I'm still swirling like a moth
Drawn to fire
I'm still burning like a moth
You're the fire

Louyse plissa le nez. Un rayon de soleil s’était décidé à se frayer un chemin à travers le volet mal fermé jusqu’à ses yeux clos. La jeune femme remua et enfouit son visage sous la couette. Quelle heure était-il déjà ? Elle n’en avait aucune idée, et se risquer à jeter un coup d’œil sur le réveil le plus proche était synonyme d’une exposition et d’un aveuglement soudain qui se révèlerait sûrement douloureux. Elle se tourna. Il était là. Pendant un instant ses rêveries lui avaient fait oublier où et avec qui elle était. La réalité la rattrapa, une réalité physiquement plaisante mais au caractère un peu trop complexe. Même endormi il gardait cette aura intimidante qui lui allait si bien.

La jeune femme se glissa discrètement hors du lit, ramassa les vêtements du jour dernier qui traînaient encore sur le sol et se rendit silencieusement dans la salle-de-bain adjacente. Là, son regard se perdit dans le reflet du miroir. Au final elle serait bien restée blottie au fond du lit. Louyse s’étira, sa nuque craqua, sa colonne vertébrale suivit le mouvement. Son corps entier se libérait des engourdissements de la nuit. Une nuit pour le moins … agitée d’ailleurs.
Elle dormait peu en ce moment, elle se réveillait à chaque coup de vent, elle sursautait dès qu’un craquement se faisait entendre dans le manoir. Louyse n’avait plus la conscience tranquille et il en était la raison. En y réfléchissant bien, passer ses nuits aux côtés d’un lecteur de rêves n’était pas la plus brillante des choses à faire pour une personne qui n’était pas blanche comme neige. Mais pour l’instant tout allait bien. Tout allait bien, pas vrai … ? Elle l’espérait. Jouer dans l’ombre allait encore en sa faveur, mais à force on viendrait à se poser des questions. Elle avait l’impression de devenir paranoïaque et cette sensation la mettait hors d’elle. Sans doute était-ce le contrecoup du manque de sommeil. Il n’empêche qu’il lui fallait trouver un moyen de se sortir de cet état, et vite.

La sorcière se glissa sous le jet d’eau brûlant pour chasser toutes les pensées qui l’envahissaient. Elle réfléchissait bien trop. A peine venait-elle de se lever que son crâne menaçait déjà d’exploser. Louyse soupira. Si cet accident n’avait pas eu lieu, si elle n’était pas aussi bornée, si elle n’avait pas eu cette haine et cette volonté de parvenir à ses fins, la jeune femme aurait quitté Croix depuis un petit moment déjà. Et elle l’aurait quitté lui, en vie de préférence. L’idée de se retrouver prématurément six pieds sous terre ne l’enchantait pas. Sans compter qu’au fond, Louyse l’aimait probablement, mais elle aurait préféré crever que de -se- l’avouer.
Sortant de la douche, elle enroula une serviette autour de son corps et retourna dans la chambre. Ainsi éclairée, elle semblait sortir d’un monde onirique rythmé par leurs seules respirations. Il dormait toujours d’ailleurs. C’était bien trop tentant !

Elle tira d’un coup sec les draps pour le découvrir et esquissa un sourire espiègle.

Un corbeau, il se dépose sur un arbre et coasse fortement. Flash. Une salle d'accouchement. Une femme qui perd beaucoup trop de sang. Le sang coule, coule et coule encore sans pouvoir s'arrêter jusqu'à ce que la femme se vide de tout fluide et décède sur la table. Flash. Un homme qui tient la main d'une jeune fille totalement pâle. Elle a les yeux clos, comme si elle dormait profondément. Le jeune homme se penche et embrassa ce qui semble être sa femme d'un long baiser ponctué d'une goutte qui tomba sur la joue de la jeune femme et qui roula sur sa peau. La fille ne se réveillerait sûrement jamais. Flash. Un bébé dans une pièce qui hurle, une esclave qui s'affaire et qui vient voir un homme, fumant sur une cigarette et buvant un verre de vodka, et lui demande l'autorisation de faire quelque chose. L'homme ne semble pas s'en faire à propos de sa demande et lui dit oui sans même réfléchir. Flash. L'homme pointe son pistolet et tue l'esclave. Il boit un verre de whisky puis s'occupe de son enfant lui même. C'est fini le temps où il ne s'occupait pas de son enfant maintenant, il allait en faire une machine de guerre pour que sa mère soit fière, même si maintenant elle le regardait d'en haut.

