, c'est ce que je pense. Sarzeau a ça de discret, c'est qu'on ne se doute pas qu'il puisse y avoir Croix logeant dans ses sous-sols.

Je déambule sans vraiment trouver le quartier de Santiago. Ce n'est pas vraiment ce que je cherche. Je cherche de la magie, je dois la sentir, savoir si elle est vraiment active ou non. Je ne perçois pas un niveau dirons nous anormal. Par contre moi je fais exploser ma magie dans l'air, qu'on la ressente, qu'on vienne me voir. J'ai un message à livrer, et Gaël a insister, ils vont se déplacer. Ca les embêtera plus que si je viens dans leur QG car ils prendront ça pour de la provocation. C'est peut être un peu dangereux, mais ais-je à me poser la question ? De toutes façons, comme je l'ai dis à Jack, j'aime le danger et ses stimulation. Ca m'aide à vivre mieux, de me dire que peut être demain je ne serais plus là. Et pour une esclave je dois dire que c'est plutôt essentiel. Ils ne devraient pas tarder à rappliquer. J'attends avec impatience la venue d'un émissaire. Ou de plusieurs qui sait ? En tout cas je me rentre dans une ruelle sombre, une ruelle où personne ne va. Leurs runes de détection ont dû me localiser maintenant.

J'attends sagement contre un mur. J'espère que ce ne sera pas trop long. Mais en général on évite de faire patienter ce genre de chose. Ca peut être important. Et puis, un défis, ou un message est en général à ne pas prendre à la légère. Santiago répondra. Je sors un petit poignard et joue avec. J'ai toujours aimer jouer avec les armes, je suppose que c'est parce qu'on m'a élevé pour les manier. En tout cas je lance le poignard avec aisance et le fait virevolter dans les airs et autour de mon poignet. Jamais il ne me coupe, jamais la lame me mord, plutôt elle me caresse doucement. Et j'attends. Quelqu'un vient. Quelqu'un de magique. Ca se sent. Je ne peux pas dire si c'est un humain ou un sorcier, car c'est dur de différencier les deux magies, mais je sais déjà que ce n'est pas un homme. Le son de ses pas est trop léger. Une femme.

Vous y croyez vous, à des hommes plus débiles que leur chaussette? Non, certainement non. Enfin, ça c'était avant que les sorciers débarquent dans ma vie. D'ailleurs, pour aussi, le terme d'esclavagisme ne signifiait plus grand chose. Et maintenant si. Mais revenons-en à la débilité mentale de certains de mes sujets d'études. Prenons en exemple un téléporteur de mon ancien domaine, en France. Cet idiot, qui doit pourtant être dans l'âge mature, c'est à dire entre trente et quarante ans, ne parvenait pas à comprendre que j'avais besoin d'un avion pour retourner en Amérique du Nord à la planque du QG. Même en étant téléporteur, je doute qu'on puisse, de un, traverser l'océan, et de deux, avoir assez d'énergie pour flotter au-dessus de l'eau. Quoiqu'il en soit, un de ses amis a été obligé d'interrompre le sujet, car le vieux monsieur commençait à sérieusement s'énerver. Ce qui a contribuer à m'énerver à mon tour. Ce bonhomme, devrais-je dire, ces bonhommes méritaient tous une baffe. À al place, c'est moi qui me la suit prise. Forcément, c'est toujours de ma faute. Et je suis tombée sous le choc. Que de violence.

Enfin, à présent que je suis au sein du QG de Santiago, je n'ai plus à souffrir de cette débilité offensante. Vous y croyiez? La blague. Que je suis ici ou n'importe où, on me traite toujours en tant que moins que rien. Vous voulez que je vous dise? En fait, ici, c'est le pire endroit qui existe. On ne me laisse pas sortir. Pas du tout, sauf pour exécuter de simples missions. Missions qui se limite en général à un champ global d'un kilomètre de diamètre autour du QG. Ça reste peu. J'ai hâte de sortir d'ici. Mais je suis encore bonne pour pourrir ici une bonne dizaine de jours au minimum avant d'être mutée. Je n'ai réussi à tuer personne en France. Ils ont repérés que j'avais mis du cyanure dans leur nourriture, et ont bien failli me le faire avaler. Mais ils se sont retenus au dernier moment. À la place, ces tarés mentaux m'ont sérieusement battus. Ils s'y sont mis à cinq, et m'ont piétinés. Le résultat? Une profonde soumission. C'était le prix à payer. Je suis donc revenue au QG avec tout ce qu'on peut espérer d'un esclave.

Ce matin-là, j'ai mis de longues bottes à talons marrons. J'ai beau être soumise, je reste moi-même, et quand bien même ma liberté se limite à porter des talons, je les porterais jusqu'à la fin. Enfin, là n'est pas la question. On m'a appelé. J'espère que ce n'est pas à mon désavantage. Tout en me dirigeant rapidement et la tête basse, je fronce les sourcils. Mes derniers jours se sont plutôt bien passés, et je n'ai manqué de respect à personne. Alors... alors quoi? Ou plutôt pourquoi? Je serre dents et poignets au moment de pousser la porte du gradé à l'intérieur. Surtout, ne pas paraître apeuré, mais soumise. Je m'incline légèrement, sans doute pas suffisamment, car le jeune homme réprime une grimace. Il croit tout de même pas que je vais mettre genoux à terre pour lui?! Je baisse la tête en attendant les ordres.

Je sors de la porte en courant presque. Clac clac clac. Je ne perds pas le nord. Il m'a dit de voir ce qu'il se passe dehors, et rapidement. Je ne suis pas faite priée. De toute façon, je n'aurai pas pu refuser. Se dépêcher et ne pas frustrer. Je veux sortir d'ici. Au plus profond de mon être. Effectuer ma mission sans bavures. Je marche. Très vite. Monte les marches et sort à l'air libre. Cinq minutes plus tard, je parviens à sortir du QG, car on m'a retenue longtemps devant les portes, sous prétexte que je ne devais pas sortir. J'ai donc dû leur expliquer la situation. Mais comme je l'ai déjà dit précédemment, ils sont idiots comme leurs chaussettes. Bon, j'avoue que je bafouillais un peu, mais passons, je suis sortie.

Je ralenti un peu l'allure. Voyons. Qui dois-je trouver? Je ne suis pas douée pour suivre les émanations de magie, c'est encore tout nouveau pour moi. Alors, je suis obligée de m'arrêter, de scruter l'air, de fermer les yeux et de sentir de très loin une grosse émanation de magie à quelques mètres seulement. Je ris de mon impuissance. Même si, intérieurement, je ne trouve pas ça drôle du tout. Je me stoppe une fois arrivée sur place. Une jeune femme, tout de même plus vieille que moi. Allons bon. Que veut-elle? Elle n'a pas l'air méchante, elle. Pour changer. C'est étonnant. Comme ça m'a été dictée, je m'incline rapidement devant elle. Je n'aime plus frustrer, et je n'ai pas peur des moqueries. Je relève la tête et demande, plutôt tranquillement.

-Je peux vous être utile?

Je suppose qu'elle a dû se rendre compte que je ne suis pas là par hasard. En tout cas, je l'espère. Ce que j'espère aussi, c'est qu'elle va se présenter, histoire de voir où est ma position. Enfin, pour avoir tout ce chemin-là, elle ne doit pas être très bien placée.

