Il pleuvait, et ça faisait plusieurs jours que le Soleil n'avait pas promené ses rayons sur Little Angleton. Namyon préférait le beau temps, mais la pluie ne la dérangeait habituellement pas. Habituellement, mais la situation n'était pas habituelle. Elle pensait sans cesse. Dès qu'elle n'avait rien à faire, elle pensait. A David principalement, parce que le sorcier lui revenait régulièrement en tête. Mais elle n'en était pas surprise, il l'obsédait quand il était proche d'elle, alors quand il était loin... Elle finirait par devenir folle à force de questions sans réponses. Et elle ne pouvait s'empêcher de penser. La pluie ne lui donnait pas envie de sortir, alors elle trainait un peu, puis occupait ses journées à ne rien faire. Forcément, si son esprit n'était pas occupé, il revenait automatiquement vers le sorcier, sans qu'elle puisse rien y faire. Pas de réponses à ses questions, et pas de sorcier, de quoi la rendre dingue. Elle avait bien pensé à aller dans l'auberge, mais elle ne trouvait pas le courage nécessaire pour y retourner, alors qu'elle en mourait d'envie. Étrange paradoxe quand on pense qu'elle était restée sans fuir, au lac. Mais elle avait peur de se retrouver à nouveau enfermée dans cette chambre avec l'homme, alors qu'elle ne savait pas quoi penser ni faire. C'est vrai, elle se voyait mal aller toquer à sa porte sans avoir rien à dire. Elle savait qu'il aurait rit puis refermé si il était de bonne humeur. Sinon, elle aurait aussi pris un coup pour l'avoir dérangé. Alors elle continuait à s'enfoncer dans sa déprime, et à s'énerver contre elle même parce qu'elle ne savait pas la raison de tout ça. Ou peut être bien qu'elle savait mais qu'elle ne voulait pas se l'avouer, allez savoir.
Assise sur son lit, elle regarda par la fenêtre la pluie qui martelait le carreau. Il ne faisait pas trop sombre, après tout c'était l'été, mais pas si clair que ça à cause des nuages et du fait qu'il fasse nuit. Elle n'était pas beaucoup sortie de la journée, et en avait sa claque de toujours penser à la même chose, et il ne lui en fallu pas plus pour se décider à sortir. Elle avait envie de voler, et était décidée à le faire, pluie ou pas pluie. Elle se leva et ouvrit son armoire pour récupérer un gilet gris dedans qu'elle enfila par dessus son t-shirt coloré, et décida de garder son jean sombre. Elle prit la peine de passer par la porte, refermant à clé derrière elle avant de descendre rapidement les escaliers et de quitter le bâtiment où elle habitait. Elle marchait vivement, souhaitant sortir du village avant de s'envoler pour une période indéterminée, et ne regardait pas devant elle. De toute façon, les rues étaient désertes à cause du mauvais temps. Les gens avaient raison, la pluie n'était pas légère, et elle eut tôt fait de coller ses vêtements et ses cheveux sur elle. On aurait dit qu'elle sortait de la douche, et si elle ne rentrait pas rapidement, elle était bonne pour tomber malade. Chose dont elle se fichait pas mal, ça lui permettrait de dormir plus longtemps et c'était pas plus mal. Ou ça l'empêcherait de trouver le sommeil complètement, une chance sur deux, et au point où elle en était, elle prenait tout.
Elle tournait rapidement dans les rues, et dans sa hâte, elle finit par percuter quelqu'un, parce qu'il faut toujours que ce genre de truc arrive quand les rues sont désertes, évidemment. Elle butta dans la personne qui ne broncha pas, à la place ce fut elle qui recula. Elle devait avoir l'air fine trempée ainsi à rentrer dans les gens le soir dans un village paumé d'Écosse. Elle releva la tête et se figea complètement en voyant le visage de la personne qu'elle avait percutée. David. C'était l'homme qui hantait ses pensées depuis qu'elle l'avait rencontré. Bizarrement, son esprit se vida d'un coup, au moment où elle avait besoin d'une phrase et vite. Peut être qu'à tout hasard, elle pourrait s'excuser de l'avoir percuté?

- Pardon, je ne regardais pas où j'allais.