Un froid. Est-ce qu'il était mort maintenant ? Non. Dorian ouvrit péniblement les yeux et esquissa un sourire en voyant sa copine avait tiré les draps avec un regard... tentant. Elle avait de jolis yeux mais ce n'est pas ce qui intéressait le sorcier noir. C'était plutôt ce que cachait la serviette, qu'elle avait enroulé autour de son corps, qui l'intéressait. Complètement reveillé, il se pencha et attrapa la nuque de Louyse pour la faire se pencher et l'embrassa. Ses lèvres avaient un excellent goût et une douce odeur se dégageait d'elle. Ses cheveux mouillés tombèrent légèrement sur le visage de Dorian.

Il laissa aller sa main sur le corps de la jeune femme et bientôt la serviette tomba sur le sol. Deux êtres, au corps incandescent, en tenue d'Adam et d'Eve dans la même pièce, allait former une osmose. Mais pas tout de suite. Le rêve de Dorian l'avait travaillé et à chaud, il avait besoin de tirer un trait sur cette période difficile de sa vie. Il recula son visage et regarda sa dulcinée dans les yeux. Un contact beau et interminable, les deux êtres se comprenaient en se regardant sur les yeux. Malgré tout ce qui pouvait faire Dorian à Louyse, il était évident qu'il n'était pas sans sentiment face à elle. Il l'aimait. Pas aussi fort que Nina mais il l'aimait et pour tout ce qu'elle faisait, il fallait faire ça.

- Louyse, tu penses que tu es prête à devenir une Cross ?

Le contact de ses lèvres la fit frémir et le froid qui vint mordre sa peau lorsque la serviette glissa le long de son corps la fit frissonner un peu plus. La jeune femme ancra son regard dans celui de Dorian. Elle avait toujours bien aimé ces moments muets. Elle ne serait pas allée jusqu’à dire que dans ces instants elle avait en face d’elle une personne bien différente du chef de Croix, mais Louyse avait toujours été persuadée que tous les Hommes portaient un masque. Ils s’amusaient à se dissimuler derrière une personnalité meilleure, ou pire, c’était selon. Mais le calme de l’instant commençait à lui peser, et Louyse eut à nouveau le temps de cogiter. Ce silence n’augurait rien de bon. Si au premier abord, le visage de la jeune femme ne transparaissait aucune émotion désagréable, intérieurement elle était rongée par un foule de sentiments plus dérangeants les uns que les autres. Sa gorge se noua.

- Louyse, tu penses que tu es prête à devenir une Cross ?

La jeune femme eut envie de pousser un soupir de soulagement lorsqu’elle entendit cette phrase des plus ordinaires. Son cœur se serra néanmoins lorsqu’elle réalisa ce que Dorian venait de dire. Devenir une … ? Elle blêmit. Pendant un instant, la sorcière se demanda si elle devait exploser de rire ou le frapper pour avoir osé une plaisanterie aussi douteuse. Et cependant l’air sérieux de son interlocuteur la refroidit, et l’envie lui passa. Merde, il ne plaisantait pas … Et il attendait sans doute une réponse.
Louyse se redressa et chassa une mèche venue se poser devant ses yeux sombres. Prête à devenir une Cross ? Malgré tout ce qu’elle avait pu prévoir, jamais la jeune femme n’avait sérieusement réfléchi à cette hypothétique proposition. Elle ne pouvait pas consciencieusement lui dire non. Qui pouvait lui dire non sans risque ? Louyse remua le nez. Elle était restée malgré les accès de colère de son cher et tendre, et pourtant à de nombreuses reprises elle avait été tentée de lui caler une balle entre les deux yeux. Mais par lâcheté, par respect pour les valeurs qu’on lui avait inculquées, ou tout simplement parce qu’elle était attachée à cet homme, Louyse n’avait jamais cillé. Aujourd’hui, le sort allait en sa faveur. Donner une réponse positive à Dorian ne pouvait qu’être à son avantage. Après tout, plus elle était proche du chef de Croix, plus elle gagnait d’importance au sein de l’organisation, officiellement ou officieusement. Et c’était ce qu’elle voulait depuis toujours.