On dit que l'esclave est plus libre que son maître
car au moins lui il connait ses chaînes.

-" Je peux vous être utile ?"

Je jauge un peu la femme qui me fait face. Plutôt jolie et grande. Son regard me plait. Mais a-t-il à me plaire ? Ne te pose plus de question Alexis, soit ce qu'on a voulu que tu sois et ferme la. Je la regarde de haut en bas sans pourtant bouger les yeux, pour éviter qu'elle croit que je la dévisage. C'est juste histoire de savoir à qui j'ai affaire. Ses vêtements sont banales. Je veux dire par là qu'il n'indique rien si ce n'est le fait qu'ils sont bien plus cher que les miens. Un jeans, un débardeur banc et une veste simple. Et la ceinture qui semble passer sur mon t-shirt n'est autre que la ceinture du holster qui se cache sous ma veste. Je n'allais pas sortir sans armes vous êtes fou. Quelques couteaux et un desert eagle, je dois dire que c'est le strict minimum. Et pas de chance pour moi, c'est apparemment les choses les plus cher que je possède. Après tout je n'ai pas besoin de faire du shopping. Je ne sais même pas si j'aimerais ça. En tout cas elle est sûrement plus haut gradé que moi. Si tenté qu'esclave soit un grade. Je me met à genoux immédiatement, je ne voudrais pas risquer ma peau.

-" Alexis Volanges, esclave de Croix. Mon maître Gaël Cross a un message pour Santiago."

Je me relève. Inutile de courir le risque d'être décapité. Après cette dame pourrait bien être une femme sadique qui, parce que je l'ai dérangé pour presque rien (enfin si elle considère que c'est presque rien) me tuerait pour le simple plaisir de voir mon sang couler dans cette rue sombre et morbide. Je ne voudrais pas finir ainsi. Je n'accorde pas grande importance à ma vie c'est bien vrai. Mais j'aimerais tout de même qu'elle dure un peu plus. Pourquoi tant de cynisme ? Je n'ai pas de droit sur mon être et mon destin. Ce n'est pas à moi de décider. Et comme je n'ai jamais connu que ça, bah voilà. Je me demande quel goût ça a la liberté. Vous ne vous êtes jamais demandé ? Parce que vous n'êtes pas esclave ? Rien n'est plus faux. Vous ne savez juste pas de quoi. On est toujours esclave de quelque chose, d'une pensée obsédante, d'un avenir pas choisi, d'une vie morne et ennuyeuse. Mais tout le monde ne peut pas connaître ses chaînes.

-" Puis savoir à qui je le délivre ? Mon maître m'a demandé de lui rapporter un nom et un rang."

Ce n'était pas offensant donc elle n'avait rien à redire si ce n'est les quelques informations qui je lui demandais. Et puis cette toute petite phrase assurait presque ma survie : je devais rentrer faire un rapport, donc Gaël Cross ne sera pas content si je ne rentre pas. Ca au moins c'est fait. C'est une chose importante tout de même. J'ai arrêté de jouer avec ma lame. Ce ne serait pas respectueux. J'ai rangé le couteau dans son étuis, à côté du holster. Deuxième précaution à prendre. Au moins je lui ai montré que j'étais armée. Et pas avec n'importe quoi. C'est juste de la prévention. Dans certain cas il vaut effectivement mieux prévenir que guérir. Dans certain cas seulement.

Je sers doucement la lettre dans ma poche. Je me demande ce qu'elle raconte. Avant de me dire d'arrêter de le demander. Ca me fait tout drôle, mais je commence à me poser des questions. Et c'est jamais bien un esclave qui se pose des questions. J'en ai vu, dés qu'ils ont commencés, ils ont également commencé à péter des câbles et les sorciers noirs les ont tout de suite remis à leur place : mort ou en vie avec beaucoup de blessures. Je dois dire qu'en général la manière radicale est utilisé. C'est comme ça chez nous. On règle les problèmes directement, pas besoin de s'en préoccuper plus que ça. Après tout c'est une façons de faire définitivement simple et efficace. Car voilà ce qui nous attend au bout du compte : la mort. Pas de remerciement pour tous ces services... Juste la mort.

J'ai l'air de faire peur ? Sans doute. Sinon, je ne vois pas pourquoi quelqu'un s’inclinerait devant moi. À moins bien sûr qu'elle ne subisse les mêmes problèmes que moi. Sauf qu'elle possède quelque chose que je n'accepterai jamais : la soumission. C'est en tout cas pour cette seule et unique raison que je comprends aussitôt le grade de la jeune dame. Esclave, tout comme moi. Combien sont dans le même stade que nous deux ?suis-je la seule à résister ? À me rebeller ? Va-t-on réussir à m'enchaîner dans cette saloperie qu'est l'esclavage. Et l'abolition, c'est pour les chiens ? Mon esprit fulmine intérieurement, et puisque je ne familiarise pas beaucoup avec mon pouvoir naissant, je lâche quelques effluves faibles, mais vivantes de mon pouvoir. Ma langue claque dans ma bouche, signe d'un énervement brutal. C'est la seule façon de me calmer. Montrer ma colère, ma rébellion. Mais pour combien de temps encore ?

-" Alexis Volanges, esclave de Croix. Mon maître Gaël Cross a un message pour Santiago."

Un message ? Ah ! Je comprends beaucoup mieux pourquoi ces pourris gâtés n'ont pas voulu bouger leur arrière train pour venir ici. C'est sûr, s'il y avait eu de la chair à pâtée, ils se seraient tous rués dessus et peu importe les esclaves amaigris. Mais alors, tout de suite, dès qu'on parle de paperasses, ils semblent tous sublimement innocents. Bande d'incapable ! Je suis sûr que certains ne savent même pas lire ! Idiots ! Déments ! Vous pourririez en prison si quelqu'un apprenait que vous traitiez les hommes en esclave. Encore pire lorsqu'il s'agit de femmes. Ces pourris gâtés sont insupportables. J'inspire puis sourit brutalement. Changement d'attitude, il le faut. Je suis face à une femme du même grade que moi, si tant est que l'on puisse appeler grade en n'étant pas considéré en tant qu'être humain. Je ne veux pas l'effrayer. Et pourtant, lorsque je la regarde toucher son couteau, un frisson me parcoure. Les esclaves ne sont pourtant pas tous des assassins... certes, je sens que je vais finir par en devenir une, à cause de mes capacités. Et oui, à cause. Il n'y a rien à envier de manquer de se faire tuer à chaque mission sans pour autant être rémunéré. Je vais les tuer, un de ces jours.

-" Puis savoir à qui je le délivre ? Mon maître m'a demandé de lui rapporter un nom et un rang."

J'acquiesce lentement de la tête avant de garder position sur mes pieds et de lancer, un sourire tranquille sur les lèvres :

-Asling Shamrock, esclave depuis peu au sein de Santiago. On m'a mené ici afin de tenir compte de ces effluves de magie.