Et elle resta plantée là comme une idiote parce qu'elle en savait pas quoi faire. Un coin de son esprit était en train de lui rappeler ce qu'elle avait fait en guise d'au revoir la dernière fois qu'ils s'étaient vus. Il lui rappela aussi qu'elle n'avait pas pris le temps de voir la réaction du sorcier, et que si elle ne se tirait pas très vite, il allait probablement la lui montrer. Mais comment voulait-il qu'elle s'en aille alors qu'elle rêvait de le voir depuis qu'elle était partie? En fait, elle voulait carrément se jeter à son cou tout de suite et il serait peut être sage de le faire avant qu'il ne fasse quelque chose. Mais elle ne pouvait pas le laisser voir à quel point il lui avait manqué, et à quel point elle en était dépendante. C'était bien trop dangereux, et il avait déjà suffisamment conscience de son emprise sur elle. Alors elle espérait juste qu'il viendrait se venger de sa dernière provocation. A la place elle lança une remarque:

- Tu risques d'attraper froid comme ça.

Elle avait choisis ces mots exprès, pour être sûre qu'il vienne à elle, même si il viendrait probablement avec violence. Elle était un peu trop provocante pour son bien.

David l'attrapa d'un coup pour la plaquer contre un mur. Sa tête cogna méchamment dessus mais elle n'en fit rien, trop concentrée sur l'homme devant elle.

- Bah réchauffes-moi, tu as l'air doué pour cela. Hein Namyon? T'aimes bien te payer ma tête.

Avant même qu'elle puisse penser quoique ce soit, il l'embrassa et elle répondit avec empressement. Jamais elle ne s'était sentie aussi bien ces derniers jours là, sous la pluie, gelée et malmenée par un homme violent. Le malaise ressenti dernièrement s'était envolé au moment où le sorcier l'avait touchée, comblant le manque par sa présence et ses actes. Lorsqu'il se recula pour rompre leur échange, elle était aussi à bout de souffle que lui.

- Tu vois, ça t'apprendra de me prendre par derrière. Et la prochaine fois que tu me touches comme dans la chambre. Je te viole, ok?!

Comment arrivait-il à dire ça avec autant de force tout en étant collé à elle restait un mystère. Elle se retint de dire que techniquement, elle l'avait eu par devant et sans tricher, ne voulant pas se faire jeter tout de suite. Leur proximité la réchauffait bien qu'ils soient tous les deux trempés de la tête aux pieds. La pluie ne cessait pas, le clapotement de l'eau touchant le sol tranchant sur le silence de la nuit plus que le bruit de leur respiration. La menace de David tourna un moment dans la tête de la sorcière. Il n'avait pas apprécié sa démonstration à l'auberge? Un peu gros à avaler après ce qu'il venait de faire.

- Tu disais ne pas avoir besoin de passer par le viol, murmura-t-elle contre ses lèvres.

Une piqure de rappel ne pouvait pas lui faire de mal, même si elle ne savait pas si il mettrait un jour sa menace à exécution. Après tout, c'était déjà la deuxième fois qu'il la formulait. Acculée contre le mur, le sorcier toujours devant elle, la sorcière ne pouvait pas faire grand chose. Et encore une fois, l'une des choses à faire était de calmer le sorcier. Il ne réagissait jamais de façon logique, et changeait du tout au tout en un instant. Le cerner ne serait probablement jamais tout à fait possible. Plus elle tenterait d'actions différentes, plus elle aurait d'indices sur comment fonctionnait l'homme. A défaut de le comprendre, elle pourrait toujours en apprendre à éviter les erreurs. Doucement, elle leva une main qu'elle passa dans les cheveux mouillés de David et se débarrassa des quelques millimètres qui les séparaient pour l'embrasser à nouveau, sans brusquer et en prenant son temps. Complètement à l'opposé du dernier de la chambre. Plusieurs secondes passèrent avant qu'elle ne recule sa tête jusqu'au mur, dans la maigre marge de manœuvre à disposition. Sa main retourna à sa place d'origine et elle dit:

- Et comme ça, j'ai le droit?

