Le poignard dans la main, mon bras tremble de ma faiblesse. Combien de temps pourrais-je encore le supporter ? Mes muscles crient, supplient mais rien ne semble arrêter cette torture. J'essaye d'avancer coûte que coûte mais mon corps tremblant me le refuse. La pression se fait plus force et je sens mes tendons grincer sous l'affront. Une sueur épuisée suinte le long de mes tempes. Je n'ose même pas renoncer. Il me semble qu'au moment où mon corps lâchera, le monstre en profitera pour me broyer. Cette promesse de mort a laissé derrière elle un calme sans crainte. Je me sens apaisé, serein. Je n'ai pas le droit à l'échec mais je n'ai plus peur. Il n'y a qu'une chose à faire, résister. Je ne peux pas changer les choses, alors pourquoi pleurer et s'effaroucher ? Je ne pensais plus à rien d'autre : il me fallait continuer ma lutte, tenter de réveiller mon corps.

- MENTEUR ! OU EST-IL ?

La voix du monstre rugit dans mes oreilles. Elle fait trembler mon orgueil. Sérénité ? Elle s'est envolée au loin, fuyant, car il n'y a que ça à faire. La peur m'étreint à nouveau. Je suis résolu mais terrorisé. Je peux lutter contre des humains, des poltergeist sans trembler le moins du monde, mais ça ! C'est autre chose. Une chose sombre fonce vers moi et tout à coup, tout se stoppe. Je ne comprend pas. Quelque chose est en train de... le stopper ? Cela semblait impossible. Je retombe sur le sol, la poigne s'est relâchée. Suffoquant, j'entreprend de me reprendre sur le champ. Je ne peux pas laisser passer cette chance. Je me lève et les côtes me brûlent. Il faut que je fasse vite. Je glisse ma main sur ma plaie d'où s'écoule une quantité abondante de sang. Je tourne autour du monstre, trace maladroitement un double cercle. J'y inscrit des runes, les relient par d'autres, je joue avec les formes, je trace tout ce qui me vient à l'esprit pour le bloquer, l'immobiliser, le faire disparaître.

Mon sang éclabousse le sol et la nausée me prend. Je le sens m'affaiblir en s'écoulant hors de moi. Je scelle le complexe runique. La puissance du monstre est revenue. Il me manque une rune à inscrire pour l'activer. Il se trouve entre moi et elle. Je sais pas si... Il faut que je le tente. C'est dangereux. Je ne suis pas en état de le tenter deux fois. J'espère que je pourrais au moins ne serait-ce que respirer après. Je n'ai que quelques mètres à franchir. Seulement quelques mètres. En temps normal cela ne me demande rien, un soupçon d'énergie, de magie. Mais avec tout ce sang qui recouvre le sol, après cette lutte vaine pour me défaire de l'étreinte de cet être affreux... C'est une autre question. Il ne faut pas que j'ai une seconde d'hésitation de plus. Il faut que je le fasse. Je serre les dents, priant je ne sais quoi pour que ça fonctionne.

Je me téléporte de l'autre côté du monstre. Un sourire victorieux peint mes lèvres et les étire un bref instant avant que je tombe sur le sol, prêt à vomir mes entrailles, prêt à cracher mon sang. Une douleur sans nom me vrille le ventre. Ma main tremblante, maladroit pinceau, trempe dans son encre sanglante et par quelques courbes gracieuses active le complexe. Celui-ci rougeoie sur le sol. Je serre les dents, sers les poings. La magie réclame son dû. Je sais que ce ne sera pas suffisant mais quelque chose l'a retenu tout à l'heure. Je ne saurais pas dire pourquoi mais j'ai eu l'impression que c'était Kahrel. Peut être que je me trompe et qu'il n'y a rien. Peut être.

-" Vas-y..."

Pour l'instant le complexe l'a bloqué, essaye de le détruire, le repousser, mais je le sens grincer. Ma magie qui l'alimente n'est pas assez puissante. Je tremble sous la charge de l'énergie qui s'en va. Vas-y Kahrel, ou quoi qu'il y ait qui puisse le ralentir, le tuer...

Mes mains tremblaient et mon corps tout entier suivait le mouvement. Je me sentais sur le point de défaillir et il me semblait que le sang désertait mon corps. Je palis. Une veine tambourinait sauvagement contre ma tempe comme un compte à rebours du temps que je pourrai encore tenir. Je serrais les dents et soufflais comme un animal quand les assauts de la bête, plus gigantesque que jamais, vinrent briser mes défenses. Cela me propulsa sur le sol et je gémis en touchant la pierre froide et dur. Je ne pus pas même me redresser pour me relever car le choc m'avait coupé le souffle. J'essayais de le reprendre rapidement mais c'était comme s'il se refusait à moi. Alors je soufflais et soufflais sans pour autant parvenir à prendre une respiration : l'air de faisait que sortir. Et alors que je me sentis sur le point d'imploser, enfin je parvins à inspirer de l'oxygène. Celui-ci me fit l'effet d'une délivrance douloureuse.