Quand tu veux, As', tu sais parler. Et puis, je ne veux pas manquer de blesser la jeune femme qui a certainement plus d'expérience que moi dans le domaine de l'esclavage. Une question me taraude l'esprit, tandis que je m'avance en faisait claquer mes talons. C'est une lettre, n'est-ce pas ? Je me demande vraiment si le chef sait lire. Oh la honte. Bref, je tends une main confiante vers celle de l'esclave. Il ne s'agit que de transmettre un message. Pas même oral. Ça me rassure, j'ai très peu confiance en mes capacités de perroquet. D'autant plus si la lettre s'avère être de mauvaise augure. Après tout, je ne sais pas quels relations entretiennent les clans entre eux. Et ça m'étonnerai qu'ils se demandent des choses. Ah, la blague, du genre « tu peux m'envoyer des pots de fraises TAGADA ? Ma réserve est morte ». Toute crédibilité envolée.

-Dites-moi, Alexis, comment êtes-vous devenue esclave ? Vous êtes vraiment soumise ?

Oui, je sais, ça peut paraître vraiment bizarre de poser cette question, mais j'ai besoin de savoir s'il y a une âme derrière ceux qui se mettent au service ou non de ces tarés. Voir si, pour ma santé, il est mieux de déguerpir maintenant ou d'attendre le jugement dernier. On ne sait jamais.

Es-tu ce qu'on te dit d'être ?
Oui maître.
Bien...

-" Asling Shamrock, esclave depuis peu au sein de Santiago. On m'a mené ici afin de tenir compte de ces effluves de magie."

La première information que je retire de cette phrase c'est : Esclave. Ainsi elle est comme moi. Ce n'est pas une joie de le savoir, et pas non plus un regret. En fait je crois que je n'éprouve pas grand chose. Comme toujours de toutes façons. A quoi bon ? La deuxième, depuis peu. Je ne comprend pas trop le concept. Esclave depuis peu ? A Croix il y en a aussi qui utilise cette formule. mais on est toujours esclave, nous humain, nous ne le savons pas au début pour certain. La finalité reste la même. Peut être s'en est elle rendue compte il y a peu. En tout cas vu sa façon de prononcer ce mot, j'ai l'impression que c'est le genre d'esclave qui, si elle n'a pas un don ou pouvoir intéressant, fini rapidement par mourir. Ensuite, Asling Shamrock. Asling... Ce prénom résonne dans ma tête. Je ne pourrais pas vous dire si j'aime. En tout cas ça commence comme Alexis, par un A.

-" Dites-moi, Alexis, comment êtes-vous devenue esclave ? Vous êtes vraiment soumise ?"

Si je montrais mes émotions, elle me verrait en train de suffoquer de surprise. Vous êtes vraiment soumise ? Non mais c'est quoi cette question ? Soumise. Ce n'est même pas un mot qui existe vraiment pour un esclave. Il sert son maître, point barre. Il n'y a pas d'autre définition. La soumission ce n'est qu'un concept de hiérarchie, mais nous sommes moins que des hommes, c'est donc quelque chose d'innée, quelque chose qui n'est pas descriptible, qui régis nos vies. Comment peut-elle dire ça ? Comment ce fait-il qu'elle ose dire ça ? Pour moins je serais morte ou au minimum fouettée jusqu'aux os. Peut être est-ce parce qu'elle est esclave "depuis peu".

-" Vous ne devriez pas dire ça."

Mais quelque chose dans ses question attisait furieusement ma curiosité. Un esclave n'a pas à être curieux.

-" Néanmoins je vais vous répondre. Je suis esclave depuis ma naissance. J'obéis à mes maîtres car je ne sers qu'à ça. Y voyez-vous une objection ?"

Gaël Cross sera content de l'apprendre. Il existe à Santiago des esclaves mal dressé. Des esclaves qui posent ce genre de question affaiblissent une organisation. C'est pourquoi à Croix, ils sont morts, ces esclaves là. Peut être que comme moi, son don ou son pouvoir est vraiment intéressant. Les sorciers hésitent dans ce cas à tuer l'esclave. Car même un objet cassé, quand il est précieux, est dur à jeter.

-" Pourquoi vous gardent-ils en vie ?"

La question m'a échappé. Mais après tout si elle a un pouvoir ou un don extraordinaire, ça peut être très intéressant de le savoir pour Croix. Une nouvelle arme est souvent objet de convoitise. Je ne crois pas qu'il existe beaucoup de marquante et sûrement Santiago serait intéressé de m'avoir. Je soupire doucement. Je ne vis que pour ce que je suis : esclave. Mon être se limite à ça. Pourquoi demander plus ? Je n'ai pas appris à demander plus.

J'ai peut-être l'esprit dérangé, embrumé, non-combatif, étourdi ou que sais-je, mais j'ai la curieuse et mauvaise impression que cette femme ne me porte pas vraiment dans son cœur. Comme dire, j'ai sans doute la folie de penser qu'elle ne fonctionne pas du tout sur le même rail que moi. Tandis que je vis pour pouvoir m'échapper, elle se contente de vivre pour servir ses maîtres. N'est-ce pas... étrange ? Qu'appelle-t-on la liberté dans ces cas-là ? Quand on ne l'a pas vécu, la question ne se pose pas, mais je doute qu'elle soit née dans les mains de ces sorciers idiots. En tout cas, comme j'ai débuté la mienne, je la terminerai dans la liberté. Même si je dois me tâcher les mains pour y arriver. Personne ne me prendra ma liberté. Personne.

-" Vous ne devriez pas dire ça."

J'incline la tête sur le côté à bonne distance d'Alexis, apposant progressivement mes mains sur mes hanches, d'un air lassé. Allons bon, je suis face à une « bonne élève » ? Moi, je n'ai jamais aimé apprendre mes leçons sans les comprendre. Et cela s'applique aussi à la vie. Je suis maître de mon destin, et rien i personne ne pourra me faire changer d'avis. La dame à l'air de luter contre deux extrémités. Si elle souhaite me parler, qu'elle le fasse, je suis tout sauf répressive pour ceux qui ne me veulent aucun mal. Et avec elle, la seule chose qui me répugne, c'est sa soumission aussi clair qu'un aboiement de chien fidèle. Ne pas comprendre est se mentir à soi-même, après tout. Et l'on oublie d'être, à force de se mentir. Quand je fais de la philosophie de si bon matin, ce n'est jamais une bonne chose.

-" Néanmoins je vais vous répondre. Je suis esclave depuis ma naissance. J'obéis à mes maîtres car je ne sers qu'à ça. Y voyez-vous une objection ?"

Ah... Ah. Bon. Depuis la naissance ? Depuis le berceau ? Depuis... le sortir du ventre ? Non, non, dites-moi que c'est impossible. Comment des humains peuvent-ils se retrouver enchaînés à un destin funeste dès leur propre naissance ? C'est pire que la pire des choses. L'esclavage est aboli ? La grosse blague. Qui aurait cru que même en Amérique, il y en avait encore ? Que même les propres Américains blancs de pure souche pouvaient être exploités ? Soumission, on dirait qu'elle n'a que ce mot-là à la bouche.

-Et n'avez-vous jamais songé à vous servir vous-même ?

Ce n'est pas si compliqué. Ça signifie simplement se faire plaisir. Passer devant une boulangerie, se prendre un pain au chocolat. S'offrir de nouveaux bijoux. C'est tout simple. Ça ne prend que quelques minutes. Oui.... l'affaire de quelques simples minutes qui font pourtant tellement de bien. Nous, les humains, on peut se satisfaire de tout lorsque l'on perds beaucoup.

