Vous êtes-vous déjà réveillé avec un sentiment de bien être total ? En vous disant que rien, absolument rien au monde ne pourrait vous faire plus plaisir que ce moment ci de votre vie ? Parce que moi, c’est ce qui est actuellement en train de m’arriver.
À mon réveil, je sens le bras de Taki qui m’entoure. J’entends sa douce respiration qui rythme la mienne. Je sais que bientôt il ouvrira les yeux à son tour et que j’aurai le droit à mon bisou du matin. Puis, on ira voir Hana et Jace et on restera une demie heure à les regarder, tellement nous les trouvons mignon. Je sais déjà que le chat viendra se frotter contre mes mollets afin de réclamer à manger et que dans son coin, Jack donnera même l’impression de tendre ses aiguilles dans ma direction pour se faire arroser. Plus tard, Rhyan débarquera avec les cheveux en pétard et une moue typique des adolescents au réveil, mais elle souriera quand même parce que c’est la plus merveilleuse des adolescents insupportables de cette Terre.
Je suis comme un poisson rouge dans un bocal. Dans mon élément.
D’accord, peut-être qu’à la base ce n’était pas vraiment ça mon élément. Que j’étais un dauphin qui ne demandait rien de mieux que l’immensité de l’océan. Que la liberté. Puis j’ai rencontré la fée de l’amour qui m’a transformé en un innocent petit poisson rouge. Tout petit. Et je me suis lentement coulée dans mon bocal de bonheur.
Le coup du poisson rouge n’est peut-être pas la meilleure métaphore qu’il soit, mais le principal tient dans une seule phrase. Je suis heureuse.

Ma matinée s’est passée exactement comme je l’avais décrite. Le bisou, regarder les enfants, le chat qui vient réclamer sa nourriture, Jack et son eau, Rhyan et son sourire… Puis aujourd’hui étant mon jour de congé, j’ai regardé Taki et Rhyan partir, avant de m’occuper des mes deux petits.
À partir de là, je savais déjà ce qui allait m’arriver. Biberon, couche, jouer, biberon, balade au parc, biberon, couche, sieste, biberon, couche, bain, dodo pour les bébés. Sauf que voilà l’engrenage a beau être bien huilé, le bocal beau être tout propre, un requin arrive toujours à se faufiler à l’intérieur. Particulièrement quand on est exorciste.
À croire qu’il y a un post-it jaune fluo sur mon front avec marqué dessus « ici exorciste, cherche fantôme méchant pour se défouler dessus ». Et ce post-it a dû clignoter quand on a été faire notre petite promenade les enfants et moi, genre « Hey les fantômes, c’est le moment de se ramener, si possible en étant très très très méchant et me voulant beaucoup de mal comme ça c’est plus fun ! Les bébés dans la poussette ? No problemo, je suis une femme, j’arrive très bien à tout gérer ! ». Haha. Très drôle. Comique. Marrant. Rigolo. Divertissant. Et tout autre synonyme.
Non mais plus sérieusement, les fantômes n’ont vraiemnt rien d’autre à faire de leur vie ? Ou de leur mort plutôt…
Enfin bref. Parce que j’aime bien ce mot « bref ». Donc bref. Je bref, tu brefs, il bref, nous brefons, vous brefez, ils brefent… BREF. J’étais tranquillement en train de me balader en direction du parc avec un Jace tout endormi et une Hana toute souriante dans leur poussette. J’étais aussi en train de me dire que j’étais la mère la plus chanceuse du monde. Quand j’ai sentit un truc un peu bizarre…
Le temps a commencé à changer. Comme quand Rhyan utilise son pouvoir. Sauf que Riri n’était pas dans les parages. En fait, il n’y avait personne à part les bébés et moi dans les parages. Juste un mauvais courant d’air ; froid, tellement froid… Le genre de courant d’air qui file des frissons, mais qu’on décide d’ignorer. Dans la poussette les bébés ont commencé à s’agiter. Hana a cessé de sourire et son frère a commencé à se réveiller.
Oui, théoriquement c’est inquiétant.
Et je suis inquiétée.
Mais comme je ne suis pas une chochotte, je… non, en vrai je me retourne. Direction la maison, retour à la case départ. Sauf que voilà, en tournant la poussette, je me suis retrouvée nez-à-nez avec un fantôme. Oups. Bonjour Mr. Fantôme !
Et me voilà actuellement devant ce fameux fantôme qui n’a pas l’air du tout, mais alors pas du tout commode. Et le truc, le truc qui me glace le sang et qui me fait grincer des dents est le regard mauvais que porte ce fameux fantôme sur mes bébés.
Mes bébés à moi.
Pas touche, compris ?
Mon sang n’a fait qu’un tour avant que le fantôme ne relève ses yeux translucides pour rencontrer mon regard noir. Le temps a semblé s’immobiliser un moment alors qu’un sourire se dessinait sur les lèvres de l’ectoplasme en face de moi. C’était une jeune fille d’une vingtaine d’années au très longs cheveux qui avaient dû être noir de son vivant. Elle semblait malheureuse, elle semblait haineuse. Elle semblait prête à faire du mal. Du mal à mes enfants. Et ça, ça voyez-vous, c’est juste une chose inacceptable. Qu’on ne touche pas à un seul cheveux de Jace ou Hana. Jamais. Mes poings se sont serrés, ma magie s’est réveillée et j’ai tué du regard l’être transparent et pourtant tellement présent en face de moi.
Si un regard pouvait tuer…
Malheureusement un regard ne le peut pas. Et le fantôme (la fantômette ?) commence à rire en face de nous. Un rire méchant, tellement méchant. Dans la poussette, les bébés pleuraient... Puis soudain, tout semble s’arrêter. Les rires, les pleurs, tout. Le fantôme se tait et commence à fondre sur nous à la vitesse de la lumière. Bon, peut-être pas aussi vite, mais en tout cas très très vite. Et j’ai peur. Pas pour moi, mais pour mes petits.