Elle était calme en apparence alors que son cœur battait vite. David devait pouvoir le sentir vu leur proximité mais elle ne fit rien pour essayer de l'apaiser, elle avait besoin d'évacuer son stress.
Elle ne l'avait pas encore réalisé, mais le mur dans son dos était glacé, contrairement au sorcier, et un frisson parcouru son dos sans qu'elle puisse le retenir. Ils allaient tomber malades tous les deux à rester là, mais elle n'en fit pas la remarque une deuxième fois. Elle se ferait traiter de faible et n'y gagnerait rien.

- Mais je pourrais faire une exception pour toi. Tu ne sembles pas contre.

Ce n'est plus un viol si la victime est consentante, mais elle ne lui dit pas cette phrase. Ne pas tenter le diable, ne pas dégrader la situation. Le sorcier était étrangement calme, toujours menaçant, mais il semblait être sorti des sentiments violents qui l'assaillaient encore quelques instants avant. Pour un temps tout du moins.
Lorsque le sorcier se décolla d'elle, elle regretta instantanément sa présence. Mais elle ne pouvait pas se jeter en avant pour chercher le contact. David était peut être calme en apparence, mais qui sait à quoi il pouvait penser.

- Si tu veux. Pourquoi tu fais ça Namyon? Je ne suis pas un gentil garçon. C'est donc vrai ce qu'on dit, les mauvais garçons excitent les filles, n'est-ce pas?
- Peut être que c'est vrai, et qu'aucun de nous ne devrait être là. Mais on y est quand même.

Sa réponse n'aidait en rien, si ce n'est à préciser qu'elle se trouvait dans l'incompréhension la plus totale. Toutes ses barrières tombaient. Il ne lui avait fallu que quelques jours, et toutes ses défenses mentales et physiques tombaient, les unes après les autres. Sans que rien ne soit fait pour qu'elles restent. David toussa, Namyon esquissa un geste pour se rapprocher de lui, automatiquement inquiète, mais elle se stoppa quand il releva le regard vers elle.

- Je deviens une obsession ou quoi?

Oui, elle rêvait de lui hurler à la figure, par dessus la pluie, que oui il était une obsession. Mais ce serait crier sa défaite, abandonner complètement sans possible retour en arrière. Elle retint ce cri avec un grand frisson. Cette fois, elle était bel et bien gelée. Ses vêtements lui collaient à la peau de manière désagréable, et elle avait l'impression d'être debout sur des éponges. Cela rongea un peu plus ses défenses.

- Et si c'était le cas? Où serait le problème?

Leur relation était tendue depuis le début, sans réelle raison au final. David était un homme violent, probablement tourmenté par plus de choses qu'il ne laissait paraitre, et Namyon était une femme trop curieuse et inconsciente. Et tous deux jouaient à un jeu dont personne n'avait vraiment fixé les règles, ni les limites. Si il n'y avait pas de limites ni de règles, tous les coups étaient permis non? Et le jeu prendrait fin lorsque l'un des deux ne serait plus en mesure de jouer.

- Je ne sais pas ce qui nous pousse l'un vers l'autre, mais y résister est dur.

Elle avança vers lui et l'embrassa de nouveau comme pour appuyer ses paroles. Elle en avait assez de lutter, ces derniers jours l'avaient poussée à bout. Et pourtant, elle rompit le contact qu'elle avait engagé, pour se prouver à elle même qu'elle savait encore résister. Ou peut être pour inciter David à laisser tomber ses défenses pour venir la chercher. Elle grelottait pratiquement sur place, n'arrivant plus à contenir ses sentiments et le froid qui la rongeait. Ainsi, elle paraissait plus que jamais comme une simple femme, pouvant être brisée d'un coup, et non comme une sorcière possédant des pouvoirs et capable de tuer. Seul son regard témoignait de la détermination qui l'habitait. Elle fixait David, attendant qu'il prenne une décision.

- Le problème c'est que c'est non Namyon. T'imagines pas de truc. Je ne te veux pas sur mes bras.

Si c'était entièrement le cas, alors elle ne devrait plus être là depuis un moment déjà. Il essayait bien de lui faire peur, et cela marchait plus ou moins parce qu'elle savait ce dont il était capable, mais elle était trop entêtée pour partir. Le froid était mordant, l'empêchant de s'éloigner de la réalité en face d'elle, lui rappelant lui aussi qu'elle ne devrait pas être là.