-" Pourquoi vous gardent-ils en vie ?"

Je relève les yeux qui jusque là tombaient doucement vers l'arrière-plan pour se planter sur le sol. Me garder en vie ? Hm, demande judicieuse, mais plus j'y réfléchis, moins j'y trouve de solution. Bonne question. Je n'en sais vraiment rien. Dans un geste qui se veut ordonné, je hausse les épaules, puis les bras. Qu'est-ce que j'en sais moi ? Sans doute pour mes capacités, mais certainement pas pour mon don. Je ne sais même pas s'ils sont au courant que je suis lectrice d'avenir. Ce serait amusant de le leur montrer, un de ces jours. Mais là n'est pas le sujet, mon interlocutrice va perdre patience si je ne lui réponds pas dans la minute :

-Hm, réellement, je l'ignore. Ils me trouvent amusante à me débattre. Mais tout ça n'aura qu'un temps.

Raison de plus pour m'enfuir pendant que je suis encore en possession de mes moyens. Pendant que je ne suis pas enchaîné à mes ennemis. Quelle haine pourrais-je déverser sur eux, ce jour-là ? Ça n'aura plus d'importance. J'ai envie de me servir moi-même aujourd'hui. Et si je peux aussi servir Alexis, ça me détendra. Hm oui, c'est une bonne idée, je me fiche bien de ce que les sorciers penserons, pour l'instant je suis à l'extérieur, et j'aimerai bien retarder le couvre-feu.

-Combien de temps avez-vous ? Je peux vous montrer ce qu'est de se faire plaisir un tantinet soi peu.

Tout cela en souriant affectueusement. Même si ce retour à l'humanité n'est pas telle que je l'aurai songé, au moins je suis vraiment face à un humain, dévoué ou non à son maître.

Une personnalité n'est qu'une erreur persistante.

Je la détaille sans arrêt. Je ne peux pas m'en empêcher. Parce que je ne comprend pas. Croix a toujours éliminé ses esclaves qui parlaient comme ça. Mais ce n'est apparemment pas le cas de Santiago. Pourtant un objet cassé reste cassé. Même un objet pensant. Et un objet pensant est encore plus dangereux. Croix nous a offert la vie en laissant nos mères accoucher. Ce n'étaient que des humaines qui servaient à leur commerce illégal. Ils auraient pu nous tuer. Mais ils nous ont laissé nos vies. Ils m'ont appris à être ce que je suis et je ne sais pas être autre chose. Comment cette femme peut être autre chose et à la fois esclave ? Esclave est un drôle de mot qui n'a pas vraiment de signification pour moi. A vrai dire il me définit, comme sorcier définit mes maîtres. Je ne sais pas comment l'expliquer, c'est une façon d'être. Est-ce si mal qu'elle a l'air de le penser ? Je n'arrive pas à savoir.

-" Et n'avez-vous jamais songé à vous servir vous-même ?
- Dans quel but ?"

Il n'y a que les sorciers qui ont de telles ambitions. Je n'en ressens ni l'envie ni le besoin. Je n'ai pas été élevée comme ça. A la limite je pourrais servir Gabriel et ma "famille". A la limite. Car eux même ont un seul but : servir les sorciers noirs. Cela reviendrait donc au même non ? Asling m'intrigue. Comment peut elle penser cela ? On ne lui a pas appris ? C'est pour ça qu'à Croix ils préfèrent les esclaves qu'ils ont cueillis dés la naissance. Les autres se posent trop de question.

-Hm, réellement, je l'ignore. Ils me trouvent amusante à me débattre. Mais tout ça n'aura qu'un temps.

Je hoche la tête. Effectivement, si ce n'est que ça, ça n'aura qu'un temps. Un temps possiblement très court même. Asling Shamrock, tu risques de ne pas passer l'année. A moins que tu amuses vraiment tes maîtres. Gaël Cross est un peu comme ça. Il aime voir la souffrance et se savoir dominant. Il a le don de bourreau. Je l'ai expérimenté, une fois. Une toute petite fois. Je me suis juré de ne jamais plus le mettre en colère. Jamais. Instinct de survie. Si vous croyez qu'un objet n'a pas d'instinct de survie vous vous trompez complètement. Les objets vieux et moches que certains sorciers gardent quand même... Ils devraient les jeter mais ils n'y arrivent pas, parce que les objets font tous pour rester. Instinct de survie.

-" Combien de temps avez-vous ? Je peux vous montrer ce qu'est de se faire plaisir un tantinet soi peu.
- Mon avion repart demain... Mais je ne comprend pas ce que vous voulez."

J'ai parfois l'impression d'être tellement lente à réfléchir. Qu'entend-elle par là ? Je ne comprend vraiment pas. Je regarde à droite à gauche, histoire de vérifier que ce n'est pas un piège. Qu'attend elle de moi ? Je plisse les yeux en la regardant, comme si cela pouvait m'aider à la voir mieux. Foutaise ! Ca n'aide que dalle et ça réduit le champ de vision.

[HRP : désolé pour le temps de réponse, j'avais totalement oublié o.o]

Quel intriguant visage que voilà. J'ai l'impression d'être face à quelque chose, et non à quelqu'un. La faculté de penser, c'est la liberté. Et l'ablation de la liberté, c'est avant tout l'échec de la vérité. C'est le néant. L'incommensurable néant qui vous recouvre peu à peu. Si la vie, c'est ça, je préférerai encore ne jamais être né. Car vivre sert à mourir, et si l'on meurt à chaque seconde lorsqu'on vit, alors autant ne jamais avoir connu la vie. Voilà mon simple et humble point de vue. Je ne comprendrais certainement jamais cette personne face à moi, cet objet dévoué à ses maîtres. Cet esclavagisme. J'aimerai lui arracher un sourire sincère, afin qu'elle comprenne ce qu'est ce que j'appelle « vie ».

- Dans quel but ?"

En temps normal, je me serai probablement esclaffée d'un rire tonitruant, mais la situation est pour le moins différente. Cette phrase est prononcée avec un tel sérieux, avec une telle volonté que je n'arrive pas à l'apprécier. Il n'y a pas de but à s'amuser, ou bien si ce n'est la détente. Lâcher prise. Apprécier la vie telle qu'elle devrait être. J'aimerai lui répliquer quelque chose, mais rien ne sort. Où est l'humanité ? Juste pour savoir, j'aimerai taper sur sa tête pour voir si ça sonne creux ou plein. Eh oui, j'en suis arrivée à penser qu'il n'y a rien. On dirait qu'elle n'a jamais connu quoique ce soit de joyeux. Je suis là pour lui faire découvrir. Une nouvelle fois, je m'apprête à parler. Est-ce que c'est mal ce que je m'apprête à faire ? Après tout, si elle connaît quelque chose de bon, elle risque de changer, fatalement. Et ce n'est sans doute pas bon pour ses maîtres. Pour elle, au final.

-Aucun, j'appelle ça le plaisir. Le contentement personnel. Vous n'avez jamais songé à vous acheter du chocolat, faire du shopping ?