- Oui ?

Sa voix était montée dans les aigus. Pas très convaincant … La sorcière se ressaisit. Un petit rire s’échappa de ses lèvres entrouvertes. Louyse noua ses bras autour du cou de Dorian et l’embrassa.

- Oui, prête !

Louyse avait toujours accordé une attention particulière à la voix de ses interlocuteurs. A ses yeux, un simple enchaînement de sons représentait un moyen considérable de connaître une personne. Les hommes se plaisaient à dominer leurs émotions. Ils usaient d’œillades fausses et de mimiques trompeuses pour les dissimuler, mais négligeaient bien souvent leur voix. Et c’était sur cet oubli que l’on pouvait coincer un individu. Il suffisait d’un tremblotement, un tremolo, aussi infime soit-il, un mot, un seul prononcé plus fortement que l’autre. Une faille, rien qu’une, sur laquelle il était possible de rebondir pour mettre à mal une personne. La sorcière se détestait déjà pour l’erreur qu’elle avait commise quelques secondes auparavant. Elle n’avait pas su se maîtriser devant Dorian … surtout devant Dorian. En attendant, le Chef de Croix en avait profité pour lâcher une petite demande.

- Alors tu vas assurer ma descendance et tu deviendras une Cross.

Il avait prononcé cela d’une manière relativement froide et détachée. Un petit ordre glissé à mi-voix, de manière banale, comme il avait l’habitude de le faire. La jeune femme aurait dû s’y attendre, tiens. A force de le côtoyer, elle commençait à connaître Dorian et ses petites habitudes, dont celle de ne rien donner sans recevoir en retour. Le seul hic dans cette histoire ? Le retour n’enchantait pas Louyse, absolument pas. Les seuls enfants qu’elle avait jamais été capable de supporter étaient ceux de Vincent. Et elle se voyait mal avec un mini-elle -eux.
« Tu sais mon chaton, je pense que je ne suis pas prête pour ça. En revanche, le nom de Cross m’intéresse toujours ! ». Mouais. Elle ne souffla mot, se contentant d’ancrer un regard doux dans celui de Dorian. Après tout il ne s’agissait que de neuf mois, suivis d’une explosion de douleur, elle-même suivie par dix-huit années minimum à supporter les caprices d’un enfant égoïste.

Un frissonnement de plaisir. Ses lèvres s’étirèrent dans un sourire malicieux. Louyse retourna dans les bras du Chef de Croix, amenuisant ainsi la distance entre leurs deux corps. Brûlants, ardents, passionnés, comme à chaque fois. Neuf mois, un tout petit sacrifice auquel elle ne devait pas penser pour le moment. A cet instant précis, la sorcière ne songeait qu’à une chose : elle pourrait profiter encore de cet homme et de ses superbes yeux bleus. Ses doigts glissèrent le long des côtes de Dorian, finirent leur course sur son bas ventre alors qu’elle vint mordiller la lèvre inférieure de son homme. En contrepartie, chaque parcelle de peau de la jeune femme répondait à ses caresses par un nouveau frisson.

I’m waking up
I feel it in my bones
Enough to make my systems grow

Elle se sentait bien. Son corps serré contre le sien, elle avait cette sensation chimérique d’être intouchable, comme en sécurité. C’était peut-être bien ce qu’elle était dans l’instant. Parce qu’il n’y avait plus qu’eux à présent. Aucune personne autre, plus d’organisation, pas de passé, juste cet instant précis et ce contact délicieux que la jeune femme se refusait à rompre.