Je me redressais à demi et contemplais enfin ce qu'il se passait à côté de moi. Le monstre semblait se rapetisser et devenir moins menaçant. Je grimaçais en sentant ma peau se tirer à l'endroit de mes blessures mais je n'écoutais même plus ma souffrance, trop ébahis que j'étais par le spectacle qui se déroulait sous mes yeux grands ouverts. Le monstre disparaissait ! Un instant j'avais cru cela impossible et à présent voilà que Kahrel réapparaissait. Quand il prit sa place il eut une petite exclamation. Je me relevais avec peine et le regardait, toujours surpris. Kahrel venait de laisser échapper un cri...

-" Kahrel ? Tu viens de... Oh Kahrel !"

Je l'attrapais dans mes bras et le serrais fortement contre moi, comme s'il allait m'échapper. Mes muscles frissonnaient mais je ne comptais pas le lâcher de si tôt. Il me semblait si frêle entre mes mains alors qu'avant un monstre immense avait pris sa place quelques instants auparavant. Cet enfant venait de me causer une des plus grosses frayeurs de ma vie. Je me rendis alors compte que je le tachais de mon sang et m'éloignais. Kahrel venait de s'exclamer. C'était quelque chose d'émouvant que d'entendre pour la première fois la voix de cet enfant muet.

-" Tu... tu vas bien ?"

Je n'attendais qu'une chose : à nouveau je voulais entendre sa voix résonner dans la pièce. Je voulais le voir articuler des mots et voir que ce n'avait pas été qu'un effet de mon imagination. Je lui pris la main.

-" Viens on rentre."

Pas un mot ne répondit à ma question, pas un son pour rassurer mon inquiétude. Je frémis. Quelque chose allait mal se passer, je le sentais, comme ancré dans mes entrailles, comme quelque chose de viscéral. Et sa main se retira de la mienne. Le geste en lui même n'avait rien de méchant et pourtant il prit mon coeur tel un coup de poignard. Je regardais l'enfant, interdit, ne comprenant pas la raison de ce geste. Soudainement, Karhel me poussa et je tombais en arrière. Le coup ne m'aurait rien fait s'il n'avait pas heurté mes blessures et je gémis, le regardant s'enfuir, sans pouvoir rien y faire. Avait-il prit peur ? Cela semblait improbable. Ce qu'il venait de faire, il l'avait fait avec une résolution et une résignation incroyable.

Je serais les dents et me relevais. Mon ventre et mon épaule protestèrent durement mais il fallait que je le retrouve. Il venait déjà de prendre beaucoup trop d'avance à mon goût. Serrant les dents, je fis quelques pas en courant et je fus immédiatement obligé de me mettre à marcher. La douleur, trop vive, et la faiblesse de mon corps ne me permettait pas de faire un pas après l'autre avec la vitesse désirée. J'étais condamné à voir le temps filer alors que je me mouvais, aussi lent qu'un escargot, vers le Mystery Orphanage. Boitant quelque peu, je mis de longues minutes à trouver mon chemin dans la nuit et à refaire la route vers l'orphelinat. Les étoiles semblaient se dérober à mes yeux, préférant se cacher vers de sombres nuages. Tout cela n'annonçait rien de bon.

Combien de temps il me fallut pour revenir sur mes pas ? Beaucoup trop. Je craignais que Karhel ne soit même pas revenu par ici mais mes sens félins me l'indiquait donc je priais pour qu'ils ne se trompent pas. Pas après pas, j'avançais laborieusement, la respiration sifflante, le flanc ensanglanté. L'immense bâtisse se dressa bientôt devant moi, fière et majestueuse quand bien même elle était endormie. Une petite forme qui échappait partiellement à mon regard semblait immobile, comme entrée en méditation. Un soulagement intense fit battre mon coeur et j'accélérais pour voir l'enfant qui m'avait fuit de longues minutes auparavant. Il semblait très concentré et je craignais quelque peu de le perturber mais je voulais m'assurer que tout allait bien. Alors je posais une main sur son épaule, dans un geste bienveillant. La main traversa l'enfant et le monde sembla s'effrondrer.

- Non... NON !

Je me ruais vers les dortoirs et trouvais ses vêtements plein de sang sur son lit. J'ouvris silencieusement le placard contenant ses affaires pour ne pas réveiller les autres enfants et vis qu'il avait rapidement emporté ce dont il avait besoin. Je redescendit en trombe pour voir l'illusion qui m'avait d'abord berné.

- Il... Il est parti.

Ma voix trahissait l'horreur de la situation. Je n'avais pas su le retenir, je n'avais pas su comprendre pourquoi. Je ne savais pas, et mon ignorance ne m'avait pas permis d'être là quand il fallait. J'aurais dû le rassurer immédiatement et lui dire que nous trouverions une solution. Je n'avais pas compris la peur qu'il avait dû ressentir en lui en voyant ce qu'il avait fait, ce qu'il était devenu... Oh Karhel... Je suis désolé...