Il faut vraiment que je lui fasse découvrir ça. Un petit plaisir par moment ne peut pas nuire. Je dirai même qu'il fait tout, sauf nuire. Cette personne est vraiment étrange. Alexis. C'est une esclave et pourtant, j'ai l'impression que des années lumières nous séparent. Elle est probablement plus âgée que moi, mais la différence ne semble pas même s'arrêter à cet âge. Elle est née sans joie, et mourir sans joie n'est pas ce que j'appelle s'accomplir personnellement. Connaît-elle même la signification du « moi » ? Je commence à connaître leurs techniques idiotes, à ces sorciers. Obstruction de toute conception des besoins des esclaves. Ils veulent dresser, non s'adapter. Mais je suis loin de fonctionner ainsi. Moi vivante, ils ne m'auront pas. Et si je peux ouvrir les yeux à Alexis, je le ferai. Je fixe un instant mon porte-monnaie. J'ai un peu d'argent. J'ai réussi à en prendre sur le bureau du supérieur. Tant qu'à faire, autant profiter de ma semi liberté pour m'amuser.

- Mon avion repart demain... Mais je ne comprend pas ce que vous voulez."

Et elle plisse les yeux. Je ris franchement. Elle va vraiment finir par m'amuser. J'ai l'impression d'avoir affaire à quelqu'un qui découvre quelque chose. Et pour un « quelque chose » qui devrait être normal. Je m'approche d'elle. Puisqu'elle repars demain, je pense qu'on a du temps devant nous. Enfin... elle a du temps. Et moi j'ai pas très envie de rentrer maintenant. C'est pire que des parents ces gens-là. Et je suis autonome depuis longtemps. Je lui prends la main et nous dirige au pas de course vers la boulangerie. Je connais bien les lieux, et je repère rapidement les endroits qui me plaisent. Pour le coup, celui m'a tapé à l’œil. La vitrine est belle, pas trop chargée, et les gâteaux ont l'air bons. J'entre dans la boutique, avant de me diriger vers la gérante. Me tournant vers Alexis, je lui demande, tout sourire :

-Tu veux quoi ? J'ai pas mal d'argent sur moi, alors prends ce qu'il te plaît.

'Faut bien commencer par quelque part.

Le plaisir est un début vers la sagesse.

Asling a un regard étrange sur moi, sur mon être, ma personne. C'est un regard qui perce ma carapace, et qui me touche en ce que je suis réellement. Mais que suis-je réellement ? Elle me fait mal. Pourquoi me regarde-t-elle comme ça ? Je ne comprend. J'ai l'impression d'être cette petite chose qui n'est rien, cette petite chose qui fait pitié. C'est quoi la pitié ? Je n'arrive pas à mettre quelque chose sur ça, pourtant c'est en moi. Je me mords les lèvres. Voilà que tu me mets mal à l'aise Asling. Et ça n'est pas bien du tout. Un esclave n'a pas à être mal à l'aise. Tout ce que tu provoque en moi n'a pas de sens, pourtant... Pourtant j'ai envie de lui en donner un et vu que je n'y comprend rien...

-" Aucun, j'appelle ça le plaisir. Le contentement personnel. Vous n'avez jamais songé à vous acheter du chocolat, faire du shopping ?
- Euh..."

Faire du shopping ? Acheter du chocolat ? Quelle idée ! Et avec quel argent ? Non parce que déjà je n'ai pas d'argent. Seul les hommes libres en ont besoin. Je ne suis pas libre, par conséquent je n'en ai pas besoin. Je ne saurais même pas quoi en faire ! Si à part acheter de quoi survivre un peu. Acheter à manger, pour ne pas tomber dans les vapes, de quoi avoir un peu chaud, pour ne pas congeler en hiver, et de quoi dormir, pour ne pas être à la rue. Mais ça s'arrête là, je n'ai besoin de rien d'autre si ? Les autres semblent penser que le reste est indispensable, je ne vois pas pourquoi. Acheter à manger pour manger en plus, ça sert qu'à grossir ? Et si je grossis, je ne pourrais plus être la combattante que je suis ! Et je servirais moins à Cross, en tant que femme pour séduire des sorciers. Quel "plaisir" peut on avoir à s'acheter des choses ? Je sais bien que les humains en trouvent. Mais je ne voit pas en quoi on peut se satisfaire personnellement en achetant des vêtements. En même temps vous me direz je n'ai pas été élevée pour aimer faire du shopping.

Elle m'attrape la main et je ne cherche pas à m'en dégager, car il n'y a en elle aucune intentions hostiles. Pourquoi n'y en a-t-il pas d'ailleurs ? Tu es vraiment quelqu'un d'étrange Asling. Elle me tire et se met à courir. Je suis obligée de la suivre et je fronce les sourcils. Que tient-elle à faire ? Plus que de la curiosité, c'est quelque chose de profond en moi qui me laisse emporter. Elle ne va pas me faire de mal alors pourquoi me défendre ? Au contraire, je crois même qu'elle veut être gentille avec moi. Peut de gens en dehors de ma famille de coeur ont essayer d'être gentils avec moi. C'est un concept assez nouveau. Dans un milieu aussi dur où le moindres regard peut vous coûter la vie, il y a rarement de la place pour la douceur et l'amabilité. Du moins pas pour les esclave. On entre dans une boulangerie. Je n'y suis pas allé depuis une éternité. La dernière fois, c'était il y a quelques années, pour chercher des pâtisseries pour un sorciers.

-Tu veux quoi ? J'ai pas mal d'argent sur moi, alors prends ce qu'il te plaît.

Je regarde les différents produits. Je me mords le lèvres. Je ne connais rien de ces choses là. Je ne sais pas ce que j'aime. On m'a pas fait gouter des gâteaux, en me disant qu'il fallait tuer des sorciers ! J'en regarde un qu'est marron. Il a une belle tête, si tenté qu'un gâteau puisse avoir une belle tête. Je ne sais même pas à quoi il est. Je suppose que c'est au chocolat.

-" Je ne comprend pas ce que tu veux. Mais celui là !"

Autant rentrer dans son jeu, je n'ai rien à y perdre. Peut être même à y gagner alors autant le faire. Je ne sais pas du tout dans quoi je viens de m'embarquer.

J'avoue que je trouve ça étrange. Même très étrange. Doit-on appeler humain une chose qui n'en a que l'apparence? Pour moi, Alexis est une coquille vide. Coquille que je m'efforce de remplir de sentiments. Les ressentis, les envies, et toutes ses choses égoïstes qui programment un humain font parti des choses de la vie. Je serai intéressée de savoir ce qui donne l'envie à Alexis de poursuivre sa vie, son chemin. Je veux son opinion à elle, pas un matraquage répété de ses supérieurs. Certes, obéir comme elle m'aurait certainement permis de continuer plus longtemps sur le chemin de l'esclavagisme. Peut-être que je serai même bien placée parmi les esclaves. Mais je serai dorénavant plus humaine. Et l'humanité, dans cette grande tourbe qu'est Santiago, est la dernière chose qui me rappelle à la vie. À la volonté même de vivre.

- Euh..."