- Je t'aime.

Ce fut comme une claque monumentale, accompagnée d’une sensation relativement indescriptible. Dorian n’avait jamais été le genre d’homme terriblement affectueux et démonstratif. D’une certaine manière, cela convenait à la sorcière qui s’en accommodait parfaitement. Elle n’avait jamais été une grande romantique. Toutes les petites attentions qu’affectionnaient les midinettes en mal d’amour n’étaient pas son fort. Certes, aux premiers temps de leur relation, elle aurait sans doute tout donné pour qu’il l’aime, ne serait-ce que parce que son égo en aurait été flatté. Mais à présent, elle avait mûrit. Elle avait compris. Elle avait même fini par s’habituer au regard de Dorian lorsqu’il posait les yeux sur elle et qu’il se rendait compte qu’elle n’était pas Elle. Nina. Il y avait toujours eu Nina. La brune n’avait jamais cherché à la remplacer, ni même à lui ressembler. Elles étaient sans doute des personnes totalement différentes. Quel intérêt de jalouser un fantôme ? Non, Louyse n’était qu’une petite Mosellane qui avait eu la chance de tomber sur lui et d’arriver à se créer une place dans sa vie. La jeune femme avait toujours été présente pour Dorian, aussi bien lorsqu’il s’agissait de Croix que de sa vie privée. En retour, elle bénéficiait d’une étiquette qui pouvait être aussi bien un avantage qu’une contrainte, et qui resterait une fois son nom remplacé par celui de Cross.
Quand elle y repensait … Elle était arrivée au sein de Croix à l’âge de dix-huit ans. A l’époque, elle n’était qu’une gamine arrogante aspirant au pouvoir et à la réussite, avec comme seul désir celui de vivre et d’exister aux yeux du monde, un peu comme tous les gamins de son âge. Huit ans plus tard, elle se retrouvait dans les bras du chef de l’organisation, avec pour futur nom celui de Cross et en prime la « chance » d’avoir bientôt un enfant de lui. Quel parcours niais et stéréotypé … !

Mais bon, ce n’était plus vraiment pareil n’est-ce pas ? Ce n’était plus comme hier, ou les jours d’avant. Dorian l’aimait, il venait de le dire, de manière quasiment incontrôlée. C’en était pour le moins déroutant, venant de lui plus encore. Et non, ce n’était pas de l’ingratitude ou de l’égoïsme. C’était simplement de la méfiance. A dire vrai, cette confession soudaine et brutale avait eu sur Louyse l’effet d’une bombe. Son cœur s’était serré face à un tel aveu, et elle avait senti toutes ses forces l’abandonner. Disparaître. Elle voulait disparaître, partir, et se terrer quelque part. Pour tout oublier.
Elle le détestait. Elle le détestait car il était la seule personne sur cette fichue planète capable de la mettre dans un état pareil, capable de lui faire ressentir ça. Tout ça. Mais elle ne l’aimait pas. Elle ne l’aimait pas, pas vrai ? On ne pouvait pas réellement aimer un homme comme lui … si ?

Il l’embrassa. Et sans trop savoir comment, Louyse se retrouva sur le lit, sortie de ses pensées, un doux retour à la réalité. Son cœur retrouvait lentement un rythme régulier tandis qu’elle ancrait son regard dans le sien. Muets. Tous deux étaient parfaitement muets. Dieu qu’elle était bien là ! Elle voulait arrêter le temps à présent, profiter toujours et encore de ce silence parfait, profiter de Dorian. A nouveau elle avait droit à cette facette de lui qu’elle voulait être la seule à connaître, parce qu’elle l’aim … Merde.
Elle le détestait. Elle le détestait autant qu’elle se détestait elle. Parce qu’il la tuait, et qu’elle se laissait faire. Chaque jour un peu plus, à tel point que c’en devenait incroyable. Mais … elle était vraiment bien là … Cette réaction de préadolescente ridicule ne lui ressemblait pas. Louyse avait toujours été une personne forte, non une de ces femmes banales qui tombaient amoureuses jusqu’à en devenir faible. Non, elle n’était pas faible.