- Reviens, arrêtes un peu ton jeu.

Le sorcier était contradictoire. Il voulait qu'elle reste, qu'elle parte, qu'elle soit proche et loin en même temps. Il l'attrapa pour l'embrasser avec violence à nouveau. Il perdait le contrôle de lui même et de son pouvoir qui s'échappait pour faire trembler les objets de la rue. Cette fois, il ne se calmerait pas sur simple demande, puisqu'il semblait incapable de se raisonner lui même. Il se décala légèrement d'elle pour dire:

- Je crois pas que se soit une bonne idée. Tout ça.

C'était assez bien résumer la situation.

- Mais tu n'arrives pas à lutter contre, et moi non plus. Dis moi, contre quoi se bat-on?

L'agitation de la rue allait finir par amener quelqu'un, mais la sorcière ne savait que faire pour calmer le sorcier. Elle commençait à avoir peur de ce qu'il pourrait se produire si il perdait complètement le contrôle de lui même. Il laissait échapper bien trop de magie dans les environs, magie qui ferait beaucoup de dégâts si personne ne faisait rien dans les minutes qui suivent.
Namyon haletait dans les bras du sorcier, dont elle ne chercha pas à se dégager. Peut être qu'en se calmant elle même, elle arriverait à apaiser légèrement le sorcier?

- Calmes toi, essaies de te concentrer sur quelque chose pour reprendre pied.

Il était surement déjà en train d'essayer de le faire. La sorcière hésitait, devait-elle s'éloigner pour qu'il retrouve ses esprits, ou rester? Elle ne fit pas un geste, se contentant d'être présente. Si il voulait qu'elle lui laisse de l'espace, il la repousserait. La magie de l'homme était lourde, pesante, empreinte de quelque chose que la sorcière ne parvenait pas à identifier. Elle savait que c'était dangereux, et peut être qu'il n'était pas tout à fait normal pour un simple sorcier en voyage de posséder ça. Mais elle n'en fit pas la remarque, pas encore. Ce n'était pas le moment de pointer du doigt quelque chose qu'il cachait, alors qu'il ne pouvait pas se contrôler. Elle songea à essayer de le calmer avec la télépathie, mais est-ce que le sorcier lui ouvrirait suffisamment son esprit pour lui permettre d'agir? Demander ne lui coûterait rien.

- La télépathie pourrait aider. Tu me laisserais essayer?

Elle prit conscience de l'ampleur de sa phrase après l'avoir prononcée. Le sorcier ne lui faisait pas confiance, c'était flagrant et il ne s'en cachait pas. Elle lui en demandait trop et cela ne ferait qu'empirer ses doutes à son égard. Mais c'était trop tard, la question était posée. Avec un peu de chance, il se contenterait de refuser avec une réplique cinglante avant de l'envoyer bouler.

- On se bat contre nous-même.

Je suis plus faible que moi même alors, c'est inquiétant. Et peut être démoralisant quelque part. Mais il y avait plus important à penser pour le moment. Le sorcier était toujours aussi déstabilisé et ne semblait pas savoir que penser. Les deux adultes se regardaient, cherchant des réponses chez l'autre alors qu'ils étaient perdus tous les deux.

- Il faut qu'on se mette à couvert.

Même si ils s'abritaient maintenant, ils étaient bons pour tomber malades tous les deux. La pluie s'abattait en continu, les gouttes froides avaient trempé les vêtements, les rendant froids et lourds.

- Non, et n'essayes pas, je me pourrai te sentir entrer...

Le sorcier s'éloigna d'elle d'un seul coup en la repoussant. La colère durcit les traits de son visage, il semblait prêt à bondir pour tuer la sorcière.

- Tu es déjà dans mon esprit, hein Namyon?