Je prends ça pour un "non". Qu'est-ce que je dois faire? Il y a des enfants à qui l'on apprend à être moins glouton, à ne pas être égoïste, et on s'en sort à merveille. Dans le cas contraire, c'est un vrai parcours du combattant. Comment faire découvrir les joies et les peurs offertes dans la vie de tous les jours? L'adrénaline vécue au quotidien. La soif de connaissance, et toutes ces choses absurdes mais pourtant nécessaire. C'est ça vivre. J'inspire profondément. Et si je tape sur sa tête, je suppose que ça ne sonnera pas creux. Car elle est loin d'être idiote. Oui, très loin même. Je le devine à la lueur émanant de ses yeux. Elle est probablement plus forte que moi, plus intelligente même. Plus âgée. Mais elle ne connaît pas la plus simple chose. Il y a vraiment des progrès à faire.

J'observe les alentours. Boulangerie. Gâteaux! J'en salive d'avance. C'est un des plaisirs les plus simples du quotidien. Plaisir que je m'offre de moins en moins souvent, par faute de temps. Tu verras, Alexis, si tu m'as rencontrée, ce n'est pas juste un hasard. Le destin nous a fait nous rencontrer. Le destin est derrière tout ça, et il m'interdit de rentrer les bras croisés. Je me demande bien si elle connaît le mot "ami". Je demande bien à voir. Son cas est assez spéciale. Mais ça promet si jamais j'en sors quelque chose. Peut-être que cette carapace, en se scindant, va donner une tortue? Je l'admets, la comparaison n'est pas bonne. SI je devais assimiler Alexis à un animal, je pense que je choisirai le renard. Je ne sais pas pourquoi. C'est rusé, c'est beau et pourtant c'est un prédateur qui a peur des humains. Ça la qualifie bien, je trouve. Nous entrons dans la boulangerie. Cette odeur familière qui me rappelle le bon vieux temps. Ma mère allait souvent chercher des pâtisseries à la boulangerie pour le matin. Croissants, pains au chocolat, il y en avait pour tous les goûts. Et j'adorais l'accompagner. Dans une boulangerie, il y a des couleurs, des saveurs et des sensations. Les bonbons habilement mêlés aux gâteau en chocolat, aux marquises et aux religieuses. Le regard se pose sur toutes les sortes de confiseries, cherchant celle qui convient le mieux à son palet. Les sens se lâchent, dans des endroits comme ça. C'est ce que j'aime.

-" Je ne comprend pas ce que tu veux. Mais celui là !"

Je lui souris chaleureusement. Au chocolat ? Beaucoup de monde aime le chocolat. J'aurai dû y penser plus tôt. J'acquiesce doucement, et profite du monde pour choisir méticuleusement ce que je prendrais. Je suis assez difficile comme fille, surtout en ce qui concerne mon bonheur personnel. Mon regard se stoppe sur un autre gâteau au chocolat accompagné d'un fruit dont j'oublie tout le temps le nom. Mais je sais que j'aime ça. Attendez, je l'ai sur le bout des lèvres... une phy... physi... physa... physalis ! Voilà ! J'ai retrouvé ! J'adore ça, mais je vais le faire goûter à Alexis, parce qu'elle n'a sûrement jamais dû en prendre de toute sa vie. Mais ce n'est pas trop tard pour commencer. Au moment de passer à la caisse j'indique les deux gâteaux choisis. La dame me sourit, et je donne les sous nécessaires avant de sortir de la boulangerie, les deux mains pleines, Alexis sur mes talons. Une fois à l'extérieur, je lui tends son gâteau, avant d'ajouter en lui tendant le petit fruit jaune :

-Tiens, je suppose que tu n'as jamais goûtée à ça. Ça s'appelle une physalis ou bien une cage d'amour. C'est super riche en oligoéléments et c'est très bon. Tu vas voir, goûte !

Je lui souris en l'encourageant, ouvrant ma paume pour laisser apparaître le fruit. Heureusement, il n'y a pas de chocolat dessus, même si j'avoue que c'est bon à manger avec. Je commence aussitôt à m'attaquer à ma sucrerie. C'est bon, c'est même rudement bon. Je me tourne vers Alexis qui, jusque là, n'a pas esquissé un seul geste. Toujours aussi bavarde de mon côté, je lui lance :

-Je t'aurai bien proposé de faire du shopping, mais je ne pense pas que ça plaira à tes supérieurs. Et à vrai dire, j'aimerai qu'il t'arrive le moins de choses possibles. Si tu n'as pas le temps, dis-le moi. Sinon, nous pouvons passer un peu de temps ensemble, et faire du shopping sans argent.

Et je rigole. Je rigole, parce que pour moi, c'est impossible de ne rien acheter. Mais c'est vrai que je n'ai pas assez d'argent pour me refaire ma garde-robe. Alors, je me garderai bien d'acheter quoique ce soit. On peut toujours essayer. Essayer, c'est souvent vouloir. Après, il ne reste plus qu'à se retenir. Mais ça peut-être un bon passe-temps. Je fixe Alexis, dans l'espoir de trouver dans ses yeux une quelconque réponse affirmative ou joyeuse.

Je n'ai jamais songer à être humaine.

-Tiens, je suppose que tu n'as jamais goûtée à ça. Ça s'appelle une physalis ou bien une cage d'amour. C'est super riche en oligoéléments et c'est très bon. Tu vas voir, goûte !

Je souris maladroitement et j'attrape le gâteau et l'espèce de petit fruit jaune. Je en sais pas trop quoi en faire. Enfin, je sais qu'il faut que je le mange mais je n'ai pas spécialement faim. Je mange très peu car on n'a pas d'argent à dépenser pour moi, du coup je ne sais pas ce que ça va me faire de manger ça. Ca me fait penser à de la gourmandise. Je crois qu'on appelle ça comme ça. Elle englouti le sien. Ca n'a pas l'air de l'avoir tuer. Je regarde à nouveau le gâteau. Je ne sais même pas si j'aime, je n'ai jamais goûter le chocolat... Je me mord les lèvres et opte pour commencer par le fruit. Il est tout petit. Et je ne saurais décrire quel goût il a. Je crois que ça s'appelle acide. Un peu. Du sucre aussi. Il a un goût qui me surprend. Il est tout petit pourtant ! Je croque timidement dans le gâteau. Lui au lieu d'être vif, de titiller un peu, il est doux et moelleux. Je crois que j'aime bien le chocolat.

-" Je t'aurai bien proposé de faire du shopping, mais je ne pense pas que ça plaira à tes supérieurs. Et à vrai dire, j'aimerai qu'il t'arrive le moins de choses possibles. Si tu n'as pas le temps, dis-le moi. Sinon, nous pouvons passer un peu de temps ensemble, et faire du shopping sans argent.
- D'accord. Mais ça consiste en quoi ?"

Je finis lentement le gâteau. Je pense que je trouve ça agréable. Mon ventre reçois sagement le gâteau au chocolat, il ne proteste pas. Par contre je ne mangerais pas plus, parce que je vais avoir mal au ventre sinon. Je me contente de vraiment peu. Je tire nerveusement sur une mèche de cheveux. Le shopping... Ca m'est déjà arrivé de me faire "belle", du moins m'habiller et me maquiller. Il fallait que je plaise à un sorcier. Il fallait que je sois désirable. Su coup, je n'associe pas vraiment le fait de me faire belle avec une bonne chose. Mais après, peut être qu'elle va changer ça. Asling a été libre. Peut être que c'est agréable d'être libre ?

-" Asling, c'est quoi être libre ?"