La jeune femme fit basculer Dorian et se glissa au-dessus de lui. Ce n’étaient que des mots. Simplement des mots. Il n’y avait rien d’autre derrière. Il n’y aurait jamais rien d’autre derrière. Du moins, c’est ce dont elle essayait de se convaincre ...

Ses lèvres rejoignirent à nouveau celles du Chef de Croix. Et elle abandonna dans un souffle :

- Pas autant que moi.

Des mots vides, totalement vides, irrémédiablement vides. C’était généralement ce qu’il fallait offrir pour plaire ou monter dans les grâces de quelqu’un. Accompagné d’un joli sourire ou d’une voix suave, le tout devenait parfaitement crédible.

Il était incroyable de se dire que de simples mots, ces quatre mots, pouvaient avoir un tel impact sur les deux individus présents dans cette chambre. Pas autant que moi. Louyse venait sûrement d’offrir à son interlocuteur la réponse qu’il attendait et désirait. Mais elle ne pouvait s’empêcher de détester cela, non pas parce qu’elle l’avait laissé gagner, mais parce que ces mots lui faisaient terriblement mal. La sorcière savait fort bien qu’un jour ou l’autre, elle finirait par donner un sens réel à cette phrase. Le lendemain, le surlendemain, dans quelques secondes, ou il y a plusieurs heures déjà. Dans son esprit, la date convenable n’existait pas. Ne jamais rien ressentir lui semblait si parfait, si idyllique, et terriblement chimérique. On lui avait appris à limiter ses émotions, à les taire, à les oublier. En entrant à Croix, Louyse s’était interdit d’extérioriser ses sentiments. Elle excellait parfaitement dans ce domaine. Mais parfois. Parfois … Maintenant …
Si les émotions et sentiments avaient pu ne pas exister, la fierté de la jeune femme n’en aurait été que plus grande. L’humanité, réduite à un monde d’automates, de doux automates faits de chair et de sang.

Mais aux yeux de certains, Louyse était déjà une machine. Il n’y avait sans doute, derrière ces orbes bruns, qu’une agressivité certaine et une absence notable de sentiments. Les méchants de l’histoire ne peuvent souffrir, ne peuvent être heureux, ne sont pas en mesure d’éprouver quoi que ce soit.
Et cependant, la brune sentait distinctement les mains de Dorian sur sa poitrine. La sensation enivrante qui l’envahissait et lui disait que le chef de Croix lui appartenait à cet instant précis ne pouvait être plus réelle. Elle était si vivante à ses côtés … Mais elle ne pouvait pas l’aimer. Peut-être qu’en usant d’une force de persuasion considérable, la jeune femme finirait hermétique à toutes ces banalités sentimentales ? Ne jamais se laisser avoir par des paroles, des chuchotements d’apparence enamourés. Si en dehors de ces moments doux, elle paraissait calme et posée, parfois même distante et glaciale, ce n’était que pour garder la tête froide et ne jamais faillir. Au moins cette attitude contrebalançait-elle avec le caractère plus sanguin de Dorian. Il fallait bien un certain équilibre dans un couple.

Dès leurs premiers émois, les gens amoureux s’enflamment et un tas de choses leur échappe.

Garder la tête froide.

Les doigts de son amant finirent leur course au creux de ses reins, plus bas encore, libérant un nouveau frisson qui remonta sa colonne vertébrale. Si seulement elle avait pu être sourde aux réactions de ce corps, trop docile aux marques d’affection de Dorian … Comment cet homme, à lui seul, pouvait-il engendrer tant de sensations contraires de la part de la véloce ? Et comment, pour l’amour du Ciel, avait-elle bien pu tomber sous le charme de cet homme volage, violent, sadique, alcoolique, égocentrique, cruel, vicieux -pour ne citer que ces quelques défauts- ? Et malgré tout cela, elle parvenait à l’aim … pprécier. Malgré tout cela, elle parvenait à l’apprécier.

