Maysar marchait dans le tunnel sombre. Les parois de pierre luisaient dans la faible lumière qui pénétrait par l'entrée derrière lui. Les reflets pâles étaient autant de fantômes qui le cernaient de toutes parts.

Tout comme les fantômes de son passé.

Tel était le prix de la vieillesse. La mort. Oh, pas la sienne, non !  Ce serait même un soulagement. C'était celle des autres, de tous ces gens qui l'entouraient, et s'en allaient chacun à leur tour, alors que lui restait là, à les regarder s'éteindre... Et la Mort prenait un malin plaisir à le faire souffrir. Il la voyait sans cesse, cachée dans l'ombre, souriant de le voir continuer à vivre, et endurer à chaque seconde la perte des êtres qui lui étaient chers.

Mais il devait continuer. Il se l'était promis. Pour tous les gens qui étaient encore là, en vie, il n'avait pas le droit d'abandonner. La Mort le savait, et son sourire n'en était que plus grand. Plus cruel. Pourtant, il avait fini par le comprendre. Il s'était engagé dans une partie d'échecs avec la Faucheuse elle-même. Et s'il savait la fin inévitable, il était bien décidé à mener le combat farouchement. Avec toutes les pièces à sa disposition.

L'image de Karhel s'imposa à son esprit. Le visage fin, les longs cheveux emmêlés, les yeux noirs qui le fixaient. Comme un reproche, un défi. Karhel était sa botte secrète, son coup d'avance. Une arme qui jouerait un rôle décisif le moment venu. Mais pourrait-il jamais lui pardonner ? N'allait-il pas, à son tour, rejoindre les fantômes sur les parois de pierre ? Oh, il deviendrait sans nul doute le Poltergeist le plus puissant de l'histoire ! Et les connaissances des Winitran ne seraient alors d'aucune utilité à Maysar...

Les Winitran.

Voilà pourquoi il était là, à marcher dans ce couloir sombre. Il y avait trop longtemps que leurs secrets se cachaient dans l'ombre, inutilisés. Et les Poltergeist étaient depuis longtemps oubliés, exclus de la partie qui se jouait actuellement dans le monde magique. Réduits à l'état de simple gibier, comme si les vivants avaient oublié qui ils étaient, et qui ils avaient été jadis. Leurs ancêtres.

Le tunnel prit fin, laissant place à une caverne aux parois tout aussi noires. Et pourtant, un rayon de soleil tombait de la voûte par une faille dans la roche. Il traversait l'air d'une ligne étincelante jusqu'au sol de pierre où il dessinait un halo éclatant au milieu des ténèbres.
Maysar s'était enfoncé loin dans le labyrinthe qui s'étendait sous le volcan, depuis la Grande Caverne où ils avaient établi le nouvel orphelinat. C'était l'endroit parfait. L'énergie solaire combinée à celle de la terre. Canalisées par des runes, les runes. L'héritage des Winitran.

Il ouvrit une fenêtre dans l'Autre Lieu, par laquelle il passa sa main... et son esprit. Il chercha un instant, jusqu'à ce qu'il trouve ce qu'il était venu chercher. Il revint dans le monde réel avec le vieux tapis, et referma la fenêtre. Il déroula le cercle de tissus pile au niveau de cercle lumineux, laissant apparaître le complexe runique qui avait été tissé lors de sa fabrication. Un moyen puissant de faire perdurer une rune pour des décennies. La Rune principale formait un dessin étrange, qui s'étendait sur toute la largeur du tapis. Il ressemblait à un immense scarabée, formé de courbes dorées qui se croisaient, se divisaient puis se rassemblaient en un tout harmonieux. Et à ce dessin était superposée une série de runes minuscules, bleues, une phrase répétée des centaines de fois, qui s'étendait en spirale à partir du centre du cercle.Mais ce n'était pas tout...

Maysar sortit de la poche de son manteau un petit poignard en forme de feuille, dont il ôta le fourreau. Il restait encore des runes à graver au plus profond de la roche... Il se mit au travail et patiemment, il répéta le même schéma tout autour des parois de la caverne. Cinq traits lourds de signification. Mais quand il eut terminé, le soir tombait déjà, et le rayon de lumière disparut. Maysar s'allongea sur le tapis et s'enveloppa dans son long manteau. Les runes sur le mur avaient toute la nuit pour s'imbiber de l'énergie de la roche, jusqu'à ce que la lumière revienne...