- RECULE !

Je saisis le poignard glissé à ma ceinture et me positionne entre mes enfants et la menace. Le combat qui suit, je ne suis pas sûre de pouvoir vraiment le raconter ; je suis dans un tel état… Entre la haine et la peur, la douleur et la rage. On ne touche pas à mes enfants. Jamais. JAMAIS. Que ce soit un fantôme, un être noir ou qui que ce soit d’autre. J’ai l’impression que tout devient plus fluide autour de moi. Mes pouvoirs se laissent dominer par ma volonté, ma lame trouve le chemin parfait jusque vers l’être horrible qui menace ma famille. J'ai l'impression de ne plus rien contrôler et pourtant de tout maîtriser en même temps. C'est comme si c'était quelqu'un d'autre qui dirigeait mon corps, quelqu'un prêt à tout pour sauver Hana et Jace.
Alors c'est ça, d'être maman ?
J'abandonne immédiatement l'idée de devenir transparente, ça risquerait de rendre mes bébés beaucoup plus visible aux yeux de l'ectoplasme. À la place, j'use de mes illusions à tort et à travers, me démultipliant pour que le poltergheist ne sache plus exactement qui attaqué. Une dizaine d'images de moi entoure la fantôme. Evidemment, si celui ci les observait plus en détail, il remarquerait immédiatement que ce n'est pas moi. Mes illusions ne sont pas de la meilleurs précision au monde. Mais mon adversaire est bien trop aveuglé par la haine et va bien trop vite pour remarquer ce genre de détails... À la place il attaque toutes mes images, se rendant compte qu'elles ne sont pas plus réelles que lui qu'au moment où il les traverse. Et il continue son manège, sans comprendre qu'il ne fait rien d'autre que de courir après des moulins à vent, qu'il ne pourra jamais toucher l'impalpable.
Et moi je profite de ça pour attaquer. Frapper l'ennemi en usant de son pouvoir, je n'aurais jamais cru pouvoir y arriver. Et pourtant... pourtant c'est ce qui est en train de se passer. L'impossible devient possible. Tout devient possible tant qu'on ne touche pas à mes enfants.
Ma lame frappe, le fantôme crie, essaie de me frapper moi, j'esquive, le distrais avec une nouvelle illusion, frappe à nouveau, recommence inlassablement le même manège.
Jusqu’à la victoire.
Et que je puisse enfin exorcisée ce maudit fantôme.

Puis à nouveau le silence. Dans la bataille, je me suis ouvert le bras et ça saigne un peu. Sans compter les nombreux bleus qui vont sans doute apparaître. Mais je m’en fiche. Tout ce qui compte c’est que mes bébés eux, soient en bonne santé.
Alors je range ma lame, redresse le menton et continue ma promenade. Personne ne pourra me prendre mes enfants.