See my body come alive at your fingertips
Make me lose my sense of time with your dirty lips.

De leur rencontre, elle ne conservait que quelques souvenirs. Qu’est-ce qui avait pu déterminer cette relation ? Un premier regard, ou un premier mot peut-être. Il avait dû la trouver attirante. De son côté, elle avait eu une furieuse envie de le tuer. On aurait sans doute pu s’attendre à plus de romance pour un début de liaison … M’enfin. Il était un Cross, parmi tant d’autres. Un nouveau visage appartenant à l’hydre que représentait cette famille qu’elle était venue à détester, maladivement même. Mais elle avait été séduite par cette aura imposante qui se dégageait de lui, par cet éclat différent dans les yeux. Oui, ce devait être ça. Elle avait peut-être compris, en un regard, tout ce que cet homme représentait pour l’avenir de Croix. Alors Louyse s’était laissée avoir, comme un papillon de nuit irrésistiblement attiré par la lumière oscillante d’une flamme.

Toute cette histoire n’était peut-être pas des plus romantiques, pourtant une alchimie magnétique et envoûtante opérait entre eux. Une attirance simple, ou peut-être complexe, impossible à déterminer. Mais il y avait un lien, c’était indéniable. Un lien plus grand encore lorsqu’il fut en elle.
Nue au-dessus de Dorian, le désir qui habitait chaque mouvement de la brune était à présent bien révélateur. C’était chaque fois le même. Il pouvait bien lui mentir à présent, la tromper, la considérer seulement comme une gentille sorcière garantie cent pour cent pure race qu’il faisait bon avoir à ses côtés, pour la forme, qu’elle serait en mesure de lui pardonner. Et elle lui pardonnerait tant qu’il resterait là à lui offrir chaque jour ces mouvements de va et vient qui lui donnaient autant de plaisir. Ca, entre autres, bien évidemment !
Elle fut tout de même rassurée que Dorian ne sache pas lire dans ses pensées, sans quoi le Chef de Croix aurait pu s’en sentir flatté. Car oui, Louyse l’admettait, cet homme était un amant excellent !

 Elle planta un regard taquin dans celui de sa moitié.

- Quitte-moi, Dorian Calean Cross, et je te tue.

La jeune femme voulait bien prendre à témoin le premier dieu qui passerait par là. Si elle venait à le tuer, finalement, la presse nommerait-elle son acte un crime passionnel ?

I want to be the one temptation
That is good enough for you.
I can't take humiliation
But there's nothing I can do.
I don't know what it is about you
That is everything I need.
And I just don't know where you're going
But I'll follow where you lead.

When you love someone, you’ve got to trust ‘em
You’ve got to give ‘em the key to everything you are
Otherwise, what’s the point ?

Louyse observa attentivement les réactions de Dorian. Elle venait de le menacer ouvertement, lui, son futur mari, son supérieur hiérarchique. Qu’elle l’ait pensé ou non, on ne plaisantait pas facilement sur un sujet pareil avec le Chef de Croix. A dire vrai, de telles paroles étaient souvent sévèrement réprimandées, et on comptait les personnes ayant survécu à pareil suicide sur les doigts d’une main. Peut-être jouait-elle avec le feu. Mais la jeune femme avait besoin de savoir s’il tenait réellement à elle, s’il lui faisait confiance au point de la laisser faire cela. La brune attendit donc, curieuse. Elle n’avait pas peur de se brûler les doigts.
Un sourire, un nouveau baiser.

- Je n’en ai pas l’intention, Louyse Ysraël Cross, nul besoin de prendre mon âme en plus de mon cœur.

Un rire cristallin s’échappa d’entre ses lèvres. En temps normal, la sorcière aurait trouvé cette réponse terriblement niaise. C’était le cas, il fallait l’avouer. Pourtant Louyse s’en sentit flattée. Dorian lui avait offert une opportunité, il y a quelque temps de cela. Devenir l’aventure d’un soir, une amante passagère –ou savait-il déjà à l’époque qu’elle serait bien plus ? Louyse avait simplement saisit cette chance, puis s’était débrouillée pour ne plus la laisser filer. Elle avait voulu devenir indispensable à cet homme, et d’une certaine manière, il semblait qu’elle y était parvenue.