Je me mord la lèvre aussitôt après avoir posé la question. Je ne devrais pas poser ce genre de question. Je sais que Valentin s'interroge souvent, mais il fait attention avec ça, parce que souvent les esclaves qui s'interroge, on ne les revois plus, et on est loin d'être stupide, ça on sait ce que ça signifie. Je ferme les yeux, me traite mentalement d'idiote. Pourquoi est-ce que je me fais du mal comme ça ? Je regarde Asling en face. Malgré moi, j'attend une réponse, pour le meilleur ou pour le pire.

Je me sais bavarde, mais à ce point, c'est quand même étrange. Le calme placide de la dame face à moi doit m'encourager à l'ouvrir davantage. Vu la misère dans laquelle elle doit vivre, je me demande si c'est une bonne chose. Quand on apprend qu'il y a autre chose que la vie qu'on mène, quelque chose de plus joyeux, de plus nouveau, on a du mal à retourner là où nous étions. Sur le coup, j'ai l'impression de faire une bonne action, mais si ça se trouve, ce seront des instants de bien-être pour un avenir triste. Cependant, je reste optimiste, et je ne suis pas du genre à me projeter dans le temps. Je préférerai avoir connu le bonheur une fois dans ma vie, que ne pas le connaître et l'ignorer à jamais. Après, je pense que ce n'est qu'un simple avis qui ne vaut pas l'universalité des gens. Enfin bref.

- D'accord. Mais ça consiste en quoi ?"

je rêve, ou elle me demande vraiment en quoi consiste le shopping ? Comment je peux lui expliquer ça ? Elle est plus âgée que moi, et j'ai l'impression de lui apprendre le monde. Enfin... je suppose qu'il y a un domaine dans lequel elle doit exceller. En fait, je pense savoir, mais j'aimerai l'oublier, l'espace d'un instant. Je ne veux pas terminer comme elle. Je ne veux pas me vider de mes émotions, et vivre aux dépens d'une personne qui se fiche de moi comme e sa dernière chaussette. Et je suis sûre que sa chaussette compte plus pour lui, parce qu'il se retrouverai mal à l'idée d'avoir perdu la paire. Mais donc... je claque mon talon sur le sol pour chasser toutes mes pensées. C'était pas le sujet, en fait. Je dois le expliquer en quoi consiste le léchage de vitre. Je sens que ça va être marrant. Je fais mine de réfléchir un instant, ramène mon index sur mon menton, avant de m'exclamer, toujours plus en joie, mimant sans m'en rendre compte :

-Ça consiste à se balader dans des magasins, essayer pleins d'affaires, voir ce qui te plaît, hésiter entre acheter ou non. En fait, c'est comme se balader dans un square pour parler, mais avec des essayages. Tu verras, on y prend goût très rapidement.

Et j'acquiesce de la tête pour confirmer mes dires. Y'a pas à dire, le shopping c'est vraiment sympa. Quand on y va entre amies, c'est encore mieux. Je n'ai pas vraiment eu l'occasion de me faire plaisir ces temps-ci. Même, pour ainsi dire, pas du tout. C'est embêtant. Alors je compte bien en profiter. Je termine mon gâteau. Juste avant de recevoir une parole bien étrange de la part d'Alexis.

-" Asling, c'est quoi être libre ?"

Oh god, si j'avais su qu'un jour je devais ressortir mes cours de philo, je pense que j'aurai ri au nez du gars ou de la fille qui me l'aurai dit. Ceci dit, mes cours sont bien loin de moi à présent. Je ne songe plus à ça, maintenant que j'en ai fait l'expérience. Et c'est souvent lorsqu'on se sent le plus prisonnier qu'on découvre ce qu'est la liberté. À voir après si la liberté qu'on croît connaître n'est qu'en réalité une prison qui n'a jamais ouverte ses portes. Je pense qu'il s'agit du cas d'Alexis. Alors, plutôt que chercher à le dire avec des mots, je préfère l'imager du mieux que je peux. D'une manière très enfantine certes, mais après tout, je n'ai jamais vraiment quitté cet état d'enfantillages. Cet état de joie qui empêche aux sorciers noirs de faire de moi leur pantin domestique.

Alors, d'un seul coup, je me place aux côtés d'Alexis, l'oblige à faire un pas d'un côté, puis de l'autre. Puis, un pas en avant et un en arrière. Je la fais tourner de manière à ce qu'elle soit dos au QG des pourris gâtés et lui montre la longue avenue pleine de monde. Je montre d'un doigt le soleil briller légèrement, caché par les nuages. Temps de... Je finis par ajouter :

-C'est recommencer de zéro.

Je lui souris affectueusement, pas persuadée qu'elle ait pu comprendre. Je suis un peu brouillon dans ma manière de m'exprimer, mais je pense avoir été assez clair. Prendre un nouveau départ. Repartir et oublier tout ce qu'elle a pu vivre avant. Découvrir les joies et les peines de la vie, vivre en tant qu'humaine, en tant que personne à part entière, non soumis à la loi d'autrui. Soumis aux règles pour vivre en communauté, certes, mais libre de ses choix afin d'assumer ses actes. C'est difficile au début, mais on y prend goût. C'est le piment qui alimente la vie, être libre. Je ne le vois pas d'une mauvaise façon, je l'idolâtre même. Mais c'est compliqué de s'en faire une image péjorative lorsqu'on l'a déjà vécu. J'aimerai lui donner un maigre exemple de ce qu'est la liberté pour moi. Quelque chose qui te fait avancer.

-Ça peut commencer par un rêve. Tu en as forcément un, même s'il est insignifiant pour toi, non ?

Je me sens partie. Je prends la main d'Alexis en me dirigeant vers une galerie marchande. Nous discuterons de tout ça en marchant. Je ne veux pas perdre un instant de... liberté justement.

Être un enfant, un tout petit, en matière de vie.

Je ne comprend pas très bien le but de faire des essayages, mais en même temps je n'ai jamais essayer. Peut être que ça me plaira. On verra bien. Déambuler parmi les gens c'est déjà un bon point parce que j'aime plutôt ça. Je me sens bien, en sécurité. Et puis j'aime les voir, les gens libres. Ils sont tantôt triste ou joyeux, tantôt rêveur ou terre à terre. Ils ont un tas d'émotions et ça me change. Ils sont un drôle d'amas de choses que je ne connais pas. C'est différent, voilà tout. Je ne sais pas si cela m'attire réellement ce qui est sûr c'est que cela ne me laisse pas du tout indifférente. Mais quand j'y pense, ils n'ont pas l'air bien plus heureux que moi alors pourquoi tenterais-je de leur ressembler, d'être libre ? Je veux dire par là qu'ils sont un peu comme moi avec des moments qui font mal et d'autre qui font moins mal. Il y en a pas beaucoup qui ont des moments qui font du bien. Moi j'en ai un peu avec Gabriel, alors je n'en demande pas beaucoup plus. J'ai l'impression d'avoir un peu de chance.

