Vois-tu cette lumière ?
Qui doucement s'éteins,
À croire que faisant fi de tes prières,
Personne ne veut te veiller jusqu'au matin,
Et la lumière qui se meurt,
Et doucement tu t'endors...
Encore un rêve, encore un cauchemar. J'ai beau grandir, la boule dans mon ventre reste toujours aussi grande lorsque je ferme les yeux. Les gens qui me connaissent disent que je suis une petite fille heureuse. Joyeuse. Épanouie. Mais ils ne me connaissent que la journée, lorsque le soleil illumine mon sourire et que la nuit est trop loin pour me faire peur. S'ils vivaient avec moi, s'ils vivaient en moi quelque part dans mon cerveau, je crois que eux aussi auraient peur de moi. Ça les rendrait sans doute triste de voir le monde des rêves comme je le vois. Beaucoup de noir. Beaucoup de rouge. Comme du sang qui bout. Des cris, des plaintes, des rires macabres. Parfois des couleurs et des arc-en-ciel. Parfois, rarement. À croire que mon don maudit les rêves dans lesquels je tombe. Touchez moi et vous ne dormirai plus. Touchez moi et vos pires craintes prendront réalité dans vos cauchemars. Arrêter de chercher le monstre sous vos lit ; le croque-mitaine n'est autre que moi. Tremblez et, si vous ne tremblez pas, je tremblerai pour vous.
L'enfant qui ferme les yeux.
Sans vraiment être sûr.
De pouvoir les rouvrir.
De pouvoir voir le jour.
Ma respiration commence à ralentir, signe effrayant que je commence à m'endormir. Mais paupières sont trop lourdes pour lutter de toute façon. J'ai trop jouer aujourd'hui et je ne peux que dormir à présent. Spirale, spirale... Comme d'habitude je me vois tomber entre tous ses rêves. Avez-vous déjà été aspiré par une tornade ? Alors je vous laisser imaginer. Autour de vous la tempête, des millier d'images - des rêves - tournoyant tout autour. Très vite vous avez mal à la tête à cause du tournis et, indéniablement, vous vous rapprochez d'un rêve. C'est bien simple, dans une tornade il y a forcément un moment où votre corps en apesanteur va rencontrer un objet volant. Et bien là c'est pareil. Et impossible de savoir lequel.
J'ai peur.
- Spoiler:
Point de vue de Maurice
... Alors je ferme les yeux.
Et me voilà dans le tourbillon. Honnêtement ? Ça m'a pris du temps, beaucoup de temps pour arriver à maîtriser ce pouvoir là. Pour ne pas voler contre les rêves, pour ne pas me clasher dans le mauvais cauchemar. Mais maintenant je sais faire. Je sais voler.
Enfant, j'ai toujours voulu m'envoler, être un oiseau. Quand j'ai appris que les métamorphes existaient, mais que je n'en étais pas un, j'ai été terriblement jaloux. Pourquoi est-ce que moi j'ai hérité d'un pouvoir aussi mauvais que lecteur de rêve alors que des gens peuvent survoler le monde, libre de toute obligation.
Mon pouvoir ne me semblait pas du tout ressemblant avec mon caractère. Quelqu'un, quelque part, avait dû se tromper au moment de ma naissance. Mélanger les mauvais ingrédient, faire de mauvais dosages.
Et pourtant... Pourtant je devais faire avec. Je devais apprendre les rêves. Et j'avais de la peine. Énormément de peine tant ça me faisais peur, tant je n'arrivais rien à contrôler.
Jusqu'au jour où j'ai appris à voler.
Je me demande si c'est propre à tous les lecteurs de rêve de vouloir être un oiseau. Je pense que oui, ce besoin de liberté, d'écarter les bras et de sentir l'air vous soulever, aussi léger qu'une plume. Nous sommes sans doute tous pareils.
Et si nous ne peuplons pas le ciel, nous peuplons les rêves.
Je sais voler. Le vent semble pourtant déchaîner aujourd'hui et j'ai de la peine à le remonter. Mais je force, plus que je n'ai jamais forcé car je sais ce que je vais y trouver au fond. Je sais qui je vais y trouver.
Ma petite fille. Ma Myaw.
Perdue aux milieux des cauchemars, je la reconnais. Elle semble entourée d'un brouillard de monstres et de rêves mauvais. Comme si elle les attirait comme un aimant. La navigation (ou le vol, comme vous préférez) est plus difficile dans ses airs là. Mais je finis par arriver derrière elle et poser une main sur son épaule.
Elle se retourne, surprise.
- Qui êtes-vous ?
Elle n'a jamais dû croisé personne ici. C'est vrai qu'il est rare de croiser des gens par là, généralement les lecteurs de rêves changent de monde trop vite pour vraiment s'en apercevoir. Cet entre-monde caché au dehors des mondes est bien trop souvent oublié. Le fait que ma petite-fille ait déjà conscience qu'il existe montre qu'elle ira sans doute bien plus loin dans son pouvoir que je ne suis jamais allé.
- Bonjour Myaw. Je m'appelle Maurice et je suis là pour t'apprendre à voler. Prends ma main.
On pourrait croire qu'elle hésite devant cet inconnu qui ne fait ni parti de sa réalité, ni de ses rêves. Mais pas une seconde ne doute, pas une seule étincelle d'hésitation dans ses prunelles noisettes ne brille. Myaw prends ma main en me souriant. De son sourire d'enfant heureux à faire pleurer.
À croire que personne n'a jamais eu le temps de lui apprendre à ne pas suivre les inconnus...Je prends la main du vieux Monsieur sans hésiter. Voler, j'en ai toujours rêver. Enfin rêver est un bien grand mot dans le sens que je n'ai jamais eu le droit d'avoir mes propres rêves, toujours ceux des autres. Mais disons que voler a toujours été mon voeu le plus cher. Avoir des ailes à la place des bras, sentir les nuages dans mes cheveux, m'arrêter sur une étoile pour pouvoir la ramener à Edwin... Partir dans les pays chaud avec les oiseaux lors de l'hiver, migré vers d'autres horizon, découvrir le monde. Être libre, surtout être libre. À la place je me retrouve coincée dans une cage de cauchemars, dans un tourbillon qui brise mes ailes. Je ne suis pas tombée sur le bon pouvoir ; c'est la seule certitude que j'aie.
Alors quand j'ai vu le vieux Monsieur.
Dans ce non-monde avant les cauchemars.
Me proposer de m'envoler.
J'ai tendu la main.
Et puis peut-être qu'ainsi ça m'évitera de glisser dans un rêve. À vrai dire, je ne me pose pas beaucoup de questions. Tout ce qui m'importe c'est de voler. Et de ne pas tomber tout de suite. Et le vieux Monsieur a l'air vraiment gentil en plus d'être très vieux. Je me demande quel âge il a... Sûrement plus que Pandora ! 300 ans ? 400 peut-être ? Il ressemble au père Noël, sans la longue barbe blanche. Et puis il semble vraiment fort. Assez fort en tout cas pour me tirer plus loin dans le tourbillon, là où les vents semblent moins fort, les objets moins méchants.
- Qu'est-ce que je dois faire pour voler ? Vous savez, moi je ne suis pas un oiseau.Il sourit, un vrai sourire de gentil. C'est rigolo parce qu'on dirait un peu le même sourire que maman quand je lui demandais de m'apprendre à lacer mes chaussures. Pourquoi est-ce que ce vieux Monsieur me rappelle maman ? Je ne sais pas, mais quelque part dans mon coeur, ça me fait tout chaud.
- Il n'y a pas que les oiseaux qui volent. Fais comme moi. Écarte les bras, au début ça sera plus facile. Il faut que tu imagines être une funambule. Ta corde c'est le tourbillon. Le vide c'est les rêves qui nous entourent. Tu ne dois pas tomber.Maurice lâche ma main et j'écarte les bras en retenant ma respiration. Je n'ai vraiment aucune envie de tomber. J'essaie d'avancer, de mettre un pas devant l'autre. Ne pas tomber, surtout ne pas tomber. Tiens, c'est drôle, j'avance. Je sens peu à peu la corde palpiter sous mes pieds nus. Je ne savais même pas qu'elle existait. Je fais un pas, j'hésite un peu parce que je n'ai jamais été très bonne dans les jeux d'équilibre. Mais ici tout est différent. Ce n'est pas l'équilibre des pieds, mais l'équilibre de l'esprit. J'éclate de rire avant de marcher avec un peu plus d'assurance, un peu plus vite. Un peu trop d'assurance et un peu trop vite. Beaucoup trop même. Et je tombe.
Il n'y a pas que les oiseaux qui ont des ailes.
Les avions aussi.
Mais eux finissent par tomber.
Et se crasher.
Voir ma petite-fille éclater de rire me faire sourire. Elle a un si joli rire. Comme des milliers de clochettes qui éclatent, vacillent et finissent par...
Tomber.
Je retiens Myaw de justesse avant qu'elle ne percute un rêve particulièrement mauvais.
- Il faut faire plus attention.
Je la gronde gentiment, même si en moi je suis impressionné. Personnellement il m'a fallu des mois pour découvrir cet entre-monde, des semaines pour faire un pas et des années pour maîtriser mon vol. Bien sûr, je n'avais pas de grand-père pour m'aider là, car il n'en connaissait même pas vraiment l'existence. Lui passait d'un rêve à l'autre en glissant comme sur un jeu aux cases reliées et jamais il n'a eu véritablement accès à cet entre-monde.
Mais bien sûr il était là pour m'encourager, essuyer la sueur qui perlait sur mon front lors de rêves particulièrement affreux, m'aider à me relever. Je ne serais sûrement pas là où j'en suis s'il n'avait pas été là.
- Il va falloir beaucoup t'entraîner. Tu verras, avec le temps, ça viendra.
Alors on a continué à s'entraîner, comme le vieux monsieur le disait. Parfois, je frôlais des rêves, mais il était toujours là pour me rattraper. M'empêcher de chuter. de m'exploser. Et peu à peu j'ai commencé à comprendre ce qu'il voulait dire. Ce n'était pas voler que je voulais. C'était ce sentiment de liberté dont j'avais besoin. Pour me transformer en oiseau. Être l'oiseau. Être la liberté. C'était amusant. Vraiment amusant. Un peu fatigant aussi, mais tellement passionnant. Maurice m'avait prévenu ; je ne pourrais pas faire ça toutes les nuits, ça serait beaucoup trop difficile pour moi. Mais c'était tellement grisant.
Le fil sous mes pieds.
Le vent dans mes cheveux.
Mes cauchemars au loin.
Ma déchirure qui se comble.
Le vieux monsieur était gentil, mais il ne parlait pas beaucoup. Parfois j'avais l'impression qu'il me regardait bizarrement, comme s'il avait des larmes dans les yeux ou quelque chose. Je ne comprends pas tout, mais moi je lui souriais. Peut-être était-il malheureux parce que son amoureuse l'avait quittée ? Enfin, je ne sais pas si les gens aussi vieux peuvent encore être amoureux, il faudrait que je demande à Titi. Même si lui je pense que même quand il aura un million d'années, il sera toujours amoureux de Mlle Artissa ! Avec leur deux bébés vraiment trop mignons. Je me demande s'ils vont bientôt en avoir d'autres. Ça serait chouette ! Et...
- Attention Myaw !Maurice m'attrape juste avant que je ne percute un rêve. Il faut que je fasse plus attention que ça. Je suis beaucoup trop dans la Lune.
- Myaw... Myaw, il va falloir que j'y aille.- Oh ! D'accord. Tu reviendras, hein ? J'ai encore beaucoup à apprendre.Lorsque j'ai sentit quelque chose envahir mes poumons, j'ai tout de suite compris que c'était la marée qui avait dû commencé à recouvrir mon visage, s'infiltrant dans mes narines. Il était temps pour moi de rentrer et de laisser ma petite-fille... Ma déesse. Se bout de moi si doué. Se rendait-elle au moins compte à quel point elle était incroyable ? Tellement incroyable que je ne pouvais pas lui mentir. Ni lui dire la vérité ; que je ne la reverrai plus jamais. Alors à la place je l'ai juste prise dans mes bras et serrée le plus fort possible.
- Au revoir Myaw.
Adieu ma petite-fille. Je t'aime.
Après que Maurice soit parti, j'ai encore essayé de voler un peu. Mais bien vite je me suis prise un rêve dans la tête. Heureusement c'était un si joli rêve que j'ai presque eu envie d'y rester ! Mais le soleil a décidé pour moi et est venu me chatouiller les paupières jusqu'à ce que je me réveille, le coeur gonflé à bloc d'énergie pour affronter une nouvelle journée.
Cette nuit j'ai un secret.
Un vieux bonhomme m'a appris à voler.
Je crois que j'ai des larmes au fond des yeux.
Mais je ne comprends pas bien pourquoi...