«La biche s'enfuit peu après minuit»

Le soleil se lève. Un de ses rayons perce à ma fenêtre pour venir chatouiller mon visage. Ceci me sort de ma léthargie peu à peu, même si une main invisible me force à me rendormir. Doux pays des rêves, accueille-moi une dernière fois... Aussitôt réclamé, aussitôt fait ; je refais ce voyage merveilleux où tout est possible bien qu'indistinct.
Je cours éternellement, dans un lieu qui m'est vague, mais qui dans un sens, me rappelle quelque chose. Pourquoi ne suis-je jamais allée dans cette cour ? Assise sur cette fontaine ? Une chanson angélique me parvient, elle danse autour de moi, comme un prédateur avec sa proie. Je me retourne, plus rien. D'ailleurs, où suis-je ? Un sentiment d'angoisse me prend malgré moi : pourquoi ai-je peur ? Trop de question se bouscule malgré moi. Je veux me réveiller, mais une main invisible, toujours elle, me force à rester, à regarder cette vérité en face. Puis une ombre un brin rassurante donc la voix m'est d'un pareil. Celle-ci me prend par la main puis l'embrasse avec la patience et la ferveur d'une mère.
J'ouvre les yeux le front en sueur. Encore un cauchemar étrange, toujours ce même. Et pourtant, à chaque coup il est de plus en plus difficile de le décrypter. D'un œil vitreux, je recherche mon sauveur, celui qui m'a délivrer de cette scène. Une petite silhouette aux yeux violets me tient face et m'observe d'une manière morne. Ma petite sœur. Violette est si belle, si gentille... Et sait toujours à quel moment me sauver, comme le ferait une grande sœur. Pourquoi, n'est-ce pas moi l'ainée ? Dieu, je suis si pitoyable que cela !
J'arrête mes réflexions lorsque son chat se pose sur mes genoux, tout en ronronnant. Filibert avec sa fourrure rousse est une bestiole d'assez spéciale dans le mesure où il semble nous écouter à la façon d'un humain, mais aussi qu'il aime se prendre pour un canidé.
Je ferme cette parenthèse pour me rendre dans la salle de bain, histoire de me rendre on peu plus présentable que présentement. Je me lave avec la lenteur d'une tortue tout en rêvassant. Une fois cette labeur achevée, je passe une main experte dans mes cheveux puis applique de la crème sur ma peau d'albâtre. C'est avec une grande joie que je ne remarque aucun bouton ou autre joyeuseté sur mon visage qui, il y a encore un mois, était constellé de ces cochonneries !
Je passe aussitôt de mes habits et revêt un de mes tee-shirt favori qui représente Kate M. de portrait avec une petite moustache, signé Eleven Paris, et un leggings en cuir enveloppant parfaitement ma silhouette un rien trop mince comme tout le monde se plait à me le faire remarquer, pas que le pantalon m'aille bien mais plutôt ma morphologie outrageusement dixit eux maigre. Pour l'instant, cela fera l'affaire.
Je regagne ma chambre et découvre que Violette n'a pas changé de place, ni troqué son regard morne pour une expression plus joyeuse.

«-Lis-moi un livre.» m'ordonne sa petite voix.

Je ne cherche pas à discuter et en attrape un sur ma table de chevet. Du Pagnol ? Pourquoi pas après tout, ce n'est pas si mauvais que cela, et ça aura le mérité de l'aider à s'évader comme lorsque notre tante nous prenait en vacances, avant qu'elle ne disparaisse bien évidemment.
Quelques heures s'écoulent pendant lesquelles ma langues fait des cabrioles. L'ouvrage est presque terminé, et je dois avouer en être soulagée. Et pour mon grand bonheur, il est temps pour moi de promener le chat. Je sais à quel point cela sonne étrangement à mes oreilles, mais cela est ainsi et j'ai la chance de récolter toutes les bizarreries possibles en ce bas monde.
J'attrape un gros gilet gris en laine qui m'a longtemps sauvé du froid, et de cavalières courtes d'un noir profond. D'un bruit tout à fait ridicule j'intime l'animal de me suivre, laissant ma petite sœur à ses dessins.
Le pas souple, je me dirige vers la plage, espace paradisiaque dans un sens. Là-bas une femme y est affalée. Sans nul doute une personne cherchant le calme et la tranquillité. Malheureusement, Filibert s'échappe de mes bras et entreprend de rejoindre cette inconnue. Malgré mes longues pattes je ne le rattrape et fait face à l'endormie. Je la détaille un instant, puis décide de la tirer de son sommeil. Ne risque-t-elle pas de prendre une insolation ?
Je me penche vers elle, puis la secoue délicatement.

«-Hého du bateau !»