Asling me fait bouger et je me laisse faire. Pourquoi fait-elle cela ? J'essaye de me forcer à comprendre mais j'ai l'impression qu'il n'y a rien justement à comprendre. Je ne sais pas. Maintenant je suis face aux gens qui défilent bruyamment devant moi. Je souris un peu. Ils sont marrants. La jeune esclave me montre le soleil et je cligne des yeux. J'ai du mal à le regarder en face tant il brille. Il me brûle un peu les yeux, tant et si bien que je finis par détourner le regard. Elle lance alors une phrase qui me laisse perplexe. Tout recommencer ? A quoi ça sert de tout recommencer ? Quand on a un but dans la vie, il faut l'atteindre non ? Si on recommence à chaque fois on y arrivera pas ? Décidément tout cela est bien compliqué. Je crois que ce qu'elle m'explique c'est la vie et c'est ça qui est compliqué. La vie. Je hausse les épaules. Après tout c'est comme tout, on apprend, au début c'est dur, ça vient ensuite, il suffit juste de s'impliquer un peu non ? Et elle me demande si j'ai un rêve...

Je n'y ai jamais vraiment réfléchis. Avoir un rêve, le mien ? Je sais que les sorciers noirs ont des rêves. Je le sais parce qu'on nous a dit que notre but était tout simplement de les faire parvenir à la réalisation de ces rêves. Leurs rêves. Pas les nôtres. Alors est-ce que c'est ça mon rêve ? Je crois que si je lui répondais que mon rêve c'est de voir celui de mes maîtres devenir vrai, Asling n'aimerait pas trop la réponse. J'en suis même sûre. Nous commençons à doucement avancer dans la rue, et elle m'a pris la main. Je me demande ce que je voudrais. Je pense à Gabriel. Je veux Gabriel, ça c'est indéniable. Mais j'ai déjà Gabriel si on veut. Alors quesque je voudrais de plus ? Je fronce les sourcils en essayant de me concentrer. Ce n'est pas facile. C'est même plutôt compliqué comme exercice. On passe devant un couple qui parlent à leur petite fille. Elle à l'air mignonne, avec ses petites boucles brunes qui lui tombe en cascade le long de ses joues. C'est le genre de personne que j'aurais du mal à tuer. Ça arrive de temps en temps. Rarement. Ça arrive.

-" Je crois que... Je crois que je voudrais bien avoir un enfant."

Je ne sais pas si ça me ferait vraiment plaisir, mais avec Gabriel, ce serait sans doute une drôle d'aventure. Mais je ne voudrais pas le donner aux sorciers noirs. Parce que les enfants des esclaves ils sont un peu maltraités. Moi quand j'étais enfant ils m'ont fait mal. Je voudrais pas qu'on lui fasse mal.

Bordel, c'est vraiment étrange d'expliquer le principe du shopping à quelqu'un. Pour moi, c'est un peu comme remettre en cause 1+1 égal à 2. C'est tout simplement. Pas. Normal. Pourtant, ses yeux me lancent de vraies interrogations. Et à moins qu'elle soit si douée en mensonges pour même faire osciller ses yeux en fonction des émotions qu'elle veut faire ressentir, elle est honnête et pense vraiment que je vais lui fournir une réponse digne de ce nom. Le seul problème, c'est que moi et les explications, c'est un peu le loup et la belette. Deux éternels prédateurs qui s'aiment pas. Bref, tout ça pour dire que je tente de me dépatouiller de cette situation critique, tout en mimant avec entrain ce que « shopping » veut dire pour moi. À vrai dire tellement de choses. C'est un domaine dans lequel j'excelle, ou tout j'excellais avant de me retrouver esclave. Je ne peux m'empêcher d'avoir un regard critique sur ce que portent les gens et surtout certains sorciers noirs qu'on dit gradés. Pour moi, c'est rien que des fripes. Comme les fripes fripés qu'ils portent tous les jours. Franchement pas accueillants. Qu'ils me donnent un budget et je révolutionne leur trou à rat en le changeant en magnifique QG. Et je veux être payé en plus du budget. Je n'offre pas mes soins gratuitement. J'inspire profondément. C'est pas aujourd'hui que tout ceci arrivera.

Mon explication se termine sans trop d'encombres, et j'avale mon dernier morceau de pâtisserie. C'était vraiment très bon, et Alexis a l'air d'apprécier le sien aussi. Ça me rend plus heureuse que je ne l'aurais pensé. Je ne la connais pas vraiment, et pourtant, j'ai l'impression de me lier d'amitié avec elle. Et voilà, on en arrive à des points encore plus sensibles. La liberté. Au final, j'aurais dû m'en douter. Ouais. En fait, c'était même sûr qu'elle finirait par me demander ce que c'était. Mais j'ai as vraiment réfléchi et j'ai sorti toutes mes folies comment si c'était des habitudes normales. Et elles le sont, sauf pour Alexis. Vraiment, comment lui expliquer ça ? C'est tout recommencer. Partir de zéro. Pour elle qui n'a probablement pas vu la liberté à l'état pur, c'est un peu reprendre un nouveau tournant dans sa vie. Prendre l'angle de rue au lieu de suivre la grand allée. Fixer le soleil qui était caché. Voilà la liberté. Pourtant, on n'y arrive pas comme ça. Non, il faut un rêve pour avoir le cran de sortir du rail qu'on s'était fixé. Un but à atteindre. Tout le monde en a un, même s'il se limite à une pâtisserie par exemple. Ce peut être n'importe quoi. Même une simple envie. Si l'on vit sans envie, on meure. C'est aussi simple que ça.

-" Je crois que... Je crois que je voudrais bien avoir un enfant."

Et je crois que moi si j'avais eu un verre à ce moment, j'aurais tout recraché. C'est dit d'une façon tellement... détachée. Surprenant. J'ai presque envie de passer ma main devant ses yeux pour vérifier qu'elle me répondait bien. Ok, je m'attendais à tout sauf à ça. Ça, c'est que j'appelle un grand rêve. Très très grand même. Avec un truc pareil, elle aurait pu changer de rue depuis un certain temps déjà. Le choc passé, le sourire renaît sur mes lèvres, et je prends la main d'Alexis, en la forçant à se diriger vers les magasins. On peut parler, mais on va pas rester ainsi à rien faire. Je veux bouger, de préférence. Je ris légèrement, avant de diriger mon regard plein d'amusement vers l'esclave :

-C'est un grand rêve ça. Si tu tombais enceinte demain, tu ne voudrais pas disparaître de ta vie actuelle et en créer une nouvelle pour ton enfant ? Pour que lui vive libre. C'est ça, la liberté.

Oui, c'est cette vie que tu n'as pas connue. Libre à toi de créer ce nouvel espace. N'oublie pas ce que tu as vécu, car c'est le pire qui ai pu t'arriver. Tu ne peux que former quelque chose de plus vivant, de plus libre. De plus accompli. Je ne serais pas là pour t'accompagner dans tout ça, mais il y aura toujours quelqu'un pour te venir en aide. Tels sont les mots que je pourrais lui dire. Mais non, je ne suis pas le bon Samaritain. Je n'en fais jamais trop. Et je n'espère rien en la vie depuis qu'elle m'a prise ma famille. On peut toujours vivre pire. La famine, la perte d'êtres chers, la soif, le désespoir. On peut vendre sa liberté pour une tranche de pain, pour cinq jours de vie. Dès que nos jours sont mis en péril, on vend tout. Tout ce qu'on peut. L'être humain est égoïste. Car l'être humain a peur. Tout comme j'ai moi-même peur de perdre ma liberté à présent, comme Alexis l'a perdu il y a longtemps.