Il réagissait de manière excessive. Si elle avait agit, il l'aurait senti et elle n'aurait pas demandé la permission avant. Elle ne bougea pas de sa position, sachant que chaque geste serait analysé comme une menace par l'homme. Elle eut une raison supplémentaire de ne pas bouger lorsqu'elle senti la magie de David l'entourer, prête à la broyer. Au fond d'elle sa réaction la blessa, même si elle n'en laissait rien paraitre. Pourtant, le comportement actuel du sorcier était prévisible, il se méfiait de tout et surtout d'elle. Alors avec une phrase comme celle qu'elle avait formulé... La sorcière n'avait que trop tendance à oublier à quel point l'homme en face d'elle était dangereux et à quel point elle le craignait. Le fait qu'elle ne soit qu'une distraction pour lui avait été bien trop vite mis de côté dans son esprit. Bien trop vite, et bien trop tôt.

- Non je n'y suis pas. Tu le sentirais sinon.

Elle lui avait dit ça en le regardant dans les yeux. La magie du sorcier était autour d'elle et elle se savait complètement piégée au moindre faux pas. Alors elle choisissait ses mots avec soin. Prenant ceux qui auraient le moins de double sens, et qui, à défaut de lui obtenir un semblant de confiance de la part du sorcier, montreraient à ce dernier qu'il la soupçonnait à tord.

- Je ne t'aurais pas demandé de permission si j'avais déjà agit en douce.

Lentement, son esprit s'ouvrit et alla effleurer celui de l'homme sans jamais faire mine de vouloir y entrer, se contentant de rester à l'extérieur, proche sans trop l'être. Elle tentait de lui prouver ses dires, qu'elle n'était pas entrée, avec pour preuve le fait qu'elle était toujours à l'extérieur. Elle prenait un risque en laissant son esprit ainsi ouvert à la merci du sorcier, bien qu'elle fut prête à tout refermer si le besoin s'en faisait sentir. L'esprit de chacun est différent, ainsi les télépathes pouvaient se reconnaitre entre eux si il avaient l'habitude de communiquer silencieusement, en reconnaissant l'esprit qui les touchait. Namyon voulait laisser le temps à David de se rendre compte que la seule fois où son esprit l'avait rencontré, c'était au lac lorsqu'elle l'avait salué.
Elle finit par ramener son esprit vers elle, le fermant presque entièrement, pour laisser David agir si il souhaitait s'en approcher. Elle prit soin de cacher et protéger ce qu'elle ne voulait pas qu'il trouve, c'est à dire tout ce qui avait rapport à Orpheo plus quelques autres choses, et laissa le reste pour prouver son honnêteté. De toute façon, le sorcier n'était pas télépathe, il n'irait donc pas bien loin dans sa lecture de pensées. Du moins elle l'espérait.

- Tu vois? Je n'ai aucune raison d'aller dans ton esprit sans rien demander.

Elle se posait vraiment la question de pourquoi pensait-il qu'elle irait s'infiltrer en douce dans sa tête. Elle n'y cherchait rien, posant toutes ses questions à voix haute.
Elle se mordit la lèvre, cherchant quoi ajouter pour convaincre le sorcier et se tirer du guêpier dans lequel elle était. Mais elle avait déjà tout dit et ne trouvait rien à dire de plus. Lui demander pourquoi il se méfiait ainsi lèverait de nouveaux soupçons pour elle, car le sorcier croirait à coup sûr qu'elle cherchait à endormir ses doutes. Alors elle n'ajouta rien.

- Peut-être pas. Si tu es une bonne sorcière.

Mais elle n'avait pas la volonté d'agir ainsi. Bonne ou mauvaise n'était pas vraiment la question de son point de vue.

- Je ne te comprends pas.

Le sentiment était réciproque. Aucun ne comprenait l'autre depuis le début et ils étaient toujours là. David semblait vouloir la tuer sur place, pour une raison qui échappait à la sorcière. Après tout, elle venait de lui montrer qu'elle n'avait rien fait, et qu'elle n'avait aucune raison de le faire.

- Si, tu as une raison d'entrer dans mon esprit.

Cette phrase piqua sa curiosité au plus haut point. Pourquoi donc voudrait-elle entrer dans son esprit? Elle n'eut pas à attendre la réponse longtemps. Il s'approcha d'elle, menaçant alors qu'elle se retenait de reculer instinctivement par crainte.

- Je suis un sorcier noir Namyon. Et je crois que tu le sais depuis le début, n'est-ce pas? Ou tu es si naïve que cela?