- Une chose est sûre. Je ferais un malheur dans le commerce des âmes si je venais à vendre la tienne !

Elle le possédait entièrement à présent, ou en avait du moins la sensation. Ce devait être cela de poser un collier autour du cou de quelqu’un pour en signaler l’appartenance. Le fait était là, Dorian lui appartenait.
Ne restait plus qu’à savoir si elle serait la seule à l’avoir à présent qu’il comptait lui passer la corde au… la bague au doigt ! Car il l’avait trompé, elle le savait bien. Il lui aurait fallu être aveugle et sourde pour l’ignorer. Et encore ! Combien de fois ? Louyse n’en avait aucune idée. Les premiers temps furent terriblement humiliants. Pourquoi n’était-elle pas capable de le satisfaire ? de le garder auprès d’elle ? Avait-elle fait quelque chose de travers ? Ou était-ce seulement la nature insupportable et terriblement séduisante de Dorian ? Quoiqu’il arrive, la sorcière n’avait rien pu faire. Coincée entre sa colère, son impuissance, son ambition, et l’attirance indescriptible qu’elle ressentait pour cet homme, elle n’avait pu qu’encaisser. Et Dieu sait qu’elle était réellement douée pour cela.

La brune sourit et lui offrit un nouveau baiser, rapide, joueur. Le regard brûlant qu’il lui lançait de ses yeux glacés la fit fondre. Essayant de concurrencer cela, la jeune femme amorça un nouveau mouvement de bassin, comme pour l’inviter à venir en chercher davantage. Sa lèvres approchèrent son cou, elle le mordilla puis glissa sur le dos, fit à nouveau basculer Dorian pour se trouver sous lui. Il était tout bonnement hors de question de mettre fin à ce peau à peau délicieux.

La sorcière n’avait jamais été particulièrement douée pour survivre à une relation. Néanmoins, elle tenait bon dans celle-là, aussi compliquée fut-elle. C’était peut-être parce qu’elle connaissait bien le Chef de Croix. Oui, elle le connaissait, aussi bien que l’on pouvait connaitre une personne autre que soi. La jeune femme avait été maintes fois spectatrice de ses changements d’humeurs pour savoir quel comportement adopter face à quelle situation. Elle savait quand parler, quand essayer de le raisonner, ou lorsqu’il valait mieux rester silencieuse ; elle savait que, chez lui, se gratter la barbe était signe de réflexion ; elle savait quand se contenter de glisser ses bras autour de lui ; elle savait quand lui dire qu’elle avait envie de lui.

Louyse se cambra. Elle le désirait, ne désirait que lui. Elle n’avait besoin de rien d’autre à cet instant précis. Simplement lui. Ses lèvres, sa peau, son odeur, et les frissons de plaisir qu’il lui procurait. Leurs corps étaient parfaitement accordés, aucune fausse note, rien. Un échange sensuel d’une harmonie parfaite. Elle en oubliait le temps, les inquiétudes qui la rongeaient encore au réveil, l’enjeu réel de cette symphonie charnelle.
Ses doigts remontèrent jusqu’à sa nuque, mutins, l’effleurèrent, glissèrent dans ses cheveux pour venir emprisonner quelques mèches blondes qu’elle tira négligemment, dans le but d’éprouver sa résistance à cette mince douleur. La véloce avait envie de s’amuser, pour ne jamais se lasser de cet homme pour qui elle pouvait bien mourir. Oui, s’il lui demandait, là, maintenant, elle accepterait de mourir.

You’re not my God, but I’ll follow you.
You’re not my God, but I’ll do anything for you.

Ils ne finissaient pas les phrases de l’autre, mais il leur arrivait bien souvent d’être sur la même longueur d’ondes, de penser à la même chose. C’était une osmose simple, sans fioritures, à la manière d’un duo dont les deux acteurs cherchaient simplement à créer un unisson parfait.