Elle se figea à l'entente de ces phrases, la surprise claire et évidente sur ses traits. Cette déclaration expliquait son comportement agressif et méfiant, et elle n'y avait purement et simplement pas pensé. Ou avait refusé de le faire, et mis la possibilité à la poubelle sans vouloir l'analyser plus d'une demi-seconde. Dans tous les cas, elle venait de percer le fond. Les deux sorciers étaient ennemis. Faits pour se repousser tout en s'attirant, mais pas comme le souhaiterait la sorcière. La révélation était en train de s'encrer lentement en elle, marquant son chemin douloureusement pour être sûr qu'elle ne l'oublierait pas. Tout se mélangeait dans sa tête, elle ne savait que dire, ni que faire. Elle devrait être en train de penser à attaquer le sorcier, ou peut être songer à fuir. Mais elle ne pouvait pas bouger. Elle voulait fuir, rester, avancer, reculer, et avec des envies aussi opposées, l'équilibre s'opérait parfaitement et elle restait sur place sans bouger. La peur faisait accélérer son cœur, ses battements prenaient en amplitude. Elle devait réagir, où le sorcier sauterait à des conclusions, si ce n'était déjà fait. Désamorcer la situation pour un temps, même si elle ne pourrait pas se cacher indéfiniment.

- Donc je chercherais à te nuire parce que tu es un sorcier noir? Cela veut dire que tu penses que je fais partie d'Orpheo.

C'était une question sans en être une. Plus que cacher ce qu'elle était, la jeune femme ne voulait pas que l'homme la pense capable de volontairement le blesser. Elle ne le pouvait pas, elle s'en empêcherait elle même, elle le savait. Pourtant, ils étaient ennemis, et à défaut de changer son point de vue sur David, cela devrait au moins éveiller en elle le désir de faire son devoir. Mais quelque chose l'en empêchait.

- Tu crois vraiment que je m'amuserais à attaquer en douce? Je suis une gentille sorcière, même si tu ne l'es pas.

Façon simple de lui rappeler qu'il passait son temps à dire qu'il était un méchant sorcier -à juste titre- là où elle était la gentille sorcière. Les gentils affrontent les méchants, mais ils essaient souvent de les raisonner avant, non?
Ses pieds finirent par sortir de leur paralysie et elle recula d'un pas pour scruter David. Si elle ne se contrôlait pas, elle serait en train de trembler de peur, et elle prendrait probablement le contre coup de ce contrôle plus tard. Elle refusait obstinément d'abandonner, de rentrer chez elle et de tout oublier. Elle ne pourrait pas oublier, même si elle n'avait pas l'intention de rapporter ce qu'elle avait appris à Orpheo. C'était un mensonge envers l'ordre auquel elle avait juré fidélité, elle en avait pleinement conscience, une trahison. Un sentiment de plus qui s'ajouta à la liste de ceux qu'elle ressentait déjà. Pour autant, quitter l'ordre n'était pas dans ses projets. Elle y resterait sans parler du sorcier noir, voilà tout. Plus facile à dire qu'à faire.
Par prudence, elle barricada son esprit, prête à être attaquée même si elle ne répondrait pas à l'attaque par des coups.

- Bien entendu que tu fais parti d'Orpheo. Arrêtes de mentir, je n'aime pas les menteuses. Il serait bête que je te coupe ta jolie petite langue rose, non?

Il n'aimait décidément pas grand chose. En revanche elle pouvait dire qu'il aimait la langue en question autant qu'elle y était attachée. Probablement pas pour les mêmes raisons par contre. Elle n'en fit pas la remarque, sachant que tout ce qu'elle pourrait dire refermerait un peu plus le piège sur elle. Pourtant, elle ne pu laisser passer qu'il la traite de menteuse une nouvelle fois. La seule chose qu'elle ait menti était effectivement sur son appartenance à Orpheo. Parce qu'elle ne le disait jamais à personne, et non pas parce qu'elle essayait de manipuler les gens en les soupçonnant de magie noire à chaque fois, comme avait l'air de le penser David.

- Qui traite l'autre de menteur? J'ai caché mon appartenance à Orpheo comme j'ai l'habitude de le faire, et pas en pensant que tu pouvais être un sorcier noir. Tu as caché ton statut en pensant probablement que j'étais une ennemie envoyée pour t'utiliser, alors que j'ignorais même que tu existais.

C'était une logique que le sorcier n'admettrait pas et où il parviendrait à trouver une faille de son point de vue. Elle commençait à cerner plus ou moins sa façon de réagir sur certains sujets, plus ou moins. Mais elle continuait à lui envoyer inlassablement ses arguments qui lui ramenaient en retour un statut de menteuse. Si elle se taisait, elle se ferait traiter de soumise. Et probablement de menteuse aussi puisqu'elle ne parlerait pas, donc cacherait une vérité quelque part. Quitte à choisir, autant n'avoir qu'un seul statu, au lieu des deux à la fois.
David ramena sa main dans son dos, et avant qu'elle ne puisse se questionner, il lui bondit dessus, lui plaçant une lame sur la gorge en la plaquant contre un mur. Ce coup là, elle ne l'avait vraiment, mais alors vraiment pas vu venir. Elle pensait qu'il tenterait de l'attaquer avec de la magie, et qu'elle aurait donc peut être la place de fuir entre deux vagues. Mais là, plaquée contre un mur, une dague sur la gorge et un sorcier furieux devant elle, elle voyait son espérance de vie dégringoler pour n'afficher que quelques minutes au compteur. Elle aurait bien transpiré d'angoisse, mais avec toute cette pluie ce serait parfaitement invisible, ce qui ne l'empêcha pas de sentir son estomac s'alourdir tout seul à la place. Le feu vint lui titiller le bout des doigts, sans qu'elle l'ait appelé. Il ne sortait de lui même que si elle était aux portes de la mort. Là, elle était encore plus ou moins en pleine forme -au moins physiquement-, et en plus il pleuvait. Le fait que le feu ait l'air de s'intéresser à la situation la fit complètement paniquer intérieurement, plus que la dague pressée contre sa jugulaire. Elle le contint cependant, pour qu'il ne sorte pas.

- Pourquoi tu recules beauté? Ça ne t'amuses plus? C'était quoi le plan, coucher avec moi? Vieille technique très célèbre, si tu veux, je te donne ce que tu veux, et je te tue après.

Le sous-entendu clair de David la tira quelque peu de sa panique, uniquement pour rajouter un poids de plus dans la balance sur le plateau de sa peur, qui commençait sérieusement à déséquilibrer celui de sa raison. Elle avait joué son jeu en continuant les sous entendus, et peut être bien qu'elle aurait été prête à lui donner ce qu'il voulait à un moment. Mais ce moment était loin, et le sorcier recommençait à trop demander. Surtout avec la promesse de mort juste après. Il l'embrassa avec encore plus de brutalité que lors de leurs retrouvailles. Toute sa colère passa entre leurs lèvres, alors qu'il se collait complètement à la sorcière pour confirmer que sa proposition serait vite transformée en acte si elle ne réagissait pas. Bien que tétanisée de la tête aux pieds intérieurement -et peut être que ça commençait à se voir-, Namyon lui répondit. Elle ne pouvait s'en empêcher, comme si c'était un réflexe naturel de répondre aux baisers de David. Seulement les siens.
Mais elle souhaitait toujours que la dague s'éloigne. Alors elle décida de tenter quelque chose. Vu le point où elle en était, elle n'avait rien à perdre qui ne soit déjà mit sur la planche, prêt à sauter. Toujours en embrassant le sorcier, elle y mit suffisamment de force pour qu'il recule à peine la tête. Juste suffisamment pour qu'elle puisse aller s'entailler le cou sur la dague. Aussitôt qu'elle senti que la lame avait percé la peau, elle se recula en rompant le baiser. La coupure laissa échapper un peu de sang, rouge vif et tranchant sur la peau pâle. Il fut vite lavé par la pluie, et remplacé par une nouvelle coulée de l'entaille. La sorcière provoquait ouvertement le sorcier, le défiant d'aller au bout de son geste, d'assoir sa supériorité d'homme, alors qu'elle était morte de trouille.

- Pas besoin de passer par le viol pour avoir une femme non? Si le plan avait été de t'avoir dans mon lit, ne crois-tu pas que j'aurais saisi une des occasions précédentes? Je n'aurais certainement pas attendu que tu me menace de mort avec une dague avant d'agir.

Avec un sourire qui n'avait rien d'engageant, David revint embrasser la sorcière. Elle lâcha une exclamation de surprise quand il la mordit, fort. Elle eut envie de passer sa langue sur la lèvre injuriée pour vérifier l'état dans lequel elle était, mais finalement rien que la douleur s'attardant à cet endroit donnait une indication assez importante.

- Je sais pas, mais moi, j'ai bien envie de m'amuser. J'ai trop froid, tu veux pas me réchauffer?

Le prendre au mot lui traversa l'esprit. Le feu avait l'air de vouloir aider, et après tout il était capable de réchauffer. Le problème était que, si l'élément ne la blesserait pas elle, il n'en serait pas pareil du sorcier. De toute façon, il n'apprécierait pas de la voir utiliser un pouvoir de plus, et se sentirait encore une fois menacé.
De toute façon, l'homme ne lui laissait pas vraiment l'occasion d'en placer une, collant une fois de plus leurs lèvres. Pas que cela dérange la sorcière le moins du monde. Si seulement cette dague pouvait disparaitre... Ah, les instances supérieures avaient entendu sa prière, puisque David rangea la lame là où il l'avait trouvée. Honnêtement, qui se baladerait avec une dague sous ses vêtements la nuit, sous une pluie qui ressemblait plus à une douche, dans un village paumé d'Écosse? Il ne devait pas en exister beaucoup des David.
La jeune femme avait pleinement conscience qu'elle était dans une situation qui n'allait pas tourner à son avantage si elle restait là. L'homme la décolla du mur afin de se coller à elle, et elle avait finit par passer ses bras autour de son cou, autant pour avoir une prise que pour pouvoir lui répondre. Elle était moins violente que lui, tentant en quelque sorte de tempérer ses émotions. Elle aussi avait froid, mais elle ne voulait purement et simplement pas se décoller de David. Comme il n'avait pas l'air de le vouloir non plus, c'était parfait, il s'entendaient enfin sur un point. Elle avait abandonné sa recherche de réponses le temps de profiter de l'instant, et finalement elle hésitait à la reprendre, par peur de ce qu'elle finirait par trouver.
L'homme finit par s'éloigner d'elle, mais il continuait à la provoquer en effleurant ses lèvres des siennes. Namyon était très douée à ce jeu de provocation elle aussi, quand elle le voulait. Preuve en était l'épisode de la chambre. Mais quelque chose lui soufflait que cette fois, ce n'était vraiment mais alors vraiment pas une bonne idée.

- Généralement...C'est à ce moment-là que la fille s'enfuit, laissant le méchant seul avec son désir.

Il lui faisait une fleur là, à lui laisser le choix. Et ce serait probablement la dernière ouverture qu'elle aurait. Celle qu'elle se devait de prendre si elle tenait à rester entière un peu plus longtemps. Elle voulait rester, elle le voulait vraiment, mais il était temps de se montrer raisonnable, et d'abandonner pour aujourd'hui.
Elle le remercierait presque, mais ce serait un peu tordu de remercier quelqu'un de ne pas vous violer au milieu d'une rue non? Dans tous les cas, elle se demandait ce qui poussait le sorcier à la laisser filer alors qu'il était clair et évident qu'il la voulait. N'avait-il pas dit qu'il prenait ce qu'il voulait quand il le voulait? Il lui faisait là un énorme cadeau, et c'était impoli de refuser les cadeaux.

- Le méchant va surtout se retrouver seul avec une angine. Et la fille aussi probablement.

Elle n'avait pas dit cela très fort, mais ils étaient tellement proches que de toute façon, il l'avait entendue. Tout son corps rechignait à partir, à laisser là le sorcier et sa chaleur et pourtant c'était la plus sage décision à prendre. Elle l'embrassa une dernière fois tout doucement, sans provocation cette fois -de toute façon, il était bien assez fébrile comme ça- avant de rompre le baiser et de glisser entre ses bras comme une anguille. Elle le regarda dans les yeux, à un mètre à peine de lui, puis lui tourna le dos